Le document de travail secret du ministère représente une offensive contre tous les secteurs de l'activité culturelle. La recherche systématique de réduction de personnel et de coûts le conduit à s'inquiéter des risques sociaux. D’après Le Monde et l’Humanité le 15 novembre 2017.
Dans son édition datée du 15 novembre 2017, Le Monde révèle les pistes explosives de réforme de l’audiovisuel public. Un « document de travail » du ministère de la culture de Françoise Nyssen, que Le Monde s’est procuré, envisage des pistes de réformes du secteur de l’audiovisuel public. Une « holding » regrouperait France Télévisions, Radio France et d’autres entreprises publiques. France Ô – la chaîne des outre-mer – serait supprimée. Les médias jeunes, France 4 et Le Mouv’, ne seraient plus diffusés qu’en numérique. Les réseaux régionaux de France 3 et France Bleu se verraient « rapprochés ».
Le Monde ajoute : « Le gouvernement n’aime décidément pas quand les journalistes font leur travail d’investigation. Après la ministre du travail, Muriel Pénicaud, qui avait déposé plainte en juin, à la suite des révélations de Libération sur la réforme du code du travail, c’est au tour de la ministre de la culture, Françoise Nyssen, d’annoncer son intention de déposer une plainte contre X en réponse à nos révélations sur les premières pistes de la ré- forme de l’audiovisuel public.
Cette démarche est inquiétante, encore plus venant de la ministre de la culture, chargée de la communication. Car, si son entourage assure que la plainte ne vise pas Le Monde, elle cible, de façon évidente, nos sources d’information en cherchant à les tarir par la menace de poursuites judiciaires. Une culture du secret en opposition complète avec la défense de la liberté de la presse et de la protection des sources. »
Dans l’Humanité du 15 novembre 2017, Maurice Ulrich poursuit :
C'est dire que la transparence n'est pas le fort d'une équipe gouvernementale qui préfère à l'évidence que ses réformes soient élaborées en l'absence de tout débat démocratique. Cette passe d'armes entre Mme Nyssen et le Monde vient en tout cas ternir l'image de la ministre de la Culture, qui semble présider ici à un vaste plan qui va bien au-delà de l'audiovisuel. Car c'est bien ce qu'attestent les documents qui nous sont également parvenus et qui constituent la contribution ministérielle en date du 3 novembre aux « travaux du CAP 2022 ».
Le document présente cinq projets de réformes touchant à l'administration centrale, au champ muséal, aux aides à la création, à la politique des archives et donc à l'audiovisuel ou médias de service public.
D'emblée le préambule qui trace les grandes lignes de ces réformes pose problème en postulant d'abord « une montée en puissances des collectivités territoriales qui investissent davantage dans l'animation de la vie culturelle locale », ce qui va totalement à l'encontre des réductions de crédits observées à tous les échelons et de la baisse annoncée des dotations. La conséquence en serait, ce qui redouble le problème, la possibilité de créer « des échelons déconcentrés et des opérateurs dotés d'une grande autonomie de gestion », aussi bien que « des dispositifs d'intervention et de soutien à la création simplifiés et concentrés, davantage orientés vers la diffusion et l'élargissement des publics ». En traduction libre, on pourrait dire à quelque chose près, débrouillez-vous et soyez rentables.
Administration centrale : baisse des effectifs
L'organisation du ministère est jugée insuffisamment adaptée à l'évolution de son environnement. Il s'agirait donc de la recentrer sur quelques missions en même temps que de la décentraliser et d'externaliser d'autres missions. Une perte de près de 350 emplois en découlerait. Mais les rédacteurs du projet ont aussi prévu les conséquences et la méthode. Ils écrivent noir sur blanc dans une case du document : « Risques : risque social important (baisse des effectifs de l'administration centrale) à considérable (externalisation fonctions d'accueil) ». Ou encore : « Conditions de succès : annonce rapide de la stratégie de transformation ».
Musées nationaux : autonomisation et autofinancement
Les musées nationaux sont invités au chapitre « Explicitation des gains attendus » à développer leurs ressources propres avec « un renforcement de leur autonomie ». D'autres seraient purement et simplement transférés aux collectivités territoriales ou intégrés à d'autres ministères.
Pour ce qui concerne la RMN (Réunion des musées nationaux), il est préconisé de la recentrer sur « les activités commerciales et l'exploitation du Grand Palais » de manière à répondre à l'évolution du secteur concurrentiel : Fondation Vuitton, Fondation Pinault, Culturespaces. Il s'agirait également et dans cette logique de rassembler toujours un public plus large en équilibrant économiquement les expositions. En d'autres termes, la RMN et les musées nationaux sont invités à entrer dans une course à l'échalote avec le secteur privé. Là encore, le document met en garde contre les risques : « Sensibilité sociale forte » avec la transformation « des agents de droit public en agents de droit privé ».
Spectacles vivants : l’Opéra et la Comédie Française à la diète
Le document demande une augmentation des représentations « afin d'attirer de nouveaux publics tout en amortissant mieux le coût des spectacles et des expositions ». Cela en adaptant mieux « l'offre de spectacle aux attentes du public et des collectivités ». Dans cette perspective, il est constaté que sont en œuvre « des conventions collectives et des accords salariaux qui rigidifient l'organisation du travail ». Il s'agit donc de mettre en œuvre plus de polyvalence, de faire évoluer le modèle économique et social des établissements et dans ce cadre de réviser particulièrement « les régimes spéciaux de l'Opéra et de la Comédie-Française », comme de réfléchir au statut de l'Ensemble intercontemporain (créé par Pierre Boulez NDLR). Le risque social est signalé comme « très élevé ».
Archives nationales : le tri sélectif
La proposition majeure est sans ambiguïté : « Réduire le champ d'archivage aux documents essentiels ». Les archives nationales, celles d'outremer et celles du monde du travail seraient regroupées en un seul service. Sept millions d'euros annuels seraient attendus d'une réduction de 10 à 20 % du flux de la collecte et d'une réévaluation de kilomètres d'archives.
Deux facteurs de risques sont identifiés : « Une mobilisation des historiens. Risque social en interne ».
Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) a réagi, dès hier, « ce gouvernement veut aller vite ( ) son attitude est arrogante et somme toute ridicule : vouloir changer sans l'appui des gens concernés est voué à l'échec ( ) cette première étape du CAP 2022 est scandaleuse dans sa méthode comme dans ses propositions ».