Un arrêté préparé par le gouvernement fixant les règles pratiques d'épandage fait le jeu des agriculteurs par Martine Valo pour Le Monde le 7 novembre 2016
Sur le front des pesticides, la bataille s'apparente à la lutte écrite d'avance du pot de fer contre le pot de terre. Mercredi 9 novembre à l'occasion d'un comité interministériel, le ministère de l'agriculture doit distribuer une note dévoilant ses intentions sur les pratiques d'épandage de produits phytosanitaires. Comment protéger à la fois la santé des salariés de l'agriculture – les premiers exposés –, l'environnement et les populations concernées alentour ? Le gouvernement se serait bien passé de rouvrir ce dossier explosif. S'il y est contraint c'est que l'arrêté précédent a été annulé pour des raisons de forme par le Conseil d'État, en juillet, à la suite d'une procédure lancée par le syndicat des producteurs de pommes et de poires. À présent, la France est obligée de rédiger un nouvel " arrêté phyto ", de le notifier rapidement à l'Union européenne afin de ne pas se trouver face à un vide juridique début janvier.
Or la FNSEA promet de mobiliser ses troupes à la moindre réglementation supplémentaire, tandis que les associations écologistes, très remontées, menacent d'aller prêter main-forte aux riverains chaque fois que ceux-ci se rebiffent face à des épandages intempestifs d'agriculteurs indélicats. C'est donc dans la plus grande discrétion que le ministère de l'agriculture s'est employé à préparer un texte sur les conditions d'épandage.
Celui-ci doit fixer des distances à respecter par rapport aux cours d'eau, la force du vent au-delà de laquelle il sera interdit de traiter des cultures, les délais d'attente obligatoires pour les ouvriers agricoles avant de pénétrer dans une parcelle fraîchement traitée avec des produits chimiques cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (que les représentants de la profession espéraient faire passer de 24 ou 48 heures à 6, moyennant un équipement de protection individuel). On a aussi cru dans un premier temps que l'établissement de zones tampons vis-à-vis des habitations des riverains figurerait dans ce texte dans lequel les défenseurs de la santé et de l'environnement voyaient une belle occasion d'obtenir des avancées.
Elles sont déçues. La présence des riverains a tout bonnement disparu. La tentative d'établir une zone non traitée de cinq mètres de large autour des habitations plaçait la FNSEA au bord de la crise de nerfs, sans même parler d'une bande de sécurité autour des jardins. On assure au ministère de l'agriculture que tout bien pesé, un décret ne constitue pas un cadre juridique suffisant pour prendre en compte cette question épineuse.
Crèches et maisons de retraite
Cette dimension-là est renvoyée à plus tard : peut-être faudra-t-il envisager un décret idoine, voire une nouvelle loi… D'ici là, les préfets devraient recevoir dans les prochains jours une lettre de Stéphane Le Foll, les invitant à prendre des dispositions mais uniquement en faveur de la protection des populations sensibles, autour des crèches, des maisons de retraite, terrains de sport, parcs publics. C'est le cas actuellement dans une trentaine de départements.
Les participants à la réunion du comité national sur les pratiques fertilisantes et supports de cultures ne devraient pas recevoir de version définitive du texte, mais on sait déjà que celle-ci ressemblera beaucoup à l'arrêté précédent datant de 2006. Or, en dix ans, la sensibilité de l'opinion publique en la matière a, elle, nettement progressé. La viticulture notamment – grosse consommatrice de pesticides –, suscite localement l'exaspération de particuliers qui n'hésitent plus à porter plainte.
Ainsi dans le Bordelais, deux propriétés d'appellation côtes-de-bourg viennent d'être mises en examen pour " usage inapproprié de produits phytosanitaires ". Au printemps 2014, ces deux exploitants avaient traité leurs vignes situées tout près d'une école primaire à Villeneuve-de-Blaye (Gironde) au moment de la récréation, par temps venteux. Une vingtaine d'enfants et une adulte avaient été pris de malaises ou de maux de gorge.
Comme l'a souligné le premier ministre lors d'un déplacement en Gironde, le 27 octobre : " La société française tout entière regarde avec plus d'acuité les questions de santé et de protection de la biodiversité. " Pourtant, Manuel Valls a aussi indiqué sans ambiguïté ce jour-là, devant les représentants de l'interprofession des vins de Bordeaux et de la Chambre d'agriculture, qu'il s'était saisi du dossier et avait décidé que le futur arrêté serait " pour l'essentiel le même que celui de 2006 ".
Il a incité les exploitants à améliorer leur matériel d'épandage (avec des aides financières à déterminer), préférer des produits moins dangereux et avoir la main moins lourde sur le pulvérisateur, en renvoyant toutes précautions supplémentaires à d'éventuelles " mesures consensuelles ".
La presse professionnelle agricole paraît rassurée : " La mobilisation des agriculteurs semble avoir payé ", écrit-elle. Elle se félicite d'ailleurs de la teneur de la lettre que la ministre de l'écologie – concernée par ce dossier au même titre que son homologue de la santé –, a adressée à Xavier Beulin, président de la FNSEA, le 26 octobre, dans laquelle Ségolène Royal l'assurait que le texte notifié à Bruxelles serait celui de 2006.
Vendredi 4 novembre, les associations écologistes ont clamé en chœur leur colère d'avoir été tenues à l'écart. " Nous sommes revenus aux pires moments de la cogestion entre la FNSEA et le ministère de l'agriculture ", a ainsi dénoncé François Veillerette, de l'association Générations futures. " On ne peut pas faire comme si l'on n'avait pas progressé dans la connaissance des méfaits des pesticides depuis 2006, a lancé le médecin Jean-François Deleume, d'Eau et rivières de Bretagne. Comme si la maladie de Parkinson et les lymphomes n'avaient pas depuis fait leur apparition au tableau des maladies professionnelles agricoles ! "
Avec la Fondation Nicolas Hulot, la Fédération nationale d'agriculture biologique, France nature environnement et l'association de femmes Women in Europe for a Common Future, les défenseurs de l'environnement estiment que le gouvernement a manqué le coche, citant à l'appui de leurs inquiétudes les principales études scientifiques sur la dangerosité des pesticides. " Nous nous attendons à une régression comme on en a rarement connu – notamment pour les petits cours d'eau intermittents – au profit d'intérêts minoritaires ", estime Benoît Hartmann de FNE. Et de souligner que le futur arrêté se prête à contentieux devant la justice européenne au titre de la directive-cadre sur l'eau.
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16 % de hausse de la consommation de pesticides
Les volumes de pesticides vendus en France, entre 2013 et 2014, ont grimpé de 16 % pour atteindre plus de 60 tonnes. Si l'on se base sur l'indicateur officiel du plan Ecophyto, qui tient compte des molécules de plus en plus concentrées dans ces produits chimiques, la -consommation s'est accrue de 9,4 %. Les fongicides ont grimpé de 8,7 % et les herbicides de 13,2 %.
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