Des scientifiques s’efforcent d’évaluer les risques liés à l’utilisation d’une des substances remplaçant le bisphénol A depuis son interdiction. D’après une étude américaine en 2013 et la revue Environmental Health Perspectives le 17 juillet 2019 par Clémentine Thiberge pour Le Monde. Lire aussi Le rapport-choc de l’IGAS sur les perturbateurs endocriniens interrogent l’inaction des pouvoirs publics, Perturbateurs endocriniens : la fabrique d'un mensonge et Perturbateurs endocriniens : l’histoire secrète d’un scandale.
Une nouvelle étude française suggère que la principale substance de remplacement du bisphénol A, le bisphénol S, serait tout aussi dangereuse pour l’organisme.
Publiée mercredi 17 juillet dans la revue Environmental Health Perspectives, l’étude, menée par une équipe de l’École nationale vétérinaire de Toulouse et du laboratoire Toxalim (Institut national de recherche agronomique), en collaboration avec les universités de Montréal (Québec) et de Londres, a montré chez le porcelet que le bisphénol S (BPS) persiste plus longtemps dans l’organisme et à des concentrations beaucoup plus élevées que le bisphénol A (BPA).
« Cette étude comble une lacune importante dans nos connaissances sur la manière dont les produits chimiques de remplacement du BPA sont métabolisés par le corps, soutient Laura Vandenberg, professeure associée à l’université du Massachusetts (États-Unis), spécialiste des perturbateurs endocriniens. Alors que le public continue de poser des questions sur la sécurité du BPA, de nombreuses industries remplacent ce composé par d’autres produits chimiques ayant des fonctions similaires. Malheureusement, la plupart des substituts sont d’autres bisphénols – qui ont des effets relativement inconnus sur le corps. »
Le bisphénol A est une substance de synthèse utilisée dans certains plastiques rigides, résines, etc. En juin 2017, l’Agence européenne des produits chimiques avait classé le BPA sur la liste des substances « extrêmement préoccupantes » (« substance of very high concern »), pour ses propriétés de perturbation endocrinienne, « à l’origine probable d’effets graves sur la santé humaine, soulevant un niveau équivalent de préoccupation aux substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques » – c’est-à-dire affectant la fertilité ou le développement de l’enfant à naître.
Présence dans de nombreux matériaux
En raison de mesures restrictives de son utilisation dans un grand nombre de pays, dont la France, telles que l’interdiction dans les biberons en 2011 et dans les contenants alimentaires en 2015, les industriels ont progressivement remplacé le BPA par des composés analogues, principalement le bisphénol S. Cette substance est aujourd’hui présente dans de nombreux matériaux, notamment les plastiques, les résines époxy (utilisées dans les revêtements intérieurs de boîtes de conserve et canettes) et le papier thermique (étiquettes alimentaires, tickets de caisse, de parking ou de musée).
« Nous avons choisi de faire cette recherche, car l’utilisation du BPS augmente et il est nécessaire d’avoir plus d’informations sur cette substance », explique Véronique Gayrard, professeure en physiologie à l’Ecole nationale vétérinaire de Toulouse et première auteure de l’étude. Ainsi, pour leur rapport, les chercheurs ont administré du BPS par voie orale à des porcelets. « Etant donné que le BPS est un contaminant alimentaire, c’est la principale voie d’entrée dans le corps, précise la chercheuse. De plus, nous avons utilisé un animal qui a de grandes similitudes physiologiques avec l’homme pour reproduire les conditions les plus semblables. »
Les résultats montrent que la quantité de BPS ingérée qui accède à la circulation sanguine générale de manière inchangée est environ 100 fois supérieure à celle du BPA. Elle est de 57 % pour le BPS et 0,5 % pour le BPA. De plus, selon l’étude, l’élimination de la substance de remplacement est 3,5 fois inférieure à celle du BPA. « En combinant ces deux éléments, soutient Véronique Gayrard, on se retrouve avec des concentrations de BPS dans le sang environ 250 fois supérieures à celles du BPA pour une même exposition. »
Les fonctions gastro-intestinales du porc et de l’humain étant comparables, ces résultats suggèrent que le remplacement du BPA par le BPS pourrait conduire à augmenter l’exposition de l’être humain à un composé hormonalement actif. « Cette étude est très importante, insiste Laura Vandenberg, qui n’a pas participé à ces travaux, car elle permet d’affirmer que les effets du BPS seront observables à des doses plus faibles que le BPA, car le corps ne le métabolise pas aussi facilement. »
En avril 2017, une étude du magazine 60 millions de consommateurs avait déjà appelé les autorités et les consommateurs à réagir. L’association de consommateurs avait fait analyser par un laboratoire indépendant une mèche de cheveux d’un panel de 43 enfants et adolescents de 10 à 15 ans, habitant « sur tout le territoire » français, tant en ville qu’en milieu rural, pour y rechercher 254 substances. Le bisphénol A n’avait été retrouvé que dans 20 % des échantillons, preuve de « l’efficacité » de son interdiction en France dans tous les contenants alimentaires depuis 2015, selon 60 millions de consommateurs. En revanche, le bisphénol S, utilisé en substitution, était présent dans 98 % des échantillons.
Bien que les données toxicologiques soient encore insuffisantes pour évaluer précisément le danger associé, ces résultats soulignent l’importance de l’estimation de l’exposition dans le processus d’analyse du risque pour la santé humaine lié à la substitution de substances préoccupantes.
« Avantages pour les industriels »
« Nous avons des centaines d’études sur le BPA suggérant qu’il peut causer des dommages au corps humain, soutient Laura Vandenberg. Mais seulement une douzaine sur le BPS. Nous ne savons presque rien du BPS dans la population humaine. Nous obtenons maintenant de bonnes données de biosurveillance qui vont nous permettre de mieux évaluer le risque de la substance. » Les rares études sur le sujet suggèrent cependant que le BPS aurait des effets hormonaux œstrogéniques comparables au BPA, « voire supérieurs pour d’autres capteurs », alerte l’auteure de l’étude.
Aujourd’hui, les chercheurs sont unanimes : il est impossible de remplacer une substance dangereuse par une autre qui n’a pas été suffisamment étudiée. « Pour les industriels, le BPS n’a que des avantages : les biens de consommation conservent leurs propriétés souhaitées, mais ce n’est pas du BPA, ce qui leur permet d’étiqueter les produits “sans BPA”, fait valoir Laura Vandenberg. Ce qui ne veut pas dire pour autant “sans danger”. »
Alors par quoi remplacer ces différentes substances hormonalement actives ? « C’est une vraie question pour les chimistes, répond la chercheuse américaine. Ce qu’on sait pour l’instant, c’est que, chaque fois que nous pensons remplacer un composé par un autre, nous devons faire preuve de prudence quant à la sécurité du nouveau produit chimique et le tester de manière appropriée. Sinon, nous nous retrouvons avec des substitutions regrettables. La réglementation chimique est remplie de tels exemples et nous devons faire mieux avec le BPA. »
Selon les associations de consommateurs, la solution la plus satisfaisante reste pour l’instant d’utiliser des alternatives aux plastiques pour les contenants alimentaires, tels que le verre, le silicone ou la céramique.
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