Le référendum de dimanche, conséquence logique de l’intransigeance de la Troïka constitue une nouvelle étape dans les négociations entre Aléxis Tsípras et les créanciers de la Grèce. Elle marque un retour du peuple et de la démocratie à la table de l’Eurogroupe.  Un retour qui se fait dans la douleur, tant il bouleverse les plans de certains. Celles et ceux qui ont à cœur de construire l’Europe comme un espace civique solidaire dont le projet n’est pas soluble dans les dogmes de la finance y verront au contraire l’occasion d’un sursaut.  

Soyons clair, contrairement à ce que d’aucuns affirment, le référendum de dimanche prochain n’est pas un choix entre l’euro et la drachme. Une très grande majorité du peuple grec souhaite en effet conserver l’euro, à commencer par son Premier ministre. Quel est donc l’enjeu ? Le référendum à venir porte en réalité sur notre destin européen commun. Voulons-nous d’une zone euro à deux vitesses, où les pays du nord pourraient dicter leur loi, en dehors de toute logique économique et sociale, aux autres, ou voulons-nous un espace de solidarité et de démocratie qui continue de s’unifier ?

Depuis samedi dernier  s’est ainsi engagée une bataille décisive. Elle a pour objet la «vérité» sur les négociations entre le gouvernement d’Aléxis Tsípras et ses créanciers (Eurogroupe, BCE, FMI, Commission européenne). Leur opacité autorise tous les storytelling.

Confrontation inégale

Ce lundi Jean-Claude Juncker, disait à qui voulait bien l’entendre qu’après six mois d’intransigeance les créanciers étaient en fait prêts à céder.  Sur certains points clés de la liste de «réformes», sur un plan d’investissement pour la Grèce et sur la restructuration de la dette grecque dont les négociations auraient commencées en octobre. Malheureusement nous dit-il faussement affligé, Athènes avait annoncé son référendum juste avant que cela ne vienne sur la table.

Quand le crocodile verse des larmes, nous ne regardons pas moins ses dents. Quelle est la vérité de la situation ? Depuis six mois, nous assistons à une confrontation inégale entre un gouvernement élu pour mettre fin au cercle vicieux de l’austérité, et une Troïka qui, à tout prix, veut s’opposer à toute réorientation économique de l’Europe.  Ils ne veulent pas d’un fâcheux précédent et tout est bon pour éviter la contagion de l’esprit de résistance. Dès lors, les gesticulations médiatiques auxquelles nous assistons ont pour objectif unique de faire peser sur les épaules de Tsípras la responsabilité du blocage, comme si l’intransigeance avait changé de camp. Pour que Podemos ne progresse pas davantage en Espagne il faut absolument faire échouer Syriza en Grèce. Le cri de ralliement de ceux qui mènent l’espoir européen à l’abîme est désormais «C’est la faute à Tsípras !».

Tentative d’effacement de l’histoire en temps réel. Mais la mémoire est un muscle politique. Il nous rappelle que les Grecs ont souffert dans leur chair pour rétablir les comptes publics en Grèce. Aujourd’hui c’est le pays le plus «vertueux» parmi les 28 en termes d’excédent primaire.  Celui-ci est de 4,3% en 2014 quand il n’est que 2,9 en Allemagne et de -0,4% en France. Ce résultat a été obtenu au prix d’une grande saignée. Le nombre de chômeurs a triplé en quatre ans et le niveau de pauvreté a doublé. Et pourtant le poids de la dette n’a pas baissé. Pourquoi ? Parce que l’effet de l’austérité est terrible sur une économie déjà en récession. La demande baisse et les rentrées fiscales s’effondrent rendant intenable le remboursement de la dette et de ses intérêts.

Une occasion manquée

Tsípras, au nom de la dignité de tout un peuple a donc demandé trois choses : que les retraites et les salaires des plus fragiles soient préservés, qu’une réforme de la fiscalité se concentre sur ceux, riches, Eglise ou multinationales, qui jusqu’à présent n’avait jamais été inquiétés par ses prédécesseurs, et enfin que le poids de la dette soit largement revu à la baisse pour permettre à l’économie grecque de prendre un nouveau départ.

Ces demandes n’étaient pas infondées et avaient pour elles le poids de la raison économique. Pourtant, Aléxis Tsípras lui-même était prêt à transiger pour rendre un accord global possible, comme en atteste son document du 22 juin. Ce pas en avant, qui faisait suite à de nombreux autres, a reçu une fin de non-recevoir. Ses «partenaires» ont préféré suivre la ligne du FMI et rejeter l’offre qui comprenait notamment une augmentation de la fiscalité des plus grandes entreprises.

Les créanciers ont alors raté l’occasion de soutenir le premier gouvernement anti-corruption et anti-évasion fiscale que le pays ait connu. Le premier gouvernement non-clientéliste capable, s’il était soutenu par l’Eurogroupe, d’affronter les privilèges de la haute société grecque qui avant aujourd’hui avait multiplié les niches fiscales à son avantage, payé peu d’impôt, maquillé les comptes publics et finalement endetté le pays pour rembourser les banques européennes imprudentes et complices, et continuer de payer à grands coups de commissions occultes des équipements militaires inutiles.

Je termine par là ou j’ai commencé : cette intransigeance coupable, doublée du refus de rediscuter de la réduction de la dette grecque aura rendu le référendum inévitable.

Les négociations ne sont pas terminées. Tsípras doit tenir bon. Nous ne partageons pas tout de ses positions. Mais l’essentiel est la détermination lucide qu’il met à maintenir qu’un autre chemin est possible. Il faut souhaiter qu’un accord durable soit trouvé. Un accord qui mette de côté les mesures d’austérité économiquement contreproductives et socialement destructrices, qui ouvre la voie à une grande réforme de l’administration fiscale, et qui apporte une réponse concrète à la question de la dette suffocante. Laisser Tsìpras mener ce combat seul est une erreur politique considérable.

Pourquoi François Hollande, présent à chaque étape des discussions,  a-t-il fait le choix de rester dans l’ombre d’Angela Merkel, réduisant la France au rôle de spectatrice impuissante ? Nous ne pouvons laisser la construction européenne prendre le virage le plus dangereux de son histoire récente. L’exclusion de la Grèce, affaiblirait l’Europe et ouvrirait assurément une voie royale aux nationalismes de tout poil. Pour l’heure, assis sur les genoux des tenants de l’austérité, nous sommes dans la triste position de la marionnette qui ouvre la bouche pour réciter un discours écrit par d’autres. La ventriloquie de notre gouvernement doit cesser. Pour l’Europe, la France, pays fondateur et moteur de l’Europe doit parler clair. Et agir. Vite.

Eva Joly, Députée européenne Europe Ecologie Les Verts