La chronique de Jérôme Gleize dans Politis le 12 septembre 2018.
Cet été des records de températures ont été battus. Le plus inquiétant est le réchauffement arctique où pat exemple les 33°C (15°C au-dessus des moyennes) ont été atteints à l'extrémité nord de la Scandinavie. Ce phénomène, deux à quatre fois plus rapide que le reste de la planète et au-dessus des prévisions des modèles, est analysé par des scientifiques dans Nature (1). La question d’un point de non-retour se pose de plus en plus, c’est-à-dire l’incapacité de notre société d’empêcher l’emballement climatique. Aujourd’hui, les pires scénarios deviennent de plus en plus probables.
Pourtant, les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) analysent et proposent des solutions depuis 1990 (2). Les équations de Kaya ou d’Ehrlich - qui décomposent l’émission des Gaz à Effet de Serre selon le contenu carbone du modèle énergétique (GES/Tonne Équivalent Pétrole), l’intensité énergétique du modèle de croissance (TEP/PIB), le niveau de vie moyen de la population (PIB par habitant) et le nombre d’habitants sur la planète - nous indiquent les objectifs à atteindre. Le GIEC recommande une division par trois des GES pour éviter un emballement climatique. Mais en 2017, les émissions de CO2 ont bondi de 1,8% en moyenne dans les 28 pays européens, et même de 3,2% en France. Selon le Commissariat général au développement durable, la consommation finale énergétique a crû de 0,9 % à climat constant et la facture énergétique du pays a bondi de 23%, et les émissions de CO2 de 4 % (2) alors qu’elle avait baissé de 56% entre 2012 et 2016.
Nous sommes loin de l’accord de Paris. Dans un tel contexte, la démission de Nicolas Hulot était inévitable tellement il incarnait un TINA (« There is no alternative ») écologiste (3). « On s’accommode de la gravité et on se fait complice. » a-t-il ainsi déclaré. Aujourd’hui l’effondrement de nos écosystèmes est possible, entraînant celui de nos sociétés. Les êtres-humains ne sont pas au-dessus de ceux-ci, ils sont une partie de ceux-ci pour le pire comme le meilleur. La planète peut continuer son évolution avec une espèce vivante en moins comme elle l’a fait durant les 4,5 milliards d’année d’existence. Depuis la publication, en 2012, dans la revue Nature (4) d’un article décrivant les différents scénarios d’effondrement de la biosphère, cette question est cruciale, et a été même créé son propre domaine de recherche, la collapsologie.
L’humanité se trouve confrontée à un moment singulier de son histoire, le risque de sa disparition ou plus exactement de l’implosion de ses sociétés. Au XXe siècle, l’humanité a vécu deux guerres mondiales et le risque de l’autodestruction nucléaire ; le XXIe siècle, lui, est confronté au risque d’implosion planétaire, ce que d’autres civilisations ont vécu « localement » comme les Mayas ou les Egyptiens. Au lieu d’engager un combat planétaire pour empêcher cette situation, les politiques baissent les bras en se contentant d’un discours sur l’adaptation. A l’inverse, les ultra-riches s’y préparent soit en se construisant des abris ultra-sécurisés, soit en privatisant la conquête de l’Espace, comme Elton Musk ou Jeff Bezos. Nous avons aujourd’hui le choix entre une implosion inégalitaire et un sursaut collectif.
(1) The influence of Arctic amplification on mid-latitude summer circulation, D. Coumou, G. Di Capua, S. Vavrus, L. Wang, S. Wang, Nature Communications volume 9, n° 2959 (2018) https://www.nature.com/articles/s41467-018-05256-8
(2) Bilan énergétique de la France métropolitaine en 2017 - Données provisoires
http://www.statistiques.developpementdurable.gouv.fr/publications/p/2753/969/bilan-energetique-france-metropolitaine-2017-donnees.html
(3) Voir ma précédente chronique du 27 novembre 2017 Nicolas Hulot ou le « Tina » écologiste
https://www.politis.fr/articles/2017/11/nicolas-hulot-ou-le-tina-ecologiste-37973/
(4) Approaching a state shift in Earth’s biosphere Anthony D. Barnosky & Alii Nature volume 486, pages 52–58 (07 June 2012) https://www.nature.com/articles/nature11018