Le Commissariat général au développement durable et l’Observatoire de la biodiversité dressent un tableau inquiétant de l’état des écosystèmes sur notre territoire. Plus d’un quart des espèces sont menacées de disparition dans l’Hexagone et les territoires ultramarins. D’après Marie-Noëlle Bertrand et Pierre Le Hir le 10 janvier pour l’Humanité et Le Monde. Lire aussi L'Europe doit choisir entre les abeilles et l’agrochimie..., La Convention sur la Diversité Biologique CDB - COP14 constate l’échec des objectifs fixés en 2010, Des citoyens financent des réserves de vie sauvage depuis 30 ans, « La nature face au choc climatique » : la moitié des espèces des régions les plus riches en biodiversité menacées d’extinctions...
Le vison d’Europe (Mustela lutreola) figure sur la « Liste rouge nationale des espèces menacées de l’UICN France et du MNHN ». JULIEN STEINMETZ
En octobre, le rapport « Planète vivante » du WWF sonnait l’alerte quant à la dégradation de nos écosystèmes à l’échelle mondiale. L’Observatoire national de la biodiversité (ONB) et le Commissariat général au développement durable (CGDD) la déclenchent, cette fois, à l’échelle de la France.
Récemment publiée, l’édition 2018 des chiffres clé de la biodiversité dresse un tableau inquiétant de l’érosion du vivant sur notre territoire : au 1er avril dernier, 26 % des 5 073 espèces faisant l’objet d’un suivi depuis quelques années restaient fortement menacées… voire éteintes.
En termes de population, 22 % des oiseaux communs spécialistes (vivant uniquement dans un biotope donné) ont disparu de métropole entre 1989 et 2017. « Avec une baisse de 3 %, les espèces animales des habitats forestiers affichent une certaine stabilité, contrairement aux espèces inféodées aux milieux bâtis et agricoles, dont les populations ont respectivement diminué de 30 % et 33 % sur la période », détaille la synthèse. Les chauves-souris ne se portent guère mieux, alors que l’on estime que leurs effectifs ont chuté en dix ans, avec toutefois de fortes disparités entre les espèces. Ainsi, les effectifs de la noctule commune ont-ils chuté de 51 % sur cette période, tandis que ceux de la pipistrelle pygmée augmentaient de 15 %.
La noctule commune de la famille des chauves-souris a perdu 51 % de sa population entre 1989 et 2017. Juniors/Biosphoto
Le morcellement des territoires dégrade les habitats
Plus globalement, le risque que des espèces ne disparaissent complètement s’avère nettement plus élevé dans les outre-mer, qui abritent l’essentiel de la biodiversité nationale, qu’en métropole. Mais partout le problème majeur demeure celui de la dégradation des habitats où elles vivent. Tout comme l’étude de l’ONG, cette nouvelle synthèse pointe en premier lieu la responsabilité des activités humaines qui les rongent.
« L’artificialisation des sols et l’agriculture intensive figurent parmi les premières causes de perte de biodiversité en fragmentant et en détruisant les habitats naturels », explique le rapport. En fragmentant le territoire, la première détruit des milieux naturels et favorise le morcellement et le cloisonnement des milieux. Le constat n’est pas neuf. Pourtant, les espaces artificialisés (bâtiments, routes, parkings, décharges ou chantiers) continuent de progresser en France, plus vite, même, que la population ne croit (respectivement + 1,4 % par an en moyenne entre 2006 et 2015, contre + 0,5 %). Les espaces artificialisés couvraient, en 2015, 5,16 millions d’hectares – soit l’équivalent de 800 mètres carrés par habitant. Tous les dix ans, la France continue ainsi de perdre une surface naturelle équivalente à celle d’un département comme la Drôme ou le Loir-et-Cher.
Autre indicateur : sur la période 2007-2012, seuls 22 % des habitats naturels d’intérêt communautaire – des milieux tels que prairies, marais, falaises, dunes ou chênaies dont une directive européenne exige le maintien et l’amélioration – étaient dans un état de conservation jugé favorable. Les surfaces toujours en herbe, ou prairies permanentes, qui sont riches en insectes, en faune vivant sur le sol et en flore, ont rétréci de près de 8 % entre 2000 et 2010.
Le lynx boréal (nom latin: Lynxil) espèce qui figure sur « Liste rouge nationale des espèces menacées de l’UICN France et du MNHN ». ROLAND CLERC
L’utilisation de pesticides n’a de cesse d’augmenter
L’agriculture intensive se voit pareillement épinglée, singulièrement pour son usage de pesticides. En dépit des plans Écophyto successifs qui, depuis 2008, prévoient sa diminution, celui-ci n’a cessé d’augmenter – la vente de produits phytosanitaires a augmenté de 12 % en 2014-2016, par rapport à la période de référence 2009-2011, rappelle la synthèse. « Intoxication des organismes, effets sur leur reproduction ou leur comportement, réduction de l’offre de nourriture… Ils peuvent être à l’origine de déséquilibres des écosystèmes, en affectant par exemple les populations d’abeilles et autres pollinisateurs, et plus généralement les insectes, les vers de terre, les rongeurs, les oiseaux, les poissons… », soulignent encore l’ONB et le CGDD.
La France, pourtant, aurait le devoir d’endiguer ce rapide déclin. « Disposant du deuxième domaine maritime au monde et d’une palette géographique et bioclimatique de territoires extrêmement variée, (elle) héberge 10 % de la biodiversité mondiale », rappelle encore la synthèse. Parmi les espèces qu’elle abrite, beaucoup – près de 19 500 – lui sont endémiques. En d’autres termes, elles n’existent nulle part ailleurs sur la planète, et les laisser disparaître reviendrait à les rayer définitivement de la carte du monde.
Péril plus élevé dans les outre-mer
Et, si l’on cherche une lueur d’espoir, on retiendra que, chaque jour, deux espèces nouvelles sont découvertes par les naturalistes, des insectes pour un peu plus de la moitié d’entre eux, et dans les régions ultramarines neuf fois sur dix.
Mais la France figure aussi parmi les dix pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées au niveau mondial. Le péril est plus élevé dans les outre-mer (40 % des espèces en danger d’extinction) qu’en métropole (22 %), mais, y compris dans l’Hexagone, le risque s’est accru de 15 %, entre les années 2008-2009 et 2015-2017, pour les quatre groupes majeurs des mammifères, des oiseaux nicheurs, des reptiles et des amphibiens.
Les listes rouges des espèces menacées publiées périodiquement par l’Union internationale pour la conservation de la nature et le Muséum national d’histoire naturelle montrent ainsi qu’un tiers des espèces de mammifères, terrestres ou marins, est aujourd’hui menacé ou quasi menacé d’extinction en France métropolitaine, contre un quart en 2009. C’est le cas du putois d’Europe, du desman des Pyrénées (mammifère semi-aquatique), de la crocidure leucode (musaraigne), ou du phoque veau marin.
La Tortue verte (nom latin Chelonia mydasil), est sur la « Liste rouge nationale des espèces menacées de l’UICN France et du MNHN ». STEPHAN CICCIONE KELONIA
La situation n’est pas meilleure pour les oiseaux nicheurs, dont un tiers également se trouvent aujourd’hui en sursis, contre un quart en 2008. Parmi eux, l’outarde canepetière, le milan royal, l’alouette des champs ou la macreuse brune. Au cours des deux dernières décennies, les populations d’oiseaux des milieux agricoles ont chuté de 33 % et celles des milieux bâtis de 30 %, les espèces des milieux forestiers résistant mieux (– 3 %).
Espèces exotiques envahissantes
L’état écologique des eaux de surface (rivières, plans d’eau, lagunes, estuaires…) est en revanche en légère amélioration : 44,2 % étaient considérées en 2015 comme en bon ou très bon état, soit un gain de 0,8 % par rapport à 2010. Mais le résultat reste loin du niveau de 64 % fixé, pour 2015, par la directive-cadre européenne sur l’eau, l’objectif étant d’approcher 90 % d’ici à 2021.
A la détérioration des habitats s’ajoute la pollution, en particulier chimique. Les ventes de pesticides à usage agricole continuent d’augmenter (de 12 % sur la période 2014-2016 par rapport à 2009-2011). Toutefois, la contamination des cours d’eau par les nitrates et les produits phosphatés est en nette diminution, de respectivement 11 % et 50 % sur les deux dernières décennies.
Les espèces exotiques envahissantes, enfin, sont l’une des menaces les plus directes pour la flore et la faune autochtones. Or, soixante des cent espèces les plus invasives au monde ont été identifiées en 2018 dans les outre-mer, parmi lesquelles la liane papillon à La Réunion, l’iguane vert en Martinique et en Guadeloupe, ou le rat noir sur plusieurs îles.
Pour ne pas désespérer de l’espèce humaine, on relèvera que les citoyens sont de plus en plus nombreux à s’impliquer dans les sciences participatives liées à la biodiversité : plus de 50 000 d’entre eux ont participé, en 2017, à un programme de collecte de données, un chiffre multiplié par 2,5 en six ans. A l’opposé, l’effort financier national en faveur de la biodiversité (gestion des milieux, réduction des pressions et travaux scientifiques), après avoir progressé de 75 % entre 2000 et 2013, pour atteindre 2,1 milliards d’euros, a ensuite légèrement régressé.
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