Les États membres se divisent sur le partage de l’effort nécessaire pour réduire leurs gaz à effet de serre. Par Simon Roger le 16 octobre 2017 pour Le Monde. Lire aussi Climat : à Bruxelles, la France lâche les renouvelables et Les reculs sur le projet de loi Hulot prouvent que notre maison brûle et que nous votons ailleurs.
L’Union européenne le répète à chaque rendez-vous international, elle entend assumer un rôle moteur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elle ne devrait pas changer de discours pendant le sommet préparatoire de la COP23 (ou « pré-COP »), du 16 au 18 octobre aux Fidji, l’État qui présidera la prochaine conférence sur le climat, en novembre à Bonn (Allemagne). Pourtant, l’ambition brandie par l’UE se heurte à une réalité bien plus nuancée et disparate.
Troisième plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre derrière la Chine et les États-Unis, l’Europe des Vingt-Huit s’est engagée à réduire ses rejets de 40 % à l’horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Pour y parvenir, elle s’appuie notamment sur son « marché ETS » (pour Emissions Trading Scheme), un système d’échange de quotas d’émissions de CO2 consistant à fixer un plafond annuel d’émissions aux activités industrielles : les entreprises qui franchissent le seuil peuvent acheter des quotas supplémentaires à celles qui ne l’ont pas atteint.
Dans les secteurs des transports, de l’agriculture, du bâtiment et de la gestion des déchets – soumis à un objectif de réduction des émissions de 30 % d’ici à 2030 par rapport à 2005 –, un mécanisme de partage de l’effort s’applique. Il consiste à contraindre les États membres les plus riches à des baisses drastiques et à demander aux pays au PIB plus faible de moindres efforts. L’enjeu est de taille puisque ces secteurs représentent 60 % des rejets de l’UE.
Fractures
Mais ces deux principaux instruments sont aujourd’hui mis à mal. La réforme du marché ETS, entreprise à l’été 2015, est bloquée notamment par les pays charbonniers, Pologne en tête, hostile à une revalorisation du prix de la tonne de CO2. Varsovie cherche même à financer la construction de nouvelles centrales à charbon. Une sixième session de concertation entre le Conseil, le Parlement et la Commission européenne devrait intervenir d’ici à la COP23 pour tenter de sortir de l’impasse.
Les négociations sur la répartition de l’effort, à l’ordre du jour du dernier conseil des ministres européens de l’environnement, le 13 octobre à Luxembourg, ont été un bon révélateur des fractures de l’UE sur la question climatique. Le compromis adopté à cette occasion autorise les pays n’ayant pas atteint leurs objectifs de réduction en 2030 à piocher dans une cagnotte de crédits carbone fixée à 115 millions de tonnes de CO2. Ce mécanisme de flexibilité est « une échappatoire pour ne pas faire les efforts nécessaires vers la trajectoire dictée par l’accord de Paris » qui vise à contenir la hausse globale des températures bien en-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, juge Neil Makaroff, responsable des politiques européennes au Réseau Action Climat (RAC).
À Luxembourg, les ministres européens ont également fait le deuil d’une proposition de l’Allemagne destinée à calculer l’effort de réduction non pas à partir des niveaux de 2017-2018 mais en fonction des objectifs de 2020, plus ambitieux. La requête a reçu un accueil glacial parmi les pays retardataires ou parmi ceux, comme l’Espagne ou l’Italie, dont l’économie dépend fortement de l’agriculture et des transports.
« Mauvais signal »
Le soutien des ministres suédois et néerlandais, entre autres, n’a pas suffi à faire pencher la balance dans le sens souhaité par l’Allemagne. La Suède dispose depuis le 15 juin d’un outil législatif complet avec sa « loi climat ». Calée sur un objectif de neutralité carbone d’ici à 2045, elle impose au gouvernement de mettre en œuvre un plan d’action tous les quatre ans.
Au Pays-Bas, le nouvel exécutif semble porter une attention particulière à la question du climat. Il a annoncé le 10 octobre qu’il fermerait la totalité des centrales à charbon d’ici à 2030 et qu’il réduirait ses gaz à effet de serre de 49 % à cette même échéance (et non de 36 % comme le lui demande l’UE). Deux jours plus tard, c’est Londres qui rendait publique sa « stratégie pour une croissance verte ». Cette feuille de route, attendue depuis plusieurs mois, vise une baisse d’émissions de 57 % d’ici à 2032 (au-delà des 37 % prévus par l’UE).
Sur cette scène européenne en mouvement, la France brouille les pistes. Dans les débats sur la répartition de l’effort, elle est longtemps restée silencieuse, puis s’est finalement rangée derrière la majorité. « Le pays qui se revendique comme le champion de l’accord de Paris envoie un mauvais signal », réagit Caroline Westblom, de l’ONG CAN Europe.
« Face à un compromis que certains pourraient considérer comme insuffisant, nous allons faire la preuve que l’ambition, c’est la solution », assure pourtant Nicolas Hulot, qui assistait le 13 octobre à son premier conseil environnement. Le ministre de la transition écologique et solidaire espère que les discussions sur la répartition de l’effort, qui vont à présent s’engager avec le Parlement européen, aboutiront d’ici à la COP23. « L’Union européenne avance vers la COP en rognant sur ses ambitions, estime Neil Makaroff, du RAC. En termes de crédibilité et de leadership, elle est loin du compte. »
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