À Dijon, le groupe de militants écologistes appelle les habitants à faire pousser chênes, merisiers, bouleaux... partout où c’est possible, sans demander d'autorisation. 43 millions d’hectares de forêts ont disparu entre 2004 et 2017, dans 24 régions du monde, selon le rapport de l’ONG WWF. D’après Lucas Martin-Brodzicki pour l’Humanité, WWF et Martine Valo pour Le Monde le 13 janvier 2021. Lire aussi Les forêts françaises attaquées par la sécheresse, Face aux méga-feux, la forêt, un commun à préserver, À Romainville, les habitants défendent une forêt sauvage contre une base de loisirs régionale, Les forêts françaises ne sont pas à vendre ! et Notre forêt publique est malade de sa course à la rentabilité et La forêt urbaine de la Corniche des Forts - une chance unique à nos portes.
En seulement trois ans, Elzéard Bouffier aura réussi à planter une forêt de 100 000 troncs. C’est du moins ce que raconte le berger solitaire à son interlocuteur dans L’homme qui plantait des arbres, de Jean Giono. Illustration poétique des vertus sylvestres, la nouvelle de l’écrivain n’en reste pas moins une invitation à l’afforestation.
« Branche arbrée du Giec »
Boiser partout où c’est possible, c’est aussi l’ambition du collectif citoyen Plantation Rebellion. Le 1er janvier, Dijon s’est réveillée un peu plus verte, sous l’impulsion de cette bande d’écologistes à l’humour bien trempé. Plantation Rebellion, référence au mouvement international de désobéissance civile Extinction Rebellion, se définit comme la « branche arbrée du Giec » (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Armés de pelles, visages masqués, ses membres ont planté 300 arbres à travers la ville, le 31 décembre avant 20 heures et le lendemain au petit matin, couvre-feu oblige.
« Il suffit de faire un trou, mettre le plant dedans, pailler, installer un tuteur et une protection en bambou. Les arbres font moins de 50 cm de haut, il faut qu’ils soient visibles pour les protéger des tondeuses. Mais la technique est rudimentaire », raconte Dominique (1), l’une des participantes. Les activistes disent avoir mutualisé l’argent prévu pour leur repas du réveillon afin d’acquérir des plants forestiers, estimant « bien plus utile, pour fêter la nouvelle année avec l’espoir qu’elle soit meilleure, d’afforester que de réveillonner ». Au total, plus de 1 800 euros ont été dépensés, facture à l’appui.
Essences essentielles
Chêne sessile, merisier, bouleau verruqueux, alisier torminal, arbre à perruques… aucune de ces essences forestières n’a été choisie au hasard. Certaines sont vouées à devenir des arbres de haute futaie dits dominants et d’autres, des arbres moyens dits dominés. Quelques arbustes parsèment le tout. Un équilibre indispensable pour favoriser l’installation d’insectes et d’oiseaux, et pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique.
« Un arbre est un puits de carbone. Plus on en plantera, plus la captation de CO2 sera efficace. Mais cela ne sert à rien d’avoir des monocultures, il faut de la diversité », détaille Ludovic (les prénoms ont été modifiés), par ailleurs très au fait des débats sur la gestion forestière. Le militant rêve de voir la France se transformer en un corridor écologique géant, où « un écureuil pourrait traverser le pays de branche en branche. C’est une image, évidemment, mais aussi un moyen d’alerter les urbanistes sur le manque de place pour la forêt en ville ».
« Mouvement positif »
Plantation Rebellion n’a pas attendu d’autorisation pour planter les bosquets. Ses membres revendiquent ce mode d’action clandestin, les espaces afforestés appartenant à la commune. « Nous ne faisons rien d’illégal pour autant, c’est un mouvement positif et non violent », se défend Ludovic. Selon lui, les terrains sont susceptibles d’être boisés, alors qu’ils sont aujourd’hui enherbés et régulièrement tondus par les agents municipaux. Le mouvement dit d’ailleurs placer ses plantations « sous la sauvegarde des citoyens et des associations locales de protection de la nature ».
Un changement de stratégie réfléchi, neuf mois après leur première action. Le 7 mars 2020, quelques jours avant le premier tour des élections municipales, Plantation Rébellion plantait clandestinement quarante plants au Lac Kir pour interpeller les politiques. « Nous vous informons de notre action clandestine, écologique et citoyenne d’afforestation sur le Lac Kir de Dijon du samedi 7 mars 2020. Nous comptons sur vous pour veiller et protéger cette jeune forêt, oh combien indispensable pour répondre à la crise climatique. (…) Êtes-vous prêt à protéger cette jeune forêt même si vous n’êtes pas à l’origine de cette plantation ? En effet cette plantation s’intègre parfaitement dans les engagements écologiques des listes candidates à la mairie de Dijon. »
Une revendication de l’afforestation clandestine et légitime signée Citoyennes et citoyens du mouvement mondial PLANTATION REBELLION l’accompagnait, « l’idée [étant] de faire vivre le débat sur la végétalisation de la ville. Mais personne ne nous a répondu », regrette Ludovic.
Graines de la discorde
La réponse est arrivée en novembre, lorsque François Rebsamen, réélu maire de Dijon pour la quatrième fois le 28 juin 2020, a jugé les arbres « morts ». « Je suis curieux, je suis allé les voir moi-même. Il ne restait que des petites brindilles. Lorsqu’on plante des arbres, on ne fait pas ça en mars, mais en hiver. D’une certaine manière, ils ont écouté mes conseils avec leur plantation du Nouvel An », dit un brin railleur l’édile à l’Humanité. Il conteste en revanche fermement les accusations d’arrachage des plants. « D’un point de vue forestier, il aurait fallu attendre le printemps suivant pour s’assurer que les arbres étaient effectivement morts. Ils perdent leurs feuilles mais les racines peuvent rester vivantes et actives », rétorque Ludovic. En outre, il constate, tout comme Dominique, une multiplication des projets immobiliers, alors que « les espaces naturels se réduisent comme peau de chagrin ».
De son côté, François Rebsamen rappelle que la ville et la métropole, dont il est président, agissent en faveur de la biodiversité. Six cents arbres cette année pour Dijon, un verger urbain inauguré début décembre, une « forêt des enfants » dans laquelle la métropole plante un arbuste pour chaque naissance… Surtout, l’ex-ministre socialiste du Travail (2014-2015) coupe court aux reproches concernant sa politique d’aménagement. « Il y a 8 000 demandes de logement non satisfaites aujourd’hui. Il faut qu’on densifie, c’est un choix assumé. Nous pourrions grignoter des terres agricoles, mais ce n’est pas souhaitable. »
Au-delà des désaccords locaux, le collectif souhaite surtout montrer l’exemple. Devenir un mouvement mondial, à en croire Dominique. « Des contacts avec d’autres régions ont été établis. Nous ne sommes pas propriétaires de l’idée, au contraire. Le but, c’est que les gens apprennent à redevenir puissants. » Et à planter leur « pin » quotidien.
Les fronts de la déforestation se multiplient
Déforestation (en millions d’hectares). En noir, la perte de couvert forestier, et en bleu la perte nette de forêts (différence entre la déforestation et le reboisement). WRI
Les fronts de la déforestation se multiplient et s’étendent, alerte le Fonds mondial pour la nature, le WWF. La Terre, qui était couverte à 50 % de forêts il y a huit mille ans, ne l’est plus qu’à 30 %. Non seulement de nouvelles zones soumises aux incendies et aux défrichements apparaissent en Afrique – au Liberia, au Ghana, à Madagascar – et en Amérique latine – notamment au Mexique et au Guatemala –, mais la destruction des jungles, forêts primaires ou sèches, savanes arborées s’accélère partout sur la planète.
Dans un rapport rendu public mercredi 13 janvier, l’ONG recense et analyse les vingt-quatre principaux fronts dans trente pays. Cinq ans après leur précédente analyse, la situation s’est encore dégradée : à eux seuls, ces vingt-quatre fronts menacent un cinquième des forêts tropicales du monde. Ces régions ont perdu, entre 2004 et 2017, au moins 43 millions d’hectares, soit plus de 10 % de leurs couverts forestiers. Près de la moitié (45 %) des superficies arborées restantes sont dorénavant fragmentées par des routes ou d’autres infrastructures, ce qui les fragilise et les rend plus vulnérables aux feux et au changement climatique. L’Amérique latine, Madagascar, Sumatra et Bornéo pour l’Asie du Sud-Est figurent parmi les zones les plus affectées.
« La tendance n’est pas bonne, constate Véronique Andrieux, directrice générale de WWF France. Malgré tous les traités internationaux, malgré les nombreux engagements “zéro déforestation” pris par de grandes entreprises, la perte de forêts n’a pas été stoppée ni encore moins inversée par rapport à notre précédent bilan de 2015. Or, cela vaut la peine de rappeler que parmi tous les services environnementaux qu’elle nous rend, la forêt peut protéger les humains des zoonoses [infections transmises de l’animal à l’homme]. » Entre la pandémie de Covid-19 et les multiples rendez-vous internationaux consacrés au sauvetage de la biodiversité, 2021 se présente comme « une année absolument cruciale », affirme-t-elle.
Agriculture, exploitation minière
L’agriculture reste le moteur essentiel de l’avancée de terres défrichées de plus en plus profondément dans des espaces naturels. Longtemps préservés, ces havres servent d’habitats à de multiples espèces, mais aussi à des virus. Ce secteur supplante l’impact de l’exploitation des ressources minière et du bois – qu’il s’agisse d’exporter cette ressource ou de fournir les populations locales en combustible de chauffage.
Les palmiers à huile plantés au cordeau dans des exploitations à perte de vue, les pâtures gigantesques obtenues après des feux géants pour abriter des troupeaux de bœufs, des kilomètres carrés de parcelles de soja destiné au secteur des agrocarburants : tous ces moteurs de conversion des espaces naturels sont désormais connus.
Spéculation et corruption
Mais, sous l’effet de la progression démographique, les cultures commerciales de taille réduite, voire seulement vivrières, contribuent aussi désormais à ronger les lisières des forêts, en Afrique, en particulier. Dès qu’une route est ouverte dans la jungle, des paysans en manque de terres viennent y semer légumes, céréales ou planter un ou deux cacaoyers, comme au Ghana et en Côte d’Ivoire où l’appétit des pays développés pour le chocolat a dévasté l’essentiel des forêts, jusque dans les parcs nationaux.
La spéculation foncière, la corruption des élites locales, l’économie souterraine, les variations des cours des marchés de matières premières : tous ces éléments influent sur l’évolution de la déforestation. Les données officielles indiquent, par exemple, que la perte de la jungle en Indonésie était supérieure à 1 million d’hectares par an au début des années 2000, ainsi qu’en 2014-2015, après être descendue sous la barre des 500 000 hectares par an de 2009 à 2011.
Des solutions adaptées aux contextes locaux
Les données satellitaires qui nourrissent l’analyse du WWF confirment l’extension vertigineuse de l’agriculture industrielle dans le Gran Chaco, une région qui s’étend entre le Brésil, l’Argentine, la Bolivie et le Paraguay. Cette évolution a suivi le moratoire de 2006 accepté par les négociants brésiliens sur toute parcelle de soja récemment gagnée sur les terres d’Amazonie. La production s’est depuis rapidement étendue vers le sud. C’est une des limites de la conservation des espaces naturels.
Sans surprise, le rapport indique qu’il n’existe pas d’approche universelle du problème. Au-delà des réponses évidentes comme l’instauration d’aires protégées, il prône des solutions multiples, intégrées, adaptées aux contextes locaux, alliant incitation et contrôle. Et plaide avec insistance pour « l’affirmation des droits des peuples autochtones et des communautés locales [qui] doit devenir une priorité ».
Le respect de leurs terres ancestrales et de leurs cultures ne pèse pas lourd devant une opération d’extension agricole ou une nouvelle exploitation de mine. Il arrive même parfois qu’un projet intransigeant de conservation d’espèces sauvages contribue à chasser ces populations de leurs forêts.
Rôle déterminant des choix des investisseurs financiers
Les auteurs du rapport soulignent le rôle déterminant des choix des investisseurs financiers en faveur de tel ou tel type d’utilisation des terres. Il est de la responsabilité des acteurs financiers d’atténuer les risques de conversion d’espaces naturels, et de celui des politiques publiques de s’efforcer de résoudre les conflits qui en découlent. Payer les agriculteurs pour la préservation ou la compensation de la biodiversité peut constituer une réponse, à condition que le programme soit de grande ampleur et durable.
La lutte contre la déforestation importée ne peut se contenter de réponses territoriales, elle passe aussi par des changements profonds dans les négoces internationaux des matières premières. La France s’est positionnée comme pionnière dans cette approche, mais sa stratégie n’aura d’impact qu’à une échelle insuffisante.
Lors du One Planet Summit qui s’est tenu à Paris, en grande partie par visioconférence, à l’invitation d’Emmanuel Macron, lundi 11 janvier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a confirmé qu’une initiative en ce sens devrait être présentée cette année. Pour Véronique Andrieux, l’enjeu de la déforestation est tel qu’il faut faire plus : « C’est notre économie, nos systèmes alimentaires et notre mode de développement qu’il faut changer. »
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