Des collectivités et des ONG somment le pétrolier-gazier français de se conformer à la loi sur le devoir de vigilance des entreprises. D'après Libération et Le Monde le 23 octobre 2018. Lire aussi Les Pays-Bas sommés par la justice de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour protéger leurs citoyens et Des citoyens attaquent en justice l’Europe pour son échec à les protéger contre le réchauffement climatique.
Action par l’ONG Greenpeace contre un projet d’extraction pétrolière au Brésil, au siège de Total, à Paris, en mars 2017. JACQUES DEMARTHON / AFP
Total fera-t-il l’objet du premier procès climatique intenté en France contre une grande entreprise pétrolière ? C’est très probable. Pour l’heure, il s’agit d’un simple rappel à l’ordre, mais ses auteurs assurent qu’ils recourront au contentieux si leur démarche est ignorée. Lundi 22 octobre, treize collectivités territoriales et quatre associations de défense des droits humains et de l’environnement ont adressé à Patrick Pouyanné, PDG de Total, un courrier recommandé le priant de mettre l’entreprise en conformité avec la loi de février 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Cosignée par les maires aux étiquettes politiques diverses d’Arcueil (Val-de-Marne), Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), Bègles (Gironde), Correns (Var), Grande-Synthe (Nord), Grenoble, La Possession (La Réunion), Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), Nanterre, Saint-Yon (Essonne), Sevran (Seine-Saint-Denis) et Vitry-le-François (Marne), par les élus de l’intercommunalité francilienne Est Ensemble (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Les Lilas, Montreuil, Le Pré-Saint-Gervais, Noisy-le-Sec et Pantin) et par les associations Notre affaire à tous, Les Eco Maires, Sherpa et Zéa, cette lettre a été rendue publique, le 23 octobre. Elle interpelle le groupe pétrolier et gazier sur les « conséquences néfastes et irréversibles » de son activité que ces entités estiment subir.
Présente dans plus de 130 pays, Total forme, avec ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et ConocoPhillips, le clan des « supermajors », les six plus grosses entreprises mondiales du secteur pétrolier et gazier. Le groupe français n’est pas le premier à être visé. Tenus pour principaux responsables de la hausse de la concentration atmosphérique en CO2, les homologues de Total font d’ores et déjà l’objet d’actions en justice engagées par les villes de New York, San Francisco ou Oakland (Californie).
Sur son site Internet, Total affiche l’ambition de fournir « au meilleur coût » une énergie « propre ». Mais en juillet 2017, la firme a été désignée par un rapport du Climate Accountability Institute comme le 19e plus gros émetteur de gaz à effet de serre (GES) au monde entre 1988 et 2015. Responsable de 0,7 % des émissions mondiales de GES en 2015 et de 0,9 % pour la période 1998-2015, Total affiche aussi, pour la seule année 2015, des émissions représentant l’équivalent de plus des deux tiers de l’ensemble de celles de la France (311 mégatonnes en équivalent de CO2 contre 463 pour la France).
En France, la récente loi sur le devoir de vigilance oblige les entreprises de plus de 5 000 employés en France – 10 000 salariés si le siège social se trouve à l’étranger – à recenser tous les risques liés aux droits fondamentaux (travail des enfants, travail forcé, non-respect de la liberté syndicale, locaux non conformes aux normes de sécurité…), mais aussi aux dommages environnementaux que leur activité peut engendrer dans l’Hexagone comme à l’étranger.
Comme les autres entreprises de cette taille, Total doit désormais publier chaque année un « plan de vigilance » et adopter des « actions adaptées d’atténuation du risque climatique et de prévention des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains qui en découlent ».
« Se dégager des énergies fossiles »
Or, selon les signataires de la lettre du 22 octobre, son premier plan de vigilance, datant de mars, « ne mentionne pas » le risque climatique résultant de la hausse globale des émissions de GES induite par ses activités. Dans ce document, le pétrolier-gazier n’oublie cependant pas de signaler des « demandes de la part de collectivités publiques de différents pays » pour « financer des mesures de protection à prendre en vue de limiter les effets du changement climatique ». Des contradictions qui font bondir les auteurs du courrier.
« Le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat du 8 octobre dit que, pour limiter le réchauffement global au-dessous de 2 degrés par rapport à l’époque préindustrielle, il faut parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050, rappelle Me Sébastien Mabile, un de leurs avocats. Or, l’investissement en 2017 par Total de 1,22 milliard d’euros dans l’exploration de nouveaux gisements semble incompatible avec cet objectif. Pour l’atteindre, l’entreprise doit se dégager progressivement des énergies fossiles en investissant massivement et dès maintenant dans le solaire, l’éolien… »
Si Total ne revoit pas sa copie, d’ici mars 2019, date de la publication de son deuxième plan de vigilance, les clients de Me Mabile saisiront la justice.
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