Pour sauver le principe d’une fiscalité carbone, il faut d’abord rétablir la justice fiscale. Une taxe carbone ne peut être utile pour orienter les choix que lorsque les choix existent. L'annulation des hausses de taxe sur les carburants va générer un manque à gagner de presque 4 milliards d'euros dans le budget de l'Etat, qu'Edouard Philippe prévoit de résorber par des « économies supplémentaires ». Il suffirait de faire payer les entreprises les plus polluantes, jusqu'ici largement exonérées, pour sauver le principe même de la fiscalité carbone. D’après Maximes Combes le 5 décembre 2018 pour son Blog Sortons de l'âge des fossiles ! Lire aussi Les fin de mois et la fin du monde, Le fléau de l’assistanat … aux entreprises ! et Les émissions de gaz à effet de serre augmentent en France, en contradiction avec nos engagements climatiques.
C'est un point aveugle du débat sur la fiscalité carbone. Si le caractère socialement injuste de la taxe carbone a été largement débattu et commenté, l'assiette sur laquelle repose la fiscalité carbone en France est largement passé sous silence. Les exemptions existantes sur le kérosène et le fioul lourd ne sont en effet que la partie émergée de l'iceberg. L'essentiel des sites industriels et des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre en France sont en effet exonérés de la taxe carbone payée par les ménages, les artisans et les petites entreprises. Soit presque 1400 sites, industriels ou non, qui représentent environ 107 millions de tonnes de C02 relâchés dans l'atmosphère en 2017, et en hausse de 5% par rapport à 2016 (données de l' Agence environnementale européenne).
Ménages taxés – Industriels exemptés
Pour les ménages, artisans et petites entreprises, c'est assez simple : chaque fois que l'on fait son plein de carburant – ou que l'on remplit sa cuve de fioul – on paie une taxe carbone sur chaque litre acheté. Pour les 1400 sites industriels les plus polluants du pays, la situation est bien plus avantageuse. Soumis au marché carbone européen, ils profitent en effet d'un prix de la tonne carbone bien plus faible – dans les rares cas où ils doivent payer – et de facilités auxquels les ménages, artisans et petites entreprises n'ont pas accès. Un peu comme si chaque ménage ne payait la taxe carbone que pour les carburants qu'il consomme les dimanches et jours fériés, et qu'il ne la paie pas les autres jours de l'année. Les détails, parfois techniques, sont expliqués dans cette note :
Basculer la fiscalité carbone sur les entreprises les plus polluantes et jusqu'ici largement exonérées - note Attac
Faire du moratoire une opportunité pour renforcer la fiscalité carbone sur les entreprises
Cette inégalité de traitement est indéfendable : elle justifie que soit mis en œuvre un rattrapage rapide et général pour que les industries les plus polluantes paient, a minima, le même niveau de fiscalité carbone que les ménages, artisans et petites entreprises.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le moratoire annoncé par Édouard Philippe en offre l'opportunité. La hausse des taxes sur les carburants prévue au 1er janvier 2019 aurait du générer un total de 3,7 milliards d'euros de recettes supplémentaires sur l'année 2019. L'annulation de cette augmentation par Emmanuel Macron, désavouant au passage son premier-ministre qui n'avait jusqu'ici évoqué qu'une suspension de six mois, va donc constituer un manque à gagner pour l'Etat du même montant environ, soit 3,7 milliards d'euros, que le gouvernement va chercher à compenser afin de conserver un budget à l'équilibre. Deux options sont dès lors envisageables :
- se lamenter sur la suspension de la taxe carbone comme le fait déjà une partie du mouvement écologiste et regarder le gouvernement rogner sur de nouvelles dépenses publiques importantes ;
- ou alors, œuvrer, de manière collective, pour que le gouvernement instaure unilatéralement et immédiatement une taxe carbone complémentaire pour l'ensemble des sites industriels français soumis au marché carbone européen afin que chaque tonne de carbone relâchée soit taxée au même niveau que les carburants achetés par les ménages, artisans et petites entreprises ;
Cette deuxième proposition, simple, a déjà été expérimentée et mise en œuvre au Royaume-Uni, pour leurs centrales électriques. Elle est donc possible. Théoriquement, une telle fiscalité carbone sur les 1400 sites indsutriels peut rapporter plus de 4,7 milliards d'euros, soit le produit de 107 millions de tonnes de CO2 (émissions en 2016) taxées à 44,6 euros la tonne, le prix que paie les ménages, les artisans et les petites entreprises.(cette proposition peut bien évidemment être accompagnée de l' exigence de supprimer les exonérations sur le kérosène et le fioul lourd).
Cette proposition va tout de suite susciter une levée de boucliers au motif qu'elle conduirait des sites industriels à fermer ou délocaliser. Si cette réserve est très largement exagérée, il existe des parades complémentaires pour éviter ces conséquences.
Cette proposition, qui a pour elle la force de l'évidence, mettrait fin au principe du "Pollueur - Payé" et d'enfin appliquer le principe du "Pollueur - Payeur" pour les entreprises les plus polluantes. Elle conduirait la France à s'équiper d'un dispositif climatique d'une toute autre ambition que le très défaillant marché carbone européen. Et elle aurait le mérite, pour toutes celles et ceux qui y tiennent, de défendre le principe même de la fiscalité carbone que certains voudraient voir emporter avec le moratoire du gouvernement. Alors, chiche ?
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.
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