C’est une découverte inquiétante publiée hier dans la revue Science Advances par une équipe très internationale (1). Elle porte sur une des questions majeures du réchauffement climatique : jusqu’où la végétation planétaire va t-elle réagir positivement à l’élévation du taux de CO2 atmosphérique et des températures ? Et donc stocker une part du CO2 supplémentaire que nous injectons chaque année dans l’atmosphère, réduisant ainsi le réchauffement futur en permettant aux arbres et à certaines cultures de croître plus vite. La réponse de cette étude ? Ce phénomène positif se serait arrêté vers l’an 2000. A cause… de l’humidité qui croît moins vite que la température de l’air. On pourrait la résumer par un adage shadockien : plus c’est moins humide que ce serait possible et moins les végétaux croissent. Explications. D’après l’étude publiée le 14 août 2019 sur ScienceAdvances et le blog de Sylvestre Huet, journaliste scientifique. Lire aussi Déforestation : les forêts émettent plus de CO2 qu’elles n’en absorbent.
Le déficit de pression de vapeur atmosphérique accru réduit la croissance de la végétation mondiale
Résumé : Le déficit de pression de vapeur atmosphérique (en anglais VPD) est une variable critique pour déterminer la photosynthèse des plantes. La synthèse des données de quatre modèles climatiques mondiaux révèlent une forte augmentation du VPD depuis la fin des années 90. En réponse, l’indice de végétation (Gimms3g) indiquée par un satellite-dérivé, qui était stable avant la fin des années 1990, a depuis régressé. La production primaire brute terrestre dérivée de deux modèles par satellite (EC-LUE révisée et MODIS) montre des baisses persistantes et généralisées après la fin des années 90 en raison de l’augmentation du déficit de vapeur atmosphérique (VPD), qui annule l’effet positif du CO2 sur la fertilisation. Six modèles différents du système terrestre ont prévu des augmentations constantes de VPD tout au long du siècle actuel. Nos résultats soulignent que les impacts de VPD sur la croissance végétale devraient être pris en compte pour évaluer les réactions des écosystèmes aux conditions climatiques futures.
Jusqu’à présent, les climatologues observaient une réponse positive de la végétation planétaire au réchauffement climatique. C’est le fameux « verdissement » observé par satellites, notamment aux hautes latitudes nord – un verdissement non général, contrarié par des phénomènes locaux et par exemple la déforestation dans les forêts tropicales. Logique. Plus de CO2, c’est plus de carbone disponible pour la photosynthèse. Des températures plus élevées, c’est favorable dans une bonne partie des terres émergées de l’hémisphère nord, tempérées et boréales.
Mais le spécialiste es-plantes, voire le jardinier du dimanche, auraient tout de suite tiqué à ce raisonnement. En se demandant «et l’eau ?». C’est bien d’avoir température et CO2, mais sans eau, les plantes ne peuvent les utiliser pour croître. Et si cette eau est là mais limitée ? Les besoins des feuilles des plantes en eau doivent être satisfaits au maximum pour photosynthétiser à fond, car si elles sont en manque, pour prévenir les dégâts de la sécheresse sur la plante ou l’arbre, elles vont fermer leurs stomates afin de moins « transpirer » et économiser leur eau.
Relation de Clausius-Clapeyron
C’est là que la physique de base intervient. En principe, plus l’eau et l’air sont chauds, et plus il y aura d’évaporation des océans. Puis, plus l’air est chaud et plus il peut contenir de vapeur d’eau (environ 7% par degré de plus, c’est la relation de Clausius-Clapeyron). Donc, en principe, tout va bien. Mais en réalité, on s’écarte du principe. Notamment, l’air ne contient pas nécessairement toute la vapeur d’eau qu’il peut contenir. Les scientifiques ont un nom pour ça, cela s’appelle le VPD (vapor pressure déficit, déficit de pression de vapeur). Et le VPD quantifie le « manque » de vapeur d’eau relativement au maximum possible.
Or, ont découvert les spécialistes des flux de chaleur et d’humidité à l’échelle mondiale, il se passe un truc énorme, au tournant des 20ème et 21ème siècle. Un truc encore pas vraiment compris d’ailleurs, écrivent honnêtement les auteurs de l’article de Science Advances. En résumé : un, l’évaporation des océans a cessé d’augmenter et même diminue; deux le VPD augmente; trois, les indices de croissance végétale ont cessé d’augmenter, voire diminuent.
Reprenons ces trois points en graphiques, ceux un peu abscons, de l’article scientifique.
1 – L’évaporation a cessé d’augmenter :
2 - Le déficit de pression de vapeur d’eau augmente :
3 - Les indices de croissance végétale diminuent :
Il est intéressant de considérer la répartition planétaire de ce phénomène. C’est ce que permet ce dernier graphique de l’article. Il montre qu’entre la période 1982/1998 (carte A), et la période 1999/2015 (carte B), de vastes régions (en vert) qui montraient une réaction positive au réchauffement et à l’augmentation de la teneur en CO2 de l’air ont basculé dans une réaction inverse (en rouge).
Les auteurs de l’article estiment que leurs analyses montrent que le déficit croissant de vapeur d’eau contribue aux mortalités observées dans les forêts et liées à des sécheresses. Ce phénomène conduit à une réduction de l’ouverture des stomates des feuilles et donc à une diminution de la photosynthèse. En outre, si les sols sont secs, une demande trop forte d’eau par les parties supérieures de l’arbre peut rompre la continuité du cheminement de la sève et provoquer l’affaiblissement ou la mort de l’arbre.
Enfin, ils ont comparé leurs observations aux simulations de modèles informatiques de végétations. Or, un seul parvient à simuler correctement ce qu’ils ont observé. La plupart des modèles actuels sous-estiment le problème posé par le déficit croissant de vapeur d’eau et leur vision du futur du cycle du carbone est beaucoup trop optimiste. Or, une accentuation du phénomène observé par les auteurs conduirait à diminuer la part de nos émissions de CO2 captée par la biosphère, et une accélération du m réchauffement climatique.
Cet article découle d’un travail d’analyse très complexe sur des jeux de données satellitaires très lourds, sur l’ensemble de la planète. Il a été conduit par une équipe internationale (Chine, France, Australie, Corée du Sud, USA, Japon, Suisse, Allemagne, Royaume-Uni). Les scientifiques Chinois y ont joué le rôle majeur (Wenping Yuan, université Sun Yat-Sen de Canton en est le premier auteur) comme c’est de plus en plus souvent le cas dans les coopérations internationales (lire cet article sur la place de la Chine dans la science mondiale). En France, c’est Philippe Ciais, un spécialiste mondial du cycle du carbone ((Laboratoire des sciences de l’environnement et du climat (CEA/CNRS/Université Paris Saclay), l’un des scientifiques les plus cités en 2018 l’échelle mondiale, qui y a participé.
(1) W. Yuan et al. Science Advances 14 août 2019. L’article est en accès libre ici.