« L’évaluation mondiale sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire », premier rapport élaborée par la Plateforme sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), a été présenté aux gouvernements réunis du 22 au 28 février à Kuala Lumpur pour la quatrième plénière de cette instance. Le résumé pour décideurs correspondant a été approuvé. Il alarme sur une dégradation des sols critique pour la sécurité alimentaire et pour le climat, pour les conditions d’existence et l’épanouissement des individus. D’après la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) et Sylvie Burnouf le 26 mars 2018 pour Le Monde. Lire aussi Conférence internationale sur la biodiversité : tous les indicateurs sont au rouge, Sur tous les continents, la nature et le bien-être humain sont en danger, Les oiseaux des campagnes disparaissent à une vitesse vertigineuse, Sécheresse, surexploitation : le monde a soif, Ce que les abeilles murmurent à l’oreille des humains et En trente ans, près de 80 % des insectes auraient disparu en Europe.
La Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, qui anime le Comité français pour l'IPBES, se félicite de cette approbation obtenue dans une ambiance très constructive avec l’ensemble des pays présents.
Ce rapport de plus de 800 pages, réalisé par 77 experts de différentes disciplines et pays, dresse un panorama aussi complet que possible des connaissances actuelles, mais aussi des incertitudes et des besoins de recherche sur ce domaine.
Le résumé pour décideurs en tire 23 messages clés, un ensemble de fait essentiels et surtout une palette d’outils pour l’action dont les décideurs publics ou privés sont invités à se saisir (téléchargeable ici).
La délégation française à laquelle participait plusieurs membres de la FRB, a été très active lors des discussions et s’est attachée à ce que ressortent clairement dans le résumé pour décideurs plusieurs éléments du rapport complet qui lui ont semblé particulièrement pertinents.
Le rapport
En premier lieu, le rapport rappelle l’importance de la pollinisation pour la sécurité alimentaire mondiale (35 % de la production agricole globale, soit un marché de 235 à 577 milliards de dollars en 2015) et donc les revenus des agriculteurs. Cette dépendance mondiale à la pollinisation s’est fortement accrue par ailleurs du fait de l’accroissement des surfaces dévolues à des cultures ainsi pollinisées (300 % en 50 ans). Au-delà de l’abeille domestique, bien connue, l’évaluation rappelle l’importance des 20 000 pollinisateurs sauvages comprenant principalement des insectes (bourdons, papillons, abeilles solitaires…) ou encore des vertébrés comme les chauves-souris ou les singes.
Bien que le rôle des pollinisateurs soit primordial, l’évaluation menée montre qu’ils sont menacés à l’échelle mondiale. La liste rouge de l’UICN indique que 16,5 % des vertébrés pollinisateurs sont menacés d’extinction tout comme 9 % des espèces d’abeilles et de papillons en Europe. 30 % de ces espèces sont par ailleurs en déclin.
Les risques et les pressions qui s’exercent sur les pollinisateurs sont analysés dans le rapport : changement d’usage des terres, dégradation des habitats naturels, agriculture intensive, recours aux pesticides, pollution, développement des espèces exotiques envahissantes, changement climatique.
S’agissant de l’incidence des insecticides, la délégation française a été attentive à ce que le résumé pour décideurs mette bien en évidence les avancées scientifiques dans ce domaine et, à plusieurs reprises, d’autres délégations ont soutenu nos prises de position. En particulier, le rapport indique qu’il est maintenant bien établi que les insecticides, et notamment les néonicotinoïdes, ont des effets létaux et sublétaux démontrés en laboratoire. Le rapport souligne le manque de données concluantes en conditions réelles, tout en notant qu’une étude récente a montré des effets négatifs sur les pollinisateurs sauvages. De manière générale, le rapport invite à poursuivre les efforts pour évaluer les impacts, notamment à long-terme et sur un ensemble large d’espèces.
Au-delà des recherches portant sur l’incidence des insecticides néonicotinoïdes, la recherche française se mobilise fortement pour répondre aux défis de connaissances soulevés dans le rapport. Plusieurs équipes françaises travaillent notamment sur l’analyse des différentes autres pressions s’exerçant sur les pollinisateurs, ainsi que sur les réponses des pollinisateurs à ces pressions.
Le rapport présente enfin un ensemble de leviers d’actions possibles assorties d’une évaluation de leur faisabilité. Le Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat a fait un résumé du résumé pour décideurs que vous pouvez télécharger ci-dessous.
Résumé français du résumé IPBES pour décideurs, par le Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat.
La dégradation des terres a atteint un stade critique
C’est un signal d’alarme que lancent les experts de la biodiversité : l’activité humaine est à l’origine d’une détérioration massive – et lourde de conséquences – des terres à l’échelle planétaire. Les terres, ce sont les sols, mais aussi ce qui les recouvre : les forêts, les prairies ou encore les zones humides.
Leur constat découle d’un travail de longue haleine : pendant trois ans, une centaine d’experts de 45 pays ont décortiqué et analysé plus de 3 000 références sur la dégradation et la restauration des terres – des publications scientifiques, mais aussi des données provenant de sources gouvernementales et de savoirs indigènes et locaux. Leurs observations, qui constituent la première étude mondiale sur l’état des sols, ont été regroupées dans un rapport d’un millier de pages approuvé lors de la 6e session plénière de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui s’est déroulée du 17 au 24 mars à Medellin (Colombie).
Disparition des zones humides
La plate-forme, souvent qualifiée de « GIEC de la biodiversité », en référence au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a été créée en 2012 sous la tutelle des Nations unies et rassemble actuellement 129 Etats membres. Elle a pour vocation d’éclairer les gouvernements et l’opinion publique sur les enjeux liés aux changements de la biodiversité, et réalise pour cela une synthèse régulière des connaissances scientifiques.
En l’occurrence, les experts alertent sur une situation plus qu’alarmante : nous faisons face à un phénomène systémique et généralisé de dégradation des terres, qui touche l’ensemble des surfaces terrestres de la planète. L’exemple des zones humides est peut-être le plus parlant : plus de la moitié a disparu depuis le début du XXe siècle. Selon les estimations de l’IPBES, si moins d’un quart des étendues terrestres échappent encore, aujourd’hui, aux effets substantiels de l’activité humaine, cette part tombera à 10 % en 2050. Il s’agira, pour l’essentiel, de zones non adaptées à une exploitation humaine (déserts, régions montagneuses, toundra et territoires polaires).
Mettre en place des mesures visant à réduire – voire à éviter – la dégradation des terres, et à restaurer celles d’ores et déjà dégradées, constitue pour les experts une « priorité d’urgence » pour protéger la biodiversité et les services écosystémiques, vitaux pour la vie sur Terre.
Sixième extinction de masse
Car les retombées négatives sont déjà visibles et multiples : la détérioration des terres constitue la première cause de disparition des espèces animales et végétales, contribuant de fait à la sixième extinction de masse. Elle participe également à l’exacerbation du changement climatique, en raison notamment de la déforestation et de la diminution de la capacité de stockage de carbone des sols. De plus, les terres dégradées concourent à l’altération de la sécurité alimentaire et de la santé des êtres humains, affectant le bien-être de plus de 3,2 milliards d’hommes et de femmes. Les experts entrevoient de surcroît des répercussions lourdes en termes de migrations et de conflits au sein des populations touchées.
Qui faut-il blâmer pour ces faits alarmants ? La consommation effrénée de la plupart des pays développés, assortie de celle, en hausse, des pays en développement, estime l’IPBES. Le tout dans un contexte d’augmentation de la population mondiale. L’expansion de l’agriculture est de fait visée – « notamment dans ses formes les plus intensives », souligne Florent Kohler, qui a participé à l’élaboration du rapport et de son résumé. L’anthropologue pointe la « part de plus en plus insoutenable des cultures fourragères », notamment celles du maïs et du soja. Mais d’autres facteurs ont également leur part de responsabilité, comme l’exploitation forestière, l’extraction minière et pétrolière, ou encore l’urbanisation excessive et incontrôlée.
« Il faut une prise de conscience massive pour que les terres – et plus spécifiquement les sols – soient enfin considérées à leur juste valeur, et non plus comme un simple substrat sur lequel on bâtit, on cultive, ou dans lequel on creuse pour extraire des matières premières, estime Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, qui fait partie de la délégation française. Nos terres (…) représentent un bien commun extrêmement précieux et l’avenir de l’humanité dépend de leur protection. »
« Il faut que, collectivement, nous construisions une société plus sobre… mais pas seulement du fait d’une certaine élite : il faut que ce soit un mouvement global de nos concitoyens », ajoute-t-elle, recommandant pour cela la mise en place de mesures simples, favorisant la transition. « Il existe déjà des solutions et il suffirait de les mettre en œuvre pour que la situation s’améliore », note-t-elle, citant pour exemple les pratiques agro-écologiques (qui préconisent l’arrêt des pesticides et des labours profonds), l’incorporation, dans le prix des aliments, du coût écologique de leur production, l’intégration de la valeur des sols dans la planification urbaine, ainsi que le développement d’une économie circulaire.
Réduire le gaspillage alimentaire
D’autres leviers d’action ont également été mis en avant dans le rapport de l’IPBES, comme le recours à une alimentation moins carnée et la réduction du gaspillage alimentaire.
Par ailleurs, les experts estiment que les bénéfices économiques que l’humanité tirera de la protection et de la restauration des terres seront dix fois supérieurs aux coûts investis. Mais les bénéfices attendus ne sont pas uniquement d’ordre monétaire, ils « touchent également à l’humanité elle-même, à ses conditions d’existence, à l’épanouissement des individus », insiste Florent Kohler.
Attaché aux dimensions éthiques qu’englobent les questions environnementales, l’anthropologue se réjouit de l’intégration, dans le rapport, du concept de solidarité écologique, qui pose pour principe que les hommes sont solidaires entre eux, avec les générations futures, mais aussi avec les écosystèmes dont ils font partie. Cela implique de prendre pleinement conscience de l’impact de la consommation sur les ressources planétaires.
Sauvegardées, ces terres pourraient garantir une absorption et un stockage non négligeable du carbone atmosphérique, et contribuer à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des deux degrés, tel que défini dans l’accord de Paris sur le climat.
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