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8 avril 2021 4 08 /04 /avril /2021 09:31

Gouverner la transformation énergétique - 2ème partie de cette étude à la riche dimension historique et géostratégique. Jorge E. Viñuales revient sur les dimensions multiples de ce vaste processus de transformation qui s’exprime de plus en plus par le droit. Une initiative visant à tracer des lignes de front (juridiques), à comprendre leur configuration politique plus profonde, à établir des priorités d’action et, sur cette base, à définir une politique juridique étrangère claire et cohérente est nécessaire, voire urgente pour de nombreux pays, et pour l’Union européenne tout particulièrement. Ce texte d’après son livre The International Law of Energy, à paraître en 2021 chez Cambridge University Press, a été traduit par Hugo Pascal et publié le 19 mars 2021 par Le Grand Continent. Lire Géopolitique de la transition énergétique (1ère partie), et aussi Penser une sortie vertueuse de l’âge moderne, Pourquoi ne pas investir dans des usines photovoltaïques plutôt que dans de nouveaux EPR ? et Aux origines climatiques des conflits.

La Coopérative Electrons solaires a mis en service le 10 février 2020,117 panneaux photovoltaïques pour produite 36 MWh/an sur l'école Waldeck-Rousseau aux Lilas.

La Coopérative Electrons solaires a mis en service le 10 février 2020,117 panneaux photovoltaïques pour produite 36 MWh/an sur l'école Waldeck-Rousseau aux Lilas.

4. Gouverner la transformation énergétique

4.1 Les « lignes de front » juridiques

Dans les changements de pouvoir décrits dans les paragraphes précédents, le droit international (et le droit en général) est un « champ de bataille » essentiel. Le vaste processus de transformation de l’énergie peut être particulièrement turbulent d’un point de vue juridique. À l’heure actuelle, il est important d’identifier, avec un certain degré de spécificité, les principales « lignes de front » juridiques où la concurrence géopolitique trouve son expression en termes juridiques. Cette identification est un point de départ nécessaire pour une stratégie juridique systématique, une « politique juridique étrangère »39, à développer en ce qui concerne la géopolitique de la transformation énergétique et pour explorer les voies adéquates de coopération internationale.

Dans les paragraphes suivants, je fournis quelques illustrations choisies dans différents contextes juridiques. Ces exemples peuvent être regroupés en trois grandes catégories, à savoir l’utilisation du droit international, en relation avec : les tensions découlant du contrôle des ressources ; les défis de la transformation énergétique et la stabilité des politiques de soutien aux énergies renouvelables.

4.2 Contrôle des nouvelles ressources

Les luttes pour le contrôle des ressources clés qui sous-tendent la transition énergétique ont trouvé leur expression dans toute une série de contextes juridiques internationaux.

Une série de litiges concerne la position dominante de la Chine en tant que principal fournisseur mondial d’un large éventail de matières premières critiques et non critiques. Même lorsque certaines matières premières ont d’autres fournisseurs importants, la Chine joue souvent un rôle majeur dans les étapes ultérieures de leur chaîne d’approvisionnement, telles que le traitement des matériaux et/ou le développement de composants et/ou les assemblages. Plus une chaîne d’approvisionnement pour une matière première donnée est dominée par un pays, plus le risque de blocages potentiels et de perturbations des flux est élevé. D’où l’importance de la réglementation des exportations.

Les trois principales affaires portées devant les organes de règlement des différends de l’OMC dans ce domaine concernent les mesures à l’exportation, et elles ont été déclenchées par des plaintes émanant soit des États-Unis, dans China – Raw Materials40 et China – Rare Earths41, soit de l’UE, dans China – Duties on Raw Materials42. Les matériaux en jeu dans chaque cas comprennent certains qui sont des intrants clés des technologies de transition énergétique, comme le silicium métallique et l’indium (pour les panneaux solaires photovoltaïques), les terres rares (pour l’énergie éolienne et les véhicules électriques), et le cobalt et le graphite (pour les batteries).

Cependant, on ne peut pas dire que les litiges sont uniquement liés à la transition énergétique, étant donné l’ensemble plus large de matériaux concernés et leur application beaucoup plus large au-delà des technologies de transition énergétique. Par exemple, le molybdène, métal en jeu dans China – Rare Earths, est surtout utilisé en métallurgie pour fabriquer des alliages métalliques destinés à toute une série d’usages, notamment les foreuses, les moteurs à réaction et les turbines de production d’énergie. Dans l’industrie chimique, le molybdène est également utilisé comme catalyseur pour le traitement du pétrole. Le spath fluor, en jeu dans l’affaire China – Raw Materials, est utilisé pour les batteries mais aussi pour la production d’aluminium et dans l’industrie chimique pour produire du fluorure d’hydrogène, une matière première pour les réfrigérants, l’essence, les plastiques et les herbicides, entre autres applications.

La même mise en garde s’applique à certaines demandes d’investissement étranger découlant de projets miniers relatifs à certaines matières premières critiques et non critiques. Dans trois d’entre elles (Stans Energy v. Kirghizistan43 ; Cortec v. Kenya44 et l’avis de différent déposé par Montero Mining contre Tanzania45), l’exploitation minière des terres rares a occupé une place importante. Mais souvent, l’accent mis sur les intrants métallurgiques, tels que le molybdène (Metal-Tech v. Ubekistan46 ; Montero Mining v. Tanzania) ou le manganèse (Nabodaya Trading v. Gabon47), brouille considérablement le lien entre le litige et la transition énergétique. Dans tous les cas, cependant, la transaction sous-jacente illustre la recherche de nouveaux gisements de ces matériaux dans des pays (par exemple, le Kenya, le Kirghizstan, la Tanzanie, l’Ouzbékistan) autres que les principaux fournisseurs, principalement la Chine (pour les terres rares et le molybdène).

Une analyse plus détaillée de ces litiges et peut-être de nombreux autres pourrait mettre en évidence une autre manifestation de la transition énergétique au niveau des litiges miniers. À titre d’illustration, fin 2018, un litige est apparu entre le Chili et un investisseur américain, Albemarle Corp ALB.N, concernant le prix réduit offert par ce dernier aux entreprises produisant des métaux pour batteries au Chili. Le lithium est un élément clé de la production de batteries et tant le Chili qu’Albemarle sont des acteurs mondiaux majeurs dans la chaîne d’approvisionnement du lithium. Le Chili a menacé d’introduire une demande d’arbitrage commercial pour faire appliquer les termes d’un accord de 2016, qui exigeait le prix réduit, mais finalement le litige a été géré par le biais de négociations48. Pourtant, en 2020, les tensions sont réapparues, cette fois-ci d’une manière qui révèle plus clairement les profondes implications géopolitiques de tels litiges. Comme l’a fait remarquer un commentateur : «  La querelle aux enjeux élevés survient alors qu’Albemarle s’efforce d’augmenter la production au Chili et de prendre le contrôle de Greenbushes en Australie, la plus grande mine de lithium au monde, afin de répondre à une demande qui devrait tripler pour le métal clé des batteries d’ici 2025, les constructeurs automobiles produisant davantage de véhicules électriques  »49. Les réserves de lithium sont fortement concentrées en Amérique du Sud, dans le «  triangle du lithium » (Argentine, Bolivie et Chili), suivi par l’Australie et la Chine50. Un litige comme celui-ci et le régime juridique qui lui est applicable ont donc une importance plus large pour la transition énergétique, et donc pour la transformation énergétique également.

Une dernière illustration est fournie par le régime de l’exploitation minière des grands fonds marins, c’est-à-dire l’exploitation de la « Zone », plus précisément des fonds marins et du sous-sol au-delà de la juridiction nationale51. Les principales cibles sont les nodules polymétalliques (PMN), les encroûtements de ferromanganèse riches en cobalt (CFC) et les sulfures massifs des fonds marins (SMS), qui contiennent toute une série de matériaux critiques et non critiques allant du cobalt, du manganèse, du nickel et du tungstène au lithium, au germanium, au molybdène et aux terres rares utilisées dans les batteries, les technologies d’énergie renouvelable et les véhicules électriques. L’extraction de ces ressources est coûteuse, dangereuse et nuisible à l’environnement. Toutefois, l’importance géopolitique croissante de certains des minéraux présents dans la Zone a stimulé les investissements dans cette activité52.

4.3 Remettre en question la transformation énergétique

Les défis de la transformation socio-économique induite par la transition énergétique révèlent toute une série de potentialités des institutions juridiques existantes, tant internationales que nationales, qui apparaissent ainsi comme des lignes de front particulièrement pertinentes dans ce processus.

Le débat sur la compatibilité commerciale des subventions aux combustibles fossiles d’une part et aux énergies renouvelables d’autre part en est une illustration éclatante. Selon une étude de l’IRENA53, le total des subventions énergétiques directes (transferts financiers) aux combustibles fossiles, aux énergies renouvelables et à l’énergie nucléaire s’élevait à au moins 634 milliards de dollars en 2017. Les subventions aux combustibles fossiles s’élevaient à 447 milliards de dollars, tandis que les subventions aux énergies renouvelables représentaient 128 milliards de dollars (pour la production d’électricité) et 38 milliards de dollars (pour les biocarburants). Les externalités négatives non chiffrées des subventions aux combustibles fossiles (effets négatifs causés par les transactions de combustibles fossiles et non pris en charge – internalisés – par les participants aux transactions) se sont élevées à la somme astronomique de 3.100 milliards de dollars la même année, soit 19 fois les subventions aux énergies renouvelables (électricité et biocarburants confondus).

Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à ce que le droit du commerce international favorise l’abandon des subventions aux combustibles fossiles ou, du moins, les place juridiquement et pratiquement sur un pied d’égalité avec les subventions aux énergies renouvelables. Pourtant, les conclusions d’une étude détaillée sur le traitement de ces deux types de subventions dans le cadre du droit du commerce international suggèrent que le droit du commerce international est plus permissif et plus indulgent pour les subventions aux combustibles fossiles que pour les subventions aux énergies renouvelables54. En substance, les subventions aux énergies renouvelables sont plus vulnérables aux contestations en vertu du droit du commerce international parce que les régimes d’aide utilisés sont plus spécifiques (et donc plus « actionnables » dans la terminologie du droit du commerce international) et qu’ils reposent souvent (pour des raisons politiques) sur des exigences de contenu local (LCR)55. En revanche, les subventions aux combustibles fossiles sont ciblées sur les consommateurs et n’introduisent pas de différenciation claire entre les bénéficiaires, ce qui les rend plus difficiles à contester dans le cadre du droit du commerce international existant.

Ces conclusions illustrent comment le droit du commerce international peut non seulement soutenir mais aussi entraver la transformation énergétique, bien que, comme nous le notons, les subventions aux combustibles fossiles aient été abordées dans une certaine mesure dans les négociations d’adhésion à l’OMC57. Dans le cas présent, les différents régimes – en pratique – de subventions aux combustibles fossiles et de certaines subventions aux énergies renouvelables en vigueur suggèrent que certaines règles fondamentales du droit du commerce international (par exemple, la norme de traitement national57, l’interdiction plus spécifique des LCR58 ou l’accord sur les subventions et les droits compensatoires59) sont interprétées de manière à restreindre la politique industrielle, y compris la « politique industrielle verte », c’est-à-dire les politiques adoptées par un État pour fournir un soutien ciblé à certaines industries et certains secteurs afin de réaliser des avantages comparatifs latents60. En revanche, les importantes subventions aux combustibles fossiles accordées par de nombreux États ont été négligées ou ont fait l’objet de droits acquis implicites, ou encore ont été délibérément laissées dans l’incertitude quant à leur réglementation dans le cadre du droit du commerce international.

Une autre ligne de front est illustrée par certaines demandes d’investissement introduites par des entreprises affectées par les politiques de transformation de l’énergie. Il est difficile de déterminer exactement si les mesures en jeu dans les différents litiges visent à poursuivre la transition énergétique ou sont déclenchées par d’autres considérations. Je donne ici deux exemples possibles de ces litiges, qui concernent l’énergie nucléaire et la production d’électricité à partir du charbon. Le premier exemple concerne une longue série de réclamations de l’investisseur suédois Vattenfall contre l’Allemagne en rapport avec des mesures limitant ses activités de production d’électricité à partir du charbon61 et l’abandon progressif de l’énergie nucléaire62.

La première réclamation a été réglée et la seconde est toujours en cours, mais elles reflètent toutes deux l’utilisation de certains instruments juridiques, en l’occurrence les normes de protection des investissements du Traité sur la charte de l’énergie63, pour contester les changements réglementaires au niveau du droit national, européen et international. La demande en cours découle plus précisément de la décision de l’Allemagne de 2011 de mettre fin à l’exploitation nucléaire, suite à l’accident de Fukushima64, qui a fixé à 2022 la date limite pour arrêter tous les réacteurs nucléaires restants, y compris ceux de Vattenfall. Le 29 septembre 2020, la Cour constitutionnelle allemande s’est prononcée en faveur de Vattenfall65, concluant que la clause de compensation de la loi sur la sortie du nucléaire était partiellement inconstitutionnelle et qu’un amendement de cette loi en 2018, requis par une décision de 201666, n’était pas suffisant pour mettre la loi en conformité avec la constitution. Dans sa décision de décembre 2016, la Cour avait estimé que les dates de fermeture fixées en 2011 étaient incompatibles avec le droit de propriété protégé par l’article 14, paragraphe 1, de la Constitution allemande67, notamment parce que la mesure en question ne prévoyait pas de compensation adéquate pour les volumes d’électricité résiduels non utilisés. Hormis certains aspects procéduraux importants, le cœur de la décision réside dans l’appréciation de la proportionnalité. Selon la Cour, la subordination de la compensation pour les volumes d’électricité résiduels non utilisés (électricité invendue à la suite de la fermeture) aux efforts raisonnables déployés par Vattenfall pour vendre cette capacité à une autre société n’était admissible que si les conditions de la vente étaient suffisamment claires, ce qui n’était pas le cas en droit.

Le deuxième exemple illustre plus clairement la manière dont la loi sur les investissements étrangers peut être utilisée pour tenter de récupérer la valeur des actifs qui ont perdu de la valeur en raison de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Il concerne une entreprise américaine d’extraction de charbon, Westmoreland Coal Co. qui, comme d’autres entreprises d’extraction de charbon, a connu des difficultés financières en raison de la transition énergétique68. La plainte69 conteste une politique du gouvernement de l’Alberta, au Canada, axée sur le changement climatique, qui réduit la durée de vie des centrales électriques au charbon et affecte ainsi la rentabilité des mines qui fournissent du charbon aux centrales électriques adjacentes. Il convient de noter que l’investisseur ne semble pas contester la suppression progressive elle-même, mais plutôt la politique de compensation prétendument discriminatoire : « Westmoreland reconnaît et ne conteste pas que le Canada et l’Alberta sont en droit d’adopter des règlements pour le bien public. Toutefois, lorsqu’ils le font, ils doivent être équitables envers les investisseurs étrangers  »70. Il réclame un minimum de 470 millions de dollars, plus les intérêts71. Le litige est en cours et, indépendamment de son bien-fondé, qui sera évalué en temps utile, il illustre très clairement comment les réclamations des investisseurs étrangers peuvent être utilisées spécifiquement pour récupérer des investissements réalisés sans tenir suffisamment compte du rythme rapide de la transformation énergétique. Ce n’est là qu’une des manifestations de ce qui semble être un type émergent de réclamations d’investissement contre les politiques de transformation énergétique72.

4.4 Stabilité des politiques de soutien aux énergies renouvelables

Entre 1972 et 2020, au moins 178 demandes d’investissement étranger ayant une composante environnementale ont été déposées73, sur un total de 1061 litiges connus (conclus et en cours)74. Les réclamations à composante environnementale sont définies comme celles qui découlent de l’activité des investisseurs étrangers (i) sur les marchés environnementaux (par exemple, traitement des déchets, énergies renouvelables, conservation de la nature, etc.) et/ou (ii) dans d’autres activités, lorsque leur impact sur l’environnement fait partie du litige et/ou (iii) lorsque l’application du droit national ou international de l’environnement est en jeu75. Environ 80 % (143) de ces litiges ont été introduits après 2008, et plus de la moitié d’entre eux (76) concernent la transition énergétique, principalement (61) des projets d’énergie renouvelable (solaire, éolienne et géothermique).

La principale question juridique en jeu dans l’écrasante majorité de ces litiges est la difficulté de s’adapter aux conditions changeantes des marchés, comme le marché de la production d’énergie renouvelable, qui n’est pas seulement réglementé mais repose sur un marché construit par la réglementation. Il existe plus de soixante-dix litiges relatifs aux investissements étrangers qui remettent en cause les ajustements du cadre réglementaire des énergies renouvelables dans des pays tels que l’Albanie, la Bulgarie, le Canada, la République tchèque, l’Allemagne, l’Italie, le Kenya, la Roumanie, l’Espagne ou la Tanzanie76, et peut-être beaucoup d’autres qui ne sont pas divulgués. L’étendue géographique des pays confrontés à de tels défis donne une indication de l’ampleur du phénomène.

En dépit de leurs nombreuses différences, la question fondamentale que soulèvent ces litiges est la même. Au lendemain de la crise économique de 2008, alors que les bonnes opportunités d’investissement étaient rares, de nombreuses entreprises mais aussi des intermédiaires financiers ont investi massivement dans des projets d’énergie renouvelable soutenus par des politiques industrielles vertes. Ces politiques étaient considérées comme offrant un retour sur investissement relativement prévisible, sûr et très important, en particulier si on les compare aux alternatives d’investissement moins alléchantes disponibles à l’époque. Le taux de participation a été si élevé que plusieurs pays ont eu du mal à payer les subventions, qui, dans certains cas, ont été perçues comme offrant des bénéfices exceptionnels pour les investisseurs à une époque de restrictions économiques nationales.

Dans un tel contexte, une série de mesures ont été adoptées pour limiter le retour sur investissement à des niveaux plus soutenables. Ces mesures comprenaient des taxes, des prélèvements ainsi que des ajustements du taux tarifaire, du volume et de l’horizon temporel des investissements. Ces mesures ont eu des répercussions sur la rentabilité de nombreux investisseurs, qui ont cherché à s’appuyer sur des accords d’investissement pour récupérer les bénéfices escomptés.

L’issue de ces affaires varie considérablement selon les pays, les mesures, les instruments juridiques invoqués et les circonstances factuelles spécifiques. Dans l’ensemble, cependant, elles fournissent deux indications importantes pour comprendre le lien entre le droit international et la transformation énergétique. Premièrement, les demandes d’investissement étranger sont de plus en plus souvent présentées par des acteurs qui incarnent les secteurs émergents à faible intensité de carbone. Dans la plupart des cas, elles ne concernent pas la légalité, au regard du droit international, de mesures contraignantes pour limiter les externalités négatives de la transaction mais, bien au contraire, elles concernent la protection d’un nouveau type de transaction énergétique contre les fluctuations du cadre réglementaire sur lequel elles reposent.

Cela distingue les litiges relatifs à la transformation énergétique de l’ensemble plus large des litiges relatifs aux investissements ayant des composantes environnementales. Deuxièmement, ces litiges portent essentiellement sur la stabilité des règles qui facilitent l’avènement et la consolidation de la production d’énergie renouvelable et, partant, la demande d’équipements, de technologies et de main-d’œuvre dans ce secteur.

5. Quelques propositions

En guise de conclusion, je voudrais formuler quelques propositions de base découlant des considérations faites dans cet article, qui, je l’espère, pourront intéresser le large cercle des lecteurs de la Revue européenne de droit.

La première conclusion concerne la transformation énergétique en cours. J’ai passé en revue certains des éléments pertinents pour établir si une transformation est en cours et ses multiples facettes. Il est clair que cette transformation est liée à de nombreux facteurs, notamment la « transition » énergétique en tant que processus technologique, mais aussi les dimensions beaucoup plus larges découlant de la dégradation de l’environnement (le changement climatique et ses conséquences), les considérations économiques (par exemple, les risques financiers liés à l’immobilisation des combustibles fossiles) et les impératifs sociaux (tant la demande d’un environnement plus propre que les craintes suscitées par l’ajustement structurel et le chômage dans certains secteurs de la population).

La deuxième conclusion est que ce vaste processus de transformation s’exprime de plus en plus sur le plan juridique. Je me suis concentré dans cet article sur le droit international, étant donné sa pertinence pour la géopolitique mondiale. Les manifestations de la transformation énergétique de ce point de vue sont extrêmement diverses et dispersées dans différents contextes juridiques. Le droit du commerce et de l’investissement est, assez intuitivement, en première ligne, mais il en va de même pour d’autres contextes juridiques, tels que le régime juridique des fonds marins et du sous-sol au-delà de la juridiction nationale. Parmi les nombreux autres domaines qui ne sont pas abordés dans cet article, on peut citer le droit de l’environnement (des négociations sur le changement climatique à la réglementation des émissions du trafic aérien et maritime, en passant par la conservation de la nature et la protection de la biodiversité), mais aussi le respect des droits de l’homme (pour soutenir certaines politiques de transformation de l’énergie, mais aussi pour s’en prémunir), le droit de la concurrence (avec les efforts visant à dissocier l’approvisionnement et le transport de l’énergie), le droit de la propriété intellectuelle (avec l’accélération de la procédure de « brevets verts »), et bien d’autres domaines où la lutte s’exprime.

Tout comme les politiques juridiques étrangères qui ont été développées par une série de pays producteurs et consommateurs en ce qui concerne le pétrole et le gaz à partir des années 1950, une politique juridique étrangère traitant spécifiquement de la transformation énergétique avec ses nouvelles dimensions géopolitiques serait utile. De nombreux travaux ont été réalisés pour définir certaines de ces dimensions d’un point de vue empirique. Mais il existe une lacune majeure sur les aspects juridiques de cette transformation, notamment en ce qui concerne les lignes de front juridiques à privilégier au niveau d’un État ou d’un groupe tel que l’UE.

Une initiative visant à tracer ces lignes de front, à comprendre leur configuration politique plus profonde, à établir des priorités d’action et, sur cette base, à définir une politique juridique étrangère claire et cohérente est, à mon avis, nécessaire, voire urgente pour de nombreux pays. Pour l’UE en particulier, dont l’avenir socio-économique mais aussi géopolitique est fortement engagé dans la transformation énergétique, une politique juridique étrangère intégrée de ce type serait fondamentale. La Commission européenne a accompli un travail considérable à cet égard, sur lequel on pourrait s’appuyer dans un effort de cartographie, d’intégration et de hiérarchisation des priorités. L’énergie est fortement mais pas clairement réglementée en droit international, et les implications juridiques de la transformation énergétique de ce point de vue ne peuvent être évaluées qu’en adoptant une approche intégrative.

Sources

39. v. G. de Lacharrière, La politique juridique extérieure, Economica, 1983.

40. China – Measures Related to the Exportation of Various Raw Materials, AB Report, 30 janvier 2012, WT/DS394/AB/R WT/DS395/AB/R WT/DS398/AB/R 30.

41. China – Measures Related to the Exportation of Rare Earths, Tungsten, and Molybdenum, AB Report, 7 août 2014, WT/DS431/AB/RWT/DS432/AB/RWT/DS433/AB/R.

42. China – Duties and other Measures concerning the Exportation of Certain Raw Materials – Request for the establishment of a panel by the EU, 27 oct. 2016, WT/DS509/6.

43. Stans Energy Corp. and Kutisay Mining LLC v. Kyrgyz Republic, PCA Case No. 2015-32, Award (20 août 2019).

44. Cortec Mining Kenya Limited, Cortec (Pty) Limited and Stirling Capital Limited v. Republic of Kenya, ICSID Case No. ARB/15/29, Award (22 octobre 2018).

45. Montero Mining and Exploration Ltd. v. United Republic of Tanzania (Canada-Tanzania BIT), Notice of Intent to Submit a Claim to Arbitration (17 janvier 2020).

46. Metal-Tech Ltd. v. Republic of Uzbekistan, ICSID Case No. ARB/10/3, Award (4 octobre 2013).

47. Navodaya Trading DMCC v. Gabon, UNCITRAL Rules (OIC Investment Agreement), déposée en 2018, en cours.

48. A. De la Jara, ‘Exclusive : Chile to delay arbitration with top lithium producer Albemarle’, Reuters, 27 décembre 2018.

49. D. Sherwood, ‘Exclusive : Lithium giant Albemarle locks horns with Chile over reserves data’, Reuters, 10 septembre 2020.

50. v. S. Kalantzakos, “The Race for Critical Minerals in an Era of Geopolitical Realignments”, 55 The International Spectator 1, 2020, pt 7.

51. United National Convention on the Law of the Sea, 10 décembre 1982, 1833 UNTS 397 [UNCLOS], Part XI.

52. Sur les contrats d’exploration concernant ces ressources, voir le site de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui répertorie les contrats relatifs aux PMN, aux CFC et aux sulfures polymétalliques [date de consultation : 20 décembre 2020]. Sur l’exploitation minière des grands fonds marins, voir : Commission européenne, Communication : Croissance bleue – opportunités de croissance durable dans le domaine marin et maritime, 13 septembre 2012, COM(2012) 494 final, section 5.4 ; ECORYS, Étude visant à examiner l’état des connaissances sur l’exploitation minière des grands fonds marins (2014).

53. M. Taylor, Energy subsidies : Evolution in the global energy transformation to 2050 (Abu Dhabi : IRENA, avril 2020) [Taylor, Energy subsidies], pt 8ff.

54. H. B. Asmelash, “Energy Subsidies and WTO Dispute Settlement : Why only Renewable Energy Subsidies are Challenged”, 18 Journal of International Economic Law 261 [Asmelash, Energy Subsidies], 2015.

55. v. Canada – Certain Measures Affecting the Renewable Energy Generation Sector (Plaignant – Japan), Requête pour consultation (Japon), 13 sept. 2010, AB Report, 6 mai 2013, WT/DS412/AB/RWT/DS426/AB/R (la procédure a également porté sur une plainte distincte de l’UE déposée en 2011) ; India – Certain Measures Relating to Solar Cells and Solar Modules (Plaignant : États-Unis), Requête pour consultation, 6 février 2013, AB Report, 16 sept. 2016, WT/DS456/AB/R, WT/DS456/AB/R/Add.1.

56. Asmelash, Energy Subsidies, pt 281-282.

57. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, 15 avril 1994, Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), annexe 1A, 1867 UNTS 187 [GATT], article III.

58. GATT, article III, paragraphes 4 et 5, et Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce, 15 avril 1994, Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, annexe 1A, 1868 UNTS 186, articles 2.1, 2.2 et annexe (liste illustrative), paragraphe. 1(a).

59. Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, 15 avril 1994, Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, annexe 1A, 1869 UNTS 14, article 3.1(b).

60. M. Wu, J. Salzman, “The Next Generation of Trade and Environment Conflicts : The Rise of Green Industrial Policy”, 108 Northwestern University Law Review 401, 2014.

61. Vattenfall AB, Vattenfall Europe AG, Vattenfall Europe Generation AG v. Federal Republic of Germany, ICSID Cas No. ARB/09/6, Sentence (11 mars 2011) (qui concrétise l’accord de règlement des parties à la même date).

62. Vattenfall AB and others v. Federal Republic of Germany, ICSID Case No. ARB/12/12, en cours.

63. Traité sur la charte de l’énergie, 17 décembre 1994, 2080 UNTS 100.

64. Treizième loi portant modification de la loi sur l’énergie atomique, 31 juillet 2011, Journal officiel fédéral, 2011, p. 1704.

65. Ord. de la Cour constitutionnelle fédérale (29 sept. 2020), 1 BvR 1550/19.

66. Seizième loi portant modification de la loi sur l’énergie atomique (16. Gesetz zur Änderung des Atomgesetzes – 16. AtG-Novelle, 16e modification AtG), article 1.

67. Arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale (6 décembre 2016), BVerfGE 143, 246, par. 1, 2 et 4 (dispositif).

68. Communiqué de presse de Westmoreland, “Westmoreland emerges from Chapter 11”, Westmoreland News Release, 15 mars 2019, KL2 3116482.5.

69. Westmoreland Coal Company v. Government of Canada, UNCITRAL Rules (NAFTA Dispute), Notification d’arbitrage et demande introductive d’instance, 19 novembre 2018 [Westmoreland NoA], §. 4-6.

70. Westmoreland NoA, § 12.

71. Westmoreland NoA, § 105.

72. V. par exemple, D. Charlotin, “Netherlands poised to face its first investment treaty claim, over closure of coal plants”, IAR Reporter, 7 September 2019 ; v. aussi TransCanada Corporation and TransCanada PipeLines Limited v. The United States of America, ICSID Case No. ARB/16/21, interrompu le 24 mars 2017 (mais peut-être réactivé par les décrets signés par l’administration Biden en janvier 2020).

73. Les chiffres présentés dans cette section sont basés sur un ensemble de données compilées par l’auteur.

74. Voir le navigateur de la CNUCED pour le règlement des différends en matière d’investissement (à partir du 5 janvier 2021).

75. J. E. Viñuales, Foreign Investment and the Environment in International Law, Cambridge University Press, 2012, pt 17.

76. Pour un aperçu de certains de ces litiges, voir M. Scherer, C. Amirfar (eds.), International Arbitration in the Energy Sector, Oxford University Press, 2018.

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La Forêt passe à l'attaque !

Plâtre et béton sur la Corniche

Agir ensemble pour les Coquelicots le 7 décembre

Marche pour le climat, Défendons la forêt de la Corniche des Forts

Destruction des océans, sur-pêche, pêche électrique... avec Bloom mardi 20 novembre

À Romainville, les habitants défendent une forêt sauvage contre une base de loisirs régionale

Marches pour le climat et la biodiversité 13 et 14 octobre

Les amis des coquelicots étaient bienvenus...

Amis des coquelicots, agissons ensemble vendredi 5 octobre à 18H30

La forêt urbaine de la Corniche des Forts - une chance unique à nos portes

Mobilisation citoyenne à la marche pour le climat samedi 8 septembre à Paris

Un coup de pouce Vert pour les Électrons solaires ! 

Le collectif Eau publique des Lilas invite au dialogue le 21 mars

Entre le nucléaire et la bougie, il y a l’intelligence - du 10 au 18 mars aux Lilas

En Ile de France, les énergies renouvelables citoyennes ont le vent en poupe...

Le Syctom a organisé une concertation réservée aux sachants – et après ?

Une enquête publique sur le PLU des Lilas… qui change la donne !

Une victoire pour l'eau publique en Île-de-France

L’eau publique, c’est maintenant !

L’Ouest de la Seine Saint-Denis se mobilise pour la création d’un service public de l’eau

Romainville : le Syctom lance une concertation préalable pour la modernisation du centre de transfert et de tri des déchets

Que sont ces CSR - Combustibles Solides de Récupération - qu’on veut brûler à Romainville ?

Ces parents qui mijotent une cantine publique

De nouvelles préconisations nutritionnelles... Pas d'usine, on cuisine !

À Romainville contre l’incinération

Une victoire de l'engagement citoyen aux cantines rebelles du 10 novembre

Derniers échos de la révision du PLU des Lilas

Les Sans Radio retrouvent les ondes

Europacity : le débat public se conclut sur des positions inconciliables

Le parc (George-Valbon La Courneuve) debout !

Grand Paris : non à la logique financière

Pour une gestion publique, démocratique et écologique de l'eau

Le revenu de base ? Débat mardi 14 juin 20h

C'était la Grande Parade Métèque 2016...

La nature : une solution au changement climatique en Île-de-France

Participer à la Grande Parade Métèque samedi 28 mai 2016

PLU des lilas: enfin un diagnostic et état initial de l'environnement ... à compléter

Avec la loi « Travail », où irait-on ? Débattons-en mercredi 30 mars

Réduire la place de la voiture des actes pas des paroles

La COP 21 aux Lilas

La nature est un champ de bataille

Alternatiba et le Ruban pour le climat des Lilas à la République

Un compost de quartier aux Lilas

Devoir d'asile : de l'Etat jusqu'aux Lilas

Un ruban pour le climat aux Lilas

Six propositions vertes pour une révision du PLU véritablement utile

La Grande Parade Métèque samedi 30 mai

Fête de la transition énergetique et citoyenne le 9 mai aux Lilas