Limiter le réchauffement global à 1,5 °C implique d’atteindre le pic mondial d’émissions de CO2 en 2020. L’orientation n’est pas tenue, alerte un rapport du World Resources Institute. D’après Marie-Noëlle Bertrand et Audrey Garric le 22 janvier 2019 pour Le Monde et l’Humanité. Lire aussi Des ONG attaquent la France en justice pour inaction climatique, Des Etats inCOPables de sauver l’humanité ? et Un maire attaque l’Etat pour inaction climatique pour la première fois en France.
Se demander si l’on suit le bon cap en matière de lutte contre le réchauffement relève de la rhétorique. Savoir dans quelle mesure on dévie de l’objectif, et dans quelle direction braquer le gouvernail pour rejoindre la bonne voie, reste, en revanche, une question à se poser, et vite.
Un rapport du World Resources Institute (WRI), un think tank américain travaillant sur les sujets environnementaux, tente d’y répondre. Mis en ligne lundi soir, il dresse une photographie des progrès réalisés mondialement en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES) et les met en regard avec des ambitions que se sont fixées les États dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat. Adopté en 2015, celui-ci engage la communauté internationale à limiter la hausse globale des températures bien en deçà de 2 °C, et si possible à 1,5 °C par rapport aux niveaux enregistrés avant l’ère industrielle – le rapport du Giec, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, publié en octobre est venu préciser que viser la cible la plus ambitieuse était primordial. Or, rappelle le WRI, « la meilleure chance de limiter la hausse des températures à 1,5 °C est d’atteindre le pic mondial d’émissions de gaz à effet de serre en 2020 et de les réduire drastiquement après cela ».
L’objectif d’un pic des émissions en 2020 s’éloigne
En 2017, un consortium d’universités et de think tanks (Yale, Potsdam Institute for Climate Impact Research, Carbon Tracker Initiative, etc.), réunis dans le cadre d’une campagne nommée « Mission 2020 », avaient défini six étapes à atteindre dans les domaines clés de l’énergie, des transports, de l’utilisation des sols, de l’industrie, des infrastructures et des finances – chacune divisée en objectifs précis. L’idée était d’infléchir les courbes et de mettre le monde sur une trajectoire de réchauffement « bien en deçà de 2 °C », « si possible 1,5 °C », comme le prévoit l’accord de Paris adopté en 2015.
Dans ce scénario, dès 2020, les énergies renouvelables devront détrôner les combustibles fossiles pour la production d’électricité dans le monde entier, la déforestation à grande échelle sera stoppée au profit de la restauration des terres et la majorité des nouveaux projets de mobilités s’avéreront propres.
Mais alors qu’il reste moins de deux ans pour y parvenir, presque tous les voyants sont encore au rouge. Dans un rapport d’étape publié mardi 22 janvier, le World Resources Institute, un think tank américain spécialisé dans les questions environnementales, montre que les progrès sont insuffisants dans la majorité des secteurs, de sorte que l’humanité n’est pas sur les rails pour viser un pic des émissions en 2020.
Le boom des énergies renouvelables
Part d’énergies renouvelables dans la production d’électricité mondiale. Elle était de 25 % en 2017 et pourrait atteindre 30 % en 2020. WRI
Cette synthèse, qui compile des études d’agences internationales, contient une seule lueur d’espoir : l’envolée spectaculaire des énergies renouvelables, portées par une baisse rapide de leurs coûts. Elles ont fourni 25 % de la production d’électricité mondiale en 2017, comptant pour plus de deux tiers des nouvelles capacités électriques.
Selon les estimations, elles s’avéreront compétitives avec la plupart des combustibles fossiles d’ici à 2020. De sorte que pour le WRI, l’objectif d’atteindre au moins 30 % de renouvelables dans le mix électrique mondial est « à portée de main si les tendances actuelles s’accélèrent ». Dix-sept pays produisent déjà plus de 90 % de leur électricité à partir du solaire, de l’éolien ou encore de l’hydraulique.
Le tableau s’assombrit en revanche pour les deux autres objectifs énergétiques : ne plus construire de centrale à charbon et programmer la fermeture de celles existantes. Malgré un ralentissement de l’usage de ce combustible, le plus émetteur de CO2, la puissance installée nette des centrales thermiques au charbon continue de croître à l’échelle mondiale – avec 65 gigawatts (GW) de nouvelles capacités en 2017, en particulier dans les pays en développement, pour 28 GW d’installations fermées.
Transports : trop peu de voitures électriques
Deuxième levier essentiel dans la lutte contre le changement climatique : les transports, responsables de 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les ventes mondiales de voitures électriques ont considérablement augmenté (+ 54 % en une année) pour atteindre 1,1 million en 2017. Mais en raison de leur prix souvent prohibitif, elles ne représentaient alors que 1,4 % des ventes totales de nouveaux véhicules et ne devraient pas dépasser 3 % en 2020, très loin de l’objectif de 15 % à 20 % établi par la « Mission 2020 ».
Les progrès sont aussi insuffisants dans le domaine des transports en commun qui totalisaient 19 % des déplacements dans le monde en 2015, moins que les 32 % fixés par les experts. En outre, un carton jaune est adressé au secteur de l’aviation, dont l’intensité énergétique a diminué de 4,5 % entre 2013 et 2015 ; « il faut accélérer le rythme pour atteindre une réduction des émissions de 20 % d’ici à 2020 », écrivent les auteurs. De manière plus surprenante, le rapport donne un bon point au transport maritime pour s’être engagé à réduire ses émissions de carbone de 50 % d’ici à 2050 par rapport à 2007, même si aucune avancée tangible n’est pour l’instant enregistrée.
Sols : hausse de la déforestation
Déforestation (en millions d’hectares). En noir, la perte de couvert forestier, et en bleu la perte nette de forêts (différence entre la déforestation et le reboisement). WRI
La situation n’est guère plus optimiste en ce qui concerne l’usage des sols. La déforestation a augmenté au cours des dernières années, en grande partie à cause de la consommation de bois, de bœuf, de soja ou encore d’huile de palme. La perte nette de couvert forestier (différence entre la déforestation et le reboisement) est en baisse, se félicitent les auteurs. Mais de prévenir : « Regarder juste les chiffres peut nous tromper car la perte de forêt à un endroit ne peut pas être comptée de manière équivalente que le reboisement à un autre. » Près de 23 millions d’hectares de terres dégradées ont été restaurés, loin des 150 millions promis d’ici à 2020. Et les émissions agricoles ont poursuivi leur croissance, de 4,6 gigatonnes de gaz à effet de serre en 2000 à 5,3 Gt en 2016.
Les industries lourdes comme la chimie, l’acier et le ciment sont, elles, collectivement responsables d’environ un quart des émissions mondiales de CO2. Si certaines entreprises se sont engagées à réduire leurs rejets, le rapport note que les données publiques font défaut pour en mesurer les effets. Du côté des infrastructures, les bâtiments à énergie positive, malgré une forte croissance, représentent toujours moins de 5 % des constructions et bien moins de 1 % du parc immobilier mondial.
Finance : des investissements en hausse
Reste la question cruciale des financements, clé du succès de l’ensemble des objectifs pour 2020. Selon le rapport, les investissements mondiaux destinés à la lutte contre le changement climatique se sont élevés à entre 455 milliards de dollars et 681 milliards de dollars (jusqu’à 600 milliards d’euros) en 2016. « L’objectif de 1 000 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pourrait être atteint même si le manque de données ne permet pas de trancher », expliquent les auteurs. En revanche, les subventions aux énergies fossiles restent encore trop élevées (373 milliards de dollars en 2015).
« Malgré quelques progrès, ces tendances montrent que nous n’atteindrons pas le pic des émissions en 2020 », regrette Kelly Levin, l’une des auteures du rapport, chargée du programme climat au WRI, alors que les rejets de CO2 sont repartis à la hausse en 2018. « Les pays doivent se présenter au secrétaire général des Nations unies avec des annonces en vue d’accroître rapidement leurs engagements », ajoute-t-elle, en référence au sommet spécial que convoque Antonio Guterres en septembre à New York.
« Cette étude prouve qu’il est impossible de limiter le réchauffement à 1,5 °C, car aucune politique n’est en place pour y parvenir dans les secteurs déterminants », constate Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. Il en va pourtant de notre environnement, de notre santé, de notre économie, bref de notre vie.
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