Fort de son expérience à Romorantin, en Loir-et-Cher, où il a travaillé au réaménagement d'un quartier en zone inondable, l'architecte Eric Daniel-Lacombe préconise plusieurs principes d'action pour la vallée de l'Aude. Une tribune publiée le 25 octobre, qui décrit un réaménagement dont on pourrait s'inspirer ailleurs en France.
Les inondations catastrophiques dans l'Aude, qui ont fait quatorze morts et plus de soixante-dix blessés le 15 octobre, obligent à réfléchir aux mesures de prudence à envisager pour l'avenir. Il faut se préparer à de nouvelles inondations en organisant les secours, l'aide aux populations et l'anticipation des dommages. Ceux-cise déclinent en trois temps : le surgissement du drame, qui frappe les esprits ; l'attente du retrait des eaux ; la lente reconstruction de la vie et des infrastructures.
A la fascination qu'exerce le premier temps succède l'oubli dans lequel sont plongés le deuxième et le troisième temps. La destruction des infrastructures de transport d'énergie, des routes et des ponts ainsi que celle des systèmes d'assainissement ont des effets dévastateurs sur des populations fragilisées, sur leur santé et leur économie. Face à l'angoisse collective, il semble d'abord évident qu'il faudrait élever des digues de protection, interdire les nouvelles constructions et exiger que l'Etat s'en charge. Ainsi, par un coup de baguette magique, tous les risques seraient supprimés.
Régulations naturelles
Il y a certes des digues qui sont utiles, et des mesures d'interdiction de construire raisonnables. Mais, dans beaucoup de cas, les digues endorment la vigilance des habitants et créent des événements terribles quand elles cèdent. Quant aux mesures d'interdiction, elles sont faciles à prendre, mais quelquefois difficiles à faire respecter, contribuant ainsi à l'affaiblissement du respect pour l'intérêt général et à la multiplication des incivilités. Déclarer zone inondable des villages anciens rend les maisons invendables et oblige les habitants à y rester, en leur interdisant de construire des protections, au risque de leur faire perdre toute confiance dans les pouvoirs publics. Cela ne semble pas raisonnable. Nous devons les aider, pas les punir.
Il faut tenir compte de la diversité -considérable des situations géographiques et météorologiques, mettre à profit et renforcer les régulations naturelles. Cela ne se fera pas sans le soutien des populations. Or, cela est difficile, car les catastrophes suscitent le désarroi. Les montagnards savent vivre avec la neige. Leurs habitudes de vie inscrivent leurs comportements dans l'ordre des régulations naturelles. Cela supprime le désarroi et diminue les risques. Il faudrait concevoir des habitats qui conduisent les habitants à se forger un nouveau rapport aux phénomènes naturels, afin de se préparer à des transformations du climat, dont nous n'avons peut-être encore aucune idée.
Il est possible d'aider les habitants à inventer de nouvelles manières de vivre avec le risque d'inondation, comme l'a fait Jeanny Lorgeoux, le maire de Romorantin (Loir-et-Cher). Près du centre-ville, au bord de la Sauldre, nous avons conçu ensemble - entre 2006 et 2010 - tout un quartier en zone inondable constructible à risque moyen. L'accroissement du rôle des régulations naturelles a permis de créer un habitat protégé des crues très au-delà des cotes d'alerte présentes, autour d'un parc public qui constitue un lit temporaire de la Sauldre lors d'inondation. Les habitants peuvent donc développer une nouvelle attention pour la montée des eaux. Et dans les longues périodes entre les crues (qui ne sont pas toutes cause d'inondation), ils peuvent profiter d'un jardin public respectant la vie naturelle des ruisseaux et marais, mettant sous leurs yeux les nouvelles dynamiques de la nature.
Lors de la crue de juin 2016, le quartier a été totalement inondé, mais sans aucune destruction matérielle. En effet, tout le sol a été conçu pour ralentir l'inondation, guider son entrée, son stockage partiel et sa sortie du terrain sans turbulences, et réguler la décrue. Une nouvelle culture du rapport au climat et à la nature s'amorce. Une telle création d'habitat neuf démontre l'existence de principes de régulation permettant de diminuer les risques en engageant une transformation des mentalités. Ils devraient conduire dans les villages hauts, à mi-pente, ou en bas de la vallée de l'Aude, à des expérimentations différentes de réhabilitation et de construction neuve, et surtout d'organisation de la protection des populations (et des animaux) lors des catastrophes.
Nouvel habitat-paysage
Je propose plusieurs principes d'action. A court terme, il pourra s'agir, pour chacun des villages, de diagnostiquer la dynamique potentielle de l'inondation (de la crue éclair à l'inondation lente) et de fournir un service gratuit d'alerte météo ; de protéger les infrastructures d'alimentation en énergie, eau et communication, ainsi que les infrastructures d'évacuation des déchets et les accumulations de polluants (industrie, élevage, station d'épuration), sources de risque en aval. On pourra également mettre à disposition des habitants un programme d'aide à l'adaptation des logements dans les zones à risque élevé, afin d'assurer des conditions de vie et/ou d'évacuation décentes en période d'inondation, et créer, près des secteurs concernés, des lieux d'accueil et de soin pour les personnes contraintes de quitter leur domicile, et lancer des exercices annuels d'évacuation complète.
A moyen terme, on tentera de ralentir la dynamique des inondations en fonction du contexte géographique et hydrologique (bassins de rétention, zones d'épandage, perméabilisation des sols en plaine, conservation des eaux de ruissellement de tout nouvel aménagement). Mais, à long terme, il s'agira de transformer les villages en un nouvel habitat-paysage assurant la transparence hydraulique - possibilités d'un ouvrage à ne pas faire obstacle aux mouvements des eaux - des rez-de-chaussée vite inondés, le développement vertical des maisons avec un séjour aussi haut que possible, et la démolition progressive des maisons très vulnérables. Et de développer des passerelles légères de communication à partir des étages des maisons vers une zone d'accueil, ainsi qu'un espace de rencontres régulières et d'information sur les coûts et bénéfices des nouveaux régimes climatiques, notamment à l'intention des plus jeunes.
Les politiques d'adaptation au changement climatique ne se feront qu'avec le soutien d'une majorité de la population. La volonté de cette dernière sera d'autant plus grande qu'elle trouvera un bénéfice dans la pratique des nouveaux lieux transformés, tant en dehors des périodes d'inondation que dans ces moments de solidarité renouvelée.