Une étude que traîne à publier l’Europe évalue qu’une taxation de 33 centimes d’euros par litre de carburant diminuerait de 10 % les émissions de CO2 du secteur aérien. D’après Marie-Noëlle Bertrand et Stéphane Mandard le 13 Mai 2019 pour l’Humanité et Le Monde. Lire aussi Des taxes carbone efficaces et approuvées par la population – c’est possible !.
Les prévisions de trafic tablent sur un doublement du trafic aérien d’ici à 2037 pour atteindre 8,2 milliards de passagers dans le monde contre 4,1 milliards en 2017. Toby Melville/Reuters
Taxer l’avion, oui, mais par quel bout ? Commandée par la direction générale des transports de la Commission européenne en avril 2017, une étude s’est penchée sur la question et devait initialement être rendue en mai 2018. Un an plus tard, ses conclusions n’ont toujours pas été officiellement rendues publiques. L’ONG Transport & Environnement est parvenue à les exhumer des tiroirs bruxellois. L’étude dresse un inventaire des politiques fiscales (ou plutôt de leurs faiblesses) vis-à-vis du secteur aérien au sein de l’Union européenne. Ses conclusions appellent à une petite révolution avec la mise en place d’une taxe sur le kérosène.
Selon l’étude, la mise en place d’une taxe sur le kérosène permettrait de réduire les émissions de CO2 des avions de façon importante. Moins, toutefois, qu’une hausse de la TVA, cette seconde solution impliquant pour sa part un impact plus dur sur l’emploi dans le secteur aérien. Mais, dans les deux cas, insiste l’étude, l’effet sur l’emploi global serait négligeable, de même que celui sur le PIB de l’Union européenne.
Pour parvenir à ces conclusions, les experts ont étudié les deux possibilités. À chaque fois, ils sont partis du principe qu’une taxation plus importante, répercutée sur le prix des billets, entraînera une diminution du nombre de passagers, donc de vols, donc d’émissions de CO2 (et de bruit, autre dommage collatéral de l’aviation).
Une taxe de 33 centimes d’euros par litre de kérosène
S’appuyant sur ce qui se pratique en Allemagne, ils ont d’abord envisagé l’application d’une TVA portée à 19 %. Dans ce premier cas, les émissions de CO2 du secteur aérien européen chuteraient de 18 %, avancent-ils, et le nombre de personnes affectées par les nuisances sonores de 12 %. Cela dit, les conséquences sur l’emploi iraient à l’avenant, avec une perte frisant les 18 % dans le secteur. L’effet sur le PIB et l’emploi global serait en revanche négligeable, estiment encore les experts, qui s’attendent à ce que l’argent généré par cette TVA ait un effet levier pour les autres secteurs – le revenu fiscal lié à l’aviation pour les pays de l’Union passerait selon eux de 10 milliards à 40 milliards d’euros.
Seconde hypothèse : taxer le kérosène à hauteur de 33 centimes d’euros le litre de carburant. La tendance reste la même, avec des effets moindres de toute part. Les pertes d’emploi dans le secteur se limiteraient à 11 %, tandis que là encore, ni le marché de l’emploi global, ni le PIB ne seraient affectés – le revenu fiscal passerait de 10 à 27 milliards d’euros. Les émissions de CO2 seraient elles aussi réduites, mais de seulement 10 %.
Prélèvement sur le kérosène ou hausse de la TVA ? Dans les deux cas, la mesure ferait figure de petite révolution à l’échelle européenne, et même mondiale. Certes, plusieurs pays ont déjà mis en œuvre une forme de taxe sur le transport aérien. L’Australie, le Brésil ou le Mexique la ponctionnent directement sur le billet à hauteur de 30 à 40 euros, rappelle la RTBF. La Croatie applique une TVA de 25 % et le Japon taxe le kérosène à hauteur de 8 centimes le litre.
Cependant rien, à ce jour, ne permet de réguler de façon contraignante les émissions globales de l’aviation civile (ne parlons même pas de l’aviation militaire). Exempté d’obligation en la matière, le secteur n’est pas même mentionné dans l’accord de Paris (le chapitre le concernant, lui et le transport maritime, a été biffé in extremis lors de la COP21, en 2015). En octobre 2016, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a certes adopté un accord visant à réduire les émissions de CO2 de l’aviation internationale, mais il ne repose que sur un mécanisme de marché, permettant aux compagnies aériennes de compenser l’augmentation attendue de leurs émissions (les prévisions tablent sur un doublement du trafic d’ici à 2037) via l’achat de crédits. Sa phase pilote ne débutera en outre qu’en 2021 et uniquement sur base de volontariat.
Même topo à l’échelle européenne, où l’aviation n’est amendée d’aucune taxe, ni même soumise au marché carbone. Face à l’urgence climatique, limiter son essor serait pourtant salvateur. D’autres mesures peuvent y aider. Celle, singulièrement, visant à baisser le coût du billet de train, 40 fois moins émetteur de CO2 que l’avion.
Prélèvement sur le kérosène ou hausse de la TVA ? Dans les deux cas, la mesure ferait figure de petite révolution à l’échelle européenne, et même mondiale. TPG / Photononstop
L’équivalent du retrait de 850 000 véhicules en France
Appliquée à la France, cette taxe permettrait de réduire de 9 % les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien. Soit l’équivalent du retrait de 850 000 véhicules sur les routes françaises. Elle rapporterait en outre aux finances publiques un peu plus de 3,5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires.
Au niveau européen, le transport aérien n’est responsable que d’environ 3 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Mais sa contribution devrait exploser dans les prochaines années. Les prévisions de trafic tablent sur un doublement d’ici à 2037, pour atteindre 8,2 milliards de passagers dans le monde, contre 4,1 milliards en 2017. En France, le trafic a augmenté de 5 % en 2017. Surtout, il est le mode de transport le plus polluant, si on le compare par personne et kilomètre parcouru : deux fois plus que la voiture, et jusqu’à 40 fois plus que le train, selon les calculs de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
Plusieurs gouvernements se sont récemment dits favorables à une taxe au niveau européen : la Belgique, en mars, après les Pays-Bas, en février. La Suède a déjà franchi le pas. Depuis le 1er avril 2018, elle applique une taxe climat de 6 à 39 euros sur les billets, en fonction de la destination. En un an, le nombre de passagers a diminué de plus de 4 % dont plus de 5 % sur les vols intérieurs.
Une « contribution climat » sur les billets d’avions
« Il est urgent de mettre fin au paradis fiscal dont bénéficie le transport aérien », exhorte Lorelei Limousin, du Réseau action climat (RAC), qui regroupe les principales organisations environnementales (Greenpeace, WWF, FNH, FNE…). Pour le RAC, le secteur aérien est le grand absent du projet de loi d’orientation des mobilités du gouvernement, dont l’examen doit débuter mardi 14 mai à l’Assemblée nationale.
En complément de la « nécessaire taxation du kérosène », le RAC propose l’instauration d’une « contribution climat » sur les billets d’avions. Elle varierait de 20 à 40 euros pour un vol national et de 50 à 100 euros pour un vol international, en fonction de la classe. « Les recettes devront contribuer au financement d’une offre alternative, comme les trains de jour et de nuit, accessible au plus grand nombre, pour éviter les déplacements en transports polluants comme l’avion », précise Lorelei Limousin.
De Matthieu Orphelin (ex-République en marche et proche de Nicolas Hulot) au mathématicien Cédric Villani (La République en marche) en passant par François Ruffin (La France insoumise), plusieurs députés de divers horizons politiques ont déposé des amendements soutenant le principe d’une contribution climat pour le transport aérien.
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