Alors que les surfaces agricoles diminuent chaque année, le ministre de la Transition écologique souhaite l'instauration d'une taxe frappant les constructeurs qui investissent des espaces naturels. Dossier par Frédéric Mouchon le 11 octobre 2017 pour Le Parisien.
A la campagne ou en région parisienne (ici en Seine-et-Marne), les terres agricoles sont de plus en plus grignotées par les constructions. LP/Hugues Tailliez
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En France, chaque mois, l'urbanisation consomme une surface équivalente à 6 400 terrains de football. Des centres commerciaux, des bureaux, des logements... Pour le ministre de l'Écologie, trop, c'est trop. Dénonçant une «frénésie souvent injustifiée», Nicolas Hulot vient, selon nos informations, de proposer au Premier ministre de taxer les bétonneurs qui construisent sur des espaces naturels (lire ci-dessous). Le fruit de cette taxe servira à financer la protection de la biodiversité. Les Français semblent lui donner raison. D'après un sondage IFOP dévoilé mardi par le WWF France, 78 % se disent favorables à un moratoire sur l'artificialisation des terres agricoles dès 2020.
« Toutes ces atteintes détruisent de vastes terres fertiles et réduisent la capacité des sols à absorber l'eau des phénomènes météorologiques extrêmes, augmentant ainsi les risques et les conséquences des inondations », souligne l'association écologiste. Sur le terrain, les militants antibéton s'organisent. À Cellieu (Loire), au milieu des vergers, une centaine de personnes ont inauguré dimanche une tour de veille contre l'autoroute A 45, érigée sur le terrain d'un paysan dont l'activité est menacée par cette construction. Le collectif de paysans mobilisés contre ce projet n'entend pas « laisser les promoteurs [...] prendre possession des terres cultivées... ».
La métropole du Grand Paris dans le viseur
La colère ne gronde pas seulement dans les campagnes. En région parisienne, plusieurs collectifs d'habitants s'élèvent contre la bétonnisation de la banlieue. Réunis au sein de la coordination de préservation des espaces verts et publics d'Ile-de-France, ils dénoncent la « spéculation immobilière en cours » dans le cadre des aménagements du Grand Paris. « Sous couvert de faire une super région parisienne comme Londres ou Rotterdam, on a ouvert les vannes aux promoteurs, accuse Pascal Mage, président de l'association Murs à pêches, à Montreuil. Dans notre ville, par exemple, on prévoit d'aménager des logements sur un site classé d'intérêt national qui constitue un patrimoine unique en Seine-Saint-Denis. » Et les militants de citer aussi l'exemple de Paris, où « le parc de Bercy risque d'être amputé au profit d'une infrastructure dédiée aux JO ». Elus et promoteurs, eux, s'abritent derrière le schéma directeur de la région Ile-de-France qui autorise la « densification des constructions dans les tissus urbains existants, notamment en exploitant des friches et des enclaves urbaines ». Ce document officiel incite même les élus de la région à « favoriser le développement des grandes opérations en zones urbaines ».
Il dénonce la «folie des grandeurs»
Prélever une taxe auprès des « bétonneurs » proportionnelle aux surfaces naturelles accaparées par leur projet. Cette idée vient d'être soufflée par Nicolas Hulot (photo) à Matignon. « J'étudie une nouvelle source de financement qui permettrait de lutter contre l'artificialisation des sols et de financer la préservation de la biodiversité, nous explique le ministre de l'Ecologie. C'est une réflexion que j'ai proposée au Premier ministre, qui m'a invité à y travailler. » Hulot souhaite « freiner les choses » en « mettant fin à cette frénésie souvent injustifiée ». Il estime que les surfaces naturelles « jouent un rôle important dans l'équilibre climatique, la préservation de la biodiversité et notre souveraineté alimentaire ».
« La France détient le record du monde des ronds-points, il y a les ZAC, les ZUP et j'en passe, soupire-t-il. Il faut sortir de la folie des grandeurs, ce mimétisme qui mène à la construction de gigantesques centres commerciaux. » Et pour conclure, il insiste : « C'est un des signaux que je veux donner. Car lorsqu'on prend à la nature, il faut lui rendre ailleurs. »
«On a bousillé le paysage»
À gauche, un opposant à Europacity, un grand projet de centre de loisirs dans le Val-d'Oise. À droite, Pierre Creuzet, fondateur d'une association de défense des centres villes. LP/F. Naizot/F. Hubin
Pour Pierre Creuzet, fondateur de l’association d’élus Centre-ville en mouvement, qui travaille sur les cœurs de ville, stopper l'étalement urbain est une nécessité.
Faut-il comme le clame Nicolas Hulot « sortir de cette folie des grandeurs qui mène à la construction de gigantesques centres commerciaux » ?
Pierre Creuzet. Il faut stopper l'étalement urbain, car la France perd tous les sept ans l'équivalent de la surface d'un département au profit de l'urbanisation. Et donc au détriment des terres agricoles. Avec le développement des intercommunalités, toutes les communautés d'agglomération réclament leur Ikea. Or, une seule grande enseigne d'ameublement de ce type, c'est 150 magasins tout autour. L'an dernier, 22 % de surfaces supplémentaires ont été accordées à la grande distribution. Regardez ce que sont devenues les entrées de ville : c'est un désastre écologique.
Faut-il taxer davantage les projets d'urbanisation ?
Taxer la grande distribution, dont les propriétaires font partie des familles les plus riches de France, ne changera rien. Au pire, ils se rattraperont sur les prix et c'est le consommateur qui paiera. La seule solution est d'instaurer un moratoire d'un an pendant lequel on gèlerait tous les projets de la grande distribution prévus en périphérie des villes afin de réfléchir à ce que l'on veut faire du territoire français. Pendant quinze ans, sous des gouvernements de droite comme de gauche, on a laissé faire n'importe quoi et on a bousillé le paysage.
Que préconisez-vous ?
Que les centres villes, qui sont créateurs de lien social et de convivialité, soient classés en 2018 grande cause nationale. Plus d'un millier de cœurs de ville sont devenus moribonds à cause de la concurrence de ces mastodontes qui ouvrent en périphérie. Et puis il faut respecter nos campagnes en créant une loi où il serait impossible de construire dans et autour des agglomérations sans arborer un minimum. Cela ne veut pas dire tout interdire, mais qu'au moins les monstres commerciaux soient cachés sous une couverture végétale.
Dans la Val-d'Oise, Europacity fait cauchemarder habitants et écolos
50 000 m2 de surface culturelle, 150 000 m2 de surface de loisirs, des bars, une salle de concerts, des restaurants... le complexe de loisirs Europacity, prévu en 2024 dans le triangle de Gonesse (Val-d'Oise), se rêve en rival de Disneyland ou du Parc Astérix. Mais ces ambitions font cauchemarder certains habitants et militants écolos.
L’enquête publique ayant conclu cet été que ce complexe n'était pas très écolo-compatible, les promoteurs du projet, porté notamment par Auchan, ont proposé une nouvelle mouture, plus aérée et végétalisée. Mais les opposants dénoncent le gigantisme de cette opération qui implique de sacrifier plusieurs dizaines d'hectares de terres agricoles. « Une dent creuse enclavée entre deux autoroutes, une nationale et deux aéroports », balaye le directeur du développement d'Europacity, David Lebon. Les promoteurs mettent en avant la création de 10 000 emplois et affirment que ce «nouveau quartier de loisirs du Grand Paris» renforcera l'attractivité touristique de la France.
Dimanche, une centaine d'opposants au projet ont manifesté dans Paris en affichant des banderoles où l'on pouvait lire : « Des radis, pas des Caddies », « Des légumes, pas du bitume ».
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