Plusieurs études scientifiques identifient les priorités en matière de sauvegarde du vivant d’ici à 2030, en prévision de la Conférence des parties (COP) de la Convention des Nations unies sur la biodiversité en 2021. D’après United Nations Convention on Biological Diversity et Perrine Mouterde pour Le Monde, septembre-octobre 2020. Lire aussi « Nous dépendons fondamentalement de la diversité du vivant » et La Convention sur la Diversité Biologique CDB - COP14 constate l’échec des objectifs fixés en 2010.
Protéger 30 % (voire 50 %) de la planète d’ici 2030 - telle est l’ambition qui semble se dessiner en matière de conservation de la nature. Le projet de cadre mondial qui doit être négocié lors de la 15e édition de la Conférence des parties (COP) de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique prévue à Kunming en Chine en 2021, dont la version actualisée a été publiée le 1er septembre, affiche cet objectif. « J’invite tous les Etats à rejoindre la coalition [menée par la France et le Costa-Rica] qui vise la protection de 30 % des espaces terrestres et maritimes », a lancé le président Emmanuel Macron lors du sommet de l’ONU sur la biodiversité fin septembre.
S’il s’impose progressivement, ce chiffre de 30 % relève du consensus politique davantage que de fondements scientifiques, des chercheurs appelant plutôt à protéger la moitié de la planète. C’est le cas du célèbre biologiste américain Edward O. Wilson, considéré comme le père de la notion de « biodiversité » et qui a publié en 2016 l’ouvrage Half-Earth (« la moitié de la Terre », WW Norton & Co, 2006, non traduit). Les aires protégées, des espaces géographiques définis, reconnus et gérés pour assurer à long terme la conservation de la nature, demeurent la pierre angulaire des politiques visant à enrayer l’érosion de la biodiversité. « La nécessité de protéger la moitié de la planète est actée d’un point de vue scientifique mais au plan politique, beaucoup de pays trouvent que 30 %, c’est déjà trop », précise Thierry Lefebvre, du programme « Aires protégées » de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN).
ACTUALISATION DU PROJET INITIAL DE CADRE MONDIAL DE LA BIODIVERSITÉ POUR L'APRÈS-2020 - ONU, Convention pour la Biodiversité, août 2020.
Une étude publiée le 4 septembre dans la revue Science Advancesavance, elle aussi, le chiffre de 50 %. L’équipe de chercheurs, menée par l’ONG américaine Resolve, a cartographié les différentes aires à protéger afin de résoudre à la fois les crises climatique et de la biodiversité, en les classant en différentes catégories : celles où vivent des espèces rares (les préserver nécessiterait de protéger 2,3 % de terres supplémentaires), les zones de forte biodiversité (6 %), les habitats des grands mammifères (6,3 %), les espaces sauvages (16 %) et les zones propices à la stabilisation du climat (4,7 %).
« Protéger 50 % de la planète permettrait de constituer un “filet de sécurité global” pour résoudre les deux défis existentiels de notre époque, explique Eric Dinerstein, le principal auteur de cette étude et directeur du programme biodiversité à Resolve. Mais le chiffre de 30 % est néanmoins un bon début. »
Il y a dix ans, à l’issue des négociations d’Aichi au Japon, la communauté internationale s’était engagée à protéger 17 % des terres et 10 % des mers d’ici à 2020. Sur les vingt objectifs adoptés à l’époque, c’est l’un des rares à avoir connu des progrès notables. Entre 2010 et 2019, la couverture des aires protégées est passée de 14,1 % à 15,3 % des terres et de 2,9 % à 7,5 % des mers. En s’appuyant sur le bilan d’Aichi, une étude publiée dans Nature mercredi 7 octobre dresse les priorités pour la prochaine décennie. « Nous sommes à un moment charnière, explique Victor Cazalis, l’un des auteurs de ces travaux et doctorant de l’université de Montpellier au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive. On s’est beaucoup focalisé sur l’objectif quantitatif d’Aichi, mais il y a aussi des dimensions qualitatives importantes. »
D’abord, les aires protégées doivent être représentatives des espèces et des écorégions – des zones écologiquement homogènes en termes d’habitats et d’espèces. Aujourd’hui, moins de 22 % des espèces menacées d’extinction sont protégées de façon adéquate – c’est-à-dire qu’une proportion suffisante de leur aire de répartition est protégée. Sur les 15 000 « zones-clés pour la biodiversité », environ un tiers n’était pas couvertes par les aires protégées en 2019. « Depuis dix ans, les aires protégées ont été créées en fonction de leur faible coût pour l’activité humaine plutôt que pour un gain réel en matière de biodiversité, souligne Victor Cazalis. Les zones où il y a le plus de poissons, par exemple, ont été trois fois moins protégées que les zones moins riches en biodiversité. »
Derniers espaces sauvages
Au-delà de ces espaces, de plus en plus de voix appellent à protéger en priorité les derniers espaces sauvages ou quasi sauvages de la planète. Fin 2016, la revue Current Biology rappelait que ces zones sont essentielles pour la protection des espèces menacées, pour le stockage du carbone mais aussi pour réguler les climats locaux. « Malgré la myriade d’atouts des zones de nature sauvage, celles-ci sont presque entièrement ignorées dans les accords multilatéraux car elles sont supposées être relativement à l’abri des menaces », écrivaient les chercheurs.
Aujourd’hui, cette vision est en train de changer. « Certains pensent qu’il faut d’abord préserver la biodiversité là où elle est la plus menacée et d’autres ont une approche plus préventive, en insistant sur le fait qu’il faut anticiper de nouvelles pressions par exemple en Sibérie ou dans les pôles, explique Thierry Lefebvre. En réalité, nous avons besoin de combiner ces deux approches. »Selon une étude publiée dans One Earth le 18 septembre, 1,9 million de km2 – soit environ la superficie du Mexique – de terres intactes ont été « fortement modifiées » entre 2000 et 2013.
La protection des zones permettant de séquestrer et de stocker du carbone telles que les forêts primaires, les prairies, les tourbières ou les océans – qui se superposent en partie aux espaces intacts ou à forte biodiversité – apparaît également cruciale.
Ces études récentes insistent sur un dernier point : l’importance de créer des corridors afin que toutes ces aires protégées soient reliées entre elles. Une dimension encore largement ignorée et pourtant d’importance majeure pour permettre la migration des espèces, notamment en période de dérèglement climatique.
L’ONG Resolve propose d’utiliser le « défi de Bonn », une initiative visant à restaurer 350 millions d’hectares de terres dégradées et déboisées d’ici à 2030, pour constituer ces corridors. « On a tendance à protéger les espèces les unes après les autres, de façon séparée, mais ces espèces se déplacent, il faut que l’évolution puisse se poursuivre, insiste Thierry Lefebvre. Au-delà des chiffres, l’un des enjeux est de penser de façon systémique pour bâtir un réseau d’aires protégées connectées, efficaces et fonctionnelles. »
« Il ne faut pas oublier que l’objectif, ce n’est pas de créer des aires protégées, c’est bien d’empêcher le déclin des espèces et des écosystèmes, ajoute Victor Cazalis. Il faut que l’on ait une approche qui se focalise sur les résultats. » Pour cela, il faudra accroître les moyens financiers et humains alloués au fonctionnement des aires protégées, alors que seules 11 % d’entre elles ont déclaré avoir un système d’évaluation de la qualité de leur gestion. « L’action la plus efficace est de renforcer et de financer les peuples autochtones pour qu’ils protègent leurs terres, pointe aussi Eric Dinerstein, car 37 % de notre “filet de sécurité” se trouvent sous leur juridiction. Ils ont un rôle crucial à jouer.
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