La plupart des Etats réunis en Pologne pour la COP24 ne semblent pas prêts à faire de gros efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effets de serre. Certains mettent en garde contre un accord « médiocre ». Un projet de décision vient d’être publié, mais les divisions restent fortes sur l’application de l’accord de Paris, la hausse des efforts des Etats et les financements. D’après Emilie Torgemen pour Le Parisien et Audrey Garric pour Le Monde le 14 décembre 2018. Lire aussi La France rétrogradée en 21ème position des performances climatiques et Les ONG décryptent les enjeux de la COP 24.
Le secrétaire général des Nations unis Antonio Guterres, et le président de la COP 24, Michal Kurtyka, à Katowice (Pologne), le 12 décembre. AP
Jeudi 13 décembre, à la veille de la fin officielle de la conférence mondiale sur le climat (COP24), l’effervescence est palpable au sein du « Spodek ». Dans ce site en forme de soucoupe volante, construit sur une ancienne mine de Katowice, au cœur de la région charbonnière de la Pologne, un projet de décision vient d’être publié par la présidence polonaise des débats. Les ONG s’activent pour tenter d’en décrypter la teneur, les pays multiplient les consultations ministérielles et tous se prêtent au jeu classique des observateurs de longue date des COP : parier sur le retard que prendront les négociations.
L’enjeu est important : cette grand-messe, la plus importante depuis la COP21, doit à la fois mettre en musique l’accord de Paris conclu en 2015 et renforcer les financements pour favoriser la transition vers un monde neutre en carbone. Surtout, les Etats doivent s’engager à augmenter leurs efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre alors que la planète se dirige vers un réchauffement de 3,2 °C d’ici à la fin du siècle.
Mais face à l’ampleur de la tâche, dépassés par des enjeux à la fois complexes et très techniques, les négociateurs des 196 Etats présents à la COP ont pris du retard. Beaucoup de retard tant les divisions restent fortes.
Mardi, le président des débats, le secrétaire d’Etat polonais à l’environnement, Michal Kurtyka, a repris les rênes pour retravailler lui-même le texte. Il a également nommé des « paires de ministres », issus d’un pays développé et d’un pays en développement, afin d’accélérer le processus et enlever ces fameux « crochets » – les différentes options à trancher – qui ponctuent les projets de décision.
Questions à trancher
Jeudi soir, soit deux jours plus tard que prévu, la présidence polonaise a publié une quinzaine de textes qui formeront les chapitres du guide d’application de l’accord de Paris (le rulebook, dans le jargon des négociations), c’est-à-dire l’ensemble des règles qui permettront de le rendre réellement opérationnel pour maintenir l’envolée des températures sous le seuil des 2 °C.
« Le texte n’est pas encore équilibré, plusieurs sujets clés n’ont pas encore été tranchés et certains éléments essentiels ont disparu du texte, prévient Lucile Dufour, responsable des négociations internationales au Réseau action climat, qui fédère les ONG actives sur le sujet. La présidence polonaise doit enfin jouer son rôle de chef d’orchestre pour rectifier le tir dans la dernière ligne droite. »
Parmi les points épineux qui restent à régler, l’article sur l’utilisation des marchés carbone compte le plus de crochets, avec des interrogations sur leur fonctionnement, leur gouvernance ou les règles de comptage. Le mécanisme de transparence, qui devrait intervenir à partir de 2024, est également encore en débat, pour savoir de quelle manière les pays rendent compte des progrès accomplis et quel est le degré de flexibilité accordé aux pays en voie de développement.
Les ONG déplorent un recul majeur : que le thème des « pertes et préjudices », c’est-à-dire des dommages irréversibles causés par les dérèglements du climat tels que les ouragans ou les inondations, soit relégué en note de bas de page, alors qu’un article de l’accord de Paris lui est pourtant consacré. « Nous regrettons ce choix car la demande des pays en développement de prendre en considération cet enjeu est légitime », réagit Yamide Dagnet, experte au World Resources Institute, un think tank américain.
« La mention du respect des droits humains a également disparu. Pourtant l’action climatique peut avoir des effets pervers, comme lorsque la construction de barrages hydrauliques déplace des populations entières », renchérit Anne-Laure Sablé, chargée de plaidoyer pour CCFD-Terre Solidaire.
Hausse de l’ambition
Les lignes ont en revanche commencé à bouger sur la question de l’ambition – c’est-à-dire la hausse de l’effort pour combattre le réchauffement –, longtemps reléguée au second plan.
Jeudi, une cinquantaine de pays parmi les plus vulnérables au changement climatique ont appelé à l’action face au « risque d’extinction » de leurs nations. Leur groupe informel, le Climate Vulnerable Forum, qui représente plus d’un milliard de personnes dans quarante-huit pays en Afrique, en Asie et dans les petites îles, s’était déjà engagé en octobre à accroître leurs engagements pour limiter les gaz à effet de serre (NDC) d’ici à 2020.
« Les décennies d’apathie et de procrastination doivent s’arrêter ici à Katowice », a lancé le commissaire philippin au climat Emmanuel De Guzman.
En parallèle, plus de soixante-dix Etats (onze pays européens, des Etats insulaires, le Canada, la Nouvelle-Zélande ou encore le Costa Rica), ainsi que le commissaire européen au climat et à l’énergie, regroupés en une « coalition de la haute ambition », ont également publié, mercredi, un appel dans lequel ils se disent « déterminés à augmenter l’ambition d’ici à 2020, dans le respect de l’accord de Paris ». Cela passera, indiquent-ils de manière imprécise, par la révision à la hausse des NDC. Fait notable, c’est la première fois que l’Union européenne (UE), en proie à de fortes divisions, s’engage sur le sujet.
Ce vent d’espoir est pourtant encore trop léger pour emporter l’ensemble de la communauté internationale. Pour l’instant, malgré des annonces de plusieurs pays, seules les îles Marshall ont d’ores et déjà mis sur la table une nouvelle NDC.
Surtout, les principaux pollueurs, la Chine, les Etats-Unis et l’Inde, n’ont livré aucun signal montrant qu’ils étaient prêts à aller plus loin. Pire, l’élan a été freiné, au milieu des deux semaines de la COP, par la tentative de l’Arabie saoudite, du Koweït, de la Russie et des Etats-Unis d’édulcorer une référence au rapport historique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur la nécessité de limiter le réchauffement à 1,5 °C, une façon d’ignorer l’urgence à agir.
« Si la délégation américaine suivait les orientations du président Trump, elle serait en train de torpiller les négociations, ce qui n’est pas le cas », relativise un expert du dossier. « Il est handicapant de ne pas avoir de représentation de la France à haut niveau pour avancer », juge de son côté Lucile Dufour, alors que Brune Poirson est rentrée précipitamment à Paris mardi soir en raison de la crise des « gilets jaunes ».
Financements insuffisants
Pour les pays les plus vulnérables, l’action est bien trop lente. « Les émissions de CO2 continuent à augmenter, augmenter, augmenter. Et tout ce que nous semblons faire c’est parler, parler, parler. Nous soulevons toujours les mêmes questions fastidieuses », a déploré l’ancien président des Maldives Mohamed Nasheed.
« Rater l’opportunité d’agir ne serait pas seulement immoral, mais suicidaire », a prévenu mercredi le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, qui doit revenir à la COP24 vendredi, pour maintenir la pression sur les Etats.
Reste la question des financements, le nerf de la guerre des négociations. Nombre de pays développés ont fait un geste envers ceux en développement, en promettant un total de 129 millions de dollars (114 millions d’euros) pour le Fonds d’adaptation et de 28 millions de dollars pour le Fonds pour les pays les moins développés.
Surtout, l’Allemagne et la Norvège ont annoncé doubler leur contribution (portées à respectivement 1,5 milliard d’euros et 350 millions d’euros) dans le Fonds vert, le principal mécanisme de transfert des flux financiers du Nord vers le Sud.
« C’est bien moins que ce dont ont besoin les pays en développement » pour s’adapter au réchauffement, regrette Issa Abdul Fazal, le coordinateur du Forum pour le changement climatique en Tanzanie. L’absence de promesses pour la suite, après 2025, inquiète également les pays du Sud. Le temps est désormais compté, d’ici à vendredi, samedi ou au pire dimanche, pour résoudre une majorité de conflits.
« A ce stade on a de grosses inquiétudes sur l’aboutissement de cette COP », glisse de son côté Fanny Petitbon, spécialiste climat pour l’association CARE. Ce qui explique l’alerte donnée jeudi par les pays les plus vulnérables, inquiets du « risque d’extinction » de leurs nations : « Nous appelons toutes les parties à s’unir contre toute conclusion médiocre de la COP24 », martèle ainsi dans un message vidéo la présidente des Iles Marshall, situées au beau milieu de l’océan Pacifique.
Citoyens à la rescousse
Tout n’est pas encore perdu. Le sort des COP, expliquent les connaisseurs, se joue jusque dans les dernières heures. Faute d’accord, la clôture des négociations pourrait être décalée. Parmi les rares signaux positifs, une coalition de 26 pays a appelé à relever les engagements dans la lutte contre le réchauffement climatique. Parmi les signataires, la France.
Encore faut-il que notre pays, hôte de la COP21, soit crédible alors que la crise des Gilets jaunes a fait beaucoup jaser dans les couloirs de cette conférence internationale. « Cet épisode doit rappeler aux Etats que pour mobiliser, la transition écologique doit être équitable et comprise », insiste Pierre Cannet. Sans compter que l’Hexagone n’est pas dans les clous dans ses engagements, puisqu’en 2017, ses émissions censées baisser repartent à la hausse. Parce que le carburant a été moins cher. Parce que le déploiement des énergies renouvelables prend du retard. Et la France n’est pas la seule : aucun des 28 États membres de l’Union européenne ne s’est mis en ligne avec l’accord de Paris.
Pour que Katowice ne soit pas une COP pour rien, des citoyens ont lancé un « off » parrainé par plusieurs personnalités dont Pierre Larrouturou, Corinne Lepage et Jean Jouzel. Dans la lignée des mouvements citoyens comme #ilestencoretemps, #onestpret, etc. De son côté, le mouvement #Cop24NonOfficial a prévu d’exercer « un véritable lobby citoyen » sur les pays via les réseaux sociaux. « Nous ne pouvons plus déléguer aveuglément à nos dirigeants la responsabilité d’agir pour notre avenir commun », expliquent-ils. L’initiative encourage par exemple le public à soutenir les actions en justice menées par des enfants contre des États.
Une ado appelle à faire grève pour le climat
« VAGUES de chaleur, inondations, ouragans tuent des centaines de personnes et dévastent des communautés du monde entier. Mais à quoi bon connaître les faits si les adultes les ignorent ? »
Lassée des atermoiements des « grands » censés agir à la COP24, Greta Thunberg, une adolescente suédoise de 15 ans, appelle aujourd’hui à une grève internationale dans chaque école pour le climat. Relayées sous le hashtag #Climatestrike, ses nombreuses vidéos ont fait le tour du monde et son appel à déserter les écoles a déjà été entendu en Suède, en Australie et au Japon où des élèves ont lâché leur cartable pour inciter leurs leaders politiques à prendre les mesures. Greta elle-même a déjà manifesté devant des lieux symboliques du pouvoir dans son pays et elle appelle, au dernier jour de la conférence climat de l’ONU, jeunes et moins jeunes à agir.
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