La forte demande de refroidissement dans les parties les plus chaudes de la planète va faire augmenter la consommation d’électricité et risque d’accentuer le changement climatique. Par Nabil Wakim pour Le Monde le 15 mai 2018. Lire aussi L’air conditionné à l’assaut de la planète - Histoire d’une passion américaine.
Les climatiseurs ne refroidissent pas la planète, ils la réchauffent. L’équation peut sembler simpliste, mais elle permet de comprendre l’un des points aveugles du débat sur l’énergie et le climat.
Alors que des centaines de millions de personnes vivent dans des zones aux températures élevées, les besoins en électricité pour répondre à cette demande de refroidissement sont de plus en plus importants. Selon une étude de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), rendue publique mardi 15 mai, ces besoins pourraient représenter l’équivalent de la production électrique des Etats-Unis et de l’Allemagne d’ici à 2050.
Dans un rapport intitulé « Le Futur du refroidissement », l’AIE met en garde contre les conséquences d’une telle trajectoire : la hausse exponentielle de la consommation d’électricité liée aux besoins en air conditionné pourrait conduire à plus de production électrique à partir de charbon ou de gaz et rendre plus difficile – voire impossible – d’atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat. Selon cet accord, adopté en décembre 2015, la quasi-totalité des pays du monde se sont engagés à maintenir le réchauffement « bien au-dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels ».
De 1,6 à 5 milliards d’appareils
A l’heure actuelle, 1,6 milliard de climatiseurs sont utilisés dans le monde, dont la moitié aux Etats-Unis et en Chine. Ils nécessitent plus de 2 000 térawattheures d’électricité par an, soit, à titre de comparaison, quatre fois la consommation annuelle d’électricité en France. Depuis 1990, les émissions de dioxyde de carbone (CO2) liées à cette consommation ont plus que triplé et représentent autant que les émissions du Japon, soit 1 130 millions de tonnes de CO2.
La hausse de la demande de refroidissement est portée par la croissance économique de régions parmi les plus chaudes de la planète. Trois pays – l’Inde, la Chine et l’Indonésie – représentent à eux seuls la moitié de la croissance de la demande en matière de refroidissement.
« Les gens qui vivent dans des zones très chaudes ont très envie d’avoir accès aux bénéfices qu’apportent les climatiseurs en termes de confort, de conditions de vie et de santé, mais ils ne peuvent pas encore se permettre d’en acheter », détaille Brian Motherway, directeur de la division efficacité énergétique de l’agence, qui a supervisé l’étude.
« Dans ces pays, moins de 10 % des ménages sont aujourd’hui équipés de climatiseur, explique Fatih Birol, le directeur de l’AIE. Or, quand le niveau de vie augmente, ils s’équipent très rapidement. »
Pic de consommation après le coucher du soleil
De fait, l’accès à la climatisation est un sujet majeur pour les populations vivant dans les parties les plus chaudes du monde. Seuls 8 % des 2,8 milliards d’êtres humains habitant dans ces régions ont accès à des systèmes modernes de refroidissement, contre 90 % des Américains et des Japonais. « Il n’y a aucun doute que cette demande va continuer à croître au cours des prochaines décennies », prévient l’AIE. Le nombre d’unités installées pourrait atteindre 5 milliards en 2050.
« Il faut que les Etats développent des politiques de soutien aux appareils les plus économes, et mettre des malus sur les climatiseurs les plus inefficaces », suggère Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie.
Pourtant, beaucoup de ces pays, notamment l’Inde ou la Chine, investissent massivement dans les énergies renouvelables – qui n’émettent pas de gaz à effet de serre –, et singulièrement dans les panneaux solaires. Mais le rapport de l’AIE bat en brèche l’idée que ces nouveaux besoins en électricité pourraient être totalement pourvus par des renouvelables. « Beaucoup de ces pays ont investi dans des centrales solaires, qui sont de moins en moins coûteuses, mais cette demande d’électricité continue bien après le coucher du soleil », souligne M. Birol.
« En Inde, par exemple, les gens rentrant chez eux à six ou sept heures du soir démarrent l’air conditionné et d’autres appareils électriques, surtout les jours les plus chauds », détaille-t-il. Or, c’est pour ce pic de consommation que sont mobilisées les capacités de production électrique de pointe – et dans la plupart des pays, il s’agit de centrales thermiques à gaz ou au charbon, fortement émettrices de gaz à effet de serre.
Cette croissance rapide est d’autant plus préoccupante que, « dans tous les marchés les plus importants, les gens achètent des climatiseurs à l’efficacité énergétique très inférieure à ce que la technologie permet », note l’AIE. En moyenne, un climatiseur acheté en Chine ou en Inde est ainsi quatre fois plus vorace en énergie qu’un modèle vendu au Japon.
Se doter de normes rigoureuses
C’est d’ailleurs la principale recommandation du rapport de l’AIE : pousser les gouvernements à se doter de normes plus rigoureuses en matière d’efficacité énergétique dans le domaine. « Le rôle croissant du refroidissement dans la croissance de la demande d’électricité est globalement ignoré par les politiques publiques », déplore Fatih Birol.
Les climatiseurs plus économes en énergie existent déjà, mais ils sont plus chers, et donc moins accessibles. « Il faut que les Etats développent des politiques de soutien aux appareils les plus économes, suggère M. Birol, et mettre des malus sur les climatiseurs les plus inefficaces. » Mais l’agence prévient : si des mesures trop timides sont prises, elles ne parviendront pas à sortir du marché les appareils les plus énergivores.
Selon les scénarios de l’AIE, des normes plus strictes d’efficacité énergétique pour les climatiseurs pourraient permettre de diminuer de moitié cette croissance de la demande électrique dans les trente prochaines années. D’autant que ces technologies d’efficacité énergétique existent et sont totalement maîtrisées. Seule manque encore la volonté politique.
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