Brouillard de pollution le 11 mars à Paris. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
Il est peut-être temps pour la société française de changer les marqueurs de culpabilisation de ses populations, et de réexaminer l’impact financier sur la sécurité sociale des fumeurs qui ne peuvent plus polluer qu’eux-mêmes, et des automobilistes dont certains pourraient diminuer les dégâts occasionnés.
Airparif, est chargé de surveiller la qualité de l’air en Ile-de-France, et d’alerter sur son évolution à partir d’une concentration moyenne de particules prévue au-delà de 50 microgrammes par m3 sur 24 heures. De 61 mg/m3 hier, la pollution monterait aujourd’hui à 75 mg/m3.
Les émissions de particules, poussières ultrafines, sont dues au chauffage (au bois ou au fioul), aux transports, à l’industrie et à l’agriculture. En milieu urbain dense comme en Île-de-France, le trafic routier est une cause majeure, et la pollution extérieure à l’agglomération est mineure.
En prévision du dépassement du seuil d’information, la mairie de Paris a décidé de rendre gratuit jeudi le stationnement résidentiel pour les Parisiens, afin de les encourager à ne pas prendre leur véhicule. Cette mesure permet aux Parisiens, détenteurs d’une carte annuelle qui leur donne droit à un tarif privilégié de stationnement, de ne pas payer pour stationner leur voiture. Selon la mairie, quelque 170 000 personnes détiennent cette carte. Par ailleurs, la mairie de Paris indique dans un communiqué que si le seuil d’alerte venait à être dépassé dans les jours prochains, des mesures complémentaires seraient prises telles qu’une certaine gratuité pour les Autolib' et Velib'.
Les particules peuvent provoquer de l’asthme, des allergies, des maladies respiratoires ou cardiovasculaires, et les plus fines d’entre elles (moins de 2,5 microns), qui pénètrent dans les ramifications les plus profondes des voies respiratoires et le sang, ont été classées «cancérogènes certains» par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Car, et c’est là une nouvelle remarquable alors que la France et une partie de l'Europe occidentale ont été touchées par un épisode de pollution atmosphérique inédit et que les alertes se succèdent en Asie, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a rendu publique, mardi 25 mars, sa nouvelle estimation de la surmortalité attribuable à la mauvaise qualité de l'air : la pollution de l'air est désormais le principal risque environnemental pour la santé dans le monde. En 2012, la pollution de l'air a été responsable d'un décès sur huit au niveau mondial, soit environ 7 millions de morts – plus que le tabagisme.
Par rapport aux dernières estimations de l'organisation onusienne, qui remontent à la fin des années 2000, ce nouveau chiffre constitue un quasi-doublement. Une différence attribuable à l'augmentation de l'incidence des maladies liées à la pollution atmosphérique, mais aussi à l'amélioration des techniques d'analyse et à la prise en compte de nouvelles données.
« Cette fois, nous avons utilisé notre base de données de pollution de l'air, mais nous avons également tenu compte de données d'observation satellite ainsi que de modèles décrivant la manière dont la pollution se transporte dans l'atmosphère », explique le docteur Maria Neira, directrice du département santé publique et environnement de l'OMS. Ces progrès méthodologiques ont, par exemple, permis d'évaluer l'exposition de populations rurales qui n'avaient pu être prises en compte lors des précédentes évaluations.
En outre, les experts de l’OMS ont bénéficié de nouvelles études qui réévaluent à la hausse les effets sanitaires de certains polluants – en particulier les particules les plus fines (dites PM 2,5).
La pollution de l’air intérieur serait responsable de 4,3millions de décès annuels, tandis que l’air extérieur tuerait 3,7 millions de personnes par an. L’OMS estime qu’environ un million de personnes sont prématurément mortes d’une exposition combinée: le total n’est donc pas de 8millions, mais bien de 7millions de décès.
Cet excès a été calculé par rapport à une situation dans laquelle le niveau de pollution serait maintenu légèrement en deçà des valeurs guides de l’OMS – 10microgrammes par mètre cube (μg/m3) pour les PM 2,5.
L’essentiel des dégâts dus à la pollution intérieure est observé dans les pays en développement, où les foyers ouverts utilisés à l’intérieur des habitations pour le chauffage ou la cuisson émettent une variété de polluants. Les décès qui leur sont attribuables se répartissent entre accidents vasculaires cérébraux (34%), maladies cardiaques ischémiques (26%), broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO, 22%), infections aiguës des voies respiratoires chez l’enfant (12%) et cancer du poumon (6%).
La surmortalité due à la pollution extérieure est provoquée, quant à elle, à 80% par des maladies cardiaques ischémiques et des accidents vasculaires cérébraux, à 11%par la BPCO, et à quelque 6% par le cancer du poumon.
La pollution de l’air ambiant touche les pays en développement, mais également les pays à revenus élevés. En Europe occidentale, elle est ainsi responsable de 280 000 morts par an – bien plus qu’en Amérique du Nord, où elle est responsable de 94 000 décès annuels.
En France, le même genre d’évaluation a été mené par des chercheurs de l’Institut de veille sanitaire (InVS), dans le cadre du projet Aphekom. Neuf villes françaises totalisant 11 millions d’habitants ont été étudiées pour la période 2004 à 2006: «Notre conclusion était que si les valeurs guides de l’OMS étaient respectées pour les seules PM 2,5, il serait possible d’éviter environ 2 900 décès par an», explique Mathilde Pascal, chercheuse à l’InVS, qui a participé à ces travaux.
Ces évaluations, fondées sur des techniques d’analyse statistique, sont souvent suspectées d’exagération. «C’est plutôt l’inverse, répond Mme Neira. Il est, au contraire, probable que ces estimations demeurent en deçà de la réalité.» Les chiffres de l’OMS se fondent sur des travaux épidémiologiques évaluant l’augmentation du risque de contracter certaines pathologies à la suite d’une exposition chronique aux polluants atmosphériques. Il faut ensuite évaluer la fraction qui leur est attribuable dans l’ensemble des décès dus à ces maladies. «La méthodologie développée par l’OMS est largement utilisée par d’autres organisations, dit Mme Pascal. Elle est tout à fait consensuelle.»
Cependant, cette méthodologie ne tient pas compte de certains effets suspectés. «Pour que nous tenions compte d’une pathologie, il faut que son lien avec la pollution atmosphérique soit établi par des mécanismes connus », explique Mme Neira. Ainsi, certains troubles sanitaires, bien que statistiquement corrélés à la mauvaise qualité de l’air, ne sont pas pris en compte car imparfaitement compris. Mme Neira cite notamment l’augmentation du risque de cataracte (une maladie du cristallin), de naissances prématurées ou encore de transmission de la tuberculose.
De même, des effets neurologiques de la pollution atmosphérique commencent à être documentés par des études scientifiques mais ne sont pas encore intégrés aux analyses de l’OMS.
Des travaux récents suggèrent ainsi une réduction des facultés cognitives (mémoire de travail, etc.) chez les personnes âgées ou d’âge moyen lors des épisodes de pollution aux PM 2,5. D’autres suggèrent une augmentation du risque de démence en cas d’exposition chronique au dioxyde d’azote – un gaz notamment émis par les moteurs diesel.
(d’après « La pollution de l’air tue plus que le tabac » de Stéphane Foucart pour Le Monde, jeudi 27 mars 2014)
Véronique Simar 27/03/2014 13:37