De plus en plus de pays anticipent la fin des voitures à moteur à explosion, socle de la révolution industrielle du XXe siècle. Les constructeurs se préparent à un basculement majeur vers l’électrique, qui va bouleverser toute une filière. D’après Jean-Michel Normand le 7 janvier 2018 pour Le Monde. Lire aussi « Vers une planète sans pollution » : les Nations Unies proposent 50 mesures urgentes, La pollution, responsable de 9 millions de morts dans le monde par an, Le Conseil d’État enjoint au gouvernement de prendre des mesures urgentes contre la pollution, Paris annonce la création d’un observatoire mondial de la pollution de l’air, Vivre près des axes routiers accroît le risque de démence, et aussi ... "Entre des hommes libres, des rapports sociaux productifs vont à l’allure d’une bicyclette, et pas plus vite" - La crise de l'énergie selon Ivan Illich !
L’arbre du diesel cache une vaste forêt, presque un changement de civilisation. L’opprobre qui s’est abattu sur ce carburant pose désormais ouvertement la question du devenir du moteur thermique, qu’il fonctionne au gazole ou à l’essence. Après plus d’un siècle de pétarades et de règne sans partage, le moteur dit « à combustion interne », cœur de l’automobilité du XXe siècle, vacille. Ses fumées d’échappement ne sont pas seulement indésirables dans les centres-villes. Leur éradication est devenue un objectif stratégique, brandi par les pouvoirs publics comme gage de leur volonté d’agir pour la qualité de l’air et limiter les émissions de gaz à effet de serre ou de particules, même si les transports, donc l’automobile, ne constituent qu’une des sources de pollution.
A peine entré en fonctions comme ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot a fixé à 2040 l’horizon qui doit marquer la fin de la commercialisation de véhicules thermiques, emboîtant le pas à d’autres pays parfois plus ambitieux, comme les Pays-Bas, qui ont retenu la date de 2035, ou la Norvège (2025). Une perspective qui recouvre des enjeux en termes d’emploi, car elle bouleverserait toute la chaîne de production, non seulement de moteurs, mais aussi de boîtes de vitesses. Une récente étude du groupe Elnet estime que 350 000 emplois disparaîtraient outre-Rhin si l’industrie automobile allemande se convertissait du jour au lendemain à l’électromobilité.
Effets d’annonce
Il y a dix ans, il était acquis que la hausse continue du pétrole finirait mécaniquement par avoir raison du moteur thermique. Mais celle-ci ne s’est pas produite, et ce sont des décisions politiques qui risquent d’en venir à bout. Des décisions d’autant plus malaisées à contrer par les constructeurs que les autorités décisionnaires ne sont plus seulement les interlocuteurs traditionnels que sont les gouvernements et la Commission européenne, mais aussi les élus des grandes métropoles. Des protagonistes sur lesquels il est difficile d’avoir prise – l’argument de l’emploi dans l’industrie automobile ne les touche pas forcément – et capables de prendre rapidement des mesures drastiques pour interdire l’accès au centre-ville.
Les constructeurs, conscients que les petites et grandes tricheries du « dieselgate » ont largement entamé leur crédit, sont peu loquaces sur la question de l’avenir du thermique. Tout le monde aura sa place dans le grand concert mondial de demain, assurent-ils benoîtement, tout en multipliant les effets d’annonce autour de la « voiture propre », c’est-à-dire électrifiée. Volvo fait acte de contrition en déclarant qu’il ne lancera plus de voitures dotées d’un moteur 100 % thermique à compter de 2019. BAIC, le cinquième constructeur chinois, fait savoir qu’il cessera de commercialiser des moteurs thermiques d’ici à 2019 à Pékin et d’ici à 2025 dans le reste du pays.
Même les marques allemandes abandonnent le moteur à explosion. Le groupe Volkswagen promet d’investir pas moins de 34 milliards d’euros d’ici à 2022 dans des modèles « à énergie nouvelle » et d’en devenir le leader. Matthias Müller, son patron, suggère au gouvernement de renoncer aux avantages fiscaux accordés au diesel, afin de favoriser la diffusion des modèles électriques. La leader du FDP, le parti libéral, le qualifie de « Judas du diesel ». Ambiance…
Impasse technologique
Le principal enseignement du « dieselgate » est que le moteur à combustion interne ne parvient plus à satisfaire aux objectifs « décarbonés » affichés par les pouvoirs publics, un constat valable quel que soit le continent. La tricherie commise par Volkswagen – et d’autres – résulte de l’impossibilité de coller aux seuils imposés pour les émissions de CO2, d’oxyde d’azote ou de particules fines. Pour passer sous les fourches Caudines des normes, tricher était sans doute la seule solution, alors que la réglementation avait considérablement salé l’addition en imposant aux moteurs diesel des filtres à particules ainsi que de complexes systèmes de recirculation des gaz d’échappement et de catalysation par injection d’urée. Le moteur essence (qui va devoir se doter lui aussi d’un filtre à particules) entre à son tour dans la même impasse technologique.
Une étude publiée mi-décembre par le Boston Consulting Group (BCG) considère, qu’après 2020, même les plus récents des moteurs à essence seront incapables de satisfaire aux normes. D’autant que le « dieselgate » a hâté la disparition de l’ancien standard de mesure de la consommation (NEDC), remplacé par un autre (WLTC), nettement plus crédible mais qui va augmenter mécaniquement les niveaux de consommation.
En Europe, la gamme de chaque constructeur ne devra pas dépasser une moyenne d’émission de 95 g de CO2 au km en 2021 (ce qui équivaut à une consommation de 4,1 litres aux 100 km), puis de 78 g en 2025. A moins que l’administration Trump ne revienne sur cet objectif, cette limite sera portée à 97 grammes aux Etats-Unis au milieu des années 2020, contre 150 g aujourd’hui. Ce qui n’est pas rien compte tenu de la masse moyenne des automobiles que conduisent les Américains. Placer la barre aussi haut impose des investissements très lourds – et donc un surcoût non négligeable pour le consommateur. Dans ces conditions, le BCG estime qu’à l’horizon 2021, « l’optimisation des moteurs à combustion interne aura atteint ses limites économiques ».
« La combustion du futur »
Certains refusent toutefois de croire à l’agonie du thermique. « On sous-estime les capacités d’adaptation et les progrès de ce moteur. Les innovations en cours sont nombreuses et elles pourraient bien réserver quelques surprises », assure l’un des dirigeants de la Plate-Forme de la filière automobile (PFA), un organisme qui rassemble les entreprises du secteur.
Dans son numéro de novembre 2017, Ingénieurs de l’auto, la revue de la Société des ingénieurs de l’automobile (SIA), passe en revue les solutions en cours de développement qui assureront « la combustion du futur » à l’horizon 2050 : le moteur à injection d’eau (qui permet de refroidir le mélange air-carburant), déjà exploité par BMW, l’allumage par compression, envisagé par Mazda, l’emploi de préchambres de combustion, qui semble intéresser Renault, ou le taux de compression variable, solution qui séduit PSA et son partenaire chinois Dongfeng. Des solutions efficaces, sans doute ; mais à quel prix ?
Des batteries toujours chères
Si les inconditionnels du thermique – et pas seulement les fans des gros V12 à la sonorité voluptueuse – ont du souci à se faire, c’est aussi parce qu’une alternative émerge face au modèle thermique dominant. Personne n’en doute, l’avenir de la voiture est à la mobilité électrique. Dans les premières années de l’automobile, cette option fut brièvement mise en concurrence avec le moteur à pétrole, avant d’être vite abandonnée. De ces années, reste la « Jamais-Contente », pilotée par Camille Jenatzy, sorte d’obus monté sur quatre roues qui fut, en 1899, le premier véhicule au monde à franchir la barre des 100 km/h.
Impossible, pourtant, de rivaliser avec l’essence, pas chère, abondante, facile à distribuer et dont la densité énergétique au litre est cinquante fois supérieure à celle d’une batterie. Au début des années 2000, une tentative de relance se brisa sur l’incohérence de l’Etat (contrairement aux engagements pris, le parc automobile des grands services publics resta acquis au tout-thermique), le pétrole bon marché et la sourde hostilité des constructeurs.
Tendance
Mais cette fois, la voiture électrique paraît en mesure d’être au rendez-vous. La liste des nouveautés « 100 % propres » attendues au cours des prochaines années a de quoi donner le tournis : vingt-deux chez Renault-Nissan dans les quatre ans, une cinquantaine au sein du groupe Volkswagen d’ici à 2025… Ecologique, la voiture électrique est aussi devenue, grâce à Tesla, résolument tendance.
Certes, la part de marché de ces modèles, majoritairement acquis par des particuliers, ne dépasse guère les 1 % ; mais leur progression est très soutenue. Et ils peuvent compter sur la Chine, qui instaurera à partir de 2019 des quotas de voitures propres de plus en plus exigeants. Pour le premier marché mondial, il ne s’agit pas seulement de réduire la pollution des grandes agglomérations mais aussi de miser sur la technologie des batteries, où ses constructeurs nationaux, qui ont fait l’impasse sur le thermique, sont très bien placés.
On ne saurait cependant envisager de passer directement d’un modèle à un autre. « Nous vivons une révolution de l’automobile mais nous ne sommes qu’au milieu du gué », prévient Michel Forissier, directeur recherche & développement de la division systèmes de propulsion chez Valeo. Le frein essentiel au développement de la voiture électrique, ce n’est pas l’autonomie des batteries (de 200 km à 400 km, selon les modèles) ni le manque de bornes de recharge. C’est surtout son prix. Un moteur essence coûte entre 1 500 et 2 000 euros ; un diesel, de 3 000 à 3 500 euros ; mais le moteur et (surtout) les batteries d’une voiture électrique se chiffrent entre 2 000 et 7 000 euros. « Actuellement, le coût du kWh est de 170 euros pour une électrique. En 2026, il pourrait descendre à 100 euros. Mais pour que l’on achète autant de véhicules électriques que de thermiques, il faudrait descendre à 70 euros », considère Michel Forissier.
Succès prévisible des motorisations hybrides
D’où le succès prévisible des motorisations hybrides, qu’elles soient standards ou rechargeables sur le réseau électrique (Phev), qui réduisent la consommation de carburant tout en permettant de parcourir certains tronçons en mode tout-électrique. Inaugurée en 1997 par la Toyota Prius, cette technologie tampon apparaît comme la seule à même de permettre aux motorisations conventionnelles de satisfaire à la prochaine génération de normes antipollution.
La plus grande part de marché devrait revenir aux hybrides légers, dits « mild hybrid », des systèmes accessibles aux voitures essence de très grande diffusion (le surcoût devrait être inférieur à 1 000 euros), dotés d’une batterie de 48 volts, qui vont apparaître dans les toutes prochaines années. Ces hybrides légers vont permettre aux moteurs conventionnels de moyenne cylindrée de faire aussi bien qu’un diesel en termes de consommation et d’émissions de CO2.
En 2030, estime Valeo, les « mild hybrid » totaliseront un tiers du marché mondial, à peu près autant que les électriques et les hybrides rechargeables… ou que les modèles thermiques, qui pèseraient donc encore lourd dans la balance. Mieux : l’explosion du marché automobile en Inde, en Afrique et en Asie, en favorisant les modèles bon marché de petite cylindrée – c’est-à-dire, par la force des choses, les petites voitures à essence –, devrait s’accompagner d’une augmentation de la diffusion des moteurs thermiques classiques, qui passerait à 92 millions en 2030, contre 72 millions aujourd’hui.
« Le moteur thermique est en sursis. Sans doute pour une durée de vingt à trente ans », estime Michel Forissier. Le Boston Consulting Group est plus optimiste. En 2030, il voit les moteurs thermiques s’arroger encore la moitié des ventes de voitures neuves. Après quoi, il faudra que les bons vieux trois, quatre ou six cylindres se résignent à rejoindre les rassemblements de collectionneurs.
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