Le tribunal administratif de Lyon s’est appuyé sur le « principe de précaution » pour annuler l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, contenant du glyphosate et commercialisé par Monsanto. Quelques heures avant, on apprenait que le rapport d’évaluation du glyphosate, socle de la décision européenne, prise fin 2017, de réautoriser le glyphosate pour cinq ans, est un vaste plagiat. D’après Stéphane Foucart le 15 janvier pour Le Monde. Lire aussi Glyphosate : l’expertise européenne truffée de copiés-collés de documents de Monsanto, Glyphosate, un herbicide dans nos assiettes, Glyphosate et cancer : des études-clés ont été sous-estimées par l’expertise européenne et La toxicité du Roundup connue de Monsanto depuis au moins 18 ans.
Le coup est aussi dur pour l’industrie des pesticides que pour les agences réglementaires chargées d’évaluer leurs produits. Le tribunal administratif de Lyon a annulé, mardi 15 janvier, l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, délivrée en mars 2017 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La justice avait été saisie en mai 2017 par le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen).
C’est la première fois qu’une telle décision est prise par une juridiction française, s’agissant d’un produit commercial à base de glyphosate. Mais c’est la deuxième fois, en près d’un an, qu’un blanc-seing délivré par l’Anses à un produit phytosanitaire est remis en cause par la justice : en novembre 2017, c’était le tribunal administratif de Nice qui suspendait l’autorisation de deux insecticides à base de sulfoxaflor, une substance analogue aux néonicotinoïdes et suspectée de présenter un risque élevé pour les abeilles et les pollinisateurs. « La suspension a été confirmée par le Conseil d’Etat en février 2018 et nous attendons un jugement au fond qui ne saurait tarder », précise François Veillerette, président de l’association Générations futures, qui avait alors saisi la justice.
Une décision « très importante »
Toute la différence est qu’aucun autre produit à base de sulfoxaflor n’est disponible sur le marché français, au contraire de nombreuses formulations à base de glyphosate. « La décision d’annuler l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360 est très importante, se félicite l’avocate Corinne Lepage, présidente du Criigen. C’est potentiellement une décision qui devrait s’appliquer à tous les produits de type Roundup et de manière générale à tous les produits à base de glyphosate. »
Le jugement rendu se fonde sur le principe de précaution et estime que l’Anses, en autorisant ce produit, a « commis une erreur d’appréciation » au regard de ce principe inscrit dans la Constitution. Les magistrats se sont, en particulier, fondés sur l’expertise du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui a classé le glyphosate « cancérogène probable » en mars 2015. Ils ont ainsi estimé que le Roundup Pro 360, contenant cette substance active, devait « être considéré comme une substance dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé ».
Pour l’Anses, le jugement du tribunal est cinglant : l’agence, disent les juges, n’a pas évalué le caractère cancérogène du Roundup Pro 360 avant de l’autoriser pas plus que sa toxicité pour la reproduction. Or, se fondant cette fois sur l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le tribunal estime que le Criigen est fondé à soutenir que l’herbicide visé est « suspecté d’être toxique pour la reproduction humaine ».
Bayer évalue « la suite juridique à donner »
« L’Anses a pris connaissance ce jour de la décision du tribunal administratif de Lyon relative à l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360 et l’examinera avec attention, déclare l’agence dans un communiqué diffusé le 15 janvier dans l’après-midi. La décision étant à effet immédiat, (…) la vente, la distribution et l’utilisation du Roundup Pro 360 sont interdites à compter de ce jour. »
De son côté, Bayer, désormais propriétaire de Monsanto et donc de ses marques commerciales, se dit « surpris » du jugement. « Le vaste corpus scientifique, quarante ans d’expérience et les conclusions des autorités de réglementation (…) confirment que les produits à base de glyphosate sont sans danger lorsqu’ils sont utilisés conformément au mode d’emploi et que le glyphosate n’est pas cancérogène », précise la firme dans un communiqué, citant notamment les avis des agences américaine, européenne, australienne, etc. La firme dit étudier la décision pour « évaluer la suite juridique à donner à ce dossier ». La société précise que le Roundup Pro 360 ne représente, en France, que 2 % des ventes de glyphosate sous la marque Roundup.
La décision du tribunal administratif de Lyon intervient alors que le débat sur le glyphosate vient d’être relancé en Europe par la publication – quelques heures à peine avant l’annonce du jugement – d’un rapport commandité par des eurodéputés, montrant que de larges pans du rapport préliminaire d’expertise européen sur la toxicité de l’herbicide controversé avaient été plagiés.
« A la suite des révélations de plagiat dans l’analyse de la toxicité du glyphosate lors de son renouvellement et à la suite de la décision du tribunal administratif de Lyon d’annuler l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, écrivent les eurodéputés français du groupe Socialistes & démocrates, nous demandons au gouvernement français la suspension de l’ensemble des produits à base de glyphosate, dans l’attente d’une étude impartiale, objective et indépendante. »
Glyphosate : les autorités sanitaires ont plagié Monsanto
Mandaté par l’Union européenne pour produire l’expertise préliminaire sur le glyphosate — plus de 4 000 pages —, l’Institut fédéral d’évaluation des risques allemand (Bundesinstitut für Risikobewertung, ou BfR) a recopié, souvent mot pour mot, le dossier d’homologation du glyphosate transmis aux autorités européennes par Monsanto et ses alliés industriels, réunis au sein de la Glyphosate Task Force (GTF).
Dans un rapport commandité par des députés européens et rendu public mardi 15 janvier, le célèbre chasseur de plagiats autrichien Stefan Weber et le biochimiste Helmut Burtscher, associé à l’ONG Global 2000, montrent que les chapitres-clés de l’évaluation scientifique rendue par le BfR sont le fruit de plagiats à plus de 50 %, et de copiés-collés à plus de 70 %. Selon les deux chercheurs – dont le travail a été passé en revue par deux spécialistes du plagiat scientifique avant d’être rendu public –, « il est clair que l’adoption par le BfR, sans recul critique, d’informations biaisées, incorrectes ou incomplètes fournies par les fabricants [de glyphosate] a influencé la base même de son évaluation » de la dangerosité du produit controversé.
Or, c’est sur la foi de cette évaluation préliminaire que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et les experts des Etats membres ont conclu que le glyphosate ne posait pas de danger cancérogène, ouvrant ainsi la voie à sa réautorisation en Europe. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) avait, au contraire, conclu au caractère « cancérogène probable » du glyphosate.
En septembre 2017, Global 2000 avait déjà révélé que trois sous-chapitres du rapport rendu par le BfR avaient été largement copiés-collés. Mais les passages examinés se limitaient à seulement 2,5 % de l’ensemble du rapport. Mandatés par les eurodéputés Anja Hazekamp (Gauche unitaire européenne), Maria Noichl (Socialistes et démocrates) et Bart Staes (Verts), MM. Weber et Burtscher ont cette fois conduit une analyse exhaustive des sections du rapport liées à la toxicité chronique et la cancérogénicité de l’herbicide — soit plus d’un millier de pages.
Le chapitre « Génotoxicité » de l’évaluation du glyphosate par le BfR. Les passages surlignés en rouge sont plagiés depuis le dossier d’homologation déposé par les industriels, selon deux chercheurs. Weber & Burtscher
« Une fausse idée de l’auteur »
Ils ont en outre distingué les « copiés-collés bénins » – reproduction à l’identique de résumés d’études ou de tableaux – des passages constituant des plagiats. Le plagiat, expliquent les auteurs, est « une pratique frauduleuse presque toujours destinée à tromper le lecteur ». « Cela signifie que (…) le lecteur se fait une fausse idée de l’identité de l’auteur, écrivent les deux chasseurs de plagiats. Le lecteur attribue faussement des phrases, des formulations, des données, des statistiques, des synopsis, etc., à un auteur indiqué ou supposé, alors qu’en réalité les éléments qu’il lit ont été rassemblés, organisés et écrits par un autre auteur. »
La distinction entre « plagiat » et « copiés-collés bénins » est cruciale : mis en cause à l’automne 2017, le BfR s’était défendu en arguant que les copiés-collés détectés dans son rapport relevaient du travail normal d’expertise. Les commentaires critiques de ses experts, assurait l’agence publique allemande, étaient clairement identifiés, en italique, par rapport au reste du texte.
Ce que montrent MM. Weber et Burtscher est que cette défense du BfR ne vaut que pour les sections du rapport évaluant les tests toxicologiques réglementaires et confidentiels fournis par l’industrie. Les deux scientifiques indiquent que les copiés-collés représentent certes 81,4 % de ces sections, mais que ces emprunts sont bénins et ne s’apparentent pas à du plagiat.
Le problème est ailleurs, écrivent-ils en substance. Selon eux, les sections du rapport d’expertise du BfR évaluant les études publiées dans la littérature scientifique et menées par des chercheurs d’universités ou d’organismes de recherche publics sont, elles, minées par le plagiat. Quelque 50 % des centaines de pages évaluant ces études indépendantes sont des plagiats de l’industrie, 22,7 % relèvent d’emprunts bénins et 27,2 % de contenu original. Au total, plus de 72 % de ces chapitres-clés ont donc été copiés-collés.
Une situation d’autant plus problématique que les études indépendantes, publiées dans la littérature scientifique, mettent fréquemment en évidence des effets délétères. Mais celles-ci ont toutes été considérées comme non fiables. Circonstance aggravante, selon les rapporteurs : « L’omission systématique de toute référence à l’auteur réel, par le biais de suppressions sélectives de portions du texte, ne peut être interprétée que comme une volonté délibérée d’en cacher l’origine. »
Statistiques non conformes
« En conséquence de l’adoption mot pour mot, par le BfR, des évaluations faites par les industriels, l’agence n’a même pas classé une seule de ces études publiées sur le glyphosate et/ou ses formulations commerciales comme pertinente ou fiable », écrivent les deux chercheurs.
Plus grave : selon eux, les analyses statistiques conduites par les industriels ont également été reprises ne varietur par les experts du BfR, bien qu’elles ne soient pas conformes aux tests statistiques recommandés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – l’organisation qui définit les pratiques standards en toxicologie.
« Le BfR a même décrit comme sienne la méthode d’analyse mise en œuvre, alors qu’elle a été en réalité copiée-collée depuis le dossier d’homologation soumis par les industriels, expliquent les rapporteurs. C’était en réalité l’approche définie par les scientifiques de Monsanto. »
Au BfR, on se défend de toute mauvaise pratique. « La législation communautaire prévoit que les autorités de l’Etat membre rapporteur – l’Allemagne dans le cas du glyphosate – vérifient l’exactitude et l’exhaustivité de toutes les informations fournies dans la documentation des entreprises demandeuses, dit-on à l’agence allemande. En cas d’accord avec un résumé ou une évaluation particulière conduits par les sociétés candidates [à la mise sur le marché de leur produit], on peut l’intégrer directement dans le rapport d’évaluation. Le BfR n’a en aucun cas adopté sans réserve l’opinion des requérants et leur interprétation des études correspondantes, sans la moindre critique ni contrôle. »
Les conclusions des deux chasseurs de plagiats ne sont pas uniformément critiques sur la qualité de l’expertise fournie par les autorités allemandes à l’Union européenne. Leur rapport a également exploré les quelque 400 pages des sections de l’évaluation consacrées à l’écotoxicologie, c’est-à-dire aux effets du glyphosate sur l’environnement. Ces chapitres, rédigés par l’Agence allemande de l’environnement (Umweltbundesamt, ou UBA), ne présentent de copiés-collés et de plagiats qu’à l’état de traces : respectivement 2,5 % et 0,1 % du texte analysé, selon les deux trouble-fête.
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