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14 avril 2021 3 14 /04 /avril /2021 20:33

Comment repenser des manières d’habiter la Terre qui ne dissocient plus les êtres humains des non humains, c’est-à-dire qui donnent formes aux transformations réciproques des existants en les inscrivant dans des mondes communs ? Dans leur livre Le Toucher du monde, techniques du naturer (2019), David gé Bartoli et Sophie Gosselin nous invitent à réinventer notre rapport sensible au monde. Extrait du livre Le toucher du monde, techniques du naturer, de David gé Bartoli et Sophie Gosselin (éditions Dehors, sept. 2019) publié le 11 septembre 2019 sur Terrestres. Lire aussi Appel des Soulèvements de la Terre et COVID-19 : vers une gouvernementalité anthropocénique.

Deligny_4_SERRET2_CARTE_12JUIN1975_JeanLin

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Une épreuve de monde

Les existants s’inscrivent dans le mouvement du naturer. Ils adviennent dans ses écarts sensibles, dans ses jaillissements intempestifs et dans ses battements imperceptibles. Or une longue tradition de la pensée occidentale, en particulier à l’époque moderne, a au contraire défendu l’idée selon laquelle, parmi l’ensemble des existants, un seul, l’être humain, était capable de s’extraire du mouvement du naturer pour le soumettre à sa domestication. C’est ainsi que « la nature » a pu être appréhendée comme une totalité autonome que l’humain devait apprendre à dominer par les moyens du savoir et de la technique. C’est cette conception moderne du rapport entre humain et nature qui semble aujourd’hui s’accomplir dans le développement d’un pouvoir de maîtrise sans précédent des phénomènes naturels, pouvoir qui se manifeste notamment dans les capacités techno-scientifiques de modifier génétiquement les organismes vivants ou de conditionner nos environnements et qui trouve son acmé dans le concept d’anthropocène 1. Mais ce pouvoir de maîtrise semble, au même moment, atteindre ses limites dans l’événement de la crise climatique en nous confrontant à une accélération de la destruction des conditions du renouvellement de la vie sur Terre et à une déstabilisation généralisée des processus naturels. C’est avec stupeur que nous constatons que la volonté de maîtrise a conduit à son strict contraire, qu’elle nous a plongé dans une situation incontrôlable, et qu’à force de vouloir agir sur les phénomènes naturels le pouvoir techno-scientifique a déclenché des processus incalculables et immaîtrisables. C’est avec étonnement que nous redécouvrons que l’humain n’est qu’un existant parmi d’autres, et, qu’en tant que tel, il ne peut s’extraire de cela même qui conditionne son existence. La croyance selon laquelle l’être humain se différencierait essentiellement des autres existants par son savoir et sa maîtrise technique 2 se brise sous les effets du cataclysme climatique. Et c’est alors la vulnérabilité radicale des corps qui se fait entendre. Le péril ne concerne pas seulement les conditions de survie des corps biologiques, mais aussi et peut-être plus profondément, les corps dans leur capacité à affecter et à être affecté, à se laisser toucher dans l’expérience d’un monde. En se coupant du mouvement du naturer, les humains se sont privés des puissances sensibles qui rendaient possible leur inscription au monde. Car ce que l’on appelle « la nature » n’est pas d’abord ce système autonome postulé par le savoir philosophique ou scientifique, mais cette puissance qui, s’actualisant à travers une multiplicité de corps, se déploie incessamment comme ouverture et mouvement illimité, c’est-à-dire comme naturer. Ces corps sont porteurs de puissances qui, à travers leurs affections réciproques, ouvrent des mondes. C’est pourquoi la puissance de formation et de transformation dont la technique est porteuse n’appartient pas au seul humain. Il ne s’agit pas ici seulement de dire que les existants non humains sont aussi capables de technique, mais que la technique se confond avec la puissance de formation et de transformation des corps, qu’elle accompagne et articule le mouvement même du naturer. Réduire la technique à un pouvoir instrumental séparant les humains des non humains revient soit à dénier soit à tenter de capturer la puissance sensible des corps pour instaurer un pouvoir de contrainte visant à fixer et à contrôler leur instabilité ontologique. C’est au contraire en accueillant cette instabilité ontologique que nous pourrons traverser l’événement qui nous arrive. L’enjeu consiste dorénavant à libérer les corps de ce pouvoir de contrainte pour laisser vivre l’infinité des variations sensibles qui les constituent et qui rendent possible une épreuve de monde. Paradoxalement, se libérer de ce pouvoir reviendrait donc moins à se libérer de « la » technique envisagée comme ensemble d’instruments répondant de l’intentionnalité humaine, qu’à libérer la technique entendue comme puissance de formation et de transformation des corps de la capture anthropocentrique dont elle a été l’objet. Car les corps ne sont pas des « choses » co-existant au sein d’un espace et d’un temps prédéfini. C’est par leurs corps que les existants adviennent au monde et s’exposent les uns aux autres. Nous appelons technique le mouvement par lequel les corps se déploient en espaces et en temps et, ce faisant, ouvrent des mondes.

Photo extraite du livre “Le toucher du monde” (ed. Dehors)

Photo extraite du livre “Le toucher du monde” (ed. Dehors)

L’expérience de la limite

Par leurs corps, les existants s’exposent à l’épreuve de la limite. Dans leurs rencontres et transformations réciproques ils ne cessent d’éprouver les limites qui les différencient et les relient les uns aux autres, les inscrivant ainsi dans un monde commun. Mais ils s’exposent aussi, dans le même temps, au mouvement illimité du naturer depuis lequel ils surgissent. Nous avons généralement tendance à confondre monde et nature en les assimilant à une totalité englobante. Or il existe au moins une différence essentielle entre les deux. La nature relève de l’illimité, mais d’un illimité dynamique, ce pourquoi nous le pensons comme mouvement du naturer. Le naturer exprime l’émergence et la persistance continue et illimitée d’une puissance s’actualisant en une multiplicité de corps. Au contraire, le monde implique nécessairement une forme de limitation, même si celle-ci n’est jamais décidable, car n’étant ni objectivable ni appréhendable par la pensée. Le monde est ce qui donne une consistance singulière à l’ouverture illimitée du naturer en l’articulant dans et à travers des formes. Un monde se tisse et se trame de l’enchevêtrement et des relations entre une multiplicité d’existants. Ces relations prennent formes à travers des manières de frayer les espaces et de traverser les temps, de sentir et de penser, de distribuer des valeurs ou d’articuler des traces, des survivances mémorielles et des récits, c’est-à-dire à travers une multiplicité de modes techniques. Ce pourquoi on ne peut jamais dire où commence et où finit un monde puisque sa profondeur temporelle et spatiale est incalculable.

Aborder la question de la technique revient donc à penser et à éprouver le paradoxe du bord et de la limite. Car la technique est, comme le bord, l’articulation qui permet la saisie d’une chose tout en étant en lui-même insaisissable. Délimiter une surface ou une chose, c’est toujours déjà tenter de la saisir en la circonscrivant. Mais au moment où l’on met l’accent sur la limite c’est le geste même de délimitation et l’espace qu’il a ouvert qui se trouvent oblitérés, évacués. Porter attention à ce geste, c’est au contraire montrer en quoi une limite ne peut se tracer que depuis l’épreuve d’une exposition à de l’illimité. Cet illimité manifeste la participation de l’existant à quelque chose d’autre que lui-même. Considérer le mouvement technique par lequel les existants se déploient en monde, c’est donc accueillir, dans un même geste, ce double mouvement de limitation et d’illimitation : le seuil ou l’espacement à partir duquel une rencontre devient possible avec d’autres existants et un monde peut advenir. Ce seuil n’est pas pensable en tant que tel. Parce qu’il est zone d’articulation et de passage, le seuil est d’abord ce dont on fait l’épreuve. Éprouver le seuil, c’est faire l’expérience d’une co-advenue des existants en monde et de leur exposition au mouvement du naturer. La pensée ne peut surgir que depuis une telle épreuve. Elle est donc indissociable d’un geste, geste technique qui engage une approche : une manière sensible d’aborder ce qui se profile dans l’expérience d’une advenue, dans l’ouverture d’un monde.

La technique comme réveil des temps

Aborder ce n’est donc pas « monter à bord », au sens où le bord pourrait se confondre avec le bateau lui-même ; ce n’est pas s’installer dans un véhicule circulant sur la mer conçue comme un simple support matériel ou comme un environnement à maîtriser. Aborder c’est faire l’expérience d’une traversée, d’un voyage. Son geste se fait avec la mer, la traverse et se laisse traverser par elle, c’est-à-dire par toutes les traces dont elle est porteuse et qui renouvellent une mémoire chargée de multiples historicités. La traversée est l’occasion d’articuler une contingence (un tracé) et une persistance (des traces). Car si le bateau peut lui-même être associé à un bord c’est que, perdu au milieu de la mer, dans cette matière instable aux contours labiles, il dessine le tracé qui articule un milieu ouvert, sans début ni fin, sans centre ni contour. Milieu sans limite sans pour autant s’identifier à un chaos. Car ce que le tracé révèle et articule dans le même mouvement, c’est la texture singulière de ce milieu, le tissage imperceptible et ouvert d’un ensemble de traces qui l’habitent et le constituent. Ces traces préexistent au tracé lui-même qui les réveille dans son sillage. Le tracé du bateau révèle la mer en tant que profondeur de champ, c’est-à-dire en tant qu’espace d’inscription. Il ne faut donc pas concevoir le tracé du bateau comme une simple trajectoire linéaire et superficielle déterminée par les seuls bords du bateau à l’intérieur d’un milieu lui-même déterminable comme système de relations positives. Le bateau n’est pas une entité autonome, bien au contraire, puisque son sillage entre en résonance avec d’autres sillages présents, passés ou à venir, inscrits dans et à travers la texture de la mer. La possibilité d’une telle résonance indique que le tracé du bateau vient toujours déjà en écho avec un tracer qui le précède et le rend possible : écart, espacement qui ouvre la possibilité d’un passage, d’une traversée. Seuil. Le tracer dit l’instabilité ontologique du naturer, le battement imperceptible et hors-champ qui l’ouvre et le déplie comme champs de résonance. Du tracer qui ouvre au tracé qui articule, le naturer se déploie comme profondeur de temps, c’est-à-dire comme mise en résonance de traces.

Penser la nature comme totalité ou système, c’est-à-dire comme ensemble de relations positives entre des entités objectivables, c’est la penser depuis l’oblitération du débord qui conditionne l’advenue des existants. C’est manquer le sillage de l’approche que suppose mon mouvement et l’espace d’inscription qui le rend possible. Penser depuis le geste d’un aborder sera mettre l’accent sur le mouvement qui se déploie dans l’approche. Approcher au bord pour laisser, dans le mouvement de cette approche, apparaître le débord. Ainsi, le geste technique se déploie depuis l’épreuve de la mer et laisse apparaître, tout en s’y articulant, l’infinité de ses variations sensibles et la multiplicité de ses profondeurs de temps. Les existants sont des frayeurs d’espaces mouvants et des traceurs de temps multiples.

Photo extraite du livre “Le toucher du monde” (ed. Dehors)

Photo extraite du livre “Le toucher du monde” (ed. Dehors)

Le geste technique : écart-de-contact

Le geste technique ne vient donc pas déterminer une action, mais ouvre, initie une rencontre, laquelle se réalise dans l’épreuve d’un écart, d’un passage, qui accompagne une transformation, un vivre-avec. Le geste technique n’appartient donc pas à l’humain. De même, on ne peut pas simplement dire que l’humain a un monde, ni non plus que la tique a un monde 3. Il se fait qu’il y a des existants, des êtres et des traces non dénombrables dans l’espace et dans le temps, qui sont engagés dans l’épreuve d’un seuil, d’une transformation qui les expose (s’exposant les uns aux autres) et s’impose à eux (les traverse), activement et passivement. Un monde naît de la rencontre entre des existants hétérogènes. Un devenir trans-individuel les porte, les borde et les déborde : un devenir-monde est à l’oeuvre.

« Si je reviens sur la manière dont je faisais les vagues, la main à plat dans une flaque d’eau, c’est d’avoir évoqué, il y a quelques jours, ce souvenir, le réel du geste même s’en est suivi, quelques jours après, comme aspiré. Cette main à plat contre la surface froide qui se laissait trouer et se reformait par-dessus, ma main pourtant soudain plus légère, et quand je la remontais, il me semblait qu’elle aspirait l’eau, mais à peine, et j’avais ressenti l’amorce d’un de ces gestes à n’en plus finir, où le ”ma” de cette main-là se perdait. Il s’agissait de faire des vagues, pour voir, pour voir comment les vagues se faisaient, puisqu’il fallait bien qu’elles se fassent ou soient faites, mais dans le même geste voulu et même raisonné, advenait de l’agir, et j’en éprouvais comme une honte, à être là, accroupi, à cent pas de la mer du Nord, et tout seul ; une honte ? Un émoi, plutôt, et, pour ce que j’en pense maintenant, c’est que ma main était dehors, main d’humain et rien d’autre, abandonnée ou presque, hasardée à éprouver le réel, et si j’étais en faute, c’était de me croire capable de comprendre comment les vagues se faisaient. Et, de cette faute-là, j’en étais conscient, ou quasiment, alors que l’émoi de l‘agir, c’était tout autre chose qui n’était pas de l’ordre de la faute. Je m’y perdais, tout simplement, ce qui peut s’écrire : je S’y perdait. Il y allait d’un péril. » 4

C’est le bord de l’eau que Deligny cherche ici à approcher. Et alors qu’il s’était donné pour but de toucher l’eau de la main afin de déclencher le mouvement des vagues, le toucher lui-même se transmue en non-appréhendable. C’est comme si la main aspirait l’eau plutôt qu’elle n’agissait dessus : l’eau devient la respiration de la main, ce qui l’anime, ce qui l’agit. Quelque chose échappe à sa saisie intentionnelle. Le bord de l’eau devient le débord de la main, révélant en retour son propre débord, ce qu’il y a en elle d’inintentionnel : son « agir ». La main, qui dans un premier temps s’appréhendait comme instrument, se découvre comme étant d’abord toucher. Il y a écart-de-contact de la main à l’eau. L’écart se révèle comme condition de possibilité même du contact. Alors que le faire privilégie le fait d’aller au contact, déterminant chaque moment de son « aller » en étapes orientées vers cette fin, l’agir dit la persistance de l’écart dans le contact, sauvegardant, en chaque moment de l’ « aller », l’écart qui le travaille. L’agir est ce qui rend le geste technique irréductible au seul faire. Alors que le faire est tout orienté par sa finalité dans l’objet visé, que ce soit sous la forme de l’acquisition ou de la production, l’agir est sans fin, au double sens de sans finalité et d’interminable. C’est pourquoi il est d’amorce, lieu de toutes les possibles transformations et métamorphoses. Car toujours la main qui touche manque ce qu’elle voulait toucher. Mais dans l’épreuve de l’écart, elle s’ouvre au monde.

La technique ou le toucher du monde

L’expérience du toucher contient en lui le risque d’une perte, celle de S’y perdre, de se perdre dans l’écart là même où l’on pensait pouvoir se rassurer d’un contact. Plus il s’approche de l’eau, plus Deligny découvre le lointain de son agir. C’est qu’ici, dans le pli du touchant-touché, ce n’est pas la logique de la spatialité qui se trouve à l’œuvre, car ce pli est l’espacement irréductible qui travaille le corps, la main, au moment même où se touchant, elle entre en contact. Le plus proche y est aussi le plus lointain : « dehors plus lointain que tout monde extérieur, parce qu’il est un dedans plus profond que tout monde intérieur. » 5 Dans l’agir, c’est le dehors du monde qui se donne à pressentir. L’agir est ce qui, venant du dehors, traverse tous les existants et les ouvre à la rencontre. L’agir est ce qui en l’humain échappe à sa condition humaine et l’inscrit dans le mouvement du naturer.

Si le faire correspond au geste privilégié par l’humain en tant qu’être de volonté et de conscience, l’agir le rappelle au dehors qui le traverse et le déborde. Envisager le geste technique dans l’horizon de cette différence entre agir et faire, ce sera donc défaire la technique de la perspective anthropocentrique à laquelle elle a été rattachée. Ce sera accompagner Deligny dans ce geste qui vise à démettre l’être humain de sa prétention toute puissante sur une nature qui le déborde, le dé-prend et le sur-prend, à le démettre de sa volonté de soumettre les existants qui la composent à la loi de son arché, de son commandement. C’est pourquoi le faire, à quoi est généralement identifié le geste technique, se révélera n’être qu’un de ses aspects possibles, aspect qui, même s’il n’appartient pas au seul humain, a été si souvent privilégiée par lui. Accueillir l’agir du monde, ce sera reconsidérer le geste technique dans la dynamique d’un mouvement plus large, par-delà tout anthropocentrisme : envisager le geste technique comme mouvement d’accueil du déploiement de l’agir dans le/du monde, comme le toucher du monde. Le geste technique serait alors ce dans quoi et par quoi, à travers la multiplicité des êtres et formes de vie qui le composent, humains et non humains, un monde se touche.

Le geste technique nous porte au seuil du monde, tout proche, et toujours infiniment lointain. Le toucher du monde : le geste technique tient dans le double sens du génitif, dans le mouvement d’approche par où se dessinent les contours des choses du monde et dans le sentir qui y prend forme.

Notes

1 - Le concept d’anthropocène a été formulé par le géophysicien Paul Crutzen pour désigner l’époque de l’histoire de la Terre qui aurait débuté lorsque les activités humaines, en particulier le développement industriel à partir du 18ème siècle, ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. Nous serions alors entrés dans une nouvelle époque géologique dans laquelle l’espèce humaine aurait acquis le pouvoir d’agir sur le système Terre au titre de force géologique.

2 - On retrouve ici le récit prométhéen qui a fait le fond de la conquête moderne de la nature par l’ « Homme » (figuration mythifiée du producteur et consommateur moderne).

3 - Voir Jacob Von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010. Uexküll a développé le concept d’Umwelt (traduit en français par « monde propre ») pour qualifier l’environnement sensoriel propre à une espèce ou un individu. Ainsi la tique ne réagirait qu’à trois stimuli externes qui déterminent son Umwelt.

4 - Fernand Deligny, L’arachnéen et autres textes, Paris, L’Arachnéen, 2008, p. 219. Fernand Deligny (1913-1996) est une des références majeures de l’éducation spécialisée, proche des courants de la psycho-thérapie institutionnelle (François Tosquelles, Jean Oury, Félix Guattari). Il a été un opposant farouche de la prise en charge classique des enfants difficiles (délinquants) et des enfants avec autisme. Son expérience avec ces enfants est à l’origine des lieux alternatifs de l’éducation spécialisée que l’on regroupe sous le vocable générique de lieu de vie.

5 - Gilles Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie, Paris, Minuit, 2005, p. 59

Vivre parmi les existants : une épreuve de monde
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11 avril 2021 7 11 /04 /avril /2021 09:07

À l'occasion de l'examen du projet de loi dit 4D (différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification), 130 militant·es écologistes appellent à réhabiliter les territoires en politique. Tribune de Damien Deville et Ronan Sohier parue le 30 mars sur Politis. Lire aussi Humain et non-humain : une même santé.

Street art rebellion, manifestation du 28 mars 2021 (Photo Pierre Stoeber)

Street art rebellion, manifestation du 28 mars 2021 (Photo Pierre Stoeber)

La loi 4D entre actuellement dans le temps parlementaire, une occasion pour porter avec courage la nécessité d’un temps : un État enfin décentralisé, qui accompagne la diversité des territoires davantage qu’il ne s’y impose. Remettre le vivre-ensemble dans les territoires au cœur du modèle républicain est la condition sine qua non d’une société écologiste, c’est-à-dire d’une société de l'émancipation, de la diversité et de la solidarité.

Écouter de nouveau les territoires

Les crises actuelles nous confrontent à une nouvelle nécessité : nous avons besoin de reprendre prise sur ce qui nous entoure et d’être de nouveau en lien avec l’autre. Alors que nombre de précarités n’ont jamais autant percé le rideau de nos vies, les territoires et le vivre-ensemble en leur sein deviennent rempart de résilience et quête d’émancipation. Pourtant, ces mêmes territoires ont tendance à vivre des violences indicibles. Ils ont été privés de pouvoir d’agir : la centralisation à la française fait des couloirs des ministères parisiens l’un des seuls lieux où les décisions comptent vraiment.

Les conséquences sont importantes : l’incapacité de mettre en place des solutions adaptées aux crises contemporaines ; destruction quotidienne des relations que nous pouvons forger les uns avec les autres. Henri Lefebvre le disait déjà au tournant des années 1960 : dans les grandes villes, le seul espace d’appropriation est notre appartement. L’espace public est devenu une zone de passage, où on ne se sait plus rencontrer l’autre, co-créer ensemble, ni réellement vivre ensemble. Dans les villes petites et moyennes, les opportunités, populations, emplois et commerçants tendent à fuir vers les grandes villes. Car l’échelle des régions n’est que le miroir du jacobinisme à la française : les métropoles sont des villes-royaumes uniformisant les territoires à partir de leur centre. Certains villages ne se sont pas relevés des différentes vagues des exodes ruraux quand d’autres ont vu par la suite leurs espaces de rencontres s’effriter complètement. Enfin, dans les territoires ultramarins, des précarités partout perforent les sociétés. Dans ces lieux d’ici et d’ailleurs, entre les fantômes d’hier et les espoirs futurs, le présent est confisqué. Ces territoires ne semblent pas réellement savoir ce qu’ils sont devenus et restent dans l’attente, peut-être un jour, de pouvoir devenir encore.

Quelle poésie, quels liens sont définitivement détruits lorsque tous les services publics disparaissent d’un territoire, lorsque le dernier café fait volets définitivement fermés ? Comment ressentir l’appartenance à un lieu lorsque le pouvoir d’agir de chacun.e est prisonnier d’un État trop jacobin, trop centralisateur ? Comment faire paysage et liens avec le vivant lorsque les lois d’aménagement du territoire sont dans l’incapacité de remettre des couleurs dans nos espaces de vie, dans l’incapacité d’écouter les différentes manières de faire monde et de faire habitat ?

Réinventer le vivre-ensemble

Crise sanitaire, crise écologique, réchauffement climatique, inégalités sociales, crise démocratique, prennent leur source dans un seul et même mal : notre manière d’habiter le monde, notre manière de nous priver d’un vivre-ensemble partagé à l’échelle des territoires. Pour trouver des solutions adaptées, nous avons besoin de réentendre les territoires chanter, les boissons trinquer, les enfants jouer, les boules de pétanque tinter. Nous avons besoin de forger des récits, des symboles et des légendes qui placent liens et projets de vivre-ensemble au cœur de l’évolution des territoires. Nous avons besoin de construire des outils et des lieux qui permettent à chacun.e d’agir et de laisser une trace. Réhabiliter les territoires en politique, c’est ressentir de nouveau cette incroyable douceur d’appartenir.

L’écologie politique, par sa capacité à créer des matrices inclusives des humains et des non-humains et des tables-rondes permettant d’hybrider nos régimes d’engagements, du politique à l’associatif, en passant par l'entrepreneuriat, l’art et la recherche, peut permettre de replacer les territoires au cœur d’un projet de société. Aujourd’hui, les personnes qui font le choix de s’investir dans un mandat local se voient confrontées à un coût d’entrée technique très élevé. Les élu.es, pourtant proches des habitant.es, ont le sentiment d’être dépossédés des prises de décisions. Ce sont pourtant eux et elles qui connaissent le mieux les chemins de leurs territoires, les courbes de leurs paysages et qui peuvent expliquer avec pertinence comment villages et quartiers peuvent prendre à bras le corps les enjeux contemporains de transition écologique et de lutte contre les inégalités. Même lorsque l’élu.e parvient à se départir des difficultés politiques et techniques, les budgets alloués pour les chantiers locaux dépendent trop souvent des dotations de Bercy, variables d’une année à l’autre et enserrées dans une logique d’économies budgétaires aux antipodes des enjeux propres aux territoires.

L’écologie politique propose d'accorder davantage de pouvoir d’agir aux échelons locaux et de reconnaître maires, élu.es et acteurs locaux comme gardiens et gardiennes de la singularité de leur territoire. C'est s'affranchir de la recherche de croissance pour retrouver le sens de l'économie locale, durable et résiliente. C’est développer le lien avec tous les êtres vivants et créer “l’âge du vivant”, pour reprendre l’expression de la philosophe contemporaine Corine Pelluchon.

Planification et déconcentration, la clé pour construire une République des territoires

L’État a bien sûr un rôle à jouer pour faire vivre la diversité des territoires. L’ancienne ministre du Logement Cécile Duflot a récemment expliqué dans un entretien les difficultés de l’administration centrale et déconcentrée à travailler de concert avec les exécutifs locaux, et sa volonté de dépasser la dichotomie entre fonction publique d’État et fonction publique territoriale en mettant tous les acteurs autour de la table. Les compétences techniques des services de l’État en région sont de précieux outils pour les territoires. Alliées aux connaissances de terrain des élu.es, elles sont porteuses de changements d’envergure pour les habitant.es, en particulier pour réaliser la transition écologique et énergétique. Par exemple, au-delà de la délivrance d’autorisations ou de permis de construire, les services de l’État peuvent avoir un véritable rôle de conseil juridique et technique lors de la création d’un parc éolien citoyen.

L’époque contemporaine crée des fossés toujours plus larges entre des territoires qui vont bien et ceux qui ont davantage de mal à tirer leur épingle du jeu. Il est ainsi particulièrement souhaitable que les administrations déconcentrées accompagnent les initiatives locales. C’est le cas en matière de production d’énergie, où de plus en plus de projets éoliens ou solaires, portés par des collectifs de citoyens émergent dans les territoires. La coopérative Railcoop promet de faire revivre la ligne de train Lyon-Bordeaux, en passant par la mal-nommée “diagonale du vide”. L’infrastructure ferroviaire, pourtant existante, est en grande partie inutilisée depuis le milieu des années 1990 et l’arrivée de la grande vitesse. Le choix politique de développer le TGV selon un schéma en étoile, au départ des gares parisiennes, a laissé à quai une part considérable de la population française et aggravé les inégalités territoriales.

Les politiques publiques décidées au niveau central devraient donner la priorité aux territoires laissés à l’écart de la mondialisation et de l’essor des nouvelles technologies - comme en témoignent les nombreuses zones ”blanches” du pays où la fibre optique tarde à arriver. En matière de formation professionnelle, par exemple, pilier indispensable de la reconversion des territoires, la France pourrait s’inspirer des pays nordiques, qui encouragent ces reconversions tout en laissant le pilotage aux exécutifs locaux, premiers porte-voix des besoins spécifiques de chaque bassin de vie. À contre sens de l’émancipation de tous et toutes, la loi de septembre 2018 “pour la liberté de choisir son avenir professionnel”, réformant l'apprentissage, a retiré aux régions le rôle de régulateur des centres de formation d’apprentis. Pour renouer avec une République réellement partagée, il apparaît nécessaire de refonder un dialogue entre des territoires qui expriment des besoins en matière de santé, de transport ou d’éducation et un État central à la fois financeur et accompagnateur.

L’examen prochain de la loi “Différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification” (dite 4D) constitue une opportunité intéressante pour replacer les territoires au cœur du débat national et pour inscrire dans la loi une nouvelle articulation entre collectivités territoriales et services de l’État. Face aux différents enjeux dressés, deux espoirs politiques s’ouvrent : déconcentrer l’État et planifier la distribution équitable des services et des opportunités. Les écologistes et les régionalistes prendront toute leur part, du local au national, dans le débat parlementaire à venir - le Sénat ouvre un espace pour porter haut la voix des territoires. Toutefois, c’est avant tout la pratique des institutions et la manière de concevoir les relations entre administrations et territoires qu’il faut profondément repenser. De ce chantier, qui est devenu le principal combat démocratique, citoyenneté, écologistes, élu.es comme entrepreneurs ont un rôle historique à porter.

Damien Deville, co-animateur de la mission territoires EELV 

Ronan Sohier, cadre de la fonction publique, militant écologiste en Bretagne

Premiers signataires :

Julien Bayou, secrétaire national d’Europe-Écologie-Les-Verts ; Sandrine Rousseau, vice-présidente de l'Université de Lille ; Yannick Jadot, député européen ; Eric Piolle, maire de Grenoble ; Marie Toussaint, députée européenne ; Raymonde Poncet, sénatrice ; Daniel Salmon, sénateur ; Guillaume Gontard, sénateur ; Mounir Satouri, député européen ; Marine Tondelier, conseillère municipale à Henin-Beaumont ; David Cormand, député européen ; Tristan Riom, conseiller municipal à Nantes ; Simon Worou, maire de Sainte-Juliette-sur-Viaur ; Charles Fournier, tête de liste EELV en région Centre ; Etienne Cognet, membre du bureau exécutif des jeunes écologistes ; Vincent Morel, élu municipal à Nevers ; Mélanie Vogel, membre de la direction du Parti vert européen ; Sabrina Decanton, adjointe à la transition écologique à Saint Ouen ; Slimane Tirera, militant écologiste ; Eva Sas, porte-parole EELV ; Alain Coulombel, porte-parole EELV ; ...

 

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10 avril 2021 6 10 /04 /avril /2021 09:52

Les ammonitrates, engrais moins émissifs en ammoniac, produits dans des usines classées Sevezo et stockées dans les exploitations agricoles, sont le maillon faible de la politique de prévention des risques industriels. D'après Stéphane Mandard le 8 avril 2021 pour Le Monde. Lire aussi Les engrais azotés empoisonnent l'eau et l'airLa loi « aussi vite que possible » (ASAP) continue à démanteler le droit de l’environnement et La bataille de l’ammoniac.

Le port de Beyrouth après l'explosion du stock de 2 750 tonnes d'ammonitrates.

Le port de Beyrouth après l'explosion du stock de 2 750 tonnes d'ammonitrates.

« C’est le choix qui s’impose à tous les agriculteurs soucieux à la fois de leur rendement et de l’environnement. » Ce « choix », vanté par Yara, leader mondial des fabricants d’engrais, ce sont les ammonitrates. Moins émissifs en ammoniac que les autres types d’engrais azoté de synthèse (urée et solution azotée), certes, mais beaucoup plus dangereux, en raison de leur potentiel explosif. Les Libanais sont encore sous le choc de l’explosion du stock de 2 750 tonnes entreposé dans le port de Beyrouth, qui a ravagé la ville et tué plus de 200 personnes, le 4 août 2020. Et les Toulousains n’ont pas oublié AZF et ses 31 morts, le 21 septembre 2001.

La France est le premier consommateur d’ammonitrates (également appelés nitrates d’ammonium) en Europe et le deuxième à l’échelle de la planète. Le géant norvégien Yara possède trois sites de production en France, tous classés Seveso seuil haut : au Havre (Seine-Maritime), à Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) et à Ambès (Gironde).

Depuis dix ans, l’usine de Montoir-de-Bretagne fait l’objet d’arrêtés préfectoraux de mise en demeure pour des rejets excessifs de poussières dans l’air et d’azote dans l’eau. La dernière remonte à juin 2020. Le site d’Ambès, à une trentaine de kilomètres de Bordeaux, est aussi visé par plusieurs mises en demeure : celle du 18 décembre 2020 reproche notamment à l’exploitant de n’avoir réalisé « aucune surveillance » des rejets de polluants atmosphériques depuis 2018.

Grandpuits, Petit-Mesnil, Mont-Cauvaire…

A Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), excédés par les émanations d’ammoniac, les riverains de l’usine Timac Agro, filiale du groupe Roullier (cinq sites en France), et des associations écologiques ont saisi la justice fin mai 2020. A Mazingarbe (Pas-de-Calais), ce sont les salariés qui se relaient pour surveiller l’immense cuve remplie de 750 tonnes d’ammoniac depuis que le patron, le groupe espagnol Maxam, a abandonné le site après la mise en liquidation judiciaire en janvier. A Grandpuits (Seine-et-Marne), la fuite d’ammoniac survenue le 6 octobre 2020 sur l’un des deux sites de production de nitrate d’ammonium de Borealis (maison mère de GPN, l’ex-AZF), tout proche de la raffinerie Total, est l’objet du premier rapport, publié mi-mars, du tout nouveau Bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels (BEA-RI).

Le BEA-RI a été créé en décembre 2020 par le ministère de la transition écologique après l’incendie de Lubrizol. Cinq jours après l’accident, la mise à l’arrêt du deuxième site de Borealis, dans la zone portuaire de Rouen, après un problème de transformateur, avait fait craindre aux habitants un scénario à la AZF. Parmi les huit enquêtes ouvertes par le BEA-RI depuis sa création, une autre concerne les ammonitrates : l’incendie survenu le 3 décembre 2020 dans un élevage bovin à Petit-Mesnil (Aube). Environ 120 tonnes d’engrais étaient stockées près du hangar parti en fumée.

Plus récemment, le 21 mars, il a fallu près de 80 pompiers pour maîtriser un incendie dans un bâtiment agricole à Mont-Cauvaire, à 20 km de Rouen. Près de 40 tonnes d’engrais à base d’ammonitrates étaient entreposées juste à côté. Elles ont fondu sans exploser. « Il est déplorable qu’après Beyrouth il ne soit pas interdit aux agriculteurs de stocker du nitrate d’ammonium dans des bâtiments contenant des matières combustibles et inflammables, comme du foin, ou dans des bâtiments attenants », estime Jacky Bonnemains, de l’association Robin des bois.

Des exploitations non surveillées

Selon les estimations du ministère de l’écologie, entre un et dix incendies se déclareraient chaque année sur des sites de stockage d’ammonitrate, majoritairement dans des exploitations agricoles. Ces dernières sont le principal maillon faible de la politique de prévention des risques industriels. La plupart entreposent moins de 250 tonnes d’ammonitrates et échappent à toute surveillance. Seuls les sites stockant plus de 500 tonnes – ils sont 250 selon le ministère de l’écologie, dont près de 200 dépassant les 1 250 tonnes de stock – sont soumis à la réglementation sur les installations classées pour la protection de l’environnement et donc sujets à d’éventuelles inspections.

Après le drame de Beyrouth, les ministères de l’écologie et de l’environnement ont missionné leurs services pour évaluer les contrôles de flux d’ammonitrates (60 % sont importés) dans les ports français, y compris fluviaux, comme celui de Saint-Malo, où transiteraient chaque année entre 40 000 et 60 000 tonnes de nitrate d’ammonium. Un rapport doit être remis ce printemps. Mais il fera l’impasse sur un autre maillon faible, le transport routier et ferroviaire, ainsi que sur les sites de production et les exploitations agricoles.

« Au même titre que les ports, les exploitations agricoles et les sites de production sont très dangereux. Or, la France minimise le danger, regrette Paul Poulain, président du Groupement des entreprises d’études en sécurité et prévention contre les risques d’incendie. Aux Etats-Unis, tous les stockages de plus de 1 000 pounds [454 kg] sont équipés de systèmes d’extinction automatique. »

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9 avril 2021 5 09 /04 /avril /2021 14:51

Nocifs dans l'eau, les fertilisants chimiques sont aussi responsables de pics de pollution atmosphérique et émettent des gaz à effet de serre. L’instauration d’une redevance a peu de chance d'aboutir à l’Assemblée nationale. D'après Stéphane Mandard le 8 avril 2021 pour Le Monde. Lire aussi La pollution de l’air est un « facteur aggravant » des impacts du Covid­19, Les engrais azotés sont un poisonLe cadmium, ce " tueur " caché dans les engrais et La bataille de l’ammoniac.

Engrais composés conditionnés en gros sacs de 600 kg. Photo Cjp24 CC BY-SA 3.0

Engrais composés conditionnés en gros sacs de 600 kg. Photo Cjp24 CC BY-SA 3.0

Le tracteur déploie ses immenses bras mécaniques, et commence à pulvériser le champ de colza, puis l’orge, puis le blé. « Allez, c’est parti ! », lance David Forge, au volant de son engin, 145 chevaux sous le capot et flambant rouge comme la combinaison de l’agriculteur. C’est parti… pour « la grande saison des engrais azotés », indique la vidéo, publiée le 2 mars. David Forge est un jeune agriculteur souriant qui a repris l’exploitation familiale (168 hectares) en Indre-et-Loire et lancé sa « chaîne agricole » sur YouTube (108 000 abonnés).

« Les cultures se réveillent » et vont avoir « beaucoup besoin » d’engrais azotés pour se développer, explique, très pédagogue, le céréalier. Sous un hangar, 20 000 litres sont stockés sous forme liquide (solution azotée) dans une vielle cuve en acier et le reste dans une poche XXL. Aujourd’hui, David Forge a programmé son pulvérisateur sur 3 200 litres, soit près de 4 tonnes de chargement. Il y aura deux ou trois autres « apports » en fonction des cultures.

Chaque année, de mi-février à avril, les épandages de fertilisants (engrais chimiques mais aussi lisiers) battent leur plein dans la ferme France. Et ce que ne précise pas la vidéo, c’est que l’azote qui n’est pas absorbé par les plantes est à la source d’une pollution polymorphe. Sous trois formes principales. La première est dénoncée depuis longtemps : les nitrates, qui contaminent les eaux, à l’origine des algues vertes dans la Manche et sur le littoral  atlantique. Les deux autres sont beaucoup moins connues, mais tout aussi dangereuses : le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2), et l’ammoniac, à l’origine notamment de pics de pollution de l’air au printemps.

Une menace planétaire. Environ 130 millions de tonnes d’azote sont produites chaque année dans le monde sous forme d’engrais. La moitié seulement est absorbée par les plantes. « Les retombées de la pollution par l’azote sont considérées comme l’une des plus grandes externalités globales auxquelles le monde est confronté, impactant l’air, l’eau, les sols et la santé humaine », souligne la Banque mondiale dans un rapport publié en septembre 2019.

« Une bombe climatique et sanitaire », alerte Claude Aubert. Ingénieur agronome, pionnier de l’agriculture biologique, il vient de publier Les Apprentis sorciers de l’azote (Terre vivante, 144 pages, 15 euros). Le père des apprentis sorciers s’appelle Fritz Haber. En 1909, le chimiste allemand, associé à l’industriel Carl Bosch, synthétise l’ammoniac, matière première de tous les engrais chimiques : ammonitrates (qui ont explosé dans le port de Beyrouth, le 4 août 2020), solution azotée (utilisée dans les champs de David Forge), urée…

« Un poison mortel pour l’environnement et pour l’humain »

« L’invention la plus importante de l’histoire de l’agriculture », pour Claude Aubert. En améliorant de façon spectaculaire les rendements, elle a permis de nourrir une planète en pleine explosion démographique après la seconde guerre mondiale. Elle a bouleversé profondément le modèle agricole en précipitant l’avènement de la monoculture et de l’élevage intensif : 80 % de l’azote sert à la production de nourriture pour l’élevage.

« Des transformations qui ont fait d’un élément vital, l’azote, un poison pour l’environnement et pour l’humain », affirme l’agronome, signataire, avec une vingtaine d’autres agronomes et une cinquantaine d’agriculteurs, d’une tribune dans Le Monde appelant à rompre avec l’addiction aux engrais de synthèse.

Depuis 1960, leur consommation a été multipliée par neuf dans le monde. En Europe, la France est le plus gros consommateur (2,3 millions de tonnes par an) avec l’Allemagne. Entre 2007 et 2018, la quantité d’azote apportée par hectare est passée de 81,6 kg à 86,9 kg. Corollaire, avec près de 700 000 tonnes par an, la France est aussi le plus gros émetteur d’ammoniac.

Dans son dernier rapport sur la pollution de l’air, publié en janvier, la Commission européenne s’inquiète de la relative stagnation des émissions d’ammoniac, issues à plus de 90 % de l’agriculture (fertilisants et élevage). En France, les émissions des principaux polluants issus des autres secteurs (industriel, transports, résidentiel) ont tous chuté depuis 2000 : 80 % pour le dioxyde de soufre (SO2), 56 % pour les oxydes d’azote (NOx), 60 % pour les particules fines (PM2,5). Tous sauf pour l’ammoniac qui n’a baissé que de 8 %.

L’ammoniac est l’angle mort des politiques communautaires. Les objectifs de réduction fixés aux Etats sont faibles : la France doit réduire ses émissions de seulement 14 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005 quand il lui est assigné d’atteindre – 77 % pour le SO2, – 69 % pour les NOx ou – 57 % pour les PM2,5. Et même peu ambitieux, cet objectif semble hors de portée : les émissions n’ont baissé que de 2 % depuis 2005. De l’aveu même de l’Union des industries de la fertilisation, « si les pratiques d’épandages actuelles perdurent (…), les émissions d’ammoniac augmenteraient de 2,4 % ».

L’enjeu sanitaire est pourtant important. En se combinant avec les NOx issus du trafic routier ou le S02 de l’industrie, l’ammoniac contribue à la formation des particules fines, les plus dangereuses pour la santé car elles pénètrent profondément l’organisme. Les périodes d’épandage sont ainsi propices à des pics de pollution entre février et avril. Les derniers remontent au début du mois de mars. Et même en plein confinement, alors que le trafic et l’activité industrielle étaient à l’arrêt, l’Ile-de-France ou le Grand-Est ont été touchés en mars 2020 par des pics de particules fines. Des épisodes de pollution qui, selon plusieurs publications scientifiques, aggravent l’épidémie de Covid-19. Des associations avaient saisi le Conseil d’Etat pour obtenir la suspension des épandages. En vain.

Dangereux pour la santé, les engrais chimiques le sont aussi pour le climat. Avec les engrais organiques, ils sont à l’origine d’environ 70 % des émissions de protoxyde d’azote (N2O), selon les estimations des chercheurs du Global Carbon Project. Après le CO2 et le méthane, le N2O est le troisième gaz à effet de serre (GES) le plus abondant dans l’atmosphère où il reste une centaine d’années. Et sa concentration a augmenté de 30 % depuis 1980. A ce bilan carbone, il faut ajouter les émissions liées à la fabrication des engrais chimiques : ils absorbent à eux seuls 5 % de la consommation mondiale en gaz naturel. Soit l’équivalent d’un kilo de pétrole pour produire un kilo d’azote.

A l’échelle de la France, le N2O (issu à 90 % de l’agriculture) est responsable d’un peu plus de 10 % des émissions de GES du pays. Les fertilisants azotés représentent environ 45 % des GES de l’agriculture. Et ces émissions n’ont baissé que de 9 % depuis 1990. Elles font de la France le premier émetteur de l’Union européenne.

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la France s’est fixé pour objectif de réduire de 45 % les émissions de N2O à l’horizon 2050 et de 15 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2015. Cette cible, ainsi que la trajectoire de réduction des rejets d’ammoniac de 13 % d’ici à 2030, figure dans le projet de loi Climat et résilience.

Le débat sur les engrais azotés minéraux devrait avoir lieu dans les prochains jours à l’Assemblée nationale. La bataille se cristallise sur l’instauration d’une redevance. Soutenue depuis plusieurs années par la Cour des comptes, la mesure a été reprise par la convention citoyenne sur le climat. Selon l’étude d’impact réalisée par le gouvernement, la redevance permettrait d’éviter 2 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit environ 15 % de l’effet attendu par le projet de loi.

« C’est maintenant qu’il faut prendre des mesures fortes »

Pourtant, l’exécutif et la majorité parlementaire préfèrent temporiser. Dans le texte soumis aux députés, la redevance est seulement « envisagée ». Et à une condition : que les objectifs de réduction ne soient pas atteints pendant deux années consécutives, ce qui reporterait sa mise en place à 2025, au plus tôt. Le texte demande en outre au gouvernement de produire un « rapport » pour analyser les conditions (taux, assiette) de sa mise en œuvre.

« Attendre encore deux ans et un nouveau rapport, ce n’est pas acceptable. Face à l’urgence climatique, c’est maintenant qu’il faut prendre des mesures fortes », dénonce Sandrine Le Feur, députée (La République en marche) du Finistère. Son amendement en faveur de la création immédiate d’une redevance a été rejeté en commission. Elle en présentera un nouveau en séance. « Depuis vingt ans et la première directive nitrate, les politiques publiques ont toutes échoué », rappelle l’élue qui ne « veut pas vivre un troisième renoncement après le glyphosate et les néonicotinoïdes. » Mme Le Feur défend une « redevance équitable » : à 27 centimes d’euro le kilo, elle permettrait de dégager 618 millions d’euros par an entièrement reversés aux agriculteurs pour les aider à prendre le virage de « l’agroécologie » en privilégiant notamment le retour à l’azote sous forme organique (nettement moins émetteur) dans leurs cultures.

La députée connaît son sujet. Elle est agricultrice. Installée en bio depuis 2015 près de Morlaix, Mme Le Feur cultive en rotation longue des légumes de plein champ (choux, pommes de terre, salades, courgettes…), des céréales (blé, seigle, épeautre, orge, avoine…), des tomates, poivrons, aubergines et concombres sous serres (non chauffées), et fait paître toute l’année ses vaches et moutons sous ses vergers de pommiers et poiriers. Ses apports en azote se résument à du « fumier de bovins bio » fourni par un voisin éleveur. Ici, pas de « grande saison des engrais azotés ».

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8 avril 2021 4 08 /04 /avril /2021 09:31

Gouverner la transformation énergétique - 2ème partie de cette étude à la riche dimension historique et géostratégique. Jorge E. Viñuales revient sur les dimensions multiples de ce vaste processus de transformation qui s’exprime de plus en plus par le droit. Une initiative visant à tracer des lignes de front (juridiques), à comprendre leur configuration politique plus profonde, à établir des priorités d’action et, sur cette base, à définir une politique juridique étrangère claire et cohérente est nécessaire, voire urgente pour de nombreux pays, et pour l’Union européenne tout particulièrement. Ce texte d’après son livre The International Law of Energy, à paraître en 2021 chez Cambridge University Press, a été traduit par Hugo Pascal et publié le 19 mars 2021 par Le Grand Continent. Lire Géopolitique de la transition énergétique (1ère partie), et aussi Penser une sortie vertueuse de l’âge moderne, Pourquoi ne pas investir dans des usines photovoltaïques plutôt que dans de nouveaux EPR ? et Aux origines climatiques des conflits.

La Coopérative Electrons solaires a mis en service le 10 février 2020,117 panneaux photovoltaïques pour produite 36 MWh/an sur l'école Waldeck-Rousseau aux Lilas.

La Coopérative Electrons solaires a mis en service le 10 février 2020,117 panneaux photovoltaïques pour produite 36 MWh/an sur l'école Waldeck-Rousseau aux Lilas.

4. Gouverner la transformation énergétique

4.1 Les « lignes de front » juridiques

Dans les changements de pouvoir décrits dans les paragraphes précédents, le droit international (et le droit en général) est un « champ de bataille » essentiel. Le vaste processus de transformation de l’énergie peut être particulièrement turbulent d’un point de vue juridique. À l’heure actuelle, il est important d’identifier, avec un certain degré de spécificité, les principales « lignes de front » juridiques où la concurrence géopolitique trouve son expression en termes juridiques. Cette identification est un point de départ nécessaire pour une stratégie juridique systématique, une « politique juridique étrangère »39, à développer en ce qui concerne la géopolitique de la transformation énergétique et pour explorer les voies adéquates de coopération internationale.

Dans les paragraphes suivants, je fournis quelques illustrations choisies dans différents contextes juridiques. Ces exemples peuvent être regroupés en trois grandes catégories, à savoir l’utilisation du droit international, en relation avec : les tensions découlant du contrôle des ressources ; les défis de la transformation énergétique et la stabilité des politiques de soutien aux énergies renouvelables.

4.2 Contrôle des nouvelles ressources

Les luttes pour le contrôle des ressources clés qui sous-tendent la transition énergétique ont trouvé leur expression dans toute une série de contextes juridiques internationaux.

Une série de litiges concerne la position dominante de la Chine en tant que principal fournisseur mondial d’un large éventail de matières premières critiques et non critiques. Même lorsque certaines matières premières ont d’autres fournisseurs importants, la Chine joue souvent un rôle majeur dans les étapes ultérieures de leur chaîne d’approvisionnement, telles que le traitement des matériaux et/ou le développement de composants et/ou les assemblages. Plus une chaîne d’approvisionnement pour une matière première donnée est dominée par un pays, plus le risque de blocages potentiels et de perturbations des flux est élevé. D’où l’importance de la réglementation des exportations.

Les trois principales affaires portées devant les organes de règlement des différends de l’OMC dans ce domaine concernent les mesures à l’exportation, et elles ont été déclenchées par des plaintes émanant soit des États-Unis, dans China – Raw Materials40 et China – Rare Earths41, soit de l’UE, dans China – Duties on Raw Materials42. Les matériaux en jeu dans chaque cas comprennent certains qui sont des intrants clés des technologies de transition énergétique, comme le silicium métallique et l’indium (pour les panneaux solaires photovoltaïques), les terres rares (pour l’énergie éolienne et les véhicules électriques), et le cobalt et le graphite (pour les batteries).

Cependant, on ne peut pas dire que les litiges sont uniquement liés à la transition énergétique, étant donné l’ensemble plus large de matériaux concernés et leur application beaucoup plus large au-delà des technologies de transition énergétique. Par exemple, le molybdène, métal en jeu dans China – Rare Earths, est surtout utilisé en métallurgie pour fabriquer des alliages métalliques destinés à toute une série d’usages, notamment les foreuses, les moteurs à réaction et les turbines de production d’énergie. Dans l’industrie chimique, le molybdène est également utilisé comme catalyseur pour le traitement du pétrole. Le spath fluor, en jeu dans l’affaire China – Raw Materials, est utilisé pour les batteries mais aussi pour la production d’aluminium et dans l’industrie chimique pour produire du fluorure d’hydrogène, une matière première pour les réfrigérants, l’essence, les plastiques et les herbicides, entre autres applications.

La même mise en garde s’applique à certaines demandes d’investissement étranger découlant de projets miniers relatifs à certaines matières premières critiques et non critiques. Dans trois d’entre elles (Stans Energy v. Kirghizistan43 ; Cortec v. Kenya44 et l’avis de différent déposé par Montero Mining contre Tanzania45), l’exploitation minière des terres rares a occupé une place importante. Mais souvent, l’accent mis sur les intrants métallurgiques, tels que le molybdène (Metal-Tech v. Ubekistan46 ; Montero Mining v. Tanzania) ou le manganèse (Nabodaya Trading v. Gabon47), brouille considérablement le lien entre le litige et la transition énergétique. Dans tous les cas, cependant, la transaction sous-jacente illustre la recherche de nouveaux gisements de ces matériaux dans des pays (par exemple, le Kenya, le Kirghizstan, la Tanzanie, l’Ouzbékistan) autres que les principaux fournisseurs, principalement la Chine (pour les terres rares et le molybdène).

Une analyse plus détaillée de ces litiges et peut-être de nombreux autres pourrait mettre en évidence une autre manifestation de la transition énergétique au niveau des litiges miniers. À titre d’illustration, fin 2018, un litige est apparu entre le Chili et un investisseur américain, Albemarle Corp ALB.N, concernant le prix réduit offert par ce dernier aux entreprises produisant des métaux pour batteries au Chili. Le lithium est un élément clé de la production de batteries et tant le Chili qu’Albemarle sont des acteurs mondiaux majeurs dans la chaîne d’approvisionnement du lithium. Le Chili a menacé d’introduire une demande d’arbitrage commercial pour faire appliquer les termes d’un accord de 2016, qui exigeait le prix réduit, mais finalement le litige a été géré par le biais de négociations48. Pourtant, en 2020, les tensions sont réapparues, cette fois-ci d’une manière qui révèle plus clairement les profondes implications géopolitiques de tels litiges. Comme l’a fait remarquer un commentateur : «  La querelle aux enjeux élevés survient alors qu’Albemarle s’efforce d’augmenter la production au Chili et de prendre le contrôle de Greenbushes en Australie, la plus grande mine de lithium au monde, afin de répondre à une demande qui devrait tripler pour le métal clé des batteries d’ici 2025, les constructeurs automobiles produisant davantage de véhicules électriques  »49. Les réserves de lithium sont fortement concentrées en Amérique du Sud, dans le «  triangle du lithium » (Argentine, Bolivie et Chili), suivi par l’Australie et la Chine50. Un litige comme celui-ci et le régime juridique qui lui est applicable ont donc une importance plus large pour la transition énergétique, et donc pour la transformation énergétique également.

Une dernière illustration est fournie par le régime de l’exploitation minière des grands fonds marins, c’est-à-dire l’exploitation de la « Zone », plus précisément des fonds marins et du sous-sol au-delà de la juridiction nationale51. Les principales cibles sont les nodules polymétalliques (PMN), les encroûtements de ferromanganèse riches en cobalt (CFC) et les sulfures massifs des fonds marins (SMS), qui contiennent toute une série de matériaux critiques et non critiques allant du cobalt, du manganèse, du nickel et du tungstène au lithium, au germanium, au molybdène et aux terres rares utilisées dans les batteries, les technologies d’énergie renouvelable et les véhicules électriques. L’extraction de ces ressources est coûteuse, dangereuse et nuisible à l’environnement. Toutefois, l’importance géopolitique croissante de certains des minéraux présents dans la Zone a stimulé les investissements dans cette activité52.

4.3 Remettre en question la transformation énergétique

Les défis de la transformation socio-économique induite par la transition énergétique révèlent toute une série de potentialités des institutions juridiques existantes, tant internationales que nationales, qui apparaissent ainsi comme des lignes de front particulièrement pertinentes dans ce processus.

Le débat sur la compatibilité commerciale des subventions aux combustibles fossiles d’une part et aux énergies renouvelables d’autre part en est une illustration éclatante. Selon une étude de l’IRENA53, le total des subventions énergétiques directes (transferts financiers) aux combustibles fossiles, aux énergies renouvelables et à l’énergie nucléaire s’élevait à au moins 634 milliards de dollars en 2017. Les subventions aux combustibles fossiles s’élevaient à 447 milliards de dollars, tandis que les subventions aux énergies renouvelables représentaient 128 milliards de dollars (pour la production d’électricité) et 38 milliards de dollars (pour les biocarburants). Les externalités négatives non chiffrées des subventions aux combustibles fossiles (effets négatifs causés par les transactions de combustibles fossiles et non pris en charge – internalisés – par les participants aux transactions) se sont élevées à la somme astronomique de 3.100 milliards de dollars la même année, soit 19 fois les subventions aux énergies renouvelables (électricité et biocarburants confondus).

Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à ce que le droit du commerce international favorise l’abandon des subventions aux combustibles fossiles ou, du moins, les place juridiquement et pratiquement sur un pied d’égalité avec les subventions aux énergies renouvelables. Pourtant, les conclusions d’une étude détaillée sur le traitement de ces deux types de subventions dans le cadre du droit du commerce international suggèrent que le droit du commerce international est plus permissif et plus indulgent pour les subventions aux combustibles fossiles que pour les subventions aux énergies renouvelables54. En substance, les subventions aux énergies renouvelables sont plus vulnérables aux contestations en vertu du droit du commerce international parce que les régimes d’aide utilisés sont plus spécifiques (et donc plus « actionnables » dans la terminologie du droit du commerce international) et qu’ils reposent souvent (pour des raisons politiques) sur des exigences de contenu local (LCR)55. En revanche, les subventions aux combustibles fossiles sont ciblées sur les consommateurs et n’introduisent pas de différenciation claire entre les bénéficiaires, ce qui les rend plus difficiles à contester dans le cadre du droit du commerce international existant.

Ces conclusions illustrent comment le droit du commerce international peut non seulement soutenir mais aussi entraver la transformation énergétique, bien que, comme nous le notons, les subventions aux combustibles fossiles aient été abordées dans une certaine mesure dans les négociations d’adhésion à l’OMC57. Dans le cas présent, les différents régimes – en pratique – de subventions aux combustibles fossiles et de certaines subventions aux énergies renouvelables en vigueur suggèrent que certaines règles fondamentales du droit du commerce international (par exemple, la norme de traitement national57, l’interdiction plus spécifique des LCR58 ou l’accord sur les subventions et les droits compensatoires59) sont interprétées de manière à restreindre la politique industrielle, y compris la « politique industrielle verte », c’est-à-dire les politiques adoptées par un État pour fournir un soutien ciblé à certaines industries et certains secteurs afin de réaliser des avantages comparatifs latents60. En revanche, les importantes subventions aux combustibles fossiles accordées par de nombreux États ont été négligées ou ont fait l’objet de droits acquis implicites, ou encore ont été délibérément laissées dans l’incertitude quant à leur réglementation dans le cadre du droit du commerce international.

Une autre ligne de front est illustrée par certaines demandes d’investissement introduites par des entreprises affectées par les politiques de transformation de l’énergie. Il est difficile de déterminer exactement si les mesures en jeu dans les différents litiges visent à poursuivre la transition énergétique ou sont déclenchées par d’autres considérations. Je donne ici deux exemples possibles de ces litiges, qui concernent l’énergie nucléaire et la production d’électricité à partir du charbon. Le premier exemple concerne une longue série de réclamations de l’investisseur suédois Vattenfall contre l’Allemagne en rapport avec des mesures limitant ses activités de production d’électricité à partir du charbon61 et l’abandon progressif de l’énergie nucléaire62.

La première réclamation a été réglée et la seconde est toujours en cours, mais elles reflètent toutes deux l’utilisation de certains instruments juridiques, en l’occurrence les normes de protection des investissements du Traité sur la charte de l’énergie63, pour contester les changements réglementaires au niveau du droit national, européen et international. La demande en cours découle plus précisément de la décision de l’Allemagne de 2011 de mettre fin à l’exploitation nucléaire, suite à l’accident de Fukushima64, qui a fixé à 2022 la date limite pour arrêter tous les réacteurs nucléaires restants, y compris ceux de Vattenfall. Le 29 septembre 2020, la Cour constitutionnelle allemande s’est prononcée en faveur de Vattenfall65, concluant que la clause de compensation de la loi sur la sortie du nucléaire était partiellement inconstitutionnelle et qu’un amendement de cette loi en 2018, requis par une décision de 201666, n’était pas suffisant pour mettre la loi en conformité avec la constitution. Dans sa décision de décembre 2016, la Cour avait estimé que les dates de fermeture fixées en 2011 étaient incompatibles avec le droit de propriété protégé par l’article 14, paragraphe 1, de la Constitution allemande67, notamment parce que la mesure en question ne prévoyait pas de compensation adéquate pour les volumes d’électricité résiduels non utilisés. Hormis certains aspects procéduraux importants, le cœur de la décision réside dans l’appréciation de la proportionnalité. Selon la Cour, la subordination de la compensation pour les volumes d’électricité résiduels non utilisés (électricité invendue à la suite de la fermeture) aux efforts raisonnables déployés par Vattenfall pour vendre cette capacité à une autre société n’était admissible que si les conditions de la vente étaient suffisamment claires, ce qui n’était pas le cas en droit.

Le deuxième exemple illustre plus clairement la manière dont la loi sur les investissements étrangers peut être utilisée pour tenter de récupérer la valeur des actifs qui ont perdu de la valeur en raison de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Il concerne une entreprise américaine d’extraction de charbon, Westmoreland Coal Co. qui, comme d’autres entreprises d’extraction de charbon, a connu des difficultés financières en raison de la transition énergétique68. La plainte69 conteste une politique du gouvernement de l’Alberta, au Canada, axée sur le changement climatique, qui réduit la durée de vie des centrales électriques au charbon et affecte ainsi la rentabilité des mines qui fournissent du charbon aux centrales électriques adjacentes. Il convient de noter que l’investisseur ne semble pas contester la suppression progressive elle-même, mais plutôt la politique de compensation prétendument discriminatoire : « Westmoreland reconnaît et ne conteste pas que le Canada et l’Alberta sont en droit d’adopter des règlements pour le bien public. Toutefois, lorsqu’ils le font, ils doivent être équitables envers les investisseurs étrangers  »70. Il réclame un minimum de 470 millions de dollars, plus les intérêts71. Le litige est en cours et, indépendamment de son bien-fondé, qui sera évalué en temps utile, il illustre très clairement comment les réclamations des investisseurs étrangers peuvent être utilisées spécifiquement pour récupérer des investissements réalisés sans tenir suffisamment compte du rythme rapide de la transformation énergétique. Ce n’est là qu’une des manifestations de ce qui semble être un type émergent de réclamations d’investissement contre les politiques de transformation énergétique72.

4.4 Stabilité des politiques de soutien aux énergies renouvelables

Entre 1972 et 2020, au moins 178 demandes d’investissement étranger ayant une composante environnementale ont été déposées73, sur un total de 1061 litiges connus (conclus et en cours)74. Les réclamations à composante environnementale sont définies comme celles qui découlent de l’activité des investisseurs étrangers (i) sur les marchés environnementaux (par exemple, traitement des déchets, énergies renouvelables, conservation de la nature, etc.) et/ou (ii) dans d’autres activités, lorsque leur impact sur l’environnement fait partie du litige et/ou (iii) lorsque l’application du droit national ou international de l’environnement est en jeu75. Environ 80 % (143) de ces litiges ont été introduits après 2008, et plus de la moitié d’entre eux (76) concernent la transition énergétique, principalement (61) des projets d’énergie renouvelable (solaire, éolienne et géothermique).

La principale question juridique en jeu dans l’écrasante majorité de ces litiges est la difficulté de s’adapter aux conditions changeantes des marchés, comme le marché de la production d’énergie renouvelable, qui n’est pas seulement réglementé mais repose sur un marché construit par la réglementation. Il existe plus de soixante-dix litiges relatifs aux investissements étrangers qui remettent en cause les ajustements du cadre réglementaire des énergies renouvelables dans des pays tels que l’Albanie, la Bulgarie, le Canada, la République tchèque, l’Allemagne, l’Italie, le Kenya, la Roumanie, l’Espagne ou la Tanzanie76, et peut-être beaucoup d’autres qui ne sont pas divulgués. L’étendue géographique des pays confrontés à de tels défis donne une indication de l’ampleur du phénomène.

En dépit de leurs nombreuses différences, la question fondamentale que soulèvent ces litiges est la même. Au lendemain de la crise économique de 2008, alors que les bonnes opportunités d’investissement étaient rares, de nombreuses entreprises mais aussi des intermédiaires financiers ont investi massivement dans des projets d’énergie renouvelable soutenus par des politiques industrielles vertes. Ces politiques étaient considérées comme offrant un retour sur investissement relativement prévisible, sûr et très important, en particulier si on les compare aux alternatives d’investissement moins alléchantes disponibles à l’époque. Le taux de participation a été si élevé que plusieurs pays ont eu du mal à payer les subventions, qui, dans certains cas, ont été perçues comme offrant des bénéfices exceptionnels pour les investisseurs à une époque de restrictions économiques nationales.

Dans un tel contexte, une série de mesures ont été adoptées pour limiter le retour sur investissement à des niveaux plus soutenables. Ces mesures comprenaient des taxes, des prélèvements ainsi que des ajustements du taux tarifaire, du volume et de l’horizon temporel des investissements. Ces mesures ont eu des répercussions sur la rentabilité de nombreux investisseurs, qui ont cherché à s’appuyer sur des accords d’investissement pour récupérer les bénéfices escomptés.

L’issue de ces affaires varie considérablement selon les pays, les mesures, les instruments juridiques invoqués et les circonstances factuelles spécifiques. Dans l’ensemble, cependant, elles fournissent deux indications importantes pour comprendre le lien entre le droit international et la transformation énergétique. Premièrement, les demandes d’investissement étranger sont de plus en plus souvent présentées par des acteurs qui incarnent les secteurs émergents à faible intensité de carbone. Dans la plupart des cas, elles ne concernent pas la légalité, au regard du droit international, de mesures contraignantes pour limiter les externalités négatives de la transaction mais, bien au contraire, elles concernent la protection d’un nouveau type de transaction énergétique contre les fluctuations du cadre réglementaire sur lequel elles reposent.

Cela distingue les litiges relatifs à la transformation énergétique de l’ensemble plus large des litiges relatifs aux investissements ayant des composantes environnementales. Deuxièmement, ces litiges portent essentiellement sur la stabilité des règles qui facilitent l’avènement et la consolidation de la production d’énergie renouvelable et, partant, la demande d’équipements, de technologies et de main-d’œuvre dans ce secteur.

5. Quelques propositions

En guise de conclusion, je voudrais formuler quelques propositions de base découlant des considérations faites dans cet article, qui, je l’espère, pourront intéresser le large cercle des lecteurs de la Revue européenne de droit.

La première conclusion concerne la transformation énergétique en cours. J’ai passé en revue certains des éléments pertinents pour établir si une transformation est en cours et ses multiples facettes. Il est clair que cette transformation est liée à de nombreux facteurs, notamment la « transition » énergétique en tant que processus technologique, mais aussi les dimensions beaucoup plus larges découlant de la dégradation de l’environnement (le changement climatique et ses conséquences), les considérations économiques (par exemple, les risques financiers liés à l’immobilisation des combustibles fossiles) et les impératifs sociaux (tant la demande d’un environnement plus propre que les craintes suscitées par l’ajustement structurel et le chômage dans certains secteurs de la population).

La deuxième conclusion est que ce vaste processus de transformation s’exprime de plus en plus sur le plan juridique. Je me suis concentré dans cet article sur le droit international, étant donné sa pertinence pour la géopolitique mondiale. Les manifestations de la transformation énergétique de ce point de vue sont extrêmement diverses et dispersées dans différents contextes juridiques. Le droit du commerce et de l’investissement est, assez intuitivement, en première ligne, mais il en va de même pour d’autres contextes juridiques, tels que le régime juridique des fonds marins et du sous-sol au-delà de la juridiction nationale. Parmi les nombreux autres domaines qui ne sont pas abordés dans cet article, on peut citer le droit de l’environnement (des négociations sur le changement climatique à la réglementation des émissions du trafic aérien et maritime, en passant par la conservation de la nature et la protection de la biodiversité), mais aussi le respect des droits de l’homme (pour soutenir certaines politiques de transformation de l’énergie, mais aussi pour s’en prémunir), le droit de la concurrence (avec les efforts visant à dissocier l’approvisionnement et le transport de l’énergie), le droit de la propriété intellectuelle (avec l’accélération de la procédure de « brevets verts »), et bien d’autres domaines où la lutte s’exprime.

Tout comme les politiques juridiques étrangères qui ont été développées par une série de pays producteurs et consommateurs en ce qui concerne le pétrole et le gaz à partir des années 1950, une politique juridique étrangère traitant spécifiquement de la transformation énergétique avec ses nouvelles dimensions géopolitiques serait utile. De nombreux travaux ont été réalisés pour définir certaines de ces dimensions d’un point de vue empirique. Mais il existe une lacune majeure sur les aspects juridiques de cette transformation, notamment en ce qui concerne les lignes de front juridiques à privilégier au niveau d’un État ou d’un groupe tel que l’UE.

Une initiative visant à tracer ces lignes de front, à comprendre leur configuration politique plus profonde, à établir des priorités d’action et, sur cette base, à définir une politique juridique étrangère claire et cohérente est, à mon avis, nécessaire, voire urgente pour de nombreux pays. Pour l’UE en particulier, dont l’avenir socio-économique mais aussi géopolitique est fortement engagé dans la transformation énergétique, une politique juridique étrangère intégrée de ce type serait fondamentale. La Commission européenne a accompli un travail considérable à cet égard, sur lequel on pourrait s’appuyer dans un effort de cartographie, d’intégration et de hiérarchisation des priorités. L’énergie est fortement mais pas clairement réglementée en droit international, et les implications juridiques de la transformation énergétique de ce point de vue ne peuvent être évaluées qu’en adoptant une approche intégrative.

Sources

39. v. G. de Lacharrière, La politique juridique extérieure, Economica, 1983.

40. China – Measures Related to the Exportation of Various Raw Materials, AB Report, 30 janvier 2012, WT/DS394/AB/R WT/DS395/AB/R WT/DS398/AB/R 30.

41. China – Measures Related to the Exportation of Rare Earths, Tungsten, and Molybdenum, AB Report, 7 août 2014, WT/DS431/AB/RWT/DS432/AB/RWT/DS433/AB/R.

42. China – Duties and other Measures concerning the Exportation of Certain Raw Materials – Request for the establishment of a panel by the EU, 27 oct. 2016, WT/DS509/6.

43. Stans Energy Corp. and Kutisay Mining LLC v. Kyrgyz Republic, PCA Case No. 2015-32, Award (20 août 2019).

44. Cortec Mining Kenya Limited, Cortec (Pty) Limited and Stirling Capital Limited v. Republic of Kenya, ICSID Case No. ARB/15/29, Award (22 octobre 2018).

45. Montero Mining and Exploration Ltd. v. United Republic of Tanzania (Canada-Tanzania BIT), Notice of Intent to Submit a Claim to Arbitration (17 janvier 2020).

46. Metal-Tech Ltd. v. Republic of Uzbekistan, ICSID Case No. ARB/10/3, Award (4 octobre 2013).

47. Navodaya Trading DMCC v. Gabon, UNCITRAL Rules (OIC Investment Agreement), déposée en 2018, en cours.

48. A. De la Jara, ‘Exclusive : Chile to delay arbitration with top lithium producer Albemarle’, Reuters, 27 décembre 2018.

49. D. Sherwood, ‘Exclusive : Lithium giant Albemarle locks horns with Chile over reserves data’, Reuters, 10 septembre 2020.

50. v. S. Kalantzakos, “The Race for Critical Minerals in an Era of Geopolitical Realignments”, 55 The International Spectator 1, 2020, pt 7.

51. United National Convention on the Law of the Sea, 10 décembre 1982, 1833 UNTS 397 [UNCLOS], Part XI.

52. Sur les contrats d’exploration concernant ces ressources, voir le site de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui répertorie les contrats relatifs aux PMN, aux CFC et aux sulfures polymétalliques [date de consultation : 20 décembre 2020]. Sur l’exploitation minière des grands fonds marins, voir : Commission européenne, Communication : Croissance bleue – opportunités de croissance durable dans le domaine marin et maritime, 13 septembre 2012, COM(2012) 494 final, section 5.4 ; ECORYS, Étude visant à examiner l’état des connaissances sur l’exploitation minière des grands fonds marins (2014).

53. M. Taylor, Energy subsidies : Evolution in the global energy transformation to 2050 (Abu Dhabi : IRENA, avril 2020) [Taylor, Energy subsidies], pt 8ff.

54. H. B. Asmelash, “Energy Subsidies and WTO Dispute Settlement : Why only Renewable Energy Subsidies are Challenged”, 18 Journal of International Economic Law 261 [Asmelash, Energy Subsidies], 2015.

55. v. Canada – Certain Measures Affecting the Renewable Energy Generation Sector (Plaignant – Japan), Requête pour consultation (Japon), 13 sept. 2010, AB Report, 6 mai 2013, WT/DS412/AB/RWT/DS426/AB/R (la procédure a également porté sur une plainte distincte de l’UE déposée en 2011) ; India – Certain Measures Relating to Solar Cells and Solar Modules (Plaignant : États-Unis), Requête pour consultation, 6 février 2013, AB Report, 16 sept. 2016, WT/DS456/AB/R, WT/DS456/AB/R/Add.1.

56. Asmelash, Energy Subsidies, pt 281-282.

57. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, 15 avril 1994, Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), annexe 1A, 1867 UNTS 187 [GATT], article III.

58. GATT, article III, paragraphes 4 et 5, et Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce, 15 avril 1994, Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, annexe 1A, 1868 UNTS 186, articles 2.1, 2.2 et annexe (liste illustrative), paragraphe. 1(a).

59. Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, 15 avril 1994, Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, annexe 1A, 1869 UNTS 14, article 3.1(b).

60. M. Wu, J. Salzman, “The Next Generation of Trade and Environment Conflicts : The Rise of Green Industrial Policy”, 108 Northwestern University Law Review 401, 2014.

61. Vattenfall AB, Vattenfall Europe AG, Vattenfall Europe Generation AG v. Federal Republic of Germany, ICSID Cas No. ARB/09/6, Sentence (11 mars 2011) (qui concrétise l’accord de règlement des parties à la même date).

62. Vattenfall AB and others v. Federal Republic of Germany, ICSID Case No. ARB/12/12, en cours.

63. Traité sur la charte de l’énergie, 17 décembre 1994, 2080 UNTS 100.

64. Treizième loi portant modification de la loi sur l’énergie atomique, 31 juillet 2011, Journal officiel fédéral, 2011, p. 1704.

65. Ord. de la Cour constitutionnelle fédérale (29 sept. 2020), 1 BvR 1550/19.

66. Seizième loi portant modification de la loi sur l’énergie atomique (16. Gesetz zur Änderung des Atomgesetzes – 16. AtG-Novelle, 16e modification AtG), article 1.

67. Arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale (6 décembre 2016), BVerfGE 143, 246, par. 1, 2 et 4 (dispositif).

68. Communiqué de presse de Westmoreland, “Westmoreland emerges from Chapter 11”, Westmoreland News Release, 15 mars 2019, KL2 3116482.5.

69. Westmoreland Coal Company v. Government of Canada, UNCITRAL Rules (NAFTA Dispute), Notification d’arbitrage et demande introductive d’instance, 19 novembre 2018 [Westmoreland NoA], §. 4-6.

70. Westmoreland NoA, § 12.

71. Westmoreland NoA, § 105.

72. V. par exemple, D. Charlotin, “Netherlands poised to face its first investment treaty claim, over closure of coal plants”, IAR Reporter, 7 September 2019 ; v. aussi TransCanada Corporation and TransCanada PipeLines Limited v. The United States of America, ICSID Case No. ARB/16/21, interrompu le 24 mars 2017 (mais peut-être réactivé par les décrets signés par l’administration Biden en janvier 2020).

73. Les chiffres présentés dans cette section sont basés sur un ensemble de données compilées par l’auteur.

74. Voir le navigateur de la CNUCED pour le règlement des différends en matière d’investissement (à partir du 5 janvier 2021).

75. J. E. Viñuales, Foreign Investment and the Environment in International Law, Cambridge University Press, 2012, pt 17.

76. Pour un aperçu de certains de ces litiges, voir M. Scherer, C. Amirfar (eds.), International Arbitration in the Energy Sector, Oxford University Press, 2018.

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7 avril 2021 3 07 /04 /avril /2021 17:11

Quelle géopolitique pour la transition énergétique ? Dans cette étude à la riche dimension historique et géostratégique, Jorge E. Viñuales revient sur les dimensions multiples de ce vaste processus de transformation qui s’exprime de plus en plus par le droit. Une initiative visant à tracer des lignes de front (juridiques), à comprendre leur configuration politique plus profonde, à établir des priorités d’action et, sur cette base, à définir une politique juridique étrangère claire et cohérente est nécessaire, voire urgente pour de nombreux pays, et pour l’Union européenne tout particulièrement. Un texte passionnant (bien que sujet à corrections, notamment sur la composition des panneaux photovoltaïques) de Jorge E. Viñuales, d’après son livre The International Law of Energy, à paraître en 2021 chez Cambridge University Press. Ce texte traduit par Hugo Pascal a été publié le 19 mars 2021 par Le Grand Continent, revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, une association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure et reconnue d’intérêt général. Lire aussi Penser une sortie vertueuse de l’âge moderne, Pourquoi ne pas investir dans des usines photovoltaïques plutôt que dans de nouveaux EPR ? et Aux origines climatiques des conflits.

La Coopérative citoyenne Electrons solaires a mis en service le 10 février 2020 cette installation de 117 panneaux photovoltaïques pour produite 36 MWh/an sur l'école Waldeck-Rousseau aux Lilas.

La Coopérative citoyenne Electrons solaires a mis en service le 10 février 2020 cette installation de 117 panneaux photovoltaïques pour produite 36 MWh/an sur l'école Waldeck-Rousseau aux Lilas.

1. L’internationalisation des transactions énergétiques

L’histoire de l’énergie peut être écrite sous une multitude de perspectives, selon l’objet mis en valeur dans chaque récit1. Un foyer, une rivière, une activité, un événement, une ressource spécifique, une technologie donnée, un pays, une région, un processus mondial ou une combinaison de ces éléments sont quelques-uns des objets autour desquels un récit sur l’énergie a été construit2. Par conséquent, la périodisation utilisée et les points d’inflexion choisis comme jalons ne sont naturellement pas les mêmes, pas plus que leur pertinence pour d’autres disciplines. Du point de vue de la pratique sociale et de la discipline que nous appelons le droit international, trois grands points d’inflexion sont particulièrement pertinents.

Le premier est le processus lent et à multiples facettes connu sous le nom de révolution industrielle, qui s’est déroulé à partir de la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, puis ailleurs3. La révolution industrielle est d’une importance capitale pour l’étude du droit international de l’énergie, avant tout parce qu’elle a marqué le passage d’une économie essentiellement « organique » (à base d’êtres humains, d’animaux, de bois ou de charbon) à une économie essentiellement « minérale » basée sur le charbon4. Même si la recherche de « stocks » de ressources énergétiques minérales dans les pays étrangers pour les utiliser dans la métropole est restée limitée, la révolution industrielle a ajouté une certaine internationalisation des transactions énergétiques, à la fois directement et indirectement. Directement, le passage au charbon et, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, l’utilisation croissante du pétrole ont exigé l’extraction des ressources énergétiques là où se trouvaient leurs gisements.

Tant que cet emplacement se trouvait sur un territoire contrôlé par un État, y compris les possessions coloniales, cette mesure d’internationalisation juridique restait limitée. Cependant, les transactions énergétiques ont également été internationalisées de manière indirecte, grâce aux possibilités offertes par le charbon pour le transport à longue distance (pour l’accès aux marchés à l’étranger, l’extraction des ressources et les expéditions militaires) et à la forte dépendance des esclaves en tant que partie de l’énergie humaine soutenant le mécanisme du « commerce triangulaire » qui a permis et soutenu la révolution industrielle en Angleterre.

Dans un livre influent5, l’historien économique K. Pomeranz se demande pourquoi la révolution industrielle est survenue en Angleterre6 plutôt que dans le delta du Yangzi, malgré les conditions favorables dans les deux régions. Sa réponse repose sur deux facteurs principaux, à savoir la disponibilité fortuite d’importantes réserves de charbon en Angleterre et, non moins important, le commerce triangulaire entre l’Angleterre (qui exportait des produits manufacturés vers ses colonies et anciennes colonies américaines), l’Afrique de l’Ouest (d’où les esclaves étaient envoyés vers les Amériques) et les Amériques (qui s’appuyaient sur une main-d’œuvre esclave bon marché pour produire les matières premières acquises par la Grande-Bretagne en échange de produits manufacturés).

Ces deux facteurs – l’abondance du charbon en Angleterre et la « prime naturelle » importée de l’étranger – ont permis un développement intensif du capital et des produits manufacturés, avec une population croissante alimentée par les ressources naturelles d’outre-mer cultivées/extraites par les esclaves. Ainsi, l’esclavage en tant que forme d’énergie humaine commercialisée a servi de catalyseur pour la transition vers la matrice énergétique des combustibles fossiles.

Le deuxième point d’inflexion pertinent pour une perspective de droit international s’est également déroulé sur plusieurs décennies, mais principalement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’effort de reconstruction d’après-guerre a nécessité des quantités croissantes de ressources énergétiques, principalement du charbon et du pétrole, qui ne pouvaient être satisfaites par les seuls gisements intérieurs.

L’affirmation des pouvoirs souverains sur les ressources du plateau continental, déclenchée par la proclamation du président américain Truman en 19457, et la répartition interne des pouvoirs sur le pétrole des terres submergées entre le gouvernement fédéral et les États de l’Union8, illustrent tous deux une compréhension de plus en plus aiguë de cet impératif. Plus généralement, l’exploitation des ressources en combustibles fossiles dans les terres étrangères était une activité extrêmement rentable, et elle était essentiellement sous le contrôle des compagnies pétrolières internationales des États-Unis ou des puissances coloniales9. Dans un contexte de décolonisation post-1945 caractérisé par l’émergence de nombreux États nouvellement indépendants désireux d’utiliser leurs propres ressources pour leur développement national, cette configuration a conduit à un degré supplémentaire d’internationalisation des transactions énergétiques.

Deux questions principales se sont posées, qui ont depuis lors déterminé les aspects juridiques de la géopolitique du pétrole et du gaz. La première était la question des pouvoirs juridiques sur l’énergie et, plus généralement, la détermination des règles conférant ces pouvoirs et attribuant des pouvoirs en cas de revendications concurrentes. L’autre était l’organisation de la transaction énergétique basée sur ces pouvoirs. L’inadéquation géographique entre les pays où les gisements d’énergie sont principalement situés et ceux où ils sont principalement consommés a en effet nécessité des investissements étrangers importants de la part des seconds dans les premiers afin d’exploiter les gisements en question. Elle reposait également sur l’hypothèse que la circulation des capitaux, des équipements et des ressources énergétiques (ou du produit raffiné) ainsi produits serait rendue possible et protégée.

À l’heure actuelle, un troisième point d’inflexion se déroule sous nos yeux en raison des implications beaucoup plus profondes et longtemps négligées de l’économie des « combustibles minéraux », à savoir ses implications environnementales, dont le changement climatique est la manifestation la plus marquante10. Ce processus à multiples facettes de transition de formes d’énergie et de procédés à forte intensité de carbone vers des formes d’énergie et des procédés à faible intensité de carbone, souvent appelé « transition », a des implications très importantes pour le droit international de l’énergie.

2. La transition énergétique

Les manifestations financières et technologiques de cette transition sont complexes. La consommation totale d’énergie finale a suivi une trajectoire ascendante à moyen et long terme, interrompue en 2020 par les mesures de gestion de la pandémie du Covid-19, mais qui devrait se poursuivre. L’augmentation de la consommation d’énergie a entraîné une hausse de la consommation globale de combustibles fossiles, de nucléaire et de biomasse traditionnelle (avec, là encore, l’importante mise en garde de la pandémie, qui a massivement affecté les transports).

Un rapport 2020 du REN21, un réseau international multipartite enregistré en Allemagne et basé à Paris, quantifie cette augmentation à environ 5,7 %, ce qui est inférieur à l’augmentation de 7,2 % de la demande énergétique globale sur la même période (2013-2018), mais une augmentation néanmoins11. Ce n’est donc pas dans les chiffres absolus que la transition est la plus visible, mais dans les parts relatives. Au cours de la même période, les énergies renouvelables modernes (principalement le solaire et l’éolien) ont connu une croissance beaucoup plus rapide (21,5 %) que la consommation d’énergie et les autres sources d’énergie. Si l’on considère les nouveaux investissements financiers (annuels) dans les nouvelles capacités de production d’énergie, la croissance des énergies renouvelables modernes est également frappante. Entre 2018 et 2019, la capacité de production d’électricité (mesurée en gigawatts) est passée de 512 à 627 GW pour l’énergie solaire photovoltaïque (22 %) et de 591 à 651 GW pour l’énergie éolienne (10 %). Le premier pays au niveau des investissements et des nouvelles capacités dans le domaine du solaire photovoltaïque et de l’éolien est la Chine, suivie des États-Unis, puis d’autres pays comme le Japon (pour l’investissement global et le solaire photovoltaïque), l’Inde (pour l’investissement global, le solaire photovoltaïque et l’éolien) et le Royaume-Uni (uniquement pour l’éolien).

D’après le World Energy Outlook 2020, un rapport annuel influent produit par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les systèmes d’énergie solaire dans la plupart des grands pays peuvent désormais produire de l’électricité à un coût inférieur à celui du charbon et du gaz12. Une autre conclusion importante de ce rapport est que les avantages d’une électricité moins chère et plus propre (l’électricité gagnant du terrain dans la fourniture de services thermiques et de transport)13 exercent une forte pression sur la nécessité de réseaux électriques appropriés (réseaux et lignes de transmission), à un moment où le choc du Covid-19 a affaibli financièrement les entreprises de services publics qui entreprennent de tels développements d’infrastructures. Ainsi, « les réseaux électriques pourraient s’avérer être le maillon faible de la transformation du secteur de l’électricité »14.

La transition technologique est donc claire lorsqu’elle est envisagée sous l’angle des énergies renouvelables modernes. Les implications plus larges de la transition sont toutefois beaucoup plus difficiles à déterminer.

3. De la transition à la transformation

3.1 Géopolitique de la transformation énergétique

Une tentative de cartographie des implications profondes ou, en d’autres termes, de la « transformation » induite par la transition énergétique est présentée dans un rapport de 2019 de la Commission mondiale sur la géopolitique de la transformation énergétique15, commandé par le directeur de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) et présidé par l’ancien président islandais, Ólafur Ragnar Grímsson.

Il s’agit d’une tentative importante pour cartographier et évaluer les implications de la transition énergétique en cours dans la perspective d’une redistribution mondiale du pouvoir. Comme indiqué dans l’introduction du rapport : « [L]e déploiement accéléré des énergies renouvelables a mis en route une transformation énergétique mondiale qui aura de profondes conséquences géopolitiques. Tout comme les combustibles fossiles ont façonné la carte géopolitique au cours des deux derniers siècles, la transformation énergétique modifiera la répartition mondiale du pouvoir, les relations entre les États, le risque de conflit et les moteurs sociaux, économiques et environnementaux de l’instabilité géopolitique  »16.

Les moteurs de cette transformation, selon le rapport (qui résume un ensemble plus large de travaux publiés dans les principales revues évaluées par les pairs), sont la baisse des coûts de l’électricité produite à partir de sources renouvelables non hydrauliques, les problèmes de pollution et de changement climatique causés par les combustibles fossiles, la diffusion des politiques de promotion des énergies renouvelables, l’innovation technologique, les demandes croissantes des actionnaires et un changement majeur de l’opinion publique17.

En ce qui concerne les raisons pour lesquelles cette transformation affecte la géopolitique, elles sont liées à la plus grande disponibilité des ressources énergétiques renouvelables (par opposition aux combustibles fossiles géographiquement concentrés), au fait qu’il s’agit de « flux » plutôt que de « stocks » (donc non épuisables), à la capacité de déployer les énergies renouvelables à toute échelle, du niveau macro au niveau micro (ce qu’on appelle les « effets démocratisants » des énergies renouvelables), et à la baisse rapide de leurs coûts marginaux, qui nécessite toutefois des conditions réglementaires et de marché stables18.

3.2. La géopolitique des actifs de combustibles fossiles échoués

Un exemple peut mettre en lumière ces considérations géopolitiques plutôt abstraites. Une étude largement diffusée et publiée en 2018 dans Nature Climate Change a montré que, en raison notamment de la diffusion des énergies renouvelables, des systèmes de transport électrique et des mesures d’efficacité, la demande (et non l’offre) de combustibles fossiles devrait atteindre un pic puis diminuer entre 2030 et 204019. Du point de vue des pays qui produisent à un coût relativement élevé, comme le Canada et le Venezuela, mais aussi les États-Unis et la Russie, on estime que la baisse de la demande aura des effets majeurs sur la viabilité de l’ensemble de leur industrie des combustibles fossiles, car cette demande sera satisfaite par des producteurs à faible coût (par exemple les pays du Golfe). En revanche, pour les importateurs nets de combustibles fossiles tels que la Chine et le Japon, l’effet de ce phénomène sur leur produit intérieur brut serait positif. Ces résultats sont basés sur l’utilisation de techniques de modèles d’évaluation intégrée à haute résolution et en conditions de non-équilibre20. L’étude a identifié les « gagnants » et les « perdants » possibles de cette transition.

Contrairement aux études précédentes, les projections de cette étude ne sont pas basées sur l’adoption de nouvelles politiques climatiques, mais sont entièrement motivées par des décisions déjà prises dans le passé, qui ont placé le monde dans une trajectoire technologique généralisée et peut-être irréversible. Cependant, si de nouvelles politiques climatiques, visant à atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de rester nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, sont effectivement adoptées et que les producteurs de combustibles fossiles à faible coût poursuivent leur production aux niveaux actuels, l’impact négatif sur les producteurs de combustibles fossiles à coût élevé serait beaucoup plus profond et plus perturbateur (l’ensemble des industries des combustibles fossiles du Canada, de la Russie et des États-Unis pourrait s’effondrer). L’étude a été largement diffusée dans les médias, retweeté par des personnalités telles que l’ancien vice-président américain Al Gore, reprise dans les processus politiques nationaux (par exemple, les campagnes de désinvestissement et l’opposition au développement de nouveaux combustibles fossiles), et utilisé dans les principaux rapports institutionnels tels que le Rapport spécial sur l’objectif 1,5C publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)21, le Rapport 2018 sur la nouvelle économie climatique22, et le Rapport de 2019 précité sur la géopolitique de la transformation énergétique mondiale23. Il s’agit bien entendu d’une tentative d’anticipation des scénarios futurs possibles et, à ce titre, d’une mise en garde. Mais il vaut, à tout le moins, la peine d’être pris en considération. Deux extensions potentielles de cette étude concernent la redistribution du pouvoir aux niveaux international et national.

Au niveau international, la Chine gagnerait beaucoup à accélérer la transition énergétique, non seulement parce que cela l’aiderait à résoudre son grave problème de pollution atmosphérique, mais aussi parce que cela favoriserait la compétitivité de sa propre industrie des énergies renouvelables à l’étranger et, en sapant la puissance économique des États-Unis et de la Russie, elle renforcerait sa position stratégique par rapport à deux concurrents géopolitiques clés. L’UE, en tant que grand importateur de combustibles fossiles et partisan résolu de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone par le biais de sa politique industrielle, gagnerait également beaucoup à l’accélération de la transition, tant en termes d’importations moins chères que de compétitivité sur les marchés internationaux.

Toutefois, au niveau national, l’ajustement structurel qu’implique la transition énergétique dans les pays dont les industries des combustibles fossiles sont (comparativement) peu compétitives peut gravement affecter certains secteurs spécifiques de la population, en particulier les travailleurs de ces industries. Selon les forces politiques soutenues par ces groupes, ces importantes implications de la transition pourraient créer un terrain fertile pour une politique populiste dans des pays clés, avec la volatilité qui en découle pour les relations internationales. Même dans des pays comme la Chine, qui ont été les fers de lance du passage aux énergies renouvelables, les implications massives de l’abandon des combustibles fossiles auraient un impact considérable sur la main d’œuvre nationale de ce secteur.

3.3 La géopolitique des matières premières critiques

Une dimension de la nouvelle géopolitique énergétique qui n’est pas suffisamment prise en compte dans les travaux discutés jusqu’à présent concerne les « matières premières critiques » (MRC), à savoir certains composants minéraux qui sont stratégiquement importants pour les technologies des énergies renouvelables (batteries Li-ion, piles à combustible, énergie éolienne, moteurs électriques de traction, technologie PV), l’intelligence artificielle, l’économie numérique et la défense. L’UE, le Japon et les États-Unis ont établi des listes spécifiques de MRC, qui sont régulièrement mises à jour24. La répartition géographique de la production de MRC est fortement concentrée dans un certain nombre de pays. Cela introduit une dimension importante de la géopolitique des minéraux, à l’instar des concentrations de pétrole et de gaz dans certains grands producteurs. Entre 2021 et 2016, la Chine était à elle seule le principal fournisseur mondial de 66 % des MRC25 et de 44 % de celles fournies à l’UE26.

Pour certaines MRC, largement utilisées dans l’énergie éolienne et les véhicules électriques27, tels que les éléments des terres rares lourdes (HREE28) et les éléments des terres rares légères (LREE29), la Chine représentait à elle seule 86 % de l’approvisionnement mondial et la quasi-totalité (98-99 %) de ceux importés par l’UE30. En ce qui concerne la technologie photovoltaïque, elle repose sur des MRC tels que le borate, le gallium, le germanium, l’indium et le silicium métallique31. À l’exception du borate, dont le principal fournisseur mondial est la Turquie, le principal fournisseur mondial de tous ces autres MRC est la Chine (gallium : 80 %, germanium : 80 %, indium : 48 %, silicium métallique : 66 %)32. Pour gérer les risques d’une éventuelle rupture d’approvisionnement, l’UE s’approvisionne pour la plupart de ces MRC dans des pays autres que la Chine (Turquie, Allemagne, Finlande, France et Norvège33). Quant aux batteries, qui constituent une technologie clé tant pour le stockage de l’électricité que pour les véhicules électriques, leur production repose sur des matériaux tels que le cobalt, le lithium, le graphite naturel, le niobium, le silicium métallique et le titane, ainsi que sur des matériaux non critiques comme le cuivre, le manganèse et le nickel34. Les principaux fournisseurs de ces intrants sont dispersés dans le monde entier, mais tous n’ont pas la même importance. Le cobalt et le nickel (comme base pour les cathodes), le lithium (comme matériau électrolyte) et le graphite naturel (comme base pour les anodes) sont les plus importants. La Chine est le principal fournisseur mondial de graphite naturel (69 %) et la République démocratique du Congo celui de cobalt (59 %)35. En ce qui concerne ce dernier, certains craignent que la «  Belt and Road Initiative » (BRI) n’entraîne un contrôle économique chinois sur les réserves de minéraux stratégiques en Afrique, notamment le cobalt en RDC36. Le lithium, qui est un composant clé, est principalement produit en Argentine (16 %), en Australie (29 %) et au Chili (40 %), mais 45 % du raffinage des minéraux de roche dure de lithium est basé en Chine37.

Ce dernier point soulève une dimension qui est bien couverte dans les rapports commandés par l’UE pour mettre à jour sa liste de CMR, à savoir la perturbation des flux en raison de blocages potentiels dans la chaîne d’approvisionnement. Pour reprendre l’exemple des batteries, la Chine joue un rôle prépondérant non seulement au niveau de l’approvisionnement en matières premières mais, plus encore, au niveau du traitement des matériaux (pour les cathodes et les anodes), du développement des composants (cathodes, anodes, électrolytes, séparateurs) et des assemblages (cellules e-ion)38. Dans un tel contexte, la gouvernance du flux continu de matériaux au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales reste une question majeure, tout comme dans la géopolitique classique du pétrole et du gaz. Les plaintes contre les restrictions à l’exportation de matières premières et de terres rares par la Chine, déposées au cours de la dernière décennie devant les organes de règlement des différends de l’OMC, certains litiges relatifs aux investissements étrangers dans le domaine de la prospection de terres rares et la ruée vers l’exploitation minière des grands fonds marins pour ces minéraux ne sont que quelques illustrations, évoquées ci-après, du rôle du droit international dans la nouvelle géopolitique de la transformation énergétique.

Sources

  1. Cet article s’appuie sur mon livre The International Law of Energy, Cambridge University Press (à paraître en 2021), principalement les chapitres 1 et 8, et en constitue à bien des égards un avant-goût.

  2. Voici quelques exemples qui rendent compte de cette diversité : P. Warde, “The Hornmoldt Metabolism : Energy, Capital, and Time in an Early Modern German Household”, 24 Environmental History 472, 2019 ; R. White, The Organic Machine : The Remaking of the Columbia River, Hill and Wang, 1995 ; C. F. Jones, Routes of Power : Energy and Modern America, Cambridge : Harvard University Press, 2014 ; M. I. Santiago, The Ecology of Oil : Environment, Labor, and the Mexican Revolution, 1900-1938, Cambridge University Press, 2006 ; D. Yergin, The Prize : The Epic Quest for Oil, Money, and Power, New York : Free Press, 2009 ; G. Hecht, The Radiance of France : Nuclear Power and National Identity after World War II, Cambridge : MIT Press, 1998 ; E. A. Wrigley, The Path to Sustained Growth : The Path to Sustained Growth : England’s Transition from an Organic Economy to an Industrial Revolution, Cambridge University Press, 2016 ; A. Kander, P. Malanima, P. Warde, Power to the People : Energy in Europe over the Last Five Centuries, Princeton University Press, 2013 ; J. R. McNeill, P. Engelke, The Great Acceleration : An Environmental History of the Anthropocene since 1945, Belknap Press, 2016 ou V. Smil, Energy Transitions : History, Requirements, Prospects, Praeger, 2010.

  3. Sur ce sujet majeur – et très débattu – de la recherche historiographique, v. : R. C. Allen, The British Industrial Revolution in a Global Perspective, Oxford University Press, 2014 ; E. A. Wrigley, Energy and the English Industrial Revolution, Cambridge University Press, 2010.

  4. E. A. Wrigley, The Path to Sustained Growth : The Path to Sustained Growth : England’s Transition from an Organic Economy to an Industrial Revolution, op. cit.

  5. K. Pomeranz, The Great Divergence : China, Europe, and the Making of the Modern World Economy, Princeton University Press, 2000.

  6. Il s’agit là d’une argumentation classique illustrée par l’ouvrage de W. S. Jevons, The Coal Question, Macmillan, 1865.

  7. Proclamation 2667 du 28 septembre 1945, “Policy of the United States with Respect to the Natural Resources of the Subsoil and Sea Bed of the Continental Shelf”, 10 Fed. Reg. 12305 (1945). Voir D. C. Watt, “First steps in the enclosure of the oceans : The origins of Truman’s proclamation on the resources of the continental shelf, 28 September 1945”, 3 Marine Policy 211, 1979.

  8. Voir United States v. California, 322 U.S. 19 (1947), p. 38-39 ; United States v. Texas, 339 U.S. 707 (1950) ; United States v. Louisiana, 339 U.S. 699 (1950). Le principe énoncé dans ces affaires a finalement été inversé par la loi, avec l’adoption en 1953 du Submerged Lands Act, 43 U.S.C. §§ 1301-15 (1953). R. B. Krueger, “The Background of the Doctrine of the Continental Shelf and the Outer Continental Shelf Lands Act” (1970) 10 Natural Resources Journal 442, p. 452-453.

  9. Le livre classique d’Yergin, The Prize, fournit un compte-rendu vivant de la lutte pour le pétrole.

  10. v. J. R. McNeill, “Cheap Energy and Ecological Teleconnections of the Industrial Revolution, 1780-1920”, 24 Environmental History 492, 2019.

  11. v. REN21, Renewables 2020. Global Status Report (2020) [REN21, Renewables 2020].

  12. IEA, World Energy Outlook (2020), Executive Summary, point 18.

  13. Sur cette question spécifique voir : M. Grubb, P. Drummond, N. Hughes, The Shape and Pace of Change in the Electricity Transition : Sectoral Dynamics and Indicators of Progress, (UCL/We mean business coalition, October 2020).

  14. IEA, World Energy Outlook (2020), Executive Summary, pt 19.

  15. Global Commission on the Geopolitics of the Energy Transformation, A New World : The Geopolitics of the Energy Transformation (IRENA, 2019) [The Geopolitics of the Energy Transformation].

  16. The Geopolitics of the Energy Transformation, point 12.

  17. The Geopolitics of the Energy Transformation, points 18-23.

  18. The Geopolitics of the Energy Transformation, points 23-24.

  19. J.F. Mercure et al., ‘Macroeconomic impact of stranded fossil fuel assets’, 8 Nature Climate Change 588, 2018.

  20. J.-F. Mercure et al., ‘Environmental impact assessment for climate change policy with the simulation-based integrated assessment model E3ME-FTT-GENIE’ (2018) 20 Energy Strategy Reviews 195, 2018.

  21. IPCC, Special Report : Global warming of 1.5°C (2018), Chapter 4, 319, 373-375.

  22. Global Commission on the Economy and Climate, New Climate Economy : Unlocking the inclusive growth story of the 21st century : Accelerating climate action in urgent times, 2018, pt 12, 39.

  23. The Geopolitics of the Energy Transformation, pts 64-65, 82.

  24. Commission européenne, Critical Raw Materials Resilience : Charting a Path towards greater Security and Sustainability, 3 septembre 2020, COM/2020/474  ; G.-A. Blengini et al., Study on the EU’s List of Critical Raw Materials (Commission européenne, 2020) [Study on the EU CRMs List] ; S. Bobba et al., Critical Raw Materials for Strategic Technologies and Sectors in the EU. A Foresight Study (Commission européenne, 2020) [CRMs Foresight Study] ; Japan : Resource Securement Strategies, Prime Minister of Japan and His Cabinet, 2012, (in Japanese) ; H. Hatayama, K. Tahara, ‘Criticality Assessment of Metals for Japan’s Resource Strategy’ (2015) 56 Materials Transactions 229 ; US : Department of the Interior, Final List of Critical Minerals 2018, 18 May 2018, Federal Register, vol. 83, No. 97, pp. 23295-23296 ; M. Humphries, Critical Materials and US Public Policy (Congressional Research Service, 18 juin 2019).

  25. Study on the EU CRMs List, pt 6.

  26. Ibid., pt 8.

  27. CRMs Foresight Study, pt 17, 29-33 (énergie éolienne), 34-37 (véhicules électriques).

  28. Dysprosium, erbium, europium, gadolinium, holmium, lutetium, terbium, thulium, ytterbium, yttrium.

  29. Cerium, lanthanum, neodymium, praseodymium and samarium.

  30. Study on the EU CRMs List, pt 5 et 8.

  31. CRMs Foresight Study, pt 17, 38-42.

  32. Study on the EU CRMs List, pt 5.

  33. Study on the EU CRMs List, pt 8.

  34. CRMs Foresight Study, pt 17, 19-23.

  35. Study on the EU CRMs List, pt 5.

  36. v. J. Lee et al, “Reviewing the material and metal security of low-carbon energy transitions”, 124 Renewable and Sustainable Energy Reviews, 2020, pt 8.

  37. CRMs Foresight Study, pt 19.

  38. Study on the EU CRMs List, pt 20.

(à suivre, ou lire la suite sur Le Grand Continent)

 

 

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6 avril 2021 2 06 /04 /avril /2021 15:46

Contre la « minorité sociale » à laquelle conduit le système actuel pour les 18-24 ans, le rapport remis à la demande du gouvernement par le comité d’experts présidé par Louis Schweitzer, propose « d’expérimenter sans délai » un « revenu de base » jeunes. De son côté, la sociologue Dominique Méda défend dans la tribune ci-dessous la proposition d’une refonte efficace de la fiscalité qui permette de faire avancer le projet de revenu universel, remède à la fragilisation des classes populaires. Chronique publiée le 3 avril 2021 dans Le Monde. Lire aussi Transition écologique en chantier, Le revenu maximum, contre les inégalitésUn prélude à la reconversion écologique de nos sociétés et Pour un revenu de base individuel, universel et libre d’obligation.

Street art rebellion, manifestation du 28 mars 2021 (Photo Pierre Stoeber)

Street art rebellion, manifestation du 28 mars 2021 (Photo Pierre Stoeber)

Au moment où un troisième confinement vient d’être annoncé par le président de la République, il est essentiel de se plonger dans les analyses qui tirent les enseignements du premier. Dans « Covid-19, regards croisés sur la crise », plus de 50 chercheurs de toutes disciplines reviennent sur les enjeux majeurs de cette période, en particulier sur les douloureux arbitrages entre pertes sanitaires et pertes économiques auxquels les pouvoirs publics ont été confrontés. « L’explosion des inégalités. Classes, genres et générations face à la crise sanitaire » présente, quant à lui, les résultats de la première grande enquête réalisée auprès des Français confinés en documentant les fractures que la pandémie a aggravées.

En résumé : les classes populaires, déjà fragilisées, sont celles qui ont payé le plus lourd tribut à la crise en continuant à travailler sans moyens de protection ou en perdant leur emploi et en connaissant pour la plupart de graves difficultés financières, pendant que les professions les mieux protégées par leur statut d’emploi pouvaient continuer à télétravailler et à épargner. Dans certains territoires, la forte densité, l’exiguïté des logements et la fréquence des comorbidités ont démultiplié cet écart. Les femmes ont subi une régression sans précédent, en perdant leur emploi plus que les hommes et en supportant la plus grande partie de l’augmentation des charges domestiques et familiales. Les jeunes ont connu d’énormes difficultés, les uns pour entrer dans l’emploi, les autres pour continuer leurs études, la plupart ayant eu à faire face à une aggravation de leur situation financière.

Failles de l’État-providence

La pandémie a éclaté dans un contexte social dégradé où les inégalités de conditions de vie, de travail, d’accès aux soins et à la protection sociale étaient exacerbées depuis des décennies. Elle a achevé de rendre éclatantes les failles de notre État-providence et constitue d’une certaine manière une occasion unique d’engager une réforme structurelle de celui-ci en faveur des plus modestes.

Le remède à la fragilisation des classes populaires, notamment à celle de leur emploi, est connu. Concernant les travailleurs dits de la « deuxième ligne », les éléments que Christine Erhel et Sophie Moreau-Follenfant viennent de rassembler mettent en évidence l’ampleur de la sous-rémunération chronique, des mauvaises conditions de travail et de l’insatisfaction salariale de ces presque cinq millions de personnes. Ce diagnostic appelle la mise en place non pas seulement d’une prime, mais bien d’une véritable révision des classifications et des grilles salariales, rehaussant de façon permanente les rémunérations de ces personnes à la hauteur de leur contribution déterminante à la vie sociale, de même qu’une réflexion approfondie sur les fondements de la hiérarchie des salaires. Une politique visant à l’amélioration de la qualité de l’emploi ne pourra qu’être bénéfique aux femmes et aux jeunes dans la mesure où c’est le caractère plus fragile du statut d’emploi de ces derniers qui a entraîné leur plus grande vulnérabilité à la crise.

Élégance et réalisme

Mais ces mesures ne suffiront pas. Le lourd tribut payé par les jeunes montre qu’il nous faut sortir du bricolage et moderniser réellement notre État-providence. Plusieurs solutions sont en lice : l’ouverture du RSA aux jeunes dès 18 ans (évidemment non exclusive d’un fort accompagnement vers l’emploi), soutenue légitimement par de nombreuses organisations ; le revenu minimum unique proposé par Louis Maurin et Noam Leandri, au nom de l’Observatoire des inégalités, qui permettrait de sortir l’ensemble de la population française de la pauvreté ; l’idée, extrêmement ambitieuse, soutenue par l’économiste Pierre-Alain Muet dans Un impôt juste, c’est possible ! (Seuil, 2018), qui présente le tour de force de conjuguer bouclage de la protection sociale grâce au versement d’un revenu universel et refonte d’une fiscalité devenue inefficace et injuste.

L’élégance et le caractère réaliste de la proposition viennent du fait que le revenu universel n’est versé (en totalité ou en partie) que lorsque les revenus d’activité – connus en temps réel – ne dépassent pas un certain montant. Quand le contribuable n’a aucun revenu, le revenu disponible est égal au revenu universel. Quand les revenus d’activité augmentent, le revenu disponible augmente au-delà du revenu universel, mais moins que du montant initial en raison de l’augmentation de l’impôt sur le revenu. Mais, comme le précise Pierre-Alain Muet, ce revenu universel n’est pas une prestation qu’il faut aller demander (quand on connaît son existence) en s’engageant dans des démarches compliquées.

Tout le monde – y compris les jeunes dès 18 ans – a droit à ce revenu universel, mais ne le touchent que ceux dont les revenus sont insuffisants. En résumé : tout le monde reçoit (en droit) le revenu universel ; tout le monde paie un impôt sur le revenu qui commence au premier euro de revenu d’activité gagné ; seul le solde entre le revenu universel et l’impôt sur le revenu est versé (en fait) ou collecté tous les mois dans le cadre du prélèvement à la source. L’adoption de cette proposition nous permettrait de sortir par le haut des débats trop confus qui ont entouré depuis des années l’idée généreuse de revenu universel. Elle présente d’innombrables mérites, dont celui d’enfin traiter dignement les jeunes. En faire un projet central pour la prochaine élection présidentielle redonnerait aux citoyens l’espoir dont ils ont tant besoin.

Dominique Méda est professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine

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2 avril 2021 5 02 /04 /avril /2021 15:04

Comment rendre le numérique compatible avec la trajectoire 2°C ? Quelles questions instruire sérieusement et quels acteurs mobiliser pour un système numérique résilient ? Comment relancer le débat sur la 5G pour construire une gouvernance numérique adaptée et efficace ? La nouvelle note d'analyse sur l’impact environnemental du numérique et le déploiement de la 5G, publiée par The Shift Project mardi 30 mars, se propose notamment de mettre à jour les scénarios prospectifs des impacts du numérique mondial établis en 2018, et de formuler des propositions pour le déploiement d’une « 5G raisonnée », par opposition à une 5G de masse. D’après The Shift Project le 30 mars 2021. Lire aussi Pour un moratoire sur le déploiement de la 5G, Peut-on s’opposer à l’informatisation du monde ?  et Un moment d’accélération de la virtualisation du monde.

IMPACT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE : TENDANCES À 5 ANS ET GOUVERNANCE DE LA 5G - Note d'analyse de The Shift Projet parue le 30 mars 2021

IMPACT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE : TENDANCES À 5 ANS ET GOUVERNANCE DE LA 5G - Note d'analyse de The Shift Projet parue le 30 mars 2021

Contexte et Constats

Depuis 2018, les travaux de The Shift Project sur les impacts environnementaux du numérique nous ont permis de définir et d’affiner notre vision du concept de sobriété numérique. Les constats ainsi établis ont contribué, notamment grâce à la production de chiffres, à une prise de conscience de l’importance de l’empreinte environnementale du numérique, de son augmentation préoccupante et des raisons systémiques qui conduisent à cette situation. Depuis, les enchères sur la 5G ont eu lieu, et les premiers déploiements ont été lancés en France. Parallèlement, la crise sanitaire nous a rappelé avec force que les technologies numériques font partie intégrante des services essentiels de notre société.

Le contexte du déploiement en cours de la 5G sur nos territoires constitue une véritable occasion de réfléchir ensemble à une trajectoire compatible avec les contraintes énergie-climat pour nos usages numériques et à l’adaptation de nos mécanismes de prises de décisions face à l’ampleur de nos choix technologiques et de leurs implications.
Les débats sur nos choix technologiques ne concernent pas une adhésion ou non à la technologie en tant que telle. Pour qu’ils soient bénéfiques, les débats doivent questionner ce qui motive les directions que nous donnons à notre système connecté, ce qui les justifient et les actions à mettre en place à l’échelle de la société. Revenir sur la cristallisation du débat concernant la5G va permettre de démontrer la nécessité de construire une discussion collective
plus large et plus efficace sur nos choix technologiques, autour d’une gouvernance concertée au service d’objectifs explicites.

Sans réflexion de cette nature, nos politiques et stratégies de déploiement des outils numériques resteront les opportunités gâchées d’une transition numérique qui, bien qu’omniprésente, échouera à contribuer à relever les défis physiques et sociétaux de ce siècle.

Objectifs clés de la note

  • Consolider le travail de chiffrage de l’impact environnemental mondial du numérique via une mise à jour de nos scénarios de 2018 ;
  • Utiliser le déploiement de la 5G comme illustration grandeur nature des questions à poser explicitement pour dimensionner et piloter un système numérique pertinent basé sur des choix technologiques réfléchis et raisonnés ;
  • Comprendre en quoi la cristallisation du débat sur la 5G démontre la nécessité de construire une discussion collective plus large et plus efficace sur nos modes de vie et nos choix technologiques pour aboutir à une gouvernance du numérique compatible avec la contrainte climatique et énergétique.

IMPACT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE : TENDANCES À 5 ANS ET GOUVERNANCE DE LA 5G - Note de synthèse (mars 2021)

Pour rendre le système numérique européen résilient : il nous faut un plan

Sur la base de ces constats, nous formulons ainsi trois propositions majeures afin de rendre notre système numérique résilient :

  • Bâtir une nouvelle gouvernance du numérique
    • Au niveau national, initier et harmoniser les objectifs de décarbonation et les outils d’évaluation et suivis quantitatifs.
    • Au niveau des territoires, donner aux élus les moyens d’organiser la concertation de la
      société civile pour déterminer les usages prioritaires et modalités de déploiement.
    • Au niveau européen, développer des organes de gouvernance cohérents et d’une ampleur adaptée aux infrastructures de l’Union, à ses usages et ses acteurs économiques.
  • Inventer les nouveaux modèles économiques 
    • Sortir de la rentabilisation des services par les volumes de données massifs.
    • Rentabiliser les usages construits sur la modularité, l’après-première vie et l’allongement de la durée de vie des terminaux, matériels et équipements réseaux.
  • Développer les outils d’un pilotage du numérique
    • Fixer des objectifs quantifiés et normatifs pour le numérique, dont l’atteinte assure la comptabilité avec la trajectoire 2°C.
    • Développer des outils robustes d’évaluation de l’impact énergie et carbone.
    • Développer les outils de suivi permettant de mesurer les effets de la gouvernance numérique et de l’ajuster pour atteindre les objectifs.

 

En résumé

Quels usages pour un numérique qui ne dérègle pas le climat?
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29 mars 2021 1 29 /03 /mars /2021 19:00

Une réflexion sur les chiffres utilisés (et ceux, au contraire, sous-utilisés) dans cette crise sanitaire, et leur usage dans des rapports de pouvoir. Cela peut interroger aussi bien celles et ceux qui font à ces chiffres une confiance aveugle, que celles et ceux qui sont convaincu.e.s d'un mensonge généralisé. Un texte éclairé et éclairant écrit par les statisticien.nes "critiques" Céline Mardon et Serge Volkoff, notre ami écologiste du Pré Saint-Gervais, paru dans le n°97-2020/2 intitulé Virulences de Chimères, la Revue des schizoanalyses. Lire aussi Quels choix écologiques en matière de santé ? et COVID-19 : vers une gouvernementalité anthropocénique.

Chimères n°97, 2020/2.

Chimères n°97, 2020/2.

Rappelons une vieille histoire. Au milieu du 18ème siècle un débat passionné a opposé partisans et adversaires de l’inoculation obligatoire de la variole à titre préventif. Selon le mathématicien Bernoulli cette inoculation avait une probabilité de 1/300 de s’avérer mortelle, mais ferait reculer la maladie, très meurtrière, pour le reste de la population, avec un gain global moyen de trois ans d’espérance de vie. Soutenu entre autres par Voltaire, il concluait en faveur de l’obligation. Leur argument fondamental : le progrès consiste à édifier le gouvernement des hommes sur les données de la science. Un argument auquel s’opposa d’Alembert, qui jugeait indéfendable d’appliquer à la vie humaine un calcul reposant sur des données forcément imparfaites.

Cette controverse célèbre a connu bien des prolongements. Au fil des années la santé a constitué un vaste espace de développement pour les méthodes et institutions statistiques, en même temps qu’un terrain privilégié de polémique sur les usages du chiffre. Dans son Histoire de la raison statistique, Alain Desrosières(1) raconte qu’au milieu du 19ème le rôle du statisticien était notamment tenu par le promoteur de la “ méthode numérique ”, le docteur Pierre Louis. Louis privilégiait une médecine sociale, préventive et collective, avec un gros travail de classement des pathologies, l’enregistrement méthodique d’actes médicaux en grand nombre, pour connaître le cours et le décours des maladies, et évaluer l’efficacité des traitements. A cette figure du statisticien s’opposait d’abord celle du médecin « traditionnel », promue par Risueno d’Amador, qui défendait l’individualité des cas, la singularité du colloque entre médecin et malade, les vertus de l’expérience et des savoirs ancestraux. Claude Bernard intervint alors au nom d’un troisième point de vue, celui d’une démarche scientifique alternative à la méthode numérique : la démonstration directe, par voie expérimentale, des causes de chaque maladie. Ce débat n’est pas clos – comment le serait-il ? – mais en période de crise, comme aujourd’hui, on tend à le gommer. Les nombres sont alors propagés et martelés sans réflexion critique sur leur usage.

S’agissant d’une pandémie d’affection contagieuse, on peut comprendre qu’ils retiennent l’attention. La dynamique de la maladie comporte bien un mécanisme numérique – multiplicatif en l’occurrence : ce qu’en arithmétique on nomme progression géométrique, ou encore croissance (décroissance) exponentielle(2). La capacité des hôpitaux à faire face renvoie elle aussi à un décompte, et cette fois c’est de soustraction qu’il s’agit : la différence entre le nombre des lits dans les services, et les malades présents, actuellement ou bientôt.

Le problème n’est pas dans l’utilité de recueillir des nombres, les suivre et les analyser. Il est bien davantage dans l’impasse faite sur leurs modalités de sélection et de construction, les acteurs que cela implique, leurs objectifs plus ou moins explicites, les discussions que cela mériterait d’activer – et qu’on estompe au nom de l’urgence. Comme le rappelle Michel Armatte»(3), « les données sociales ne sont pas « données », au double sens épistémologique (elles sont construites) et économique (elles sont coûteuses) ». La rituelle expression quotidienne du directeur général de la Santé au printemps dernier, la reprise systématique et sommaire des chiffres dans les médias, dans des messages radiotélévisés du gouvernement, dans certains débats politiques, réactivent la locution courante selon laquelle « les chiffres parlent d’eux-mêmes » - ce qui n’est jamais le cas : ils ne peuvent pas assurer seuls une compréhension de la réalité qu’ils contribuent à décrire ; ajoutons, pour jouer sur les mots, que s’il y a bien un sujet dont les chiffres ne « parlent » pas, c’est d’eux-mêmes, justement.

Leur omniprésence pose problème, dès lors qu’elle s’assortit peu de débats contradictoires et qu’on prend les chiffres pour des faits. Elle joue un rôle au regard des rapports de pouvoir, des circuits de décision, des débats sociaux et des consciences de chacun ; plusieurs rôles, même, au-delà de l’appui scientifique aux décisions. Dans cet article nous allons interroger quelques-uns d’entre eux, en mobilisant nos propres réflexions à propos de la quantification dans l’approche scientifique et sociale des questions humaines(4), notre analyse critique des options adoptées pour présenter les « nombres de la Covid-19 », et plusieurs idées avancées par les théoriciens des relations entre chiffres et pouvoirs.

Ces usages, nous allons les dénommer par des verbes d’action : « éblouir », « accélérer », « trancher », « normer ». Non pas que l’on ait déjà une vision claire des intentions de celles et ceux qui en sont à l’initiative – des recherches en sociologie ou en sciences politiques pourront se pencher sur cette question a posteriori. Peut-être d’ailleurs ces intentions sont-elles variables et plus ou moins assurées. Il y a là, en tout cas, des options prises dans les formes d’exercice du pouvoir. Notre propos ici est d’en repérer quelques empreintes.

Éblouir

Manifestement il y a chez bien des acteurs politiques, responsables administratifs, experts et commentateurs, un souci de privilégier des chiffres qui fassent « choc », expédiés comme autant de projectiles sur une supposée indifférence ambiante ; sans doute avec l’idée qu’ils seront ainsi davantage relayés, cités spontanément dans les conversations, et couperont court aux contestations. Il doit bien entrer dans ce choix une part d’autopromotion des locuteurs : comme le remarque Alain Supiot(5) à propos de la prolifération contemporaine des lois, « l’injonction du publish or perish semble frapper indistinctement les savants et les gouvernants ». A l’examen, on se rend compte que cette quête du chiffre miroitant se mène souvent au prix de la pertinence : du nombre lui-même, ou des interprétations auxquelles il prête.

Le slogan du moment, en cette mi-novembre 2020, est : « il y a une admission à l’hôpital pour Covid toutes les 30 secondes ». Avec des variantes comme : « vous rendez-vous compte que depuis le début de cette interview,… », etc. Cet élément de langage, bien choisi, évoque des files d’ambulances à l’entrée des CHU, qui s’emplissent sans cesse. Or ce chiffre, en gros exact, n’a aucun sens. D’abord son complément logique serait d’indiquer le rythme… des sorties : à peu près une toutes les 45 secondes avec le même type de calcul. En outre il est totalement dépendant du périmètre auquel il se rapporte. Dans le monde on doit en être à une hospitalisation à la seconde. A l’échelle d’un département français on va parler de deux par jour (en Ariège), ou trois par heure (dans les Bouches-du-Rhône). Pour un hôpital « moyen » le rythme est de l’ordre de trois par jour. Si l’on voulait faire comprendre ce que cela implique comme difficultés pour les services hospitaliers, il faudrait rapprocher cela du nombre habituel d’admissions quotidiennes (hors ambulatoire), toutes pathologies confondues : autour de 40, toujours pour un hôpital « moyen ». Trois de plus, jour après jour, ce n’est pas négligeable du tout, compte tenu surtout de la spécificité des soins et de l’hébergement de ces patients. Mais on voit qu’on vient d’effectuer là un déplacement que le chiffre initial n’enclenche pas de lui-même. Ce serait un cas d’école pour ce propos d’Isabelle Stengers(6) : « Un nombre peut en cacher un autre, ou cacher une question pour laquelle il n’y a pas de nombre ».

Prenons un autre exemple, plus caricatural. Il y a quelques semaines un message radio rappelait que « le virus continue de circuler » et ajoutait : « 90% des décédés ont plus de 65 ans ». Là encore le chiffre est exact, quoiqu’un peu arrondi. Mais sait-on qu’il est tout à fait banal ? Ce pourcentage est à peu près celui des plus de 65 ans dans l’ensemble des décès en France, toutes causes confondues. Attirer l’attention sur les risques accrus avec l’âge lors d’une contamination est légitime, mais cette proportion n’illustre aucun phénomène spécifique à la Covid. Pourquoi la brandir ? L’explication qui vient à l’esprit est qu’on a résolu d’afficher un « gros » pourcentage, et que si l’on indiquait le taux de létalité des personnes de plus de 65 ans atteintes du coronavirus on citerait un nombre préoccupant certes, beaucoup plus élevé que pour les moins âgés, mais à un seul chiffre(7). Risquons un autre motif, plus douteux : les auteurs de la formule ont pu envisager, plus ou moins délibérément, que des auditeurs feraient une méprise par ignorance ou inattention, et retiendraient que 90% des personnes âgées contaminées décèdent. Ce serait, pour prendre le jargon des statisticiens, une substitution de « % lignes » à des « % colonnes », comme dans cette publicité facétieuse pour le Loto : « 100% des gagnants ont tenté leur chance », ce qui est indéniable mais n’en rend pas moins faible la probabilité de gagner.

En tout cas, dans ces deux exemples et bien d’autres, sont promus des chiffres qui « éblouissent », au sens où l’entend Denis Guedj(8), qui leur préfère ceux qui « éclairent ». Une conséquence fâcheuse est que les chiffres « éclairants », eux, circulent moins.

C’est le cas pour les taux de reproduction (voir note 2). A la mi-août, les contaminations étaient peu nombreuses mais ces taux se sont installés vers 1,4. Il y avait de quoi s’inquiéter, car leur maintien à ce niveau allait impliquer vers la fin octobre un niveau de contaminations, d’hospitalisations et de décès, 30 fois supérieur à ce qu’il était alors – et c’est en gros ce qui s’est produit. Réenclencher dès ce moment des mesures de prévention a dû sembler malvenu : des nombres « non éblouissants » (petits et un peu compliqués) ont pu être jugés frêles, face aux acteurs politiques ou aux savants qui niaient la venue possible d’une deuxième vague ; on a choisi d’attendre. A l’opposé, en ce moment-même(9), après le couvre-feu puis les débuts du re-confinement, ces mêmes coefficients viennent de basculer nettement en dessous de 1, pourtant on ne les annonce pas davantage ; par prudence, sans doute ; mais peut-être aussi parce qu’ils manquent de « brio ».

Accélérer

Nous sommes donc conviés depuis quelques mois à prendre des nouvelles quotidiennes du virus, avec en leur centre un petit lot de « chiffres du jour ». Ce tempo est discutable, pour bien des raisons. Les variations quotidiennes sont erratiques, marquées entre autres par des périodicités hebdomadaires qui reflètent la vraie vie des services chargés d’enregistrer et sommer les événements – d’où des creux, visibles sur la plupart des graphiques, autour des week-ends et jours fériés, et des « rattrapages » ensuite. De toute façon, comme on l’a indiqué, pour comprendre le mouvement d’ensemble de la pandémie on doit examiner des tendances sur plusieurs semaines et se doter de projections à la même échelle de temps.

Les affichages rapides impliquent de donner priorité aux chiffres qu’on peut avoir aisément le jour-même. Si l’on préfère qu’ils soient « gros » pour marquer les esprits (voir ci-dessus), on va mettre en scène non seulement le nombre d’admissions à l’hôpital, assez fiable, mais le nombre de cas confirmés, trop souvent baptisé « nombre de contaminations ». C’est le chiffre le plus commenté. On l’utilise pour repérer les « pics » et « plateaux », voire les « redescentes », et pour comparer entre eux les pays du monde, les régions, certaines villes. Or par rapport aux contaminations ce nombre est déjà décalé de plusieurs jours : le temps de se faire tester et d’avoir le résultat. Surtout, il traduit largement la qualité des tests virologiques, ainsi que l’ampleur et les modalités des pratiques de ces tests, qui diffèrent selon les moments et les lieux : dans quelles proportions les individus concernés sont-ils des malades hospitalisés, symptomatiques, ou encore des personnes particulièrement exposées, potentiellement contaminantes, etc. ? Sur une ou deux semaines la variation des cas constatés peut donner des indications, à confirmer par les nombres d’hospitalisations quelques jours plus tard. Mais il n’est pas raisonnable d’en faire le marqueur dominant de la pandémie, ni le socle des comparaisons dans l’espace et dans le temps.

Or on sait très bien tout cela. Dès le printemps des articles scientifiques solides ont présenté une critique impitoyable de cet indicateur. On lisait dans le respecté American Journal of Public Health(10) : « The selection of those tested is critical for accurate estimation ». Les auteurs expliquaient que seuls vaudraient des tests « done randomly », et ayant « a very high sensitivity and specificity ». Ils concluaient par cet euphémisme : « the current situation does not resemble this ideal condition ». Pourtant on a continué, comme si tout cela n’était pas « critical », à arborer ces gros chiffres vite produits, chaque jour, un peu partout sur la planète. Peut-être les responsables se rassurent-ils en supposant que les cas testés et les contaminations réelles évoluent parallèlement, selon l’hypothèse posée par Adolphe Quételet(11) il y a près de deux siècles : « les effets sont proportionnels aux causes qui les produisent ». Michel Armatte, qui rappelle cette thèse, doute fort, et nous avec lui, qu’on puisse ainsi tabler sur la « neutralité des systèmes d’enregistrement(12)» en matière de faits sociaux.

Cette fonction accélératrice du chiffre n’est pas une découverte. Elle était déjà pointée par Horkheimer et Adorno dans leur Dialectique de la Raison(13) : « Le formalisme mathématique dont l’instrument est le nombre, forme la plus abstraite des données immédiates, retient la pensée sur la pure immédiateté ». Si l’on en veut un symbole, on peut noter l’appellation du site web sur lequel le gouvernement français diffuse les décomptes : c’est un « dashboard », traduction anglaise de « tableau de bord » - mais « dash » veut littéralement dire « ruée ».

Une grande partie des analyses d’Alain Supiot sur la « gouvernance par les nombres » (op.cit.) porte sur cette supposée réactivité des outils quantitatifs, qui ont pris dans ces dernières décennies une importance considérable avec la mobilisation dans une guerre économique, le primat de la compétition (où l’on retrouve les anglicismes : « ranking », « benchmarking »…), les mouvements instantanés des marchés financiers, etc. L’entreprise, ou aussi l’administration (avec le New Public Management), doivent avant tout se montrer mobiles, prêtes au changement. Rien de surprenant si ces modèles gestionnaires, ceux qui poussent à « exposer les palmarès »(14) ont trouvé leur place dans une crise sanitaire qui voit se multiplier les situations d’urgence. A défaut de maîtriser la situation, les gouvernants peuvent à chaque instant garantir qu’ils l’évaluent et la surveillent(15).

Le prix à payer est d’abord d’écarter les réflexions critiques comme celles qu’on vient de rappeler. C’est aussi de donner moins de place aux évaluations un peu différées mais plus pertinentes, au premier rang desquelles l’enquête EpiCov(16), issue d’une collaboration entre l’Inserm, le ministère de la Santé et l’INSEE. Cette grosse investigation, menée d’abord en mai 2020, a reposé sur des questionnements par internet ou téléphone et, pour une partie des répondants, des prélèvements sanguins afin de détecter la présence d’anticorps. Le tout, et c’est essentiel, réalisé (enfin !) auprès d’un échantillon représentatif de la population générale de 15 ans et plus. En admettant que les sérologies soient assez fiables, on en tire une masse d’enseignements sur les séroprévalences après la première vague, donc sur les contaminations survenues, et sur leurs liens avec les formes d’exposition au virus, les conditions de vie et de travail pendant cette période, leurs variations selon le territoire, l’âge, l’habitat, la profession etc.

Nous demanderions bien aux lecteurs de cet article s’ils ont entendu parler des résultats, publiés notamment en octobre(17). Il est bien possible que non, pas même de cette évaluation globale pourtant essentielle : 4,5% des tests sérologiques de mai ont été positifs. Il s’agissait donc de quelque 2,5 millions de personnes contaminées, un chiffre sans commune mesure avec les cas confirmés à cette date (150 000 environ, en données cumulées). Des enseignements très précieux, donc, pour calculer des % d’hospitalisations, de réanimations, de décès, pour orienter l’action par la suite, et pour une meilleure compréhension par tout un chacun – si tout un chacun avait eu l’attention attirée sur ces résultats. Or malgré quelques reprises dans les media, leur diffusion est restée modeste, faute pour eux d’avoir pris place dans le tourbillon quotidien de données immédiates.

Trancher

Dans un article consacré aux liens entre « l’espace public » et « la raison statistique », Alain Desrosières(18) a évoqué la tension entre « deux registres de langage possibles : celui de la description et de la science (« il y a… »), et celui de la prescription et de l’action (« il faut… ») ». Il ajoutait : « la possibilité d’isoler une description des faits, opposés aux valeurs et aux opinions, est la revendication constante et commune des statisticiens ». Trente ans plus tard, il n’est pas sûr que cet « isolement » soit fermement assuré. Dans les propos officiels sur la pandémie en tout cas, on ne sait pas toujours qui parle, au nom de quelle « raison ». Les ministres et hauts fonctionnaires improvisent des commentaires de graphiques (voire élaborent les graphiques eux-mêmes), tandis le Conseil Scientifique semble émettre des directives et que les épidémiologistes plaident, sur les plateaux télévisés, pour telle mesure urgente.

Dans son « adresse aux Français » fin octobre, le chef de l’État est parti d’emblée de constats chiffrés (dont l’évolution des « cas », qu’il a faussement dénommés « contaminations ») avec des graphiques affichés à ses côtés, puis des pronostics (« 9000 malades en réanimation à la mi-novembre, quoi que nous fassions »(19)), pour en déduire directement une décision politique (le nouveau confinement), et ré-inviter les chiffres en cadrant la date de fin (quand on sera revenu à 5 000 « cas » quotidiens).

Notre propos n’est pas de déplorer cette confusion des genres, mais d’y voir une pleine illustration de la « gouvernance par les nombres » dont Alain Supiot (op.cit.) a précisément analysé les origines, les formes et les conséquences. Comme il l’explique, cette disposition à conférer aux chiffres une posture d’autorité est inscrite de longue date dans la pensée humaine. C’est ce qu’il nomme « le rêve de l’harmonie par le calcul », depuis Pythagore (« Tout est arrangé d’après le nombre ») jusqu’à Cédric Villani (« Le monde est mathématique ») en passant par Tocqueville (« le nombre seul fait la loi et le Droit. Toute la politique se réduit à une question d’arithmétique »).

Ce que Supiot démontre, c’est que ce vieux « rêve » a pris corps très activement, depuis quelques décennies, dans les modes de direction des systèmes de production et de l’action publique. Il y repère « la promesse d’un gouvernement impersonnel » où « la loi devient objet de calcul », vouée alors au rôle « d’ustensile » au service d’objectifs chiffrés. Le débat social et politique, voire scientifique est voué à s’effacer derrière les modélisations et les algorithmes(20). La statistique est vue à la fois comme outil de connaissance et outil de gouvernement. Certains s’en félicitent, annonçant le recul des décisions arbitraires et un progrès pour la démocratie(21), ou saluant à l’inverse la restriction du périmètre démocratique, l’organisation de la société étant ainsi mise heureusement à l’abri du pouvoir des citoyens et de leurs « émotions originelles »(22).

On comprendra que ce n’est pas le point de vue de Supiot - ni le nôtre. Même en laissant de côté les considérations de morale politique, on peut rappeler les méfaits des formes d’expertise fondées entièrement sur des indicateurs chiffrés. C’est ce que redoutent par exemple Emilie Counil et Emmanuel Henry : « la technicité de l’approche a pour conséquence un effet « boîte noire » qui ne permet pas aux utilisateurs de pleinement exercer leur esprit critique vis-à-vis de l’outil »(23). Michel Armatte fait pour sa part ce rappel salutaire : « La modélisation, de la conception à l’utilisation est une activité sociale. Elle implique différents groupes d’acteurs qui contribuent par la lutte et la collaboration à définir ses objectifs, ses conventions, ses usages, ses limites »(24). Nous pouvons de notre côté raisonner ici en ergonomes : toute activité de travail individuelle ou collective – comme sans doute toute activité humaine - aboutit à un résultat qui se tient à condition de sortir des cases, d’échapper dans une large mesure aux prescriptions et aux cadres d’évaluation ; c’est ce que nous nommons : activité réelle.

On pourrait passer au crible de cette lecture critique bien des options prises dans les plans d’action contre la pandémie, comme le découpage des départements par degré de risque, dans une carte de vigilance en gris/rose/rouge, sur la base de trois indicateurs pondérés, une méthode de classement plus ou moins remise en cause par la suite, et dont la sècheresse a soulevé bien des protestations. Mais même en s’en tenant à des décomptes élémentaires et de bon sens, comme le nombre des places Covid disponibles à l’hôpital, on peut comprendre qu’ils recouvrent des réalités multiples : en pédiatrie par exemple, cet automne, le problème n’est pas l’afflux d’enfants malades de la Covid (ces cas sont peu nombreux), mais celui des adultes accueillis pour désengorger des services ou hôpitaux voisins, au moment même où arrivent par ailleurs de nombreux enfants souffrant des pathologies « saisonnières » : bronchites ou gastro-entérites. On peut comprendre aussi que l’affichage répété de la saturation hospitalière déclenche de nombreux arbitrages individuels en amont, par une sorte de boucle de rétroaction : quand on annonce au pays entier que les hôpitaux sont à la limite de la rupture, ou même quand on sait que ce sera un critère de durcissement des mesures préventives, on (médecins de ville, responsables d’Ehpad…) peut hésiter davantage à y transférer des patients. Comme idéologie, la gouvernance par les nombres peut recruter des adeptes ; comme fondement de décisions efficientes et comprises, c’est douteux.

Normer

Quand on dénombre les « décès Covid », inclut-on seulement ceux survenus à l’hôpital ? Voire seulement ceux relevés dans les services dédiés ? Ou également les morts en Ehpad, en établissements pour handicapés, à domicile ? Comment résout-on la difficulté, classique dans les études sur les causes de décès, due à l’importance des comorbidités ? On sait que plusieurs pathologies préexistantes – respiratoires, cardiaques, diabétiques… - accroissent fortement la probabilité de complications graves de la Covid-19 ; en cas de décès, les médecins choisissent-ils de l’attribuer à l’infection, ou à l’autre pathologie en cause ? Conscient de cette difficulté d’évaluation, l’Insee a lancé une procédure de suivi de la mortalité quotidienne par département, toutes causes confondues(25); cela permet de comparer les décès d’une période où la pandémie est active avec la période analogue dans les années précédentes. Ce ne sont pourtant pas ces chiffres qui sont les plus diffusés, mais bien les nombres collectés par Santé Publique France, pris comme des « faits ».

Cet exemple, parmi d’autres, incite à revenir sur un apport essentiel des réflexions d’Alain Desrosières : la distinction entre « mesure » et « quantification ». L’une inclut l’autre mais ne s’y résume pas : « quantifier c’est convenir, puis mesurer »(26). Parler de « mesure », même pour en relever les « erreurs », implique « une épistémologie réaliste, selon laquelle les objets préexistent, au moins en théorie, au travail d’identification, de définition, de délimitation »(27). Dans le champ des sciences dures, cette préexistence des objets fait débat. S’agissant des faits sociaux, elle est exclue. Pour notre sujet ici, il en va d’une crise sanitaire comme de toute question humaine ou sociale : si l’on fait appel à la quantification, ce ne sera pas à partir d’une lecture passive du monde.

Dire cela n’ôte pas à la quantification son intérêt mais il va falloir consacrer à la convention autant d’attention qu’à la mesure, aussi bien pour ses auteurs que pour les audiences auxquelles les nombres sont destinés. C’est indispensable pour ne pas perdre le sens de la mesure, aux deux acceptions de cette formule : la signification du nombre, et la possibilité d’en nuancer l’interprétation. C’est nécessaire aussi pour repérer tous les enjeux, scientifiques, politiques et sociaux, qu’a revêtus telle approche chiffrée plutôt que telle autre.

Il y a en outre une troisième raison, peut-être la principale : en faisant l’impasse sur le volet « convention », on sous-estime sa puissance, non seulement pour la quantification elle-même, mais pour le regard porté par tout un chacun sur l’objet traité. La quantification statistique est d’abord une « qualification ». Elle établit des équivalences, des catégories, des limites. On peut considérer qu’elle « mesure un réel existant et l’institue tout à la fois »(28). Inévitablement, ces choix sont sous-tendus par des normes de jugement, et les promeuvent(29). Counil et Henry (op.cit.)  insistent à ce titre sur les « logiques implicites d’inclusion/exclusion qui sous-tendent la définition chiffrée des problèmes ». Or ces normes vont ensuite vivre leur vie, à distance de leurs conditions initiales d’élaboration. Alain Supiot (op. cit.) rappelle qu’il en va de même pour la qualification juridique, mais avec cette différence majeure : « la qualification statistique n’est pas soumise au principe du contradictoire ». L’œuvre normative de la quantification pourrait bien être plus redoutable que celle de la loi, parce que plus discrète.

C’est selon nous ce qui s’est produit, ces derniers mois, avec la constitution de la catégorie des « personnes fragiles » face à la pandémie. Celle-ci s’est d’emblée construite sur des critères médicaux : les comorbidités, et l’âge, ce dernier constituant une variable dont le grand public comprend aisément qu’elle est corrélée aux fragilisations de la santé. L’appartenance aux tranches d’âge élevées a été, de loin, le facteur de sur-risque le plus cité, souvent le seul comme dans le message radio évoqué précédemment. Les films à visée préventive montrent des grands-mères mises en danger par l’imprudence de leur jeune entourage. Les données disponibles – donc constituées et examinées - confirment sans cesse la proportion élevée des âgés parmi les personnes hospitalisées ou décédées : un constat important mais usuel, on l’a dit, pour la plupart des pathologies.

Rares ont été, dans cette période et depuis, les commentaires relevant un résultat curieux, voire paradoxal : la Seine-Saint-Denis est à la fois le plus « jeune » département de France métropolitaine (les plus de 60 ans y représentent 17% de la population, alors que c’est 27% en France en moyenne), et celui qui a connu la hausse la plus considérable de la mortalité au printemps 2020 : par rapport à 2019, les décès en mars-avril dans le 93 ont été multipliés par 2,2. Or cette bizarrerie s’expliquait très bien. Dès le mois de mai deux chercheuses, Emilie Conil et Myriam Khlat, ont publié un article qui en traitait directement, dans le cadre d’une analyse sur les inégalités sociales face au virus(30) : elles montraient que l’exposition est beaucoup plus répandue dans les catégories sociales à bas revenus, peu protégées au travail, dans les transports (à l’époque) et dans leur logement ; elles rappelaient aussi que la prévalence des comorbidités est plus élevée dans ces mêmes catégories sociales, pour de multiples raisons dont les expositions professionnelles passées. Plus récemment, l’enquête EpiCov déjà citée a confirmé et précisé plusieurs de ces constats. La catégorie des « fragiles » pourrait donc inclure les populations précaires ou peu qualifiées mais, comme souvent, on a assisté à ce que Counil et Henry (op.cit.) nomment « neutralisation des aspects sociaux et politiques de la santé par le langage épidémiologique » - à tout le moins, dans les nombres les plus diffusés auprès du grand public.

Retombées

Parmi les verbes qui nous ont servi d’intertitres, ne figurent pas des termes comme : débattre, réfléchir, vérifier, explorer… autant d’activités que l’usage rapide et normatif des chiffres n’encourage pas. Cet usage rabat les connaissances sur une petite batterie de données quantitatives, répétées à cadence élevée et guère interrogées. On se trouve dans la situation-type décrite par Desrosières : « Une fois les procédures de quantification codifiées et routinisées, leurs produits sont réifiés. Ils tendent à devenir « la réalité », par un effet de cliquet irréversible. Les conventions initiales sont oubliées, l’objet quantifié est comme naturalisé, sauf dans quelques cas où « ces « boîtes noires » sont ré-ouvertes, à l’occasion de controverses »(31). S’agissant d’une maladie inquiétante, transmissible, dans la propagation de laquelle chacun peut se sentir engagé et incriminer les autres, ce maniement des nombres est assez risqué. Nous n’en savons pas les conséquences, qui pourraient mériter une recherche spécifique. Mais nous voyons au moins deux formes de dérives possibles.

Si les « controverses » souhaitées par Desrosières n’adviennent pas, une attitude plausible est de prendre ces données…pour des données, justement (et non des « construits »), sans interroger leurs manques ni leurs faux-sens. On peut alors s’en remettre, pour les constats, les prévisions, voire pour les décisions prises à leur suite, à des gouvernants censés savoir. Mais l’insistance sur les gros chiffres cumulés peut aussi accentuer des sensations de panique. C’est ce que redoute Robert Peckham(32), compte tenu de l’ampleur prise en général par les paniques dans un monde urbanisé, hyper-relié, où les réseaux locaux d’entraide et d’échange se sont raréfiés. Dans le cas de la crise du SARS à Hong-Kong en 2003, il indique que cette « contagious panic », plutôt renforcée par les appels à « ne pas paniquer », a fait, selon certaines évaluations, davantage de victimes que l’épidémie elle-même.

Mais si les controverses ont lieu, elles peuvent aussi tourner à vide, faute d’éléments de référence communs aux locuteurs, faute même d’un langage qui permette d’interroger ensemble les résultats. Les chiffres avancés font alors face à un flot de défiance, venant d’incrédules ou de conspirationnistes qui à leur tour mobilisent leurs « vrais » chiffres, tout aussi « éblouissants ». Pour ne prendre qu’un exemple, on pouvait entendre récemment, sur la chaîne youtube de France-Soir, un médecin marseillais qui entendait ramener le risque à de justes proportions : « 3 à 9 morts par jour, pour une région de 5 millions d’habitants ». Si un débat avait pu s’amorcer, on lui aurait signalé que la courbe était ascendante (peu après, le chiffre a atteint 30 par jour) et surtout, que la comparaison n’est pas à faire avec les 5 millions d’habitants, mais avec le nombre quotidien usuel de décès dans la région, à savoir : 130 ; ce qui donnait évidemment à ce comptage une autre perspective.

Ces deux types de dérive, nous les reconnaissons bien, pour y être régulièrement confrontés dans notre propre domaine : la santé au travail. Nous devons convaincre tel directeur que le taux d’arrêt-maladie de son établissement n’a rien d’effarant mais voisine les valeurs moyennes, compte tenu des âges, sexes et métiers de ses salariés ; ce qui n’empêche pas que ces absences puissent être compliquées à gérer. Ou expliquer à des syndicalistes que tel aspect des conditions de travail dans leurs ateliers n’entraîne pas, selon les connaissances en épidémiologie, douze ans de moins d’espérance de vie comme ils l’ont entendu dire, mais peut-être deux ou trois…ce qui est déjà beaucoup.

Une bipolarisation dans l’approche des chiffres – leur dresser un piédestal, puis les vénérer ou les abattre – clôt la réflexion au lieu de l’ouvrir. Les remèdes à cela sont connus, simples à énoncer, plus compliqués à promouvoir. Revenons une dernière fois à Desrosières : « C’est en tant que pièce argumentative incluse dans des dispositifs plus vastes que la statistique prend sens »(33). Ces dispositifs plus vastes comportent l’appel à bien d’autres sources de connaissance (sans qu’aucune ne s’attribue l’autorité unique de la preuve), la confrontation aux expériences pratiques, l’élaboration d’espaces et de langages communs permettant d’entretenir la « dispute », au sens que lui donnent les cliniciens de l’activité : « l’organisation réglée et l’instruction d’un dossier technique dans lesquelles les points de vue divergent et sur lesquels il faut argumenter pour convaincre »(34). Telles que vont les choses dans cette crise de la Covid-19, on en est loin.

 

(1) La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique. La Découverte.

(2) En première analyse, le nombre de personnes contaminées un jour donné dépend de ce même nombre une semaine avant, multiplié par un « taux de reproduction » : le nombre moyen de personnes qu’un individu contagieux peut infecter, avant de cesser de l’être – cette période étant de l’ordre d’une semaine, d’après les connaissances actuelles sur le virus SARS-CoV-2. En contexte stable (météo, vacances, règlementation…), ce taux est stable aussi. L’épidémie s’étend (ou régresse) d’autant plus brutalement que le taux est supérieur (ou inférieur) à 1.

(3) Armatte M., 2010, La science économique comme ingénierie. Quantification et modélisation, Presses des Mines

(4) Nous sommes des statisticiens venus à l’ergonomie, dans un centre de recherche en santé au travail qui allie ces deux disciplines. Cela a amené notre équipe à examiner les ressources et les pièges des démarches combinant enquêtes statistiques et études sur le terrain. (Voir par exemple : Volkoff S., Molinié A-F., (2010), Quantifier sans broyer ? Les statistiques en santé au travail à la rencontre des analyses cliniques, in Lhuilier D., Clot Y. (éd.), Travail et santé – Ouvertures cliniques, Erès)

(5) Supiot A., 2020, La gouvernance par les nombres, Fayard/Pluriel

(6) Stengers I., 1997, Sciences et pouvoirs. Labor

(7) Cela supposerait par ailleurs d’évaluer correctement le nombre d’individus contaminés, ce que l’on ne fait que plus tardivement et à moins grand bruit ; ainsi que le nombre de « décès Covid », une notion moins simple à établir qu’on ne le pense – nous revenons ci-après sur ces deux points.

(8) Guedj D., 1997, La gratuité ne vaut plus rien. Seuil

(9) Rappel : cet article est rédigé mi-novembre 2020

(10) Pearce N. et al., 2020, Accurate statistics on Covid-19 are essential for policy guidance and decisions. AJPH, Juillet

(11) Quételet A., 1846, Lettres sur le Calcul des probabilité, XXVII

(12) Armatte M., 2005, Éléments pour une histoire sociale des indicateurs statistiques, communication aux Jornadas de estadistica y sociedad, Madrid, UNEDINE-EHESS

(13) Horkheimer M., Adorno T., 1944/1983, La dialectique de la raison, Gallimard (cités par Supiot, op. cit.)

(14) Armatte, 2005, op.cit.

(15) C’est une attitude que nous rencontrons souvent, dans un tout autre domaine. Quand émergent en entreprise des signes de mal-être, physique ou psychique, il n’est pas rare que la première option soit de réaliser un baromètre, par questionnaire en général – et de s’en tenir là, le devoir censément accompli.

 Epidémiologie et Conditions de Vie liées à la Covid-19

(17) Voir le n°1167 d’Etudes et Résultats (Drees), et le n°40 de Questions de santé publique (Iresp), tous deux datés d’octobre 2020

(18) Desrosières A., 1992, Discuter l’indiscutable, Raison statistique et espace public. Dans : Raisons Pratiques, 3, Pouvoir et légitimité (Editions de l’EHESS)

(19) Pronostic aventureux, d’ailleurs : à la mi-novembre ce nombre n’a pas dépassé les 5000

(20) En économie, la confrontation est brutale. En témoigne le livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg, appelant à « se débarrasser » des réflexions économiques qui ne seraient pas fondées sur des tests quantifiés, et taxant leurs opposants de « négationnisme économique » (c’est le titre de leur ouvrage paru en 2016).

(21) Nikolas Rose, 1991, Governing by Numbers : Figuring out Democracy (cité par Supiot, op.cit.)

(22) Friedrich Hayek, 1979/1995, L’ordre politique d’un peuple libre (cité par Supiot, op.cit.)

(23) Counil E., Henry E., 2016, Produire de l’ignorance plutôt que du savoir ? Travail et Emploi n°148

(24) Armatte M., 2016, Pourquoi historiciser et sociologiser la notion de modèle ? In Modélisations et sciences humaines, Lharmattan

(26) Desrosières A., 2008, La statistique, outil de gouvernement et outil de preuve. In Pour une sociologie historique de la quantification, Presses des Mines

(27) Desrosières A., 2010, op.cit.

(28) Armatte M., 2005, op.cit.

(29) Pour mémoire : la loi statistique la plus usitée est dite « loi normale » ; elle repère les individus proches de la moyenne (nombreux) et les déviants (rares).

(30) https://theconversation.com/covid-19-les-classes-populaires-paient-elles-le-plus-lourd-tribut-au-coronavirus-en-france-138190

(31) Desrosières, 2008, op.cit.

(32) Peckham R., 2020, The covid-19 outbreak has shown we need strategies to manage panic during epidemics, Blog du British Medical Journal, https://blogs.bmj.com/bmj/2020/02/21/robert-peckham-covid-19-outbreak-need-strategies-manage-panic-epidemics/

(33) Desrosières, 2008, op. cit.

(34) Yves Clot, 2014, Réhabiliter la dispute professionnelle. Journal de l’Ecoloe de Paris du Management n°105.

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27 mars 2021 6 27 /03 /mars /2021 09:00

Face à l’épidémie de Covid-19, au changement climatique ou au terrorisme, la société française est invitée à renforcer sa résilience. Dix ans après la catastrophe de Fukushima et l’adoption par le Japon d’un plan de « résilience nationale », l’Assemblée nationale examine le projet de loi Climat et résilience. En publiant Contre la résilience... le chercheur en sciences sociales Thierry Ribault se livre à une critique virulente de la « technologie du consentement » visant, selon lui, à rendre acceptable le désastre par tous. Propos recueillis par Stéphane Mandard pour Le Monde. Lire aussi Face aux crises écologique, économique et sociale, la nécessité de (re)toucher terre, " Nous devons raconter des histoires pour faire naître un monde résilient " et Pour une plus grande résilience face aux crises.

Thierry Ribault ©http://franckushima.com

Thierry Ribault ©http://franckushima.com

Chercheur en sciences sociales au CNRS, coauteur avec Nadine Ribault des Sanctuaires de l’abîme. Chronique du désastre de Fukushima (L’Encyclopédie des nuisances, 2012), Thierry Ribault vient de publier Contre la résilience. A Fukushima et ailleurs (L’Echappée). Une critique radicale d’un concept qu’il décrit à la fois comme une idéologie de l’adaptation et une technologie du consentement qui vise à rendre acceptable le désastre en évitant de nous interroger sur ses causes.

Les députés ont entamé l’examen du projet de loi Climat et résilience issu des travaux de la convention citoyenne pour le climat. Les débats se focalisent sur les mesures censées endiguer le dérèglement climatique, mais beaucoup moins sur la notion de résilience. Que recouvre-t-elle ?

La résilience tire sa force du fait de passer pour indiscutable. Prémisse à la résolution de tous les malheurs, elle nous invite à explorer les mille et une manières de plier sans rompre, se rendre conforme à notre milieu et se renforcer dans l’épreuve. Résister sans opposer de résistance et accepter que les hommes évoluent dans une société du désastre et la bénissent de les avoir rendus plus forts est son modus operandi. Apprivoiser le pire afin de stimuler nos capacités d’« antifragilité », cette force intérieure nous permettant d’anticiper les catastrophes et d’en accepter l’inéluctabilité pour aller de l’avant.

Car la résilience entend nous préparer au pire sans jamais en élucider les causes. Ce qui revient à intérioriser la menace et à transformer la réalité physique et sociale du désastre en une nécessité à laquelle on ne peut se soustraire, amenant chacun à faire l’impasse sur ce à quoi il est contraint de se soumettre pour tenter d’y répondre. Cet impératif de préparation fonde la « transition écologique et climatique » tant attendue par la loi Climat et résilience. Préparation par l’éducation, l’« accélération de l’évolution des mentalités » et la responsabilisation individuelle. Cette politique de résilience ayant toutes les allures d’une implacable et déshumanisante ingénierie du consentement, on peut comprendre que les débats portent sur les modalités de sa mise en œuvre plutôt que sur son caractère idéologique.

Vous dénoncez une idéologie de l’adaptation (au pire), une technologie du consentement qui vise à rendre acceptable le désastre, à s’accommoder du pire, en évitant de nous interroger sur ses causes. Le projet de loi Climat et résilience ambitionne pourtant d’abord de « lutter contre » le dérèglement climatique ?

La résilience est une technologie du consentement parce qu’elle est à la fois un discours tenu sur la technique et une technique elle-même, visant à amener les populations en situation de désastre à consentir à la technologie (à Fukushima, il s’agit du nucléaire), y compris aux technologies de la survie et de domptage de la nature censées répondre aux dégâts perpétrés. Il s’agit aussi de consentir aux nuisances et à leur cogestion. Consentir, encore, à l’ignorance en désapprenant à être affecté par ce qui nous touche au plus profond de nous, notre santé notamment. Consentir enfin à l’expérimentation de nouvelles conditions de vie.

Appelant à « lutter contre » le dérèglement climatique en vivant avec, et exhortant chacun à prendre part à son gouvernement de manière active, positive et citoyenne, la loi Climat et résilience s’inscrit dans la « résiliomanie » contemporaine. Elle rend émotionnellement maniable ce qui est démesurément terrifiant en euphémisant le fait que nous sommes dans la catastrophe, en concentrant ses injonctions sur la mise en ordre de marche face à celles à venir, et en tablant sur nos aptitudes à rebondir à travers elles vers un « monde de demain » déjà là.

Administrer le consentement au désastre requiert d’administrer les sentiments à son égard. Il s’agit, par la « culture du risque », de nous convier à écoper avec des affects de joie agissante, de faire de chacun un « citoyen consommateur acteur du changement », d’« impérativement changer nos mentalités, nos manières de vivre et nos manières d’agir ». Cette loi prend part à la raison catastrophique qui nous trouve toujours de bonnes raisons pour endurer le désastre au prétexte de le dépasser. Ce qui la rend contestable n’est donc pas tant qu’elle serait un collage de « mesurettes », comme s’en indignent ceux qui en attendent toujours plus d’un Etat pétrifié, mais qu’elle entérine ce nouvel esprit des nuisances reposant sur l’individualisation de leur intendance et sur le « do it yourself », cette maestria du bricolage piloté en temps de catastrophe. Esprit qui, au lendemain de l’accident nucléaire de Fukushima, a contribué à calmer la fureur des populations.

Comment est né le concept de résilience et comment a-t-il émergé dans le champ de l’écologie ?

De la science des matériaux à sa mobilisation en tant que thérapie pour tout type d’expériences douloureuses (cancer, sida, perte d’un proche, captivité, catastrophes, attentats, maltraitance), autant d’épreuves que l’on est censé supporter en leur trouvant un sens, la résilience a connu une expansion tous azimuts. Dans le champ de l’écologie, son importation s’est opérée via un édifiant détour de production. Dans les années 1950, les Américains Eugene et Howard Odum, biologistes missionnés par la Commission de l’énergie atomique des États-Unis, vont étudier la résistance des écosystèmes des atolls coralliens micronésiens, et accessoirement des populations, aux effets des particules radioactives disséminées par les essais atomiques.

C’est de l’intérêt morbide de cette « écologie des radiations » pour l’étude de la capacité du vivant à s’adapter à sa destruction et à en tirer parti, dans des îles transformées en laboratoires nucléaires jetables, dont héritera l’écologie systémique naissante. Dans les années 1970, l’écologue canadien Crawford Holling confirmera le cap et développera un programme de « sécurité écosystémique » plus libéral, baptisé Résilience, c’est-à-dire la capacité à supporter les chocs et à se réorganiser efficacement en capitalisant sur les « opportunités émergentes ».

Face à la pandémie de Covid-19, comme après les attentats de 2015, les injonctions à s’adapter ou à « vivre avec » se multiplient pour préparer le fameux « monde d’après ». Y voyez-vous de la part des responsables politiques une manière de se déresponsabiliser ?

Vivre avec le confinement, vivre avec un masque, une attestation, un couvre-feu… donc vivre en acceptant la privation de libertés et la surveillance du respect de cette privation devient irrécusable. D’autant plus que dans sa prétention à résoudre, la résilience s’empresse d’absoudre les uns et de culpabiliser les autres, ceux qui refusent de collaborer à cedit « monde d’après ». Citoyens, industriels et décideurs deviennent responsables à parts égales, comme le clame le « on va arrêter le grand n’importe quoi » de Barbara Pompili [la ministre de l’écologie, le 10 février, avant l’examen du projet de loi], qui élude la définition de ce « on » niveleur, pour mieux légitimer le fait qu’« on va embarquer tout le monde ».

La résilience permet, d’autre part, d’évacuer la réalité objective de la catastrophe et de ses suites induites par un technocapitalisme de moins en moins contrôlable, renvoyant leurs origines à la contingence, là où on a affaire à des processus socio-économiques en flagrant délit de contradiction. Rendue subjective, la catastrophe devient une question à régler avec soi-même, un dépassement à opérer dont on ne se demande jamais s’il n’est pas pire que ce qui est dépassé, une victoire à remporter sur la peur, censée anéantir la menace qui la fait naître.

Il s’agit de combattre le cancer, le dérèglement climatique, le Covid-19 ou le terrorisme, sans combattre le monde qui les fait émerger, car la résilience est toujours tournée vers l’avenir. La question devient : comment le malheur d’aujourd’hui peut-il nous conduire au bonheur de demain ? Cette liquidation du passé et du présent ôte aux populations toute perspective de prise de conscience de leur situation et de révolte.

Fukushima est présenté comme le laboratoire de la résilience. Après la catastrophe, le gouvernement japonais a élaboré un plan de résilience nationale visant à « construire une nation forte et résistante aux désastres ». Dix ans plus tard, quel bilan peut-on tirer ?

Des piscines suspendues remplies de combustible restent à la merci des tremblements de terre, trois cœurs en fusion sont irrécupérables, les eaux contaminées du site rejoindront l’océan, 90 000 liquidateurs et décontaminateurs ont été mobilisés dans des conditions de sécurité discutables, 43 000 personnes sont encore réfugiées à ce jour, et les cancers de la thyroïde sont en hausse. La catastrophe nucléaire de Fukushima est un impossible non résolu que la politique de résilience prétend solutionner.

Un ministre de la « construction de la résilience nationale » a été nommé. Un programme de décontamination enhardissant les gens à y prendre part pour désactiver leur peur de la radioactivité a été développé. Une politique d’incitation au retour des populations mettant fin à l’aide aux réfugiés et subventionnant la reconstruction d’écoles dans les communes désertées a été instaurée. Prenant le parti de peupler des hôpitaux de malades plutôt que de rendre inhabitées des terres inhabitables, une stratégie de reconquête des zones contaminées aiguillonne les gens à revenir y survivre.

Les « résiliothérapeutes » peuvent se targuer d’avoir réussi à contenir les populations exposées à la contamination, l’immense majorité n’ayant pas été déplacée, et à réduire au silence leur liberté d’avoir peur, sous couvert de les en libérer. Objectif, d’ailleurs aussi, clairement affiché par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soucieuse de « dissiper la peur de la pandémie de Covid-19 », à défaut d’en sortir.

Si la résilience est une imposture solutionniste qui mène à une impasse, alors quelle alternative lui substituer pour échapper au désastre ?

Une raison non catastrophique où l’anxiété n’est plus appréhendée politiquement comme symptôme d’une maladie de l’inadaptation, mais en tant que mouvement vécu et justifié, une tentative d’extirpation de l’état d’ignorance et d’impuissance dans lequel on se trouve. La peur est le signe d’une disposition non altérée à la liberté et à la vérité. Un moment indispensable pour prendre conscience des causes qui nous amènent à l’éprouver. Car elle est un effet de la catastrophe et non pas une conséquence, contrairement à ce qu’en dit la résiliothérapie, qui en individualise la prise en charge en culpabilisant les victimes et préconise d’apprendre à éteindre notre peur pour mieux étreindre notre malheur. Sortir de la prétention, y compris technologique, de pouvoir répondre à des situations impossibles, c’est prendre conscience de l’impuissance et de ses causes. La suite en découlera.

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