L’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) en appelle au grand public pour financer l’acquisition de réserves où la faune et la flore évoluent en toute liberté. D’après www.aspas-nature.org et Pierre Le Hir pour Le Monde. Lire aussi « La nature face au choc climatique » : la moitié des espèces des régions les plus riches en biodiversité menacées d’extinctions , La sixième extinction de masse des animaux s’accélère et Les échanges commerciaux qui menacent la vie sauvage.
Voici une trentaine d’années, le 20 novembre 1987, en créant son Conservatoire E.S.P.A.C.E., l’ASPAS avait eu l’idée visionnaire de protéger des milieux par la maîtrise foncière. Pour pallier l’incurie de l’État, face à la dégradation générale de notre patrimoine, l’ASPAS remet à jour la charte du conservatoire ESPACE en avril 2010.
Le 7 juillet 2010 elle concrétise son Conservatoire avec sa toute première acquisition dans le Massif central (4 parcelles pour une surface totale de 3,27 ha). Première d’une longue série.
En 2014, le « Conservatoire E.S.P.A.C.E. » laisse place aux Réserves de Vie Sauvage, et son label « Réserve de Vie Sauvage® » est déposé à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle).
Pourquoi des réserves de vie sauvage ?
Parce que l’État ne fait pas son travail ! Suite aux oppositions systématiques des lobbies ruraux, les exigences en matière de protection de la nature ont sérieusement baissé.
La majorité des régimes juridiques des espaces protégés n’interdit pas la chasse, qui est autorisée dans certains parcs nationaux, comme ceux des Cévennes et des Calanques, ainsi que dans 70 % des Réserves Naturelles Nationales. De même, l’exploitation forestière peut se pratiquer dans tout ou partie de ces espaces dits « protégés » (dans tous les Parcs Nationaux par exemple).
Les différentes chartes des Parcs Naturels prévoient, avant tout, d’assurer la pérennisation des activités humaines en son sein, et non comme on pourrait le penser, de mettre tout en œuvre pour une vraie protection de la nature sauvage.
Sous la pression des lobbies financiers, agricoles et de la chasse, on ne protège plus que ce qui ne les dérange pas : c’est-à-dire quasiment rien.
L’urgence est donc de préserver des espaces de vraie nature libre, où la vie sauvage se développe à l’abri de toute destruction et de toute exploitation mercantile.
Qu'est-ce qu'une réserve de vie sauvage ?
C’est un espace naturel dont la gestion est, en fait… la non gestion, ou la libre naturalité. L’objectif est de reconstituer des îlots de nature intacte, des zones de quiétude pour la faune et de naturalité pour la végétation.
Le niveau de protection correspond à la catégorie 1b « Zone de nature sauvage » du classement de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) attribuée aux espaces qui ont conservé leur caractère et leur influence naturels, et sont protégés et gérés aux fins de préserver leur état authentique.
Sont interdits : la chasse, l’exploitation forestière, la pêche, les dépôts de déchets, les feux, la circulation des véhicules à moteur en-dehors des voies publiques prévues à cet effet et sauf service ou sécurité, toute forme de cueillette et de prélèvement (faune et flore), le passage de chiens non tenus en laisse, l’exploitation agricole et l’élevage d’animaux domestiques, et toute autre activité humaine néfaste à la faune et à la flore.
Quels terrains ?
Des terrains sauvages de toutes sortes, de préférence d’un fort intérêt ou d’un fort potentiel biologique tels que zones humides, forêts, falaises, landes, cols migratoires, etc. Chaque acquisition sera précédée d’une étude de terrain.
Comment obtenir la maîtrise foncière ?
✔ par l’acquisition de terrains. À cet effet, une recherche active est actuellement menée. Si vous avez connaissance de terrains abritant une nature riche en vente dans votre entourage, vous pouvez nous prévenir. L’ASPAS a ouvert une ligne budgétaire spécifique pour le financement de ce projet.
✔ Par les donations et les legs. La reconnaissance d’utilité publique de l’ASPAS facilite ce mode d’acquisition puisqu’elle permet désormais une exonération totale des droits de mutation (contre 60 % jusqu’à présent). Transmettre ainsi vos terrains naturels à l’ASPAS vous donnera la certitude qu’ils demeureront préservés dans le temps.
Une réserve de vie sauvage, c’est comment ?
D’abord, le silence. Puis, traversant les frondaisons, le cri rauque d’une grande aigrette, flèche blanche dans le ciel automnal. Devant nous, un plan d’eau bordé de saules et de peupliers scintille de reflets ambrés. Massée sur un îlot, une colonie de cormorans – une centaine au bas mot – bat des ailes en cadence dans le froid mordant. Des hérons cendrés montent la garde. Un martin-pêcheur prend son envol. Bienvenue dans la réserve de vie sauvage des Deux-Lacs, l’une des quatre déjà créées par l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Sa démarche, unique en France : financer l’achat de terres pour les rendre à la nature, si nécessaire en faisant appel au grand public.
Ici, dans la petite commune de Châteauneuf-du-Rhône, à la limite de la Drôme et de l’Ardèche, elle est propriétaire, depuis l’été 2013, d’une zone humide de 60 hectares. Un ensemble de deux lacs – d’anciennes gravières remises en eau – planté de landes, d’aulnes, d’aubépines, de roseaux et d’arbustes propres aux milieux aquatiques. Un havre de tranquillité où, peu à peu, la nature reprend ses droits.
« Cinq ans, c’est encore trop court pour juger de l’évolution de la faune et de la flore. Mais ce qui me frappe, c’est de voir que, en quelques années seulement, les espèces d’oiseaux présentes se sont beaucoup diversifiées. C’est un très bon signe pour l’avenir », témoigne Béatrice Kremer-Cochet, naturaliste, qui fait découvrir le site. Entre le parc de Miribel-Jonage, près de Lyon, et la Camargue, les Deux-Lacs sont devenus une étape, parfois un refuge et une aire de nidification, pour de nombreux oiseaux migrateurs, aigrettes garzettes, guêpiers d’Europe ou hérons pourprés, qui côtoient sur ces rives, en toute quiétude, foulques macroules, grèbes huppés, sarcelles et bécassines.
Les animaux arpentant le sol prennent eux aussi leurs aises, comme le montrent les images dérobées par des caméras dissimulées dans les buissons. On y aperçoit chevreuils, renards, martes, blaireaux, ou encore des genettes, petits carnivores nocturnes. Mais la vedette des lieux est le castor d’Europe. Sur une berge du lac principal, un amoncellement de branches taillées en biseau, percé de conduits d’aération, révèle qu’une famille de rongeurs a construit ici sa hutte.
Créée voilà un peu plus de trente ans et forte de quelque 10 000 adhérents, l’Aspas met un point d’honneur à ne recevoir aucune subvention de l’Etat. En plus des Deux-Lacs, elle a acquis, avec les seuls fonds de ses membres et de donateurs, trois autres domaines, transformés en réserves. L’un, à dominante forestière, dans la Drôme également, un autre dans les Côtes-d’Armor, le dernier dans l’Hérault, pour un total de près de 700 hectares. Elle projette de presque doubler cette superficie, en leur adjoignant 500 hectares de forêts anciennes, de falaises et de ruisseaux, dans le Vercors.
VERCORS VIE SAUVAGE Un projet ambitieux porté par une ONG hors norme
Des « parts de vie sauvage » symboliques
« Ce nouveau projet sera notre vitrine, avec un espace d’accueil des visiteurs et des postes d’observation des cerfs, loups, aigles, gypaètes, vautours… », annonce Clément Roche, coordinateur des réserves de vie sauvage de l’Aspas. A condition que l’association réunisse les 2,6 millions d’euros nécessaires à cette acquisition foncière, pour laquelle elle a ouvert une souscription. Les donateurs deviennent propriétaires de « parts de vie sauvage » symboliques.
Si l’Aspas s’est lancée dans l’achat de terres, c’est, explique-t-elle, « parce que l’Etat ne fait pas son travail ». Malgré ses 10 parcs nationaux, ses 53 parcs régionaux et ses 347 réserves naturelles (167 nationales, 173 régionales et 7 corses), sans compter 1 776 sites Natura 2000 terrestres et marins, la France n’assure une « protection forte » de la nature que sur « moins de 1 % du territoire national », déplore la directrice de l’association, Madline Reynaud. La chasse est de fait autorisée dans la plupart des réserves naturelles de l’Etat, et même dans une partie des parcs nationaux des Cévennes et des Calanques.
« La France est un magnifique décor d’opéra avec trop peu de chanteurs, déplore Gilbert Cochet, naturaliste comme son épouse, Béatrice. Elle possède un très riche patrimoine naturel, mais la vie sauvage y est moins dense que chez beaucoup de nos voisins, où le niveau de protection est plus élevé. »
Au sein des réserves de vie sauvage, les règles sont donc strictes : chasse, pêche, cueillette, feux, exploitation forestière, canotage, véhicules à moteur, chiens non tenus en laisse y sont interdits, seuls les promeneurs sur les sentiers aménagés étant les bienvenus. Ce qui crée parfois des tensions avec les chasseurs et les pêcheurs – spécialement aux Deux-Lacs, où des plans d’eau avoisinants sont ouverts à la pêche –, que les agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, ou les bénévoles formés comme gardes assermentés, doivent régulièrement rappeler à l’ordre.
La chute vertigineuse de la biodiversité
Ces enclaves préservées bénéficient ainsi du plus haut degré de protection défini par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Elles font aussi partie du réseau Rewilding Europe (« réensauvager l’Europe »), qui compte déjà plus d’un million d’hectares de réserves, notamment dans les Carpates, les deltas du Danube et de l’Oder, le massif du Velebit en Croatie, la chaîne italienne des Apennins, ou encore au Portugal. Avec un principe de gestion simple : l’absence de toute intervention humaine.
« L’homme a évolué au milieu de la vie sauvage. Il a besoin de cette proximité. La rencontre avec la faune sauvage est toujours un moment magique », plaide Gilbert Cochet. Aux Deux-Lacs, la végétation regagne elle aussi du terrain. « Dans ce milieu très modifié par l’homme, avec les multiples barrages aménagés sur le Rhône, un couvert forestier plus diversifié et plus mature commence à s’installer, qui va devenir de plus en plus attractif pour de nombreuses espèces, poursuit le naturaliste. Nous en sommes au tout début, mais il augure de belles surprises avec, pourquoi pas, le retour de rapaces comme le balbuzard ou le pygargue à queue blanche. »
Cette initiative citoyenne ne suffira évidemment pas à enrayer la chute vertigineuse de la biodiversité, dont le dernier rapport « Planète vivante » du Fonds mondial pour la nature (WWF) a confirmé l’ampleur, avec une perte de 60 % des populations mondiales de vertébrés en moins d’un demi-siècle. Du moins contribue-t-elle à offrir à la faune et la flore sauvages de petites oasis de paix et de liberté.
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