La loi Hulot sur les hydrocarbures votée par l'Assemblée Nationale le 10 octobre devait permettre de tenir les engagements pris lors de la COP21. Par Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France, auteur de "Sortons de l'âge des fossiles!", et Nicolas Haeringer, chargé de campagne pour 350.org, auteur de "Zéro Fossile" . Lire aussi « Aux députés français d’aller plus loin que la loi Hulot dans la lutte contre le réchauffement » et Hydrocarbures : le gouvernement a plié devant les intérêts miniers.
"J'ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas de Paris", affirmait Donald Trump au mois de juin pour justifier sa décision de sortir de l'Accord de Paris. En citant la ville qui fut la capitale mondiale du charbon et de l'acier, et est désormais un emblème de la "révolution" des gaz de schiste aux États-Unis, Trump envoyait un message clair : entre le climat et les intérêts de l'industrie fossile, il avait choisi.
Un choix qui a le mérite de montrer, par un effet de miroir, l'horizon d'une politique climatique ambitieuse: suivre le chemin inverse de celui choisi par Trump. Autrement dit: assumer de prendre des décisions qui vont directement à l'encontre de l'industrie fossile.
La loi Hulot sur les hydrocarbures, qui doit-être votée par l'Assemblée nationale ce mardi 10 octobre, devait jouer ce rôle. Celui d'un symbole, d'un signal envoyé au reste de la communauté internationale: tenir les engagements pris lors de la COP21 (maintenir le réchauffement au plus près des 1,5°C) implique de redonner aux États le pouvoir de dire 'Non'. Non aux projets de l'industrie fossile, non à notre dépendance aux hydrocarbures, non aux lobbies industriels désireux de prolonger leur rente aussi longtemps que possible, quel qu'en soit le coût climatique et social.
Nous avions rendu compte, en amont de la COP21, du refus de la communauté internationale d'envisager, si ce n'est une interdiction, a minima des restrictions à l'exploitation des énergies fossiles. Nous nous attendions donc à ce que l'industrie fossile réagisse et à ce que les forces conservatrices déploient toute leur énergie pour maintenir l'existant –c'est-à-dire la possibilité de forer toujours plus loin et plus profond. En ouverture du débat parlementaire, Nicolas Hulot exhortait les députés à se montrer courageux, en soulignant la dimension libératrice de l'interdiction d'explorer et d'exploiter des gisements d'hydrocarbures: son texte de loi devait nous permettre de "retrouver notre liberté -liberté de renoncer à notre addiction aux hydrocarbures".
Grâce à une mobilisation rapide (plusieurs milliers de messages envoyés aux député.e.s siégeant dans les commissions "Affaires économiques" et "Développement durable" de l'Assemblée nationale) et à un gros travail de plaidoyer de 350.org, des Amis de la Terre, d'Attac France et des collectifs en lutte contre l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures de schiste et de couche, le texte de loi était arrivé renforcé devant l'ensemble des député.e.s.
Las, au gré d'amendements d'un gouvernement et de députés plus enclins à écouter les tenants de l'immobilisme que ceux qui, depuis des années, se mobilisent pour "mettre fin aux énergies fossiles", le projet de loi a été affaibli. Ainsi, par exemple, la fin annoncée de l'exploitation des énergies fossiles en 2040 est désormais assortie de trop nombreuses exceptions: pour le gisement de Lacq qui, toute proportion gardée, est à la France pour le gaz ce que Pittsbugh est aux États-Unis pour le charbon, pollutions locales comprises. Exception, également, pour les concessions déjà délivrées dont le terme va au-delà de 2040. Exception, toujours, pour les concessions qui ne permettraient pas aux industriels de rentrer dans leurs frais à temps. Au nom d'une conception datée de la "liberté d'entreprendre" le gouvernement a préféré protéger les droits des industriels, plutôt que commencer à résoudre le défi de ce début de 21e siècle: faire en sorte que le droit des affaires, notamment le droit minier et la liberté d'entreprendre, soient enfin soumis à l'impératif climatique.
Nicolas Hulot n'a en effet cessé d'expliquer que le gouvernement craignait une censure des mesures contenues dans les amendements allant dans le sens d'un renforcement du texte, pour mieux justifier leur rejet. Il met ainsi en évidence le fait que notre droit (notamment le code minier et son emblématique "droit de suite") n'est pas adapté à notre époque et au défi que représente la lutte contre le réchauffement climatique. Il prouve également que l'État avance plus lentement que les juges, qui ont déjà largement intégré le fait que le droit de l'environnement devait primer sur les intérêts des industriels. Il montre enfin que l'État a une vision étriquée du droit et de son évolution: le droit n'est pas qu'une force conservatrice. Il change, s'adapte, se transforme -par le travail législatif et, parfois, dans des rapports de force, par des conflits d'interprétation. Bref: le droit n'est pas une entité figée, mais un cadre mouvant, dont l'appropriation sociale n'est pas la moindre des dynamiques transformatrices.
Les reculs du gouvernement sur le projet de loi Hulot nous montre que l'État n'a toujours pas pris la mesure de l'état d'urgence climatique dans lequel nous sommes. Il ne s'agit pas du renoncement d'un homme (Nicolas Hulot) qu'il faudrait vouer aux gémonies, mais du symptôme d'un mal plus profond. Nous continuons à faire de la politique et à voter des lois comme si le réchauffement climatique était une menace abstraite, distante. Comme s'il suffisait d'un peu de communication et de quelques modifications à la marge de cette fabuleuse machine à réchauffer la planète qu'est notre système économique.
Comme Nicolas Hulot le faisait (presque) dire à Jacques Chirac, dans le discours que le premier avait écrit pour le second, "notre maison brûle et nous votons ailleurs".
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