Une étude menée dans les Pyrénées suggère que ces particules peuvent voyager sur de très longues distances, par voie aérienne. Par Sylvie Burnouf le 15 avril 2019 pour Le Monde. Lire aussi Seule la plasticité pourra nous sauver des plastiques, Nous mangeons du plastique et Les océans pollués par des particules invisibles de plastique.
L’air pur de la montagne est-il devenu une illusion ? L’atmosphère pourrait bien y être aussi chargée en microplastiques que dans les grandes villes, selon les résultats d’une étude française menée au beau milieu du parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises et publiée lundi 15 avril dans la revue britannique Nature Geoscience.
C’est la première fois que de telles mesures sont réalisées dans un milieu isolé, difficile d’accès, éloigné des villes et de toute activité industrielle. Perchée à 1 425 mètres d’altitude, la station météorologique de Bernadouze, où les chercheurs ont effectué leurs prélèvements, se situe en effet à 6 km du village le plus proche, Vicdessos (500 habitants environ), et à 25 km de Foix.
Sur la période allant de novembre 2017 à mars 2018, ils y ont observé le dépôt quotidien moyen de 365 microplastiques par m2 de surface au sol, amenés là par le vent, la pluie et la neige. « Nous nous attendions à trouver du plastique, mais pas en de telles quantités », soutiennent Steve Allen et Deonie Allen, chercheurs au laboratoire Ecologie fonctionnelle et environnement (EcoLab, Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse) et copremiers auteurs de l’étude.
Ces taux se situent en effet dans la fourchette de ce qui est mesuré dans deux mégalopoles, Paris et Dongguan (Chine), seuls endroits au monde où les taux de microplastiques dans l’air avaient jusqu’alors été documentés. Surprenant ? « Il n’y a pas de frontières dans les masses d’air ; tout ce qui est produit dans la ville se diffuse », répond celui qui travaille justement sur les microplastiques polluant l’atmosphère parisienne, Johnny Gasperi, maître de conférences au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains (LEESU, université Paris-Est-Créteil).
Sur près de 100 kilomètres
Une estimation du parcours des microplastiques atterrissant à Bernadouze, réalisée à partir des relevés météorologiques et de modèles mathématiques, suggère en effet que ces particules ont pu voyager par transport aérien sur près de 100 km. Et « il s’agit probablement d’une sous-estimation », soulignent Deonie et Steve Allen, car ces données reposent sur la vitesse de déposition de particules de poussière, qui sont « beaucoup plus lourdes que les microplastiques ».
Ainsi, même au fin fond des Pyrénées, l’on respire des fragments, des films et des fibres de plastique. Ces microparticules, essentiellement composées de polystyrène (41 % des prélèvements), de polyéthylène (32 %) et de polypropylène (18 %), sont issues, pour la plupart, d’objets en plastique à usage unique, d’emballages, de sacs plastiques et de textiles. « Cela nous met face à nos pratiques : nous utilisons le plastique massivement depuis cinquante ans et nous portons tous des vêtements en fibres synthétiques depuis trente-quarante ans, commente Johnny Gasperi. Tout cela laisse des traces, forcément. »
D’autant que l’atmosphère n’est pas le seul compartiment environnemental à être touché : l’omniprésence des microplastiques dans les cours d’eau et les océans fait en effet l’objet d’un nombre croissant de publications.
« Repenser notre manière de gérer le plastique »
Or, à l’heure actuelle, très peu de choses sont connues quant aux conséquences de cette pollution sur la faune et la flore. Quelques études récentes suggèrent que les micro et nanoplastiques pourraient altérer le système hormonal et modifier le comportement de prise alimentaire et de reproduction des insectes et des vers, mais la recherche n’en est qu’à ses prémices, note Deonie Allen.
En outre, « on ne connaît absolument rien de l’impact pour la santé humaine d’une exposition aux microplastiques », pointe Johnny Gasperi, rappelant à ce titre que la thématique des plastiques était relativement récente en recherche, ayant débuté il y a une dizaine d’années seulement.
Mais face aux données qui s’accumulent sur la présence généralisée de ces micropolluants dans l’environnement, des projets de recherche visant à évaluer les risques pour la santé commencent à émerger. Aux Pays-Bas par exemple, quinze projets d’une durée d’un an, financés notamment par l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique et le gouvernement, viennent de débuter. Ils devraient permettre de savoir, par exemple, si les microplastiques que nous inhalons peuvent se propager des poumons jusqu’aux autres organes, ou encore si une exposition aux microplastiques peut affaiblir notre système immunitaire.
En attendant, « il nous faut totalement repenser notre manière de gérer le plastique », estiment Steve et Deonie Allen. Les chercheurs plaident notamment pour une considération non plus locale, mais globale, de cette pollution qui n’a pas de frontières.
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