La décision d'arrêter la centrale nucléaire alsacienne n'interviendra pas avant la fin du quinquennat Hollande. Par Jean-Michel Bezat le 7 avril 2017 pour Le Monde. Lire aussi Fessenheim : enfumage politique.
Des salariés de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) rassemblés devant le siège parisien d'EDF le 6 avril - GONZALO FUENTES/REUTERS
Les conseils d'administration (CA) d'EDF se déroulent d'ordinaire dans une ambiance plus sereine. Celui qui était convoqué jeudi 6 avril pour décider ou non de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) – promise par François Hollande en 2012 – restera sans aucun doute comme l'un des plus " houleux " de l'histoire du groupe, selon un administrateur. Flottement au sommet de l’État actionnaire, informations biaisées envoyées par SMS par des administrateurs au beau milieu de la séance, suspension des travaux, pression des syndicats hostiles à tout arrêt des réacteurs et manifestant aux abords du siège parisien du groupe : toutes les conditions étaient réunies pour transformer ce CA en psychodrame.
Le dénouement est intervenu en fin d'après-midi jeudi après un -ultime aller-retour entre le gouvernement et les administrateurs d'EDF. Et c'est finalement le scénario défendu par Jean-Bernard Lévy, PDG du groupe, et soutenu par l’Élysée et les cinq autres administrateurs indépendants, qui a été adopté : le gouvernement ne prendra son décret abrogeant l'autorisation d'exploiter la centrale alsacienne que six mois avant la mise en service du réacteur EPR de Flamanville (Manche), prévue fin 2018-début 2019 ! Ce qui signifie que le texte réglementaire pourrait ne pas être signé avant mi-2018, si le calendrier du chantier de Flamanville est respecté.
Cette décision " respecte l'intérêt social de l'entreprise " et " permet à EDF de disposer du parc nucléaire nécessaire à l'accomplissement de ses obligations de fourniture vis-à-vis de ses clients ", s'est félicité M. Lévy. Comme son prédécesseur Henri Proglio, il n'a jamais été -partisan de l'arrêt d'une centrale qui, selon lui, fonctionne " en toute sûreté et avec d'excellentes performances ". Dans son rapport 2015, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) jugeait que la doyenne des centrales françaises était parmi le mieux exploitées du parc d'EDF.
C'est des cinq administrateurs indépendants que dépendait la prolongation ou non de l'exploitation de cette centrale mise en service en 1977. La première pierre d'un programme électronucléaire décidé lors du premier choc pétrolier (1973) et qui devait faire de la France le pays le plus dépendant du nucléaire avec ses 58 réacteurs. Avant sa fermeture, les " indépendants " voulaient obtenir l'assurance que la capacité de production nucléaire d'EDF – plafonnée à 63,2 gigawatts par la loi de transition énergétique – ne serait pas réduite d'ici le raccordement de l'EPR de Flamanville au réseau. Objectif : ne pas diminuer les recettes d'EDF (environ 200 millions d'euros par réacteur et par an) alors que l'entreprise est frappée par la baisse des prix de gros de l'électricité.
Hostiles à une fermeture qu'ils jugeaient anti-économique et menaçante pour l'emploi (2 000 postes directs et indirects), les six représentants des salariés (CGT, CFDT, FO et CFE-CGC) ont voté contre la fermeture, même différée. Quant aux six administrateurs représentant l’État, ils n'ont pas pris part au vote pour des raisons de conflits d'intérêts. Six voix du conseil se sont exprimées en faveur d'une fermeture sous conditions et six voix contre tout arrêt. La résolution a été adoptée grâce à la voix prépondérante du PDG du groupe.
Sujet de tensions permanentes
Certains " indépendants " jugeaient que soumettre au vote cette fermeture de Fessenheim à la veille de l'élection présidentielle n'avait aucun sens. Sauf pour M. Hollande, qui voulait tenir au moins en partie sa promesse de 2012. Las, l'acte réglementaire signant l'arrêt de décès de Fessenheim n'interviendra pas durant son quinquennat. Encore moins l'arrêt pur et simple de la centrale, pourtant promis par le chef de l’État pour 2016 au tout début de son mandat.
L'arrêt ou non de Fessenheim aura été un sujet de tensions permanentes entre le gouvernement et ses turbulents alliés Verts durant son quinquennat. M. Hollande avait en effet repris à son compte un élément-clé de l'accord signé entre le Parti socialiste (PS) et Europe Écologie-Les Verts en novembre 2011. Ce texte prévoyait la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique de 75 % à 50 % en 2025, ce qui impliquait la fermeture" progressive "de 24 réacteurs et l'arrêt " immédiat "de Fessenheim.
Cette décision du conseil d'EDF est aussi un camouflet pour la ministre de l'écologie et de l'énergie. Ségolène Royal plaidait pour la publication du décret de fin d'exploitation de Fessenheim immédiatement après le vote des administrateurs d'EDF. Jusqu'au dernier moment, elle a exercé d'intenses pressions sur les six administrateurs indépendants pour qu'ils ne posent pas de conditions : Jean-Bernard Lévy, Bruno Lafont (ancien PDG de Lafarge), Philippe Crouzet (Vallourec), Claire Pedini (Saint-Gobain), Colette Lewiner (Capgemini) et Laurence Parisot (ex-présidente du Medef).
A l'issue du vote, Mme Royal a déclaré que " c'est enfin une bonne décision qui est prise dans la mesure où le caractère irréversible et inéluctable de la fermeture est explicitement acté dans la décision ". Une décision qui, selon son communiqué, " sera actée juridiquement dans les prochains jours ". C'est durant une suspension du conseil d'administration que la ministre a exigé que les termes " irréversible " et " inéluctable " figurent dans la résolution soumise au vote. De source proche d'EDF, on indique que cet ajout n'a pas de valeur juridique, seul le décret pouvant sceller la fermeture. Or Mme Royal " n'est pas parvenue à obtenir son décret immédiat " et " c'est incontestablement un échec cinglant " pour elle, a rétorqué Force ouvrière.
Le " dossier Fessenheim " se retrouvera donc sur la table du prochain président de la République. Le candidat d'En marche !, Emmanuel Macron, a réaffirmé jeudi soir, sur France 2, qu'il arrêtera -Fessenheim s'il est élu. Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Benoît Hamon, candidat du PS, aussi. A l'inverse, la présidente du Front national, Marine Le Pen, s'est engagée à poursuivre son exploitation, tout comme le candidat de la droite François Fillon.
Au terme de son quinquennat, le président sortant a donc essuyé un nouveau revers, après le report sine die de la construction de l'aéroport nantais de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) et l'enterrement du projet de barrage à Sivens (Tarn). Un revers d'autant plus difficile à expliquer que l’État, actionnaire à 83,1 % d'EDF, devrait pouvoir imposer ses vues.
Les dates
1977
Les deux réacteurs de la centrale, d'une puissance de 900 mégawatts chacun, sont mis en service.
2007
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dénonce un " manque de rigueur " de la part d'EDF dans l'exploitation de la centrale.
2011
A la suite de la catastrophe de Fukushima au Japon, trois cantons suisses, une région allemande, la région Franche-Comté et la ville de Strasbourg demandent l'arrêt des réacteurs. En juillet, l'ASN estime que l'exploitation peut être prolongée de dix ans, sous réserve de travaux. Un avis suivi par le gouvernement.
Septembre 2012
François Hollande annonce la fermeture fin 2016, comme il s'y était engagé lors de l'accord conclu en novembre 2011 entre -Europe Ecologie-Les Verts et le PS, en vue de la présidentielle.
Septembre 2015
M. Hollande repousse de facto l'échéance à 2018 en liant l'arrêt de la centrale à la mise en service de l'EPR de Flamanville.
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