Un décès sur cinq dans le monde est dû à une alimentation déséquilibrée, selon une vaste étude internationale sur l’impact sanitaire d’un régime alimentaire déséquilibré dans 195 pays. Par Paul Benkimoun et Mathilde Gérard le 4 avril 2019 pour Le Monde. Lire aussi Le « régime de santé planétaire » ? Des protéines végétales et un steak par semaine !, L’agriculture bio est plus efficace que les pesticides contre les agents pathogènes, démontrent des chercheurs français et Nourrir la planète avec une agriculture 100% biologique en 2050, c’est possible.
Les quatre familles d'aliments : sucres lents, protéines, fruits et légumes. MAXIMILIAN STOCK LTD / PHOTONONSTOP
Mal manger tue. En 2017, un total de 11 millions de décès dans le monde, soit un sur cinq, étaient attribuables à un mauvais régime alimentaire. C’est plus que le tabac (8 millions de morts chaque année). Aux premiers rangs des facteurs de risque figurent le sel, un apport insuffisant en céréales complètes et une ration quotidienne trop basse en fruits. Ce sont les conclusions d’une étude menée par 130 chercheurs réunis au sein du Global Burden of Disease (GBD, charge mondiale des maladies) par l’Institute of Health Metrics and Evaluation (IHME, Seattle) et que publie, mercredi 3 avril, l’hebdomadaire médical The Lancet.
Alors que les Nations unies ont lancé en 2016 une « décennie d’action pour la nutrition », ce vaste travail confirme la nécessité d’amplifier les efforts en matière de santé publique. « Cette étude est un signal d’alarme : à défaut d’adopter un régime sain, pour notre santé et pour l’environnement, nous n’irons pas très loin », avertit Francesco Branca, directeur du département de nutrition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L’étude du GBD vient appuyer la prise en compte croissante des problématiques d’alimentation au niveau mondial. « Il y a une prise de conscience de plus en plus forte de l’impact de la nutrition sur les maladies chroniques, note Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm, qui a participé aux travaux pour la France. La nutrition n’est plus une affaire de second rang, comme on pouvait l’entendre il y a une vingtaine d’années. »
Peu de données fiables sur la consommation de sel
Pour mener à bien cet imposant travail, les chercheurs avaient une triple tâche : constituer une base de données fiable et la plus large possible sur l’alimentation dans 195 pays ; distinguer les différentes consommations (sel, sucres, acides gras trans, fibres…), par excès ou par défaut, associées à un risque accru de maladie chronique et de décès ; enfin, évaluer pour chacune de ces manières de mal s’alimenter la part de maladies et de mortalité qui lui est attribuable, indépendamment des autres causes.
Le réseau du GBD a travaillé à partir de l’ensemble des études de qualité satisfaisante disponibles sur les consommations alimentaires, malgré les difficultés d’harmoniser les données émanant des 195 pays. Il a « également utilisé les enquêtes sur les dépenses des ménages, les chiffres de vente des denrées alimentaires et eu accès à des données non publiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture », comme l’explique au Monde Ashkan Afshin, de l’IHME et premier auteur de l’article.
La sélection des facteurs de risque s’est appuyée sur les relations de cause à effet établies entre le niveau de consommation d’un aliment ou d’un nutriment (sodium, calcium…) et une maladie donnée. « Pour chacun de ces composants alimentaires, nous avons retenu un seuil d’exposition à risque », précise Ashkan Afshin.
Ainsi un régime est considéré comme pauvre en fruit pour une ration de moins de 250 grammes par jour, pauvre en céréales complètes avec moins de 125 grammes quotidiens. Pour le niveau optimal de consommation de sel, la littérature scientifique fournit des valeurs variables. Les chercheurs ont retenu le seuil de 3g/j, avec une marge d’incertitude : peu de pays disposent de données fiables sur ce paramètre.
Ils ont ensuite évalué l’impact spécifique de quinze composants alimentaires sur la survenue de maladies et de décès. L’analyse globale fait apparaître le poids particulièrement élevé de certains facteurs de risque en termes de mortalité et de morbidité : une consommation de sel excessive (près de 3,2 millions de décès), un apport insuffisant en céréales complètes, en fruits ou en noix et graines (respectivement 3 millions, 2,4 millions et 2 millions de morts).
Les pays pauvres touchés par les carences alimentaires
L’étude, financé par la fondation Bill and Melinda Gates, montre qu’aucun pays dans le monde n’échappe à l’impact d’une mauvaise alimentation. Pas une seule des 21 grandes régions géographiques observées ne présentait en 2017 une consommation optimale de l’ensemble des quinze composants alimentaires étudiés, bien que certaines d’entre elles y parvenaient partiellement : l’Asie centrale pour les légumes, les pays riches de la zone Asie-Pacifique (Japon, Corée du Sud) pour les oméga 3, ou encore les Caraïbes, l’Asie du Sud et l’Afrique sub-saharienne pour les légumineuses.
Si les carences alimentaires ne sont pas l’apanage des pays pauvres, ces derniers restent les plus durement touchés. L’impact des mauvais régimes y est ainsi beaucoup plus fort. Le taux de mortalité lié à l’alimentation est ainsi 10 fois plus important en Ouzbékistan (892 morts pour 100 000 habitants) qu’en Israël (89 pour 100 000), qui présente le taux le plus faible, suivi par la France, l’Espagne et le Japon.
Un « outil d’aiguillage » des actions de santé publique
« Nous nous attendions à une telle hiérarchie des risques, mais ce bilan permet de guider les actions de santé publique », note Mathilde Touvier. Pour la chercheuse, ce travail peut servir d’« outil d’aiguillage, dans un contexte où certaines mesures politiques sont contestées, comme par exemple la taxe soda mise en place dans plusieurs pays. »
L’un des principaux enseignements est l’impact sur la santé de la sous-consommation d’aliments sains (fruits et légumes, légumineuses, fruits à coques…). En 2017, il y a eu davantage de décès liés à un apport insuffisant en céréales complètes, fruits, noix et graines, que de morts associées à une consommation élevée d’aliments contenant des acides gras trans (présents dans les produits laitiers, les viennoiseries, les pizzas…), de boissons sucrées ou viandes rouges ou transformées.
Les chercheurs estiment donc qu’en matière de politique de santé, il est plus efficace de promouvoir ces aliments bons pour la santé, plutôt que de stigmatiser d’autres types de consommations plus délétères. « La notion de plaisir doit être centrale, insiste la chercheuse britannique Corinna Hawkes, directrice du Centre for Food Policy de la City University London. Il ne s’agit pas de forcer les gens à manger des aliments qu’ils n’aiment pas, mais de donner le goût et le plaisir de consommer, à un prix accessible, des fruits et des céréales complètes notamment. »
L’enquête du GBD apporte également la preuve de l’importance pour la santé d’une alimentation variée. Bien que le travail mené ne porte pas sur la sous-nutrition ou l’obésité, deux facettes de la malnutrition, Francesco Branca, de l’OMS, estime que la réponse aux crises alimentaires, qui affectent de façon aiguë plus de 100 millions de personnes dans le monde, selon un rapport de la FAO publié mardi 2 avril, ne peut porter seulement sur l’apport brut en calories, et qu’il faut veiller à maintenir dans toutes les régions une production suffisante en fruits et légumes.
Tout en agissant sur les prix : « Jusqu’à présent, les politiques se sont efforcées de convaincre les consommateurs de modifier leurs comportements alimentaires, mais nous devons travailler sur l’offre, relève M. Branca. Il faut que le modèle économique des systèmes alimentaires rende possible le choix d’une nourriture saine. »
L’équipe de GBD va prolonger ce travail, en collaboration avec l’OMS, en évaluant l’impact combiné de l’ensemble des problèmes de nutrition – malnutrition, surpoids et obésité, qualité de l’alimentation et sous-nutrition. Les résultats devraient être publiés à la fin 2019. « Nous devrions ainsi montrer comment certains pays supportent une double ou triple charge de maladies liées à ces problèmes », explique Ashkan Afshin, en évoquant des pays en développement.
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