Alors que le projet EuropaCity a du plomb dans l’aile, la « gare Auchan » du Triangle de Gonesse (Val-d’Oise) entre en phase de construction, au mépris des engagements d’Emmanuel Macron en matière de protection des terres agricoles. D’après Reporterre, l’Humanité, Mediapart du 26 juin au 2 juillet 2019. Lire aussi 24h du triangle de Gonesse les 18 et 19 mai, L'État fait appel de l'annulation de la ZAC de Gonesse - venez à la Fête des terres de Gonesse, le dimanche 27 mai, Les cultivateurs de légumes résistent à Europa City et EuropaCity: la justice annule la création du mégacomplexe commercial au nord de Paris.
C’est ce que les opposants au mégacomplexe d’Auchan, EuropaCity, et plus largement à l’urbanisation du Triangle de Gonesse, dans le Val-d’Oise, craignaient. En dépit des préoccupations des habitants, un grand sillon de plusieurs mètres de largeur, s’étendant sur des centaines de mètres, a été creusé par les bulldozers en plein champ de maïs. Michel, retraité, est le premier à l’avoir remarqué. C’était le vendredi 21 juin. « Je passais par là et j’ai vu des machines au milieu du champ avec, dessus, des publicités pour le terrassement, raconte-t-il. Les récoltes avaient déjà été massacrées. »
Depuis mercredi 26 juin, au petit matin, une soixantaine d’habitants, d’élus et d’activistes écologistes se donnent rendez-vous en lisière des champs du « triangle du Gonesse ». Ils protestent contre le début des travaux de la gare Triangle-de-Gonesse, comprise dans le projet de la ligne 17 du futur métro du Grand Paris Express (GPE). Le permis de construire de la gare Triangle-de-Gonesse avait été validé en septembre 2018 et ses opposants avaient alors déposé un recours pour le faire annuler.
« Il faut lutter, car cette gare ne desservirait pas les Gonessiens : la première habitation serait située à 1,7 kilomètre de la gare ! déplore Steven Januario Rodrigues, du mouvement politique Nous Gonessiens. C’est une aberration, aucun habitant ne rêve de prendre le métro ici. »
« Ça correspond, pour nous, au début des travaux, estime Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG). Selon les indications rassemblées par le CPTG, ce chantier concernerait la réalisation de la canalisation des eaux usées de la gare. Mais nous ne savons même pas qui est le maître d’ouvrage ! s’insurge Bernard Loup. La Société du Grand Paris ? Grand Paris Aménagement ? Le Syndicat intercommunal Aménagement Hydraulique Vallées ? Nous voulons des réponses ! »
Mercredi 26 juin, les opposants à l’urbanisation du triangle de Gonesse avaient prévu de bloquer l’avancée des machines, mais celles-ci ne sont pas apparues. Ils se sont alors attelés à bâtir une butte de sable, de branchages, de pierres, de piquets et de plots pour retarder une nouvelle intrusion.
« Lundi 1er juillet, nous étions une soixantaine. On s’est retrouvés face à 20 à 30 policiers, qui nous attendaient. Mais tout est resté très calme. On n’a pas vu d’engins. Seul un géomètre est venu prendre des mesures. C’est tout. Et à midi, il n’y avait plus que nous et quelques vigiles », raconte Bernard Loup, porte-parole du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG).
« Mais le chantier n’est pas terminé, il est visiblement suspendu », poursuit le militant, qui parle d’une situation « ubuesque ». « Ces travaux portent en effet sur la réalisation de canalisation des eaux usées de la gare de la future ligne 17 Nord, et dont la seule fonction serait de desservir le mégacentre commercial EuropaCity, que le groupe Auchan veut construire sur 80 hectares. »
Renseignements pris, cette partie du chantier est sous-traitée par la société Colas pour le compte de la Société du Grand Paris (SGP). Leur mission est d'enterrer une canalisation d'évacuation des eaux usées de la future gare, mais il viendra ensuite d'autres sociétés qui s'occuperont de la fourniture en eau et en électricité. Il a été mentionné qu'une fois ces canalisations enterrées, la couche de terre agricole sera remise en place. Rien d'irréversible donc, du moins pour l'instant. On peut pourtant s'interroger sur la santé mentale des "décideurs", car il s'agit de construire une canalisation pour une gare qui, peut-être, n'existera jamais puisque la ZAC et la modification du PLU ont été tour à tour annulées. Alors on peut poser une question : ce gaspillage potentiel d'argent public dans des circonstances où la cour des comptes a déjà épinglé la gestion de la SGP pour dérapage des coûts n'interpelle-t-elle pas les élus de Gonesse ?
« EuropaCity est tout le symbole d’un monumentalisme complètement décalé avec les enjeux écologiques et sociaux »
« Nous ne lâcherons pas, car cette gare, c’est le cheval de Troie qui rendra irréversible l’urbanisation du triangle de Gonesse », prévient Bernard Loup, désireux de protéger ces terres fertiles du nord de Paris. La gare Triangle-de-Gonesse desservirait en fait une zone pensée pour accueillir le gigantesque projet EuropaCity : un demi-millier de boutiques, de quatre hôtels, d’une piste de ski, d’une salle de spectacle, des cinémas, d’un centre aquatique et d’un palais des congrès.
Le sort du mégacomplexe commercial, culturel et sportif, estimé à 3,1 milliards d’euros, est actuellement ballotté entre décisions politiques et judiciaires. Ses promoteurs, le groupe Auchan et le conglomérat chinois Wanda, restent décidés à l’ériger et aspirent à y attirer près de 30 millions de visiteurs par an. Mais l’opposition est tenace.
Le démarrage du chantier de la gare est d’autant plus absurde que le projet EuropaCity est au point mort : la zone d’aménagement concerté (ZAC) et le plan local d’urbanisme (PLU) de Gonesse, préalables nécessaires à l’urbanisation, ont été annulés par le tribunal administratif. Et la cour administrative d’appel de Versailles, qui a été saisie par le gouvernement, n’a pas encore rendu son jugement. Celui-ci est d’ailleurs attendu dans les jours à venir. « On ne comprend pas. Pourquoi ne pas attendre la décision du tribunal ? » s’interroge le collectif. Une décision qu’il espère aller dans son sens, le rapporteur public ayant donné un avis favorable à cette annulation.
Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG), et le commissaire de police de Gonesse
Un projet alternatif d’agriculture périurbaine
Le CPTG et ses soutiens dénoncent une tentative de passage en force, alors que le gouvernement a récemment fait savoir au CPTG et au collectif Carma, qui propose un ambitieux projet d’agriculture périurbaine et de transition écologique pour le triangle de Gonesse, qu’il réfléchissait aux différentes options et que rien n’était décidé.
« Commencer les travaux de la gare alors que le PLU et la ZAC sont en suspens, ce n’est rien d’autre qu’un déni de démocratie », dit Steven Januario Rodrigues. « On traverse en ce moment une grande canicule, et on va encore imperméabiliser des terres agricoles, bâtir d’énormes infrastructures de béton ? déplore Didier Delpeyrou, porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts en Seine-Saint-Denis. EuropaCity est tout le symbole d’un monumentalisme complètement décalé avec les enjeux écologiques et sociaux. »
Alors que le gouvernement a récemment fait savoir au CPTG et au collectif Carma, qui propose un projet alternatif d’agriculture périurbaine et de transition écologique pour le Triangle de Gonesse, que rien n’était décidé, les opposants dénoncent une tentative de passer en force, malgré les promesses d’Emmanuel Macron autour du « zéro artificialisation net des sols agricoles ». « On nous a fait comprendre que le dossier était sur le bureau du premier ministre. De notre côté, on va voir ce qu’on va faire. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura une suite à ces actions », prévient Bernard Loup, qui envisage une action en référé pour obtenir la suspension du chantier.
commenter cet article …