Commissaire indépendante auprès de l’OMS sur les maladies non transmissibles, Katie Dain estime que l’objectif de réduire d’un tiers la mortalité d’ici 2030 ne sera pas atteint avec les moyens alloués actuellement. Propos recueillis par Marie Bourreau (New York, Nations unies, correspondante du Monde le 21 juin 2018. Lire aussi Les états généraux de l’alimentation déçoivent les paysans et les écologistes et Nous mangeons trop de produits ultra-transformés.
L’urbanisation mondiale a favorisé un mauvais équilibre alimentaire, facteur d’augmentation des maladies non transmissibles. YUYA SHINO / REUTERS
Katie Dain est directrice générale de l’Alliance contre les maladies non transmissibles ou chroniques (cancer, diabète, maladies cardiovasculaires et respiratoires…) et membre de la Commission indépendante de haut niveau sur les maladies non transmissibles (MNT) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Alors que l’ONU doit tenir une conférence en septembre sur ce sujet, elle dénonce l’apathie des gouvernements.
Trois ans après l’adoption des objectifs de développement durable sur les maladies non transmissibles, quel premier bilan tirez-vous ?
Ce n’est pas très positif. L’objectif était de réduire d’un tiers la mortalité d’ici à 2030. Mais selon l’OMS, la tendance actuelle nous amène à une réduction d’uniquement 17 %. Si nous continuons ainsi, nous n’atteindrons pas notre objectif. Et il en va de même pour beaucoup d’objectifs spécifiques liés aux MNT, comme la prévalence des maladies causées par le tabagisme ou par l’alcool. Les progrès ont été beaucoup trop lents. Les engagements ambitieux qui ont été pris en 2015 ne se sont pas traduits en action au niveau national. C’est particulièrement vrai pour les pays en voie de développement.
Comment expliquez-vous ce manque de volonté politique ?
D’abord par le fait que les MNT ne sont pas seulement un problème de santé publique. Il touche tous les secteurs du gouvernement : l’agriculture, l’environnement, les transports… Il faut une vraie volonté de l’exécutif pour faire bouger les lignes. Par ailleurs, les pays en développement ne savent pas par où commencer car le champ des MNT est si vaste qu’un sentiment de paralysie domine. Donc l’OMS encourage les pays à prioriser leurs actions.
Enfin, les financements et ressources manquent. Au niveau international, moins de 3 % de l’aide au développement pour la santé [22 milliards de dollars, soit 19 milliards d’euros] vont aux maladies non transmissibles, alors qu’elles représentent la première cause de mortalité. L’industrie agroalimentaire représente le dernier obstacle : elle propose des produits au détriment de la santé mais finance aussi des études scientifiques [pour prouver le contraire]. Cette interférence pollue le débat sur la nocivité de ces aliments et bloque des actions efficaces, comme la taxation des boissons sucrées.
Quel est le coût humain et financier de ces MNT ?
A l’échelle mondiale, les maladies non transmissibles ont dépassé les maladies infectieuses. Elles provoquent 40 millions de morts par an, soit les deux tiers de la mortalité mondiale. C’est donc un changement radical en termes épidémiologiques.
En termes de coût économique, nous savons que sur une période de deux décennies, les MNT vont coûter 40 000 milliards de dollars. Pourtant, pour chaque dollar investi dans la lutte contre les MNT, le bénéfice retour est de 7 dollars. Mais les gouvernements considèrent cet investissement comme un fardeau pour leur système de santé publique. Ils ne voient pas encore les bénéfices sur le long terme.
L’Afrique et l’Asie connaissent une explosion du nombre de MNT. Pourquoi ?
Cela est dû à une véritable escalade de l’urbanisation. Depuis 2011, il y a plus d’urbains que de ruraux dans le monde. Le mode de vie a évolué en conséquence : les gens sont physiquement moins actifs. Ils restent longtemps assis à leur bureau et vont ensuite au McDonald’s parce que c’est beaucoup moins cher que d’acheter des aliments sains. C’est aussi un phénomène de la mondialisation avec de grands groupes alimentaires, des fabricants de tabac, ou des producteurs d’alcool, qui s’installent dans ces régions car le marché est en pleine croissance et la population vulnérable. Ce sont eux qui alimentent cette épidémie de MNT.
Pourquoi accorde-t-on encore la priorité aux maladies infectieuses dans ces régions ?
Dans de nombreux pays en développement, le système de santé repose encore sur la lutte contre les maladies infectieuses. Cela tient à la façon dont le financement de la santé mondiale a été organisé au cours des dernières décennies. Il y a eu des investissements fantastiques dans la lutte contre le VIH, le paludisme, mais cela a créé une sorte de système de santé en silo. L’accent est mis sur des infections aiguës telles que le sida, la tuberculose et le paludisme, mais pas sur les maladies chroniques comme le diabète ou le cancer.
Quel rôle le secteur privé peut-il jouer pour pallier le service public ?
Dans l’amélioration du bien-être au travail, dans la production d’aliments plus sains ou encore l’élimination des acides gras trans. Le secteur privé peut aussi interdire la publicité pour le tabac, l’alcool ou la malbouffe et jouer un rôle important dans l’accès aux soins de santé, aux médicaments essentiels, etc.
Mais le secteur privé ne peut pas supplanter le service public. Il ne devrait d’ailleurs jamais avoir l’oreille des politiques. C’est un gros problème en ce qui concerne les MNT. Par exemple, dans certaines régions d’Afrique, c’est l’industrie des liquoreux qui est à l’origine du développement des plans nationaux de prévention contre l’alcool. Ce n’est pas acceptable !
Les grandes marques financent pourtant des événements sportifs comme la Coupe du monde…
L’industrie de l’alcool adopte de plus en plus certaines tactiques des fabricants de tabac en se positionnant comme des partenaires légitimes dans le développement durable, la santé, et la promotion d’événements sportifs. Cela montre à quel point ces produits sont devenus des biens de consommation courante. C’est complètement normalisé et absurde du point de vue des maladies non transmissibles. Nous plaidons pour une interdiction de la publicité par des marques d’alcool lors des événements sportifs.
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