Covoiturage-Libre, 2ème site de covoiturage en France, se transforme en coopérative : Mobicoop, Société Coopérative d’Intérêt Collectif, lançe son service en ligne gratuit de mobilités partagées. Elle utilise Platform.coop, un vecteur mondial pour un coopérativisme de plateformes, qui défend la gouvernance démocratique et la propriété partagée des plateformes, et propose des alternatives aux Uber et autres Airbnb. D’après le think tank Le Labo de l’Economie Sociale et Solidaire, Stéphane Guérard et Pierric Marrisal le jeudi 22 novembre 2018 pour l’Humanité. Lire aussi à propos de coopératives Un coup de pouce Vert pour les Electrons solaires !, Les ONG dévoilent leur projet de loi d’avenir pour les transports et la mobilité et La Louve, un modèle appétissant.
Plateforme coopérative, écologique et solidaire, Mobicoop offrira des services de covoiturage et d’auto-partage pair à pair. En plaçant l’usager au centre de ses préoccupations, elle se positionne comme acteur responsable et citoyen de la transition énergétique. « Nous avons besoin que 20 000 coopérateurs nous rejoignent pour construire la mobilité durable de demain. Ces 20 000 personnes peuvent changer la donne » précise Bastien Sibille, fondateur Mobicoop.
Pour sa campagne nationale de crowdequity, Covoiturage-Libre organise son lancement vendredi 23 novembre à 9h au MAIF Social Club à Paris.
Table ronde à 9h30 avec Pascal Canfin, directeur général du WWF France (en vidéo), Patrick Viveret, philosophe, Amandine Albizatti, directrice de la Nef, Emmanuel Soulias, directeur d’Enercoop, Bastien Sibille, président de Mobicoop.
Entrée gratuite sur inscription. Pour faire partie des membres fondateurs de la coopérative, vous pouvez dès à présent réserver des parts sociales. Accédez au site de Covoiturage-Libre devenu mobicoop...
La route des mobilités partagées est déjà bien encombrée. Les Uber ou Heetch (VTC), Drivy (location de voitures entre particuliers), Blablacar (covoiturage) et autres, énormes poids lourds de l’économie dite collaborative, engorgent les accès. C’est pourtant bien sur cette voie que Mobicoop compte faire son chemin. Ce vendredi, la coopérative est mise sur les fonts baptismaux. Cette société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) compte offrir une alternative sociale et solidaire au modèle prédateur des mastodontes du numérique, en rassemblant 20 000 sociétaires qui apporteront les 2 millions d’euros de fonds propres nécessaires pour survitaminer la plateforme covoiturage-libre.fr existante. Les principes affichés sont clairs. Côté pile : reprise en main citoyenne des questions de transport, afin d’ériger un modèle de bien commun des mobilités. Côté face : partage de la valeur économique créée par ses services en ligne, grâce à un fonctionnement démocratique de la structure qui répartit la richesse créée entre tous ses acteurs. Et ces parties prenantes ne manquent pas. Entre l’usager qui fait appel aux services de Mobicoop pour partager un mode de déplacement ; le propriétaire de voiture qui cherche à mutualiser les frais par du covoiturage ou louer son véhicule qui ne roule pas ; le travailleur indépendant de service VTC (voiture de transport avec chauffeur) qui ne veut pas être inféodé à une plateforme d’un géant du Web ; une collectivité locale cherchant à organiser les mobilités…
À voir l’actualité récente, Mobicoop tombe à pic
Au cœur de l’initiative, Bastien Sibille décrit le modèle. « Mobicoop va marcher sur deux jambes. Pour notre service gratuit de covoiturage entre particuliers, dont nous n’enregistrons aucune donnée, nous proposons à chacun de nos utilisateurs de verser une sorte de don d’un euro, sur le modèle de Wikipédia, pour nous aider à développer notre appli et les services solidaires et de lien social qui nous distingueront. Notre autre activité est la prestation de service auprès de collectivités qui veulent monter leur propre plateforme de covoiturage. » Une dizaine de salariés doivent être embauchés début 2019. Et comme la structuration en coopérative l’impose, les bénéfices attendus iront au déploiement des activités de la société épaulée par la banque éthique la Nef. « Les sociétaires qui investissent chez nous ne le font pas par appât du gain, reprend Bastien Sibille. Ce sont des ambassadeurs de la démarche, des militants qui, comme nous, croient que l’intérêt général n’est pas soluble dans la somme des intérêts privés des plateformes qui s’occupent de mobilités. Financièrement, on ne se bat pas à armes égales avec elles. Mais on est sûr de notre alternative sociale et solidaire. Elles ont l’argent. Nous avons le temps. »
À voir l’actualité récente, Mobicoop tombe à pic. Les gilets jaunes se demandent si se déplacer deviendra bientôt une activité de luxe. Quant aux poids lourds de l’économie de plateforme, leur modèle (voir notre encadré) marche au turbo diesel. Blablacar, qui a profité de la grève des cheminots pour afficher ses premiers résultats positifs, vient d’annoncer qu’il allait absorber Ouibus, les cars Macron de la SNCF, le tout financé par une levée de fonds de 101 millions d’euros, l’entreprise publique du rail devenant actionnaire de la plateforme numérique. « Le modèle d’affaires de ces plateformes, ce n’est pas le profit, mais la position dominante, selon l’adage “le vainqueur rafle tout” », décrypte Laurent Lasne. Pour l’auteur de Face aux barbares. Coopération vs ubérisation (éditions le Tiers Livre), « Uber vise une capitalisation boursière de 100 milliards de dollars, pour un modèle économique fondé sur la violation de la loi et la précarité des travailleurs qui ne génère que des pertes. La riposte sociale et solidaire au modèle imposé par la Silicon Valley imaginée par Platform.coop (lire par ailleurs), c’est l’adaptation des activités de plateforme dans un modèle coopérativiste, pour assurer la redistribution des richesses créées, la solidarité entre acteurs et l’innovation ».
Toutes ces initiatives sont en passe de se fédérer au niveau européen
Ce contre-modèle ne s’attaque pas qu’au covoiturage. Depuis un an, l’association Coopcycle propose aux coursiers unis en coopérative sa plateforme en ligne de livraison. Une quinzaine de ces collectifs s’en sont saisis en France, mais aussi en Espagne, Allemagne et Belgique. « Notre projet est double, explique Aloïs Guillopé, cofondateur de Coopcycle. La valeur doit revenir à ceux qui la produisent – les travailleurs –, structurés en organisation démocratique – la coopérative. Nous leur mettons à disposition un outil technologique sous licence de réciprocité. » À Lyon, Amélie et une dizaine d’autres coursiers que Foodora a laissé tomber du jour au lendemain s’en sont saisis. Ils viennent de lancer la Traboulotte, qui opère sur la plateforme en ligne Coopcycle. Amélie a bon espoir : « Nous, on connaît le marché des livraisons. On n’a pas d’investisseur derrière nous, mais on est sûrs qu’en tirant tous dans le même sens, on pourra, à terme, vivre de nos courses. » Toutes ces initiatives sont en passe de se fédérer au niveau européen. Depuis août, une coopérative des coursiers est en gestation afin de mutualiser les technologies, les financements et l’ingénierie juridique et de gouvernance. Et fin octobre, à Bruxelles, la « première rencontre des livreurs et riders » a débouché sur une exigence de structuration syndicale de tous ces collectifs de travailleurs.
Face aux géants de l’économie collaborative, d’autres initiatives sociales et solidaires émergent avec Platform.coop, un vecteur mondial pour transformer les plateformes
Mobicoop ou Coopcycle ne sont pas seules. Une série d’entreprises coopératives se confrontent elles aussi frontalement aux sites prédateurs en train d’émerger un peu partout dans le monde, poussées par le consortium pour un coopérativisme de plateformes Platform.coop, fondé par Trebor Scholz. Le consortium pour un coopérativisme de plateformes défend la gouvernance démocratique et la propriété partagée des plateformes, et propose des alternatives aux Uber et autres Airbnb. Ainsi, Fairbnb, au nom évocateur, offre un autre modèle au site de location entre particuliers Airbnb. Resonate s’en prend à la plateforme de musique en ligne Spotify. Ride Austin, Cotabo ou Green Taxi Cooperative s’élèvent face à Uber et compagnie. Des plateformes agrègent aussi des travailleurs, salariés dans des coopératives autogérées locales, pour des services à domicile, telle Up & Go. « Sur ce même modèle, nous sommes en train de créer une plateforme pour un groupe de femmes en Inde qui souhaite monter une coopérative afin de vendre des services de manucure et coiffure à domicile », explique Michael McHugh, responsable de projet au sein de Platform.coop. À Chicago et dans sa banlieue, ce sont des nourrices qui s’organisent en coopérative autogérée. Le syndicat SEIU les avait fédérées dans un premier temps pour revendiquer une hausse des aides de l’État pour la garde des enfants à destination des foyers à bas revenus. Stocksy, de son côté, permet à des photographes de vendre leurs clichés à prix juste et au régime de propriété intellectuelle qui leur chante.
Toutes ces initiatives collectives sont nées d’un constat. Les plateformes en ligne, telles qu’elles sont conçues dans la Silicon Valley, ne sont pas soutenables. « Elles sont élaborées pour la maximisation des profits de quelques-uns, c’est inscrit dans leur design », explique Michael McHugh. La conviction au cœur du mouvement Platform.coop est que le code, la conception même d’un outil informatique, déterminera ses vertus comme sa nocivité. Face aux Facebook et autres Airbnb, qui captent toute la valeur et les données et entretiennent une opacité problématique sur le fonctionnement de leurs algorithmes, Platform.coop propose à l’inverse de créer des plateformes dont l’ADN et le code même sont marqués par l’économie sociale et solidaire. « Le principe est de pousser à la création d’outils numériques les coopératives dotées d’une réelle gouvernance démocratique, où la propriété est partagée, où l’outil de travail est co-conçu et n’utilise que des logiciels ouverts, libres ou open source », énumère Michael McHugh. Le fonctionnement même d’une plateforme ainsi créée empêche que la valeur générée soit accaparée.
Platform.coop met ainsi à disposition des coopératives de travailleurs une bibliothèque de logiciels, comme une carte interactive ou des outils de gouvernance démocratique, mais aussi des conseils légaux et des aides au financement. Une plateforme coopérative ponctionne en moyenne moins de 5 % des transactions réalisées pour son budget de fonctionnement, tandis que les Airbnb, Uber ou Task Rabbit dépassent les 25 % voire les 30 % de commission. Il s’agit aussi de lutter contre le recours massif à la sous-traitance, particulièrement des travailleurs indépendants, utilisés pour maximiser les profits. 36 % des Américains ont une activité de travailleur à la tâche, que ce soit à plein-temps ou pour améliorer l’ordinaire. Pour Platform.coop, le capitalisme de plateformes augmente de manière dramatique les inégalités. Ces sites organisent une concurrence des revenus vers le bas, tout en privant les travailleurs de droits tels que le salaire minimum, les allocations de chômage et la négociation collective.
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