Enjeux et opportunités d'une alimentation moins carnée.
Voici la synthèse d’un rapport du 23 novembre 2017 pour Terra Nova suivie de propositions concrètes, pistes d'études ou de réflexion en faveur d'un régime alimentaire moins carné.
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Par Dalibor Frioux, consultant et écrivain ; Antoine Hardy*, ancien responsable du pôle « Société » de Terra Nova ; Thierry Pech, Directeur général de Terra Nova ; Matthieu Vincent, fondateur de DigitalFoodLab (*C'est à titre strictement personnel qu'Antoine Hardy signe ce rapport, dont la rédaction a débuté à l'automne 2016. Sa signature ne saurait engager ni de près ni de loin son employeur actuel).
SYNTHÈSE
Associée à l'élévation du niveau de vie et aux progrès de l'agriculture, la consommation de viande a explosé au cours du XX e siècle dans les pays développés et progresse à présent rapidement dans de nombreux pays émergents.
Cette dynamique est désormais porteuse d'inquiétudes. De nombreux nutritionnistes et diététiciens abandonnent les réticences que leur inspirait naguère une alimentation plus végétale. Les épidémiologistes ont établi, de leur côté, que la surconsommation de viande pouvait être la cause de plusieurs types d'affections.
La multiplication des scandales sanitaires a, par ailleurs, suscité des doutes sur la sécurité alimentaire de ces produits. Les spécialistes de l'environnement ont démontré, quant à eux, que les activités d'élevage avaient une contribution conséquente aux émissions de gaz à effet de serre (GES) et qu'elles impliquaient une mobilisation de ressources souvent disproportionnée par rapport à leur apport nutritionnel. Pour ne rien arranger, les révélations sur le traitement des animaux dans certains abattoirs ont soulevé une large émotion ces dernières années. Enfin, le désarroi de nombreux éleveurs devant la difficulté à vivre de leur travail a mis en lumière les défaillances et dysfonctionnements des chaînes de valeur de ce secteur.
Notre objet n'est pas de condamner en soi la consommation de viande. Mais tout plaide pour que soit recherché un nouveau compromis entre nos traditions alimentaires et nos impératifs sanitaires, environnementaux et économiques. Ce nouvel équilibre commande une réduction quantitative et une amélioration qualitative de la viande que nous consommons. L'objet de ce rapport est de passer en revue les arguments qui plaident en faveur de ce nouvel équilibre, de fixer un cap à la transition alimentaire qu'il convient d'amorcer et de formuler des pistes d'action pour progresser dans cette direction.
Il nous semble plus précisément que, dans les deux ou trois décennies qui viennent, nos objectifs sanitaires et environnementaux commandent que l'on divise par deux notre consommation de chair animale et que l'on inverse la part des protéines végétales et des protéines animales dans l'ensemble de nos apports en protéines. Pour y parvenir, plusieurs leviers pourront et devront être actionnés. Et notamment : la promotion des protéines végétales par les organismes publics de recommandations alimentaires et sanitaires, la mention visible des modes d'élevage et d'abattage sur les produits à la vente, une meilleure valorisation des végétaux par les signes officiels de la qualité et de l'origine (SIQO), une politique de restauration scolaire plus ouverte aux plats végétariens, la formation des cuisiniers et personnels de restauration, l'information et la formation des parents, le contrôle des distributeurs alimentaires dans les lieux publics et collectifs, le développement des primes herbagères agro-environnementales et des aides à la conversion à l'agriculture biologique, le financement des secteurs les plus prometteurs de la FoodTech...
Ce ne sont pas les idées qui manquent pour cheminer sans tarder vers une alimentation durable.
PROPOSITIONS
Les propositions formulées ici sont moins des solutions clé-en-main que des pistes d'études ou de réflexion en faveur d'un régime alimentaire moins carné. L'objectif synthétique que nous proposons de poursuivre est, dans les deux ou trois décennies qui viennent, de diviser par deux notre consommation de chair animale et d'inverser le ratio actuel de protéines animales et végétales dans notre alimentation, c'est-à-dire de viser une alimentation où 60 % des protéines seraient d'origine végétale (contre environ 40 % aujourd'hui). Cette cible est très proche de celle proposée par le cabinet Solagro dans son scénario Afterres2050 et en reprend la plupart des autres hypothèses (diminution d'un tiers des surconsommations, diminution de 50 % des pertes et gaspillages tout en maintenant l'indice de masse corporelle moyen). Elle permettrait à la fois de s'approcher du « facteur 2 » de réduction des émissions de GES d'origine agricole préconisé par la Stratégie nationale bas carbone et de se conformer aux recommandations des principales agences sanitaires nationales et internationales.
Il faut cependant garder à l'esprit que, si le régime alimentaire est bel et bien un objet de politique publique, il ne peut évoluer que progressivement et le plus souvent lentement. Et ce pour au moins deux raisons. La première est qu'il touche à des habitudes alimentaires, des normes sociales et des préférences culturelles qui s'inscrivent en général dans le temps long des sociétés. La seconde est qu'il implique une stratégie elle-même de long terme pour organiser et accélérer la transition de notre modèle agricole et de ses modes de production. Si cette stratégie n'est pas précisément décrite dans le présent rapport, nous sommes cependant conscients qu'elle est et sera nécessaire. D'autant qu'on ne saurait promouvoir la transition alimentaire aux dépens des agriculteurs en général et des éleveurs en particulier, lesquels sont déjà mis à rude épreuve. Terra Nova formulera dans les mois et les années qui viennent des propositions dans ce sens.
Proposition 1 : Évoluer vers la généralisation de l'option « repas alternatif végétarien » et l'imposition d'un jour végétarien par semaine dans la restauration scolaire des collèges et lycées
Proposition 2 : Mieux former les cuisiniers aux enjeux de la transition alimentaire
Proposition 3 : Mieux informer les parents des très jeunes enfants et les parents d'élèves
Proposition 4 : Pousser les organismes publics de recommandations alimentaires à promouvoir davantage les protéines végétales, à proposer plus systématiquement des solutions pratiques et à réviser les grammages recommandés en matière de viande
Proposition 5 : Mettre en cohérence le Programme national nutrition santé (PNNS) et le Plan national santé environnement (PNSE)
Proposition 6 : Promouvoir, sur les produits à la vente, la mention visible du mode d’élevage et d'abattage ; étudier l'extension du modèle de classification des œufs aux autres produits alimentaires pour lesquels des animaux ont été utilisés
Proposition 7 : Mieux valoriser les végétaux grâce aux Signes officiels de la qualité et de l'origine (SIQO)
Proposition 8 : Mieux contrôler les distributeurs alimentaires dans les lieux publics
Proposition 9 : Développer les primes herbagères agro-environnementales et consacrer une part plus substantielle des aides de la PAC à la conversion à l'agriculture biologique et aux solutions agroécologiques
Proposition 10 : Réfléchir à un « contrat de transition » à destination des éleveurs qui désirent soit se reconvertir dans une autre activité, soit faire évoluer rapidement leur exploitation vers un modèle plus cohérent avec la transition alimentaire souhaitée
Proposition 11 : Développer un réseau d’investisseurs sur le temps long dans les secteurs de la FoodTech travaillant sur l'alimentation à partir de protéines végétales
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