L’étendue des surfaces couvertes d’ulves a triplé au printemps malgré une baisse des nitrates dans les rivières. Par Martine Valo le 6 juillet 2017 pour Le Monde. Lire aussi En Bretagne, tensions autour d’un élevage géant de porcs et Danger des algues vertes : le grand déni.
Plage recouverte d’algues vertes à Hillion, près de Saint-Brieuc en Bretagne, le 29 juin. DAMIEN MEYER / AFP
C’est une annus horribilis pour la Bretagne, le pire printemps depuis quinze ans. Les échouages massifs d’algues vertes battent tous les records. Apparues exceptionnellement tôt dans la saison sur le littoral des Côtes-d’Armor et du Finistère, les proliférations d’ulves ont couvert, en avril et en mai, des superficies trois fois et demi plus importantes que la moyenne depuis 2002.
Malgré un certain repli en juin, des plages ont dû être fermées au public, alors que débute la saison touristique. Les données, même provisoires, relevées lors des vols d’observation du Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA) sont formelles : le bilan s’annonce catastrophique. L’espoir d’une amélioration, amorcée en 2010, s’éloigne.
Dans la région, élus et représentants de l’Etat s’étaient félicités de cette tendance au recul avant l’actuel retour des marées vertes malodorantes. Las, pour le moment l’étendue de ces épais dépôts sur les plages est de 50 % à 70 % supérieure aux sept années précédentes.
Les responsables bretons auraient préféré focaliser l’attention sur leur deuxième plan pluriannuel de lutte contre un phénomène qui s’est beaucoup aggravé depuis la décennie 1990, et qu’ils présentaient mercredi 5 juillet. Lors d’un comité de pilotage, les responsables des huit baies les plus touchées (la Fresnaye, Saint-Brieuc, la Lieue de Grève, Locquirec, L’Horn-Guillec, Guissény, Douarnenez et la Forêt-Concarneau) ont détaillé la façon dont ils comptent essayer d’endiguer cette invasion récurrente.
Au total, 55 millions d’euros doivent être engagés pour la période 2017-2021, à la fois pour financer le ramassage – quotidien si nécessaire –, et le volet préventif – c’est-à-dire essentiellement des mesures visant à aider les agriculteurs à améliorer leurs pratiques. Le programme précédent devait s’élever à 134 millions d’euros entre 2010 et 2016, mais seule une centaine de millions d’euros a finalement été engagée, et même moins selon le conseil régional.
Une part des crédits sont destinés à l’acquisition de connaissances, même si le processus de prolifération des algues vertes est déjà bien compris : dans les baies peu profondes, les ulves prospèrent grâce à la lumière et surtout aux nitrates. Ces substances proviennent des excès d’azote déversés en partie sous forme d’engrais minéral, et majoritairement lors des épandages d’« effluents d’élevage », autrement dit lisiers de porcs, fientes de volaille… Une matière organique dont la région ne manque pas, elle qui produit un tiers des poulets et élève 58 % des porcs (soit 7,3 millions d’animaux) des cheptels français.
Sous-sol saturé de nitrates
Un hiver doux, lumineux et épargné par les tempêtes a encore accentué les proliférations d’ulves, tapies en masse sous la surface de l’eau depuis l’automne précédent.
Un hectare cultivé reçoit en moyenne 170 kg d’azote organique par an dans les Côtes-d’Armor et le Finistère, 180 kg dans le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine. Les sols de la région ne peuvent absorber de tels tonnages qui ruissellent, se retrouvent dans les nappes phréatiques, puis dans les cours d’eau avant d’atteindre le littoral.
Moins de fosses à lisier qui débordent, plus de prairies et moins d’épandages : les remèdes sont connus aussi. Moyennant des compensations financières et des accompagnements techniques, elles sont en partie mises en œuvre dans les huit baies les plus touchées. De fait, les quantités de nitrates ont baissé ces dernières années dans les rivières, mais on est encore bien loin du compte tant le sous-sol reste saturé.
La Bretagne est devenue en janvier, à sa demande et à titre expérimental, la première collectivité locale chargée de coordonner les politiques de l’eau sur son territoire. Cette compétence l’oblige a priori à avancer, mais elle reste prise dans la contradiction d’un modèle agroalimentaire qui la pollue tout en pesant lourd dans son économie. C’est ainsi que dans le Finistère, à Landunvez, Plovan et ailleurs, des propriétaires de porcheries déjà très importantes se sentent soutenus dans leur souhait de s’étendre encore, y compris contre l’avis des commissaires enquêteurs.
« Tsunami »
Lundi 3 juillet, le vice-président du conseil régional chargé de l’environnement, Thierry Burlot, et le préfet de Bretagne, Christophe Mirmand, se sont rendus dans une exploitation du Trégor, afin de souligner leur satisfaction vis-à-vis des efforts des exploitants et les assurer que la puissance publique serait là pour les accompagner vers « une agriculture rémunératrice qui génère de faibles fuites d’azote dans le milieu ».
Mercredi, lors du comité de pilotage rassemblant les huit baies, l’association Eau et rivières de Bretagne a exprimé ses doutes sur le plan de lutte et déploré l’insuffisance des « objectifs affichés de réduction des nitrates à l’horizon 2027 ».
Le matin, Halte aux marées vertes, une autre association très virulente sur le sujet, était venue dénoncer chez le préfet des Côtes-d’Armor le « tsunami d’algues vertes » qui frappe la région. Son combat porte contre l’hydrogène sulfuré, un gaz mortel qui émane des algues lorsqu’elles entrent en putréfaction. Le 23 juin et les jours suivants, la municipalité d’Hillion a ainsi dû fermer au public quatre de ses plages pour des raisons de « santé publique ». Plusieurs accidents ont eu lieu dans cette baie en 2009, une année noire en Bretagne.
Le danger se concentre dans les lieux peu accessibles aux tracteurs chargés de racler les couches d’ulves avant qu’elles pourrissent. Rien que dans les Côtes-d’Armor, 78 vasières et fonds d’estuaires ont été identifiés dans 59 communes du littoral comme présentant des risques. Cet inventaire mis à jour est désormais public et consultable sur le site de la préfecture. C’est nouveau. Les bulletins mensuels d’observation du CEVA, eux, ne le sont toujours pas.
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