Par Pierre Le Hir pour Le Monde le 13 avril 2016
« C’est un tabou qui tombe », se félicitait la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, lors de l’examen parlementaire du projet de loi de transition énergétique pour la croissance verte, promulguée en août 2015. Elle parlait de la toute-puissance de la filière nucléaire dans le modèle énergétique français, qu’aucun gouvernement n’avait osé écorner. Dans son article 1er, la loi prévoit en effet de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % [contre 77 % en 2014] à l’horizon 2025 ».
Un engagement solennel pris par François Hollande avant son élection. « Vous êtes pour le tout-nucléaire, vous en avez parfaitement le droit ; certains sont pour la sortie du nucléaire, ils en ont le droit aussi. Moi, je suis pour une position équilibrée parce que je pense que c’est la plus intelligente », avait-il lancé à Nicolas Sarkozy lors du débat télévisé de l’entre-deux tours de la présidentielle, en 2012.
Mais les tabous ont la vie dure. Au pied du mur, le gouvernement tergiverse. Suscitant l’incompréhension et la défiance des associations environnementales, qui l’accusent de renoncer à une vraie transition énergétique.
Avec sa loi de croissance verte, la France s’est pourtant fixé un cap ambitieux : quatre fois moins d’émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990, deux fois moins d’énergie consommée au milieu du siècle, moins 30 % de fossiles en 2030 et 32 % de renouvelables à la même échéance. Le tout assorti, donc, d’une réduction d’un tiers du poids de l’atome, en 2025, dans le bouquet électrique. Ces objectifs, complémentaires, doivent être mis en musique par une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont la loi précise que, « fixée par décret, elle établit les priorités d’action des pouvoirs publics ». La première PPE devrait couvrir deux périodes, 2016-2018 et 2019-2023.
Or, huit mois après l’adoption de ce texte, dont le chef de l’Etat avait fait l’un des « grands chantiers du quinquennat », force est de s’interroger sur les « priorités d’action » de l’exécutif. La PPE était attendue fin 2015. Repoussée de mois en mois, elle devait être présentée, début mars, à un comité de suivi, lequel a été ajourné sine die. Et voici que Mme Royal vient de décider de soumettre au Conseil supérieur de l’énergie, vendredi 15 avril, un « arrêté relatif à la programmation des capacités de production d’énergie renouvelable » qui fait l’impasse sur le nucléaire.
La centrale de Cattenom (Moselle)
Sécuriser les énergies renouvelables
« J’ai choisi de procéder en deux temps, en avançant d’abord sur les renouvelables, explique au Monde la ministre. C’est une façon de sécuriser leur développement, en le rendant indépendant du volet nucléaire, plus compliqué à traiter et conflictuel. Les filières renouvelables ont besoin de visibilité.. Si leur sort était lié à celui du nucléaire, les professionnels pourraient craindre que tout soit remis en cause en cas d’alternance politique. » En procédant de la sorte, elle va pouvoir « lancer les appels d’offres pour les différentes filières, fixer les tarifs de rachat de l’électricité et accélérer la transition énergétique ». L’éolien terrestre doit monter fortement en puissance, en passant d’une capacité installée de 9,3 gigawatts (GW) en 2014 à 22 ou 23 GW en 2023, de même que le solaire photovoltaïque, qui doit grimper de 5,4 GW à 18 ou 22 GW.
Ce mécanisme à double détente pose toutefois deux problèmes. D’abord, il s’affranchit pour l’instant de la PPE, c’est-à-dire du fil rouge de la loi. L’arrêté ministériel sur les renouvelables, sur lequel le Conseil supérieur de l’énergie doit rendre un avis d’ici à la fin avril, pour une publication au Journal officiel en mai, va simplement modifier les programmations pluriannuelles des investissements (PPI) de production d’électricité et de chaleur de 2009. Un dispositif qui, comme son nom l’indique, ne porte que sur les investissements et non pas sur l’ensemble de la politique énergétique.
Ensuite, passer sous silence la question du nucléaire a pour conséquence, aux yeux des ONG, de fragiliser les filières alternatives, au contraire de ce qu’avance la ministre. « On ne peut pas sécuriser les renouvelables sans garantir, dans le même temps, qu’on va leur faire de la place sur le marché et sur le réseau, analyse Cyrille Cormier, chargé des questions énergétiques à Greenpeace. La France et l’Europe sont en surcapacité de production électrique, si bien que ces filières ne pourront pas progresser sans une baisse effective du nucléaire, donc sans fermeture de réacteurs. » Les atermoiements du gouvernement s’expliquent, selon lui, par « une difficulté à choisir entre la transition énergétique et l’exportation du nucléaire français, qui nécessite de conserver une vitrine nationale, un parc, des équipes et un savoir-faire ».
Ségolène Royal marche sur un prototype de route solaire à Marseille le 21 mars 2016
L’exécutif se défausse sur les gouvernements futurs
De fait, la série des quatrièmes visites décennales – les inspections approfondies qui décideront de l’aptitude des chaudières nucléaires à rester en activité au-delà de quarante ans – ne débutera qu’en 2019, avec l’unité de Tricastin 1 (Drôme et Vaucluse).
Pour autant, la Cour des comptes estime, dans son dernier rapport annuel, que baisser la part de l’atome à 50 % du bouquet électrique revient à arrêter « de 17 à 20 réacteurs » sur les 58 que compte l’Hexagone. Ce qui, en bonne programmation, exigerait de planifier et d’étaler les fermetures. Au lieu de quoi l’exécutif se défausse, de facto, sur les gouvernements futurs. Le seul acte posé au cours du quinquennat sera un décret, « avant l’été » promet Mme Royal, abrogeant l’autorisation de fonctionnement de Fessenheim, même si la centrale alsacienne ne s’arrêtera que fin 2018, lors de la mise en service prévue de l’EPR de Flamanville (Manche).
Cette dérobade n’étonne guère Hervé Mariton, député (Les Républicains) de la Drôme et co-auteur d’un rapport sur le coût de la fermeture anticipée des réacteurs nucléaires. « Depuis le début, on nage en pleine hypocrisie avec une loi de transition énergétique qui est perçue par beaucoup – parlementaires, membres du gouvernement, industriels – comme n’ayant pas vocation à être appliquée, commente-t-il. La preuve en est qu’EDF ou Areva n’intègrent pas d’évolution majeure du parc nucléaire dans leurs calculs financiers. On est dans un jeu de rôles, de feinte systématique du gouvernement. Sur le nucléaire, la transition énergétique réside dans la PPE, le reste n’est que du baratin. » Tout aussi sévère, l’ex-ministre de l’environnement Corinne Lepage, présidente du mouvement Le Rassemblement Citoyen-Cap 21, juge que « sur le nucléaire, le bilan de Mme Royal est égal à zéro ».
A quelques jours de la cérémonie de signature, le 22 avril à New York, de l’accord de Paris sur le climat, pour lequel la France veut s’afficher en moteur de la transition énergétique, les associations environnementales s’étranglent. « Signer l’accord de Paris sans avoir rendu publique une PPE qui transcrive les objectifs de la loi serait comme faire un chèque en bois. Le gouvernement ne peut pas se permettre de rester dans un flou qui pénalise les filières d’avenir, que ce soit l’efficacité énergétique ou les énergies renouvelables », estime Anne Bringault, du Réseau action climat et du Réseau pour la transition énergétique.
France nature environnement exprime elle aussi son inquiétude : « Si la France veut tenir à l’international son rang acquis avec l’accord de Paris, cela passe nécessairement par la mise en œuvre de la loi de transition énergétique et l’exemplarité de l’État », prévient son président, Denis L’Hostis. Ajoutant : « Aujourd’hui, nous pouvons en douter. »
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