En acceptant à 58 % la nouvelle loi sur l’énergie, le peuple helvétique déclare la fin de l’atome et valide la transition énergétique proposée par son gouvernement. Par Marie Maurisse le 22 mai 2017 pour Le Monde. Sur ce thème, lire Le jeu de dupes de la France sur la baisse du nucléaire, Nucléaire : EDF veut reporter le démantèlement, et Le nucléaire français face à ses contradictions. Lire aussi les articles récents À Tchernobyl, « il faut agir avant qu’il ne soit trop tard » et Vote tendu à Mandres-en-Barrois pour abandonner un bois aux déchets nucléaires.
Dimanche 21 mai, les électeurs suisses ont été 58,2 % à voter pour la révision de la loi sur l’énergie, qui interdit la construction de centrales nucléaires, vise à réduire la consommation d’électricité et promeut les énergies renouvelables. Ce résultat signifie de fait la sortie à moyen terme de l’atome, avec la fermeture progressive des centrales au fur et à mesure de leur obsolescence. Les Argoviens, qui vivent près des centrales de Beznau et Leibstadt (nord de la Suisse), ont refusé le projet à 51,7 %. Mais les cantons francophones ont été les plus fervents défenseurs de ce texte : Genève l’a accepté à 73 % et Vaud à 72 %.
« C’est un résultat historique », a déclaré Doris Leuthard, la ministre de l’environnement, à l’origine du projet de loi soumis au référendum. Celle que certains surnomment « Atomic Doris » défend en effet, depuis l’accident de Fukushima, en mars 2011, une sortie du nucléaire. Mais en Suisse, le processus de décision politique, jalonné de projets, de contre-projets et de votations populaires, se fait pas à pas.
Le texte voté hier entrera en vigueur le 1er janvier 2018. Il aura donc fallu sept ans pour que la Suisse décide et organise la fin de l’atome – le temps nécessaire au peuple pour réaffirmer sa volonté née de la catastrophe au Japon, mais aussi le délai qu’il aura aussi fallu au gouvernement pour négocier et préparer une transition énergétique en douceur.
« Vieilles casseroles »
Pas question de débrancher dès demain les centrales nucléaires du pays, car le texte voté dimanche interdit seulement la construction de nouvelles centrales. La Suisse compte actuellement quatre réacteurs en service : Mühleberg, Beznau 2, Gösgen et Leibstadt. En 2016, ils ont produit 20 309 gigawattheures (GWh) nets d’électricité, soit un tiers des besoins du pays. Le premier réacteur de Beznau, lui, est à l’arrêt depuis plus de deux ans à cause de défauts découverts dans la cave de pression. Son redémarrage est sans cesse reporté par l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). Mis en service en 1969, il est le plus vieux réacteur commercial du monde.
Le référendum de dimanche ne règle pas le sort de ces centrales. C’est pourquoi les Verts, s’ils se félicitent du résultat, estiment que « les problèmes ne sont pas pour autant résolus » et qu’il « faut maintenant débrancher rapidement et en toute sécurité nos vieilles casseroles nucléaires ». La centrale de Mühleberg sera définitivement éteinte en 2019. Mais pour les autres, rien n’est encore prévu. Outre les problèmes rencontrés à Beznau, les inquiétudes portent sur la centrale de Leibstadt, restée hors service pendant six mois après que des experts ont constaté des traces d’oxydation sur les barres de combustible. Son redémarrage, en février, a suscité des oppositions de la part d’associations comme Greenpeace et la Fondation suisse de l’énergie, mais aussi du ministère allemand de l’environnement, qui l’a qualifié de « regrettable ».
Pour autant, le peuple suisse n’a pas souhaité accélérer l’agenda. Le 27 novembre 2016, il refusait à 54 % l’initiative « sortir du nucléaire », qui prévoyait, elle, de fermer les centrales d’ici à 2029. En tablant sur un abandon d’ici à 2050, le gouvernement a su trouver un compromis. Après le référendum, Bertrand Piccard, explorateur suisse et co-inventeur de l’avion solaire Solar Impulse, s’est réjoui que « la Suisse revienne sur le devant de la scène dans les domaines des énergies renouvelables et de la technologie ».
Les milieux économiques sont plus dubitatifs. Dimanche en fin de journée, l’organisation patronale Économie suisse n’avait pas réagi. Ses membres étaient si divisés qu’elle avait renoncé à donner une consigne de vote. Certains acteurs économiques soutenaient l’initiative, mais d’autres estimaient que ces « subsides au photovoltaïque, à l’éolien ou à la géothermie » étaient un non-sens, comme le déclarait récemment la présidente de l’organisation, Monika Rühl. « La loi sur l’énergie fixe des priorités irréalistes, elle provoquera un flot de nouvelles réglementations et augmentera les coûts de production », a par exemple commenté dans le quotidien roman Le Temps Philippe Cordonier, membre de la direction de Swissmem, l’association de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux suisses.
Le coût de la transition énergétique est au centre du débat dans le pays. L’Union démocratique du centre (UDC), parti populiste qui a fait campagne pour le non, a calculé que la fin du nucléaire coûterait 3 200 francs suisses (2 900 euros) par an et par ménage. Un chiffre vivement combattu par Doris Leuthard, qui affirme que le coût pour les contribuables ne serait que de 40 francs suisses par an (37 euros). L’UDC s’engage à dénoncer cette promesse si elle n’est pas tenue. « On nous a toujours promis que ces 40 francs suffiraient », avertit ainsi le président de l’UDC Albert Rösti.
Soutien à l’hydroélectrique
Pour parvenir à réaliser cette délicate équation, la ministre de l’environnement, actuellement présidente de la Confédération, mise d’abord sur la diminution de la consommation d’électricité. « S’agissant de la consommation énergétique moyenne par personne et par année, indique le texte de loi, il convient de viser, par rapport au niveau de l’an 2000, une réduction de 16 % d’ici à 2020, et de 43 % d’ici à 2035. »
La réforme prévoit par ailleurs un développement des énergies renouvelables, qui représentent actuellement 58 % du courant consommé en Suisse. Le soutien à l’hydraulique doit être une priorité, selon la conférence des directeurs cantonaux de l’énergie. Cette source d’énergie assure déjà 53 % de l’approvisionnement électrique dans le pays, mais cette proportion devra augmenter en améliorant notamment la productivité des barrages. Les autres sources de courant vert devront aussi être développées, même si sur le terrain les oppositions aux éoliennes sont nombreuses. C’est pourquoi, malgré son succès, Doris Leuthard a déclaré dimanche soir à la Radiotélévision suisse que « le travail n’est pas fini ».
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