À rebours de la décision historique de la Banque européenne d’investissement de ne plus financer les énergies fossiles, l’Assemblée nationale a décidé le 15 novembre de maintenir les aides à l’export aux secteurs du pétrole et du gaz. Les perspectives de production de gaz, de pétrole et de charbon d’ici à 2030 excèdent très largement les objectifs de l’accord de Paris sur le climat, alertent les Nations unies dans un rapport publié mercredi 20 novembre. D'après Marie-Noëlle Bertrand les 19 et 20 Novembre 2019 pour l’Humanité. Lire aussi Le méthane croit de manière alarmante dans l’atmosphère, COP 21 + 3 ans : les banques françaises toujours au charbon et Climat : les banques continuent de financer les énergies fossiles.
La France, championne du monde du climat, voit-elle d’un mauvais œil la révolution verte de sa propre finance publique ? Au lendemain de la décision historique de la Banque européenne d’investissement (BEI) de ne plus soutenir les projets liés aux énergies fossiles, l’Assemblée nationale a refusé pour sa part de mettre fin aux aides à l’export consacrées aux filières du gaz et du pétrole.
Le rejet est intervenu vendredi, dans le cadre de la discussion sur le projet de loi de finances. Pire, souligne Delphine Batho, députée de gauche non affiliée et ex-ministre de l’Écologie : en contradiction totale avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat, le Parlement « a même rouvert la possibilité d’accorder une garantie de l’État à certains investissements dans des centrales à charbon ».
Les discours ambiants ne laissaient pourtant pas penser qu’il en irait ainsi. La veille, jeudi 14 novembre, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, s’était empressé de saluer la décision sans précédent de la BEI. La plus grande banque publique au monde venait d’acter, avec l’appui de la France, le fait que, à compter de 2022, elle ne financera plus aucun projet industriel impliquant des combustibles fossiles, qu’il s’agisse de charbon, de gaz ou de pétrole. « Nous lancerons la stratégie d’investissement climatique la plus ambitieuse de toutes les institutions financières publiques quelles qu’elles soient », assurait dans la foulée Werner Hoyer, son président, promettant également d’aligner, dès 2020, l’ensemble des activités de la BEI sur l’accord de Paris.
« Une décision historique, qui constitue la première étape vers la création de la Banque européenne du climat, proposée par le président Macron », avait instantanément commenté le ministre Français de l’Économie.
« C’est une victoire importante pour le mouvement climatique »
Il n’a pas été le seul à s’en réjouir, quand ce revirement de la BEI répond à une revendication de longue date de plusieurs ONG. « C’est une victoire importante pour le mouvement climatique », a ainsi réagi Colin Roche, de Friends of the Earth. En creux, se dessinait la perspective que la décision de la BEI inspire les institutions financières nationales. « Si le gouvernement français (en) a été le moteur », notait ainsi dans les colonnes de Libération Cécile Marchand, chargée de campagne climat aux Amis de la Terre-France, « il s’agit maintenant d’être cohérent et d’en faire de même (…) à travers les aides à l’export, discutées actuellement dans le cadre du projet de loi de finances 2020. »
L’espoir n’était pas sans fondement : en septembre, face à l’ONU, Emmanuel Macron avait affirmé vouloir aller dans ce sens. Une fois n’est pas exception, les actes n’ont pas suivi.
Vendredi après-midi, Delphine Batho a présenté un amendement visant à mettre fin aux aides à l’export pour toutes les énergies fossiles, gaz et pétrole inclus. Pour l’heure, le PLF, via son article 68, ne prévoit de mettre fin qu’aux seules aides accordées au charbon, au gaz de schiste ou au pétrole bitumineux. Or, rappelle la députée, aucun dossier de ce type n’est en cours devant BpiFrance, la nouvelle agence française de crédit à l’exportation. « L’article 68 n’apporte donc rien. » Des mesures ciblant plus largement l’ensemble des combustibles fossiles auraient en revanche pu peser dans la balance climatique. « Au cours des dix dernières années, la France a consacré 9,3 milliards d’euros au financement de garanties de l’État en faveur de projets d’extraction de pétrole ou de gaz à l’international », rappelle encore Delphine Batho. Et de citer, singulièrement, les 311 millions d’euros accordés en 2009 à la création d’une usine de liquéfaction de gaz au Yémen pour des sous-traitants de Total.
Son argument s’est vu rejeté sèchement par Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès de Bruno Le Maire. La majorité parlementaire a suivi. Celle-ci a en revanche retenu un sous-amendement au même article 68 visant, cette fois, à assouplir la fin des aides à l’export au charbon, excluant de ces interdictions certaines technologies telles que celles de capture et stockage du CO2.
Au niveau mondial, la production de combustibles fossiles a atteint un niveau record
À quelques semaines de la prochaine conférence de l’ONU sur le climat – la COP25, qui démarrera le 2 décembre à Madrid –, le rapport inédit que relaie aujourd’hui le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) a de quoi interpeller. Partis comme ils sont partis, les gouvernements s’apprêtent, dans leur ensemble, à excéder amplement la production de gaz, de pétrole et de charbon par rapport à ce qu’il conviendrait pour être dans les clous de l’accord de Paris sur le climat adopté en 2015. Et ce n’est pas peu dire.
Additionnés les uns aux autres, les plans nationaux prévoient, d’ici à 2030, de produire environ 50 % de combustibles fossiles en plus qu’il n’est possible de le faire pour limiter le réchauffement climatique à 2 °C, soit l’objectif le moins ambitieux issu de la COP21. Si l’on se réfère à son objectif le plus téméraire – celui de limiter le réchauffement à 1,5 °C maximum –, la surproduction planifiée est encore plus éloquente : le monde, globalement, a d’ores et déjà prévu d’extraire du sous-sol 120 % de combustibles fossiles en trop d’ici à 2030. Autrement dit, en dépit des alertes aujourd’hui partagées, les États les plus producteurs mais aussi ceux les plus consommateurs d’énergies fossiles continuent de mener la planète vers la fournaise.
2019 paraît être en ce sens une année type. Quatre ans après l’adoption de l’accord de Paris, « la production de combustibles fossiles mondiaux a atteint un niveau record », souligne le rapport, opportunément baptisé Production Gap Carbon (littéralement : Écart de production carbone) et coproduit par le Pnue et plusieurs organisations internationales, think tanks économiques ou scientifiques. Le charbon, le pétrole et le gaz naturel « demeurent les sources d’énergie dominantes, représentant 81 % de l’approvisionnement total en énergie primaire », poursuit-il, citant l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Ces combustibles sont, de loin, les principaux responsables des bouleversements climatiques, rappelle-t-il encore, représentant plus de 75 % des émissions de gaz à effet de serre globales et près de 90 % des seules émissions de dioxyde de carbone (CO2).
La poursuite d’investissement dans les hydrocarbures épinglée
« Ce rapport montre pour la première fois à quel point l’écart est important entre les objectifs de Paris et les politiques des pays en matière de production », souligne Michael Lazarus, auteur principal de l’étude et directeur du Stockholm Environment Institute’s US Center. Certes, d’autres analyses, réévaluées chaque année depuis 2009 par le Pnue, avaient déjà contribué à mettre en évidence l’écart entre objectifs et émissions de gaz à effet de serre. Mais ce premier bilan des perspectives de production s’avère encore plus inquiétant, souligne le Pnue.
Pour les réaliser, le Production Gap Report a comparé les données économiques rendues publiques par les États aux scénarios mis en avant par le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat). Celles concernant le charbon restent les plus inquiétantes – les pays prévoient d’en sortir 150 % de plus en 2030 que le niveau compatible avec une limitation du réchauffement à 2 °C, et 280 % de plus que ce qui serait compatible avec une limitation du réchauffement à 1,5 °C. Mais le pétrole et le gaz sont eux aussi en bonne voie pour exploser le bilan carbone planétaire, dont la production pourrait, en 2040, excéder de 40 % à 50 % ce qu’il convient de faire pour ne pas réchauffer l’atmosphère au-delà de 2 °C.
Le rapport met directement en cause la poursuite des investissements dans les infrastructures, tellement massifs qu’ils « bloquent », en quelque sorte, toute perspective de renoncer aux hydrocarbures pendant encore de très nombreuses années. Les financements publics sont singulièrement pointés du doigt. « De nombreux gouvernements financent la production de combustibles fossiles par l’intermédiaire des institutions de finances publiques (…) telles que les banques nationales, bilatérales et multilatérales de développement et des agences de crédit à l’exportation. » Avis à la France, qui, le 15 novembre, a reconduit la possibilité d’accorder des aides à l’export au gaz et au pétrole.
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