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8 avril 2020 3 08 /04 /avril /2020 09:05

À la crise sanitaire ne doit pas succéder une crise économique, financière, sociale et écologique. D’excellentes propositions du Réseau Action Climat le 3 avril 2020, répondant aux propositions de Bruno Latour dans Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise. Lire aussi Effondrement et justice sociale, Il faut immédiatement mettre en œuvre une nouvelle organisation sociale et culturelle, Une Biorégion Ile-de-France résiliente en 2050 et Paradis fiscaux et destruction environnementale : une étude montre l’ampleur des flux financiers.

Pour une plus grande résilience face aux crises

À la crise sanitaire ne doit pas succéder une crise économique, financière, sociale et écologique. Un plan de sauvetage de court-terme, dont certains éléments ont déjà été mis en place, est indispensable et doit en premier lieu agir pour soutenir les soignants et l’ensemble du personnel médical. Il doit également servir de bouclier pour que les salariés, les plus précaires, les services publics et les acteurs économiques ne subissent pas une double peine, alors que de nombreuses activités sont actuellement à l’arrêt. Les mesures de protection, en particulier des plus faibles, doivent être la priorité sur le court-terme.

Mais sur le moyen-terme, elles ne doivent pas obérer les mesures structurelles indispensables pour orienter notre pays vers une économie intégrant pleinement le changement de cap imposé par le dérèglement climatique et la perte de la biodiversité et résiliente face aux crises qui nous concernent.

Comme l’a déclaré le Président de la République : “ le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant ”.

L’urgence climatique est toujours présente. Pourtant, le risque existe de reporter les politiques nécessaires au nom du sauvetage d’une économie en récession. Or la sortie de la crise sanitaire peut et doit s’accompagner d’un changement de cap économique. Celui-ci doit s’appuyer sur quelques enseignements :

  • La destruction de la vie sauvage, de son habitat et le trafic d’espèces sauvages est à l’origine d’infections et de propagations récentes de virus impactant la santé humaine. Stopper cette destruction des espaces naturels et de la biodiversité doit être une priorité, y compris pour notre santé et pour le climat ;

  • La mondialisation accélérée, les délocalisations massives, les coupes dans certains services publics, notamment suite à la crise de 2008, ont rendu notre pays plus fragile ;

  • Les alertes des scientifiques doivent être réellement entendues et donner lieu à des politiques adaptées aux risques ;

  • Les situations de crise impactent davantage les plus modestes, les plus vulnérables et les plus précaires. Réduire ces situations de précarité est un impératif, car nous ne sommes pas tous égaux face à ces crises ;

Les mesures de sauvetage de court-terme sont indispensables. Mais lorsque la crise sanitaire arrivera à son terme, un plan de sortie de crises devra lui succéder. Ce dernier devra poser les jalons de la réorientation de notre système économique et social vers la transition écologique pour le rendre plus résilient et plus juste à moyen et long terme.

Nous avons identifié 4 piliers, pour une plus grande résilience face aux crises :

I. Un Plan de sauvetage d’urgence compatible avec la crise climatique et la lutte contre l’érosion de la biodiversité

II. Un Plan de sortie des crises : une économie et une société plus résilientes

III. Une société plus juste est plus résiliente

IV. Un nouveau cadre économique pour libérer les capacités d’investissements pour la transition

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7 avril 2020 2 07 /04 /avril /2020 10:44

Face à l’urgence sanitaire, 18 responsables d'organisations syndicales, associatives et environnementales parmi lesquels Philippe Martinez (CGT), Aurélie Trouvé (Attac), Jean-François Julliard (Greenpeace) et Cécile Duflot (Oxfam), réclament "de profonds changements de politiques", pour "se donner l'opportunité historique d'une remise à plat du système, en France et dans le monde". Suite à cette tribune parue le 27 mars, seize organisations lancent aujourd’hui 7 avril une pétition nationale pour défendre des mesures urgentes et de plus long terme, porteuses de profonds changements politiques. Cette pétition appelle les citoyen·ne·s, qui partagent le constat dressé d’urgence sociale et écologique et en ont assez des discours creux, à se mobiliser pour que le « Jour d’Après » soit construit ensemble, en rupture avec les politiques menées jusque-là. Signez !

Plus jamais ça ! Construisons ensemble le jour d’après

En mettant le pilotage de nos sociétés dans les mains des forces économiques, le néolibéralisme a réduit à peau de chagrin la capacité de nos États à répondre à des crises comme celle du Covid. La crise du coronavirus qui touche toute la planète révèle les profondes carences des politiques néolibérales. Elle est une étincelle sur un baril de poudre qui était prêt à exploser. Emmanuel Macron, dans ses dernières allocutions, appelle à des « décisions de rupture » et à placer « des services (…) en dehors des lois du marché ». Nos organisations, conscientes de l’urgence sociale et écologique et donnant l’alerte depuis des années, n’attendent pas des discours mais de profonds changements de politiques, pour répondre aux besoins immédiats et se donner l’opportunité historique d’une remise à plat du système, en France et dans le monde.

Dès à présent, toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé des populations celle des personnels de la santé et des soignant·e·s parmi lesquels une grande majorité de femmes, doivent être mises en œuvre, et ceci doit largement prévaloir sur les considérations économiques. Il s’agit de pallier en urgence à la baisse continue, depuis de trop nombreuses années, des moyens alloués à tous les établissements de santé, dont les hôpitaux publics et les Ehpad. De disposer du matériel, des lits et des personnels qui manquent : réouverture de lits, revalorisation des salaires et embauche massive, mise à disposition de tenues de protection efficaces et de tests, achat du matériel nécessaire, réquisition des établissements médicaux privés et des entreprises qui peuvent produire les biens essentiels à la santé, annulation des dettes des hôpitaux pour restaurer leurs marges de manœuvre budgétaires… Pour freiner la pandémie, le monde du travail doit être mobilisé uniquement pour la production de biens et de services répondant aux besoins essentiels de la population, les autres doivent être sans délai stoppées. La protection de la santé et de la sécurité des personnels doivent être assurées et le droit de retrait des salarié·e·s respecté.

Des mesures au nom de la justice sociale nécessaires

La réponse financière de l’État doit être d’abord orientée vers tou·te·s les salarié·e·s qui en ont besoin, quel que soit le secteur d’activité, et discutée avec les syndicats et représentant·e·s du personnel, au lieu de gonfler les salaires des dirigeant·e·s ou de servir des intérêts particuliers. Pour éviter une très grave crise sociale qui toucherait de plein fouet chômeurs·euses et travailleurs·euses, il faut interdire tous les licenciements dans la période. Les politiques néolibérales ont affaibli considérablement les droits sociaux et le gouvernement ne doit pas profiter de cette crise pour aller encore plus loin, ainsi que le fait craindre le texte de loi d’urgence sanitaire.

Selon que l’on est plus ou moins pauvre, déjà malade ou non, plus ou moins âgé, les conditions de confinement, les risques de contagion, la possibilité d’être bien soigné ne sont pas les mêmes. Des mesures supplémentaires au nom de la justice sociale sont donc nécessaires : réquisition des logements vacants pour les sans-abris et les très mal logés, y compris les demandeurs·euses d’asile en attente de réponse, rétablissement intégral des aides au logement, moratoire sur les factures impayées d’énergie, d’eau, de téléphone et d’internet pour les plus démunis. Des moyens d’urgence doivent être débloqués pour protéger les femmes et enfants victimes de violences familiales.

Les moyens dégagés par le gouvernement pour aider les entreprises doivent être dirigés en priorité vers les entreprises réellement en difficulté et notamment les indépendants, autoentrepreneurs, TPE et PME, dont les trésoreries sont les plus faibles. Et pour éviter que les salarié·e·s soient la variable d’ajustement, le versement des dividendes et le rachat d’actions dans les entreprises, qui ont atteint des niveaux record récemment, doivent être immédiatement suspendus et encadrés à moyen terme.

Des mesures fortes peuvent permettre, avant qu’il ne soit trop tard, de désarmer les marchés financiers : contrôle des capitaux et interdiction des opérations les plus spéculatives, taxe sur les transactions financières… De même sont nécessaires un contrôle social des banques, un encadrement beaucoup plus strict de leurs pratiques ou encore une séparation de leurs activités de dépôt et d’affaires.

Des aides de la BCE conditionnées à la reconversion sociale et écologique

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une nouvelle injection de 750 milliards d’euros sur les marchés financiers. Ce qui risque d’être à nouveau inefficace. La BCE et les banques publiques doivent prêter directement et dès à présent aux États et collectivités locales pour financer leurs déficits, en appliquant les taux d’intérêt actuels proches de zéro, ce qui limitera la spéculation sur les dettes publiques. Celles-ci vont fortement augmenter à la suite de la « crise du coronavirus ». Elles ne doivent pas être à l’origine de spéculations sur les marchés financiers et de futures politiques d’austérité budgétaire, comme ce fut le cas après 2008.

Une réelle remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale est nécessaire et les plus aisés devront être mis davantage à contribution, via une fiscalité du patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive.

Par ces interventions massives dans l’économie, l’occasion nous est donnée de réorienter très profondément les systèmes productifs, agricoles, industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et axés sur le rétablissement des grands équilibres écologiques. Les aides de la Banque centrale et celles aux entreprises doivent être conditionnées à leur reconversion sociale et écologique : maintien de l’emploi, réduction des écarts de salaire, mise en place d’un plan contraignant de respect des accords de Paris… Car l’enjeu n’est pas la relance d’une économie profondément insoutenable. Il s’agit de soutenir les investissements et la création massive d’emplois dans la transition écologique et énergétique, de désinvestir des activités les plus polluantes et climaticides, d’opérer un vaste partage des richesses et de mener des politiques bien plus ambitieuses de formation et de reconversion professionnelles pour éviter que les travailleurs·euses et les populations précaires n’en fassent les frais. De même, des soutiens financiers massifs devront être réorientés vers les services publics, dont la crise du coronavirus révèle de façon cruelle leur état désastreux : santé publique, éducation et recherche publique, services aux personnes dépendantes…

Relocalisation de la production

La « crise du coronavirus » révèle notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisée et un commerce international en flux tendu, qui nous empêchent de disposer en cas de choc de biens de première nécessité : masques, médicaments indispensables, etc. Des crises comme celle-ci se reproduiront. La relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services, doit permettre d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux, de reprendre le contrôle sur les modes de production et d’enclencher une transition écologique et sociale des activités.

La relocalisation n’est pas synonyme de repli sur soi et d’un nationalisme égoïste. Nous avons besoin d’une régulation internationale refondée sur la coopération et la réponse à la crise écologique, dans le cadre d’instances multilatérales et démocratiques, en rupture avec la mondialisation néolibérale et les tentatives hégémoniques des États les plus puissants. De ce point de vue, la « crise du coronavirus » dévoile à quel point la solidarité internationale et la coopération sont en panne : les pays européens ont été incapables de conduire une stratégie commune face à la pandémie. Au sein de l’Union européenne doit être mis en place à cet effet un budget européen bien plus conséquent que celui annoncé, pour aider les régions les plus touchées sur son territoire comme ailleurs dans le monde, dans les pays dont les systèmes de santé sont les plus vulnérables, notamment en Afrique.

Tout en respectant le plus strictement possible les mesures de confinement, les mobilisations citoyennes doivent dès à présent déployer des solidarités locales avec les plus touché·e·s, empêcher la tentation de ce gouvernement d’imposer des mesures de régression sociale et pousser les pouvoirs publics à une réponse démocratique, sociale et écologique à la crise.

Plus jamais ça ! Lorsque la fin de la pandémie le permettra, nous nous donnons rendez-vous pour réinvestir les lieux publics et construire notre « jour d’après ». Nous en appelons à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société, pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral.

Retrouvez ci-dessous la liste des signataires :

Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France
Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France
Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT
Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne
Benoit Teste, secrétaire général de la FSU
Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France
Eric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires
Clémence Dubois, responsable France de 350.org
Pauline Boyer, porte-parole d’Action Non-Violente COP21
Léa Vavasseur, porte-parole d’Alternatiba
Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire
Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au Logement
Lisa Badet, vice-présidente de la FIDL, Le syndicat lycéen
Jeanette Habel, co-présidente de la Fondation Copernic
Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature
Mélanie Luce, présidente de l’UNEF
Héloïse Moreau, présidente de l’UNL

Signez vous aussi !

Plus jamais ça ! Construisons ensemble le jour d’après
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6 avril 2020 1 06 /04 /avril /2020 14:52

Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant. Par Bruno Latour, Philosophe et sociologue le 30 mars 2020. Lire aussi sa tribune précédente « La crise sanitaire incite à se préparer à la mutation climatique », et sur ce blogLe climat, un nouvel horizon politique et Bruno Latour : Comment représenter les forêts, les pôles et les océans.

Bruno Latour

Bruno Latour

Il y a peut-être quelque chose d’inconvenant à se projeter dans l’après-crise alors que le personnel de santé est, comme on dit, « sur le front », que des millions de gens perdent leur emploi et que beaucoup de familles endeuillées ne peuvent même pas enterrer leurs morts. Et pourtant, c’est bien maintenant qu’il faut se battre pour que la reprise économique, une fois la crise passée, ne ramène pas le même ancien régime climatique contre lequel nous essayions jusqu’ici, assez vainement, de lutter.

En effet, la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise – toujours passagère – mais une mutation écologique durable et irréversible. Si nous avons de bonne chance de « sortir » de la première, nous n’en avons aucune de « sortir » de la seconde. Les deux situations ne sont pas à la même échelle, mais il est très éclairant de les articuler l’une sur l’autre. En tout cas, ce serait dommage de ne pas se servir de la crise sanitaire pour découvrir d’autres moyens d’entrer dans la mutation écologique autrement qu’à l’aveugle.

La première leçon du coronavirus est aussi la plus stupéfiante : la preuve est faite, en effet, qu’il est possible, en quelques semaines, de suspendre partout dans le monde et au même moment, un système économique dont on nous disait jusqu’ici qu’il était impossible à ralentir ou à rediriger. À tous les arguments des écologiques sur l’infléchissement de nos modes de vie, on opposait toujours l’argument de la force irréversible du « train du progrès » que rien ne pouvait faire sortir de ses rails, « à cause », disait-on, « de la globalisation ». Or, c’est justement son caractère globalisé qui rend si fragile ce fameux développement, susceptible au contraire de freiner puis de s’arrêter d’un coup.

En effet, il n’y a pas que les multinationales ou les accords commerciaux ou internet ou les tour operators pour globaliser la planète : chaque entité de cette même planète possède une façon bien à elle d’accrocher ensemble les autres éléments qui composent, à un moment donné, le collectif. Cela est vrai du CO2 qui réchauffe l’atmosphère globale par sa diffusion dans l’air ; des oiseaux migrateurs qui transportent de nouvelles formes de grippe ; mais cela est vrai aussi, nous le réapprenons douloureusement, du coronavirus dont la capacité à relier « tous les humains » passe par le truchement apparemment inoffensif de nos divers crachotis. A globalisateur, globalisateur et demi : question de resocialiser des milliards d’humains, les microbes se posent un peu là !

Cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage.

D’où cette découverte incroyable : il y avait bien dans le système économique mondial, caché de tous, un signal d’alarme rouge vif avec une bonne grosse poignée d’acier trempée que les chefs d’État, chacun à son tour, pouvaient tirer d’un coup pour stopper « le train du progrès » dans un grand crissement de freins. Si la demande de virer de bord à 90 degrés pour atterrir sur terre paraissait encore en janvier une douce illusion, elle devient beaucoup plus réaliste : tout automobiliste sait que pour avoir une chance de donner un grand coup de volant salvateur sans aller dans le décor, il vaut mieux avoir d’abord ralenti…

Malheureusement, cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage. Les globalisateurs, ceux qui depuis le mitan du XXe siècle ont inventé l’idée de s’échapper des contraintes planétaires, eux aussi, y voient une chance formidable de rompre encore plus radicalement avec ce qui reste d’obstacles à leur fuite hors du monde. L’occasion est trop belle, pour eux, de se défaire du reste de l’État-providence, du filet de sécurité des plus pauvres, de ce qui demeure encore des réglementations contre la pollution, et, plus cyniquement, de se débarrasser de tous ces gens surnuméraires qui encombrent la planète [1].

N’oublions pas, en effet, que l’on doit faire l’hypothèse que ces globalisateurs sont conscients de la mutation écologique et que tous leurs efforts, depuis cinquante ans, consistent en même temps à nier l’importance du changement climatique, mais aussi à échapper à ses conséquences en constituant des bastions fortifiés de privilèges qui doivent rester inaccessibles à tous ceux qu’il va bien falloir laisser en plan. Le grand rêve moderniste du partage universel des « fruits du progrès », ils ne sont pas assez naïfs pour y croire, mais, ce qui est nouveau, ils sont assez francs pour ne même pas en donner l’illusion. Ce sont eux qui s’expriment chaque jour sur Fox News et qui gouvernent tous les États climato-sceptiques de la planète de Moscou à Brasilia et de New Delhi à Washington en passant par Londres.

Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause

Ce qui rend la situation actuelle tellement dangereuse, ce n’est pas seulement les morts qui s’accumulent chaque jour davantage, c’est la suspension générale d’un système économique qui donne donc à ceux qui veulent aller beaucoup plus loin dans la fuite hors du monde planétaire, une occasion merveilleuse de « tout remettre en cause ». Il ne faut pas oublier que ce qui rend les globalisateurs tellement dangereux, c’est qu’ils savent forcément qu’ils ont perdu, que le déni de la mutation climatique ne peut pas durer indéfiniment, qu’il n’y a plus aucune chance de réconcilier leur « développement » avec les diverses enveloppes de la planète dans laquelle il faudra bien finir par insérer l’économie. C’est ce qui les rend prêts à tout tenter pour extraire une dernière fois les conditions qui vont leur permettre de durer un peu plus longtemps et de se mettre à l’abri eux et leurs enfants. « L’arrêt de monde », ce coup de frein, cette pause imprévue, leur donne une occasion de fuir plus vite et plus loin qu’ils ne l’auraient jamais imaginé [2]. Les révolutionnaires, pour le moment, ce sont eux.

C’est là que nous devons agir. Si l’occasion s’ouvre à eux, elle s’ouvre à nous aussi. Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

Par exemple, l’autre jour, on présentait à la télévision un fleuriste hollandais, les larmes aux yeux, obligé de jeter des tonnes de tulipes prêtes à l’envoi qu’il ne pouvait plus expédier par avion dans le monde entier faute de client. On ne peut que le plaindre, bien sûr ; il est juste qu’il soit indemnisé. Mais ensuite la caméra reculait montrant que ses tulipes, il les fait pousser hors-sol sous lumière artificielle avant de les livrer aux avions cargo de Schiphol dans une pluie de kérosène ; de là, l’expression d’un doute : « Mais est-il bien utile de prolonger cette façon de produire et de vendre ce type de fleurs ? ».

Nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation

De fil en aiguille, si nous commençons, chacun pour notre compte, à poser de telles questions sur tous les aspects de notre système de production, nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation – aussi efficaces, millions que nous sommes, que le fameux coronavirus dans sa façon bien à lui de globaliser la planète. Ce que le virus obtient par d’humbles crachotis de bouches en bouches – la suspension de l’économie mondiale –, nous commençons à l’imaginer par nos petits gestes insignifiants mis, eux aussi, bout à bout : à savoir la suspension du système de production. En nous posant ce genre de questions, chacun d’entre nous se met à imaginer des gestes barrières mais pas seulement contre le virus : contre chaque élément d’un mode de production dont nous ne souhaitons pas la reprise.

C’est qu’il ne s’agit plus de reprendre ou d’infléchir un système de production, mais de sortir de la production comme principe unique de rapport au monde. Il ne s’agit pas de révolution, mais de dissolution, pixel après pixel. Comme le montre Pierre Charbonnier, après cent ans de socialisme limité à la seule redistribution des bienfaits de l’économie, il serait peut-être temps d’inventer un socialisme qui conteste la production elle-même. C’est que l’injustice ne se limite pas à la seule redistribution des fruits du progrès, mais à la façon même de faire fructifier la planète. Ce qui ne veut pas dire décroître ou vivre d’amour ou d’eau fraîche, mais apprendre à sélectionner chaque segment de ce fameux système prétendument irréversible, de mettre en cause chacune des connections soi-disant indispensables, et d’éprouver de proche en proche ce qui est désirable et ce qui a cessé de l’être.

D’où l’importance capitale d’utiliser ce temps de confinement imposé pour décrire, d’abord chacun pour soi, puis en groupe, ce à quoi nous sommes attachés ; ce dont nous sommes prêts à nous libérer ; les chaînes que nous sommes prêts à reconstituer et celles que, par notre comportement, nous sommes décidés à interrompre [3]. Les globalisateurs, eux, semblent avoir une idée très précise de ce qu’ils veulent voir renaître après la reprise : la même chose en pire, industries pétrolières et bateaux de croisière géants en prime. C’est à nous de leur opposer un contre-inventaire. Si en un mois ou deux, des milliards d’humains sont capables, sur un coup de sifflet, d’apprendre la nouvelle « distance sociale », de s’éloigner pour être plus solidaires, de rester chez soi pour ne pas encombrer les hôpitaux, on imagine assez bien la puissance de transformation de ces nouveaux gestes-barrières dressés contre la reprise à l’identique, ou pire, contre un nouveau coup de butoir de ceux qui veulent échapper pour de bon à l’attraction terrestre.

Un outil pour aider au discernement

Comme il est toujours bon de lier un argument à des exercices pratiques, proposons aux lecteurs d’essayer de répondre à ce petit inventaire. Il sera d’autant plus utile qu’il portera sur une expérience personnelle directement vécue. Il ne s’agit pas seulement d’exprimer une opinion qui vous viendrait à l’esprit, mais de décrire une situation et peut-être de la prolonger par une petite enquête. C’est seulement par la suite, si vous vous donnez les moyens de combiner les réponses pour composer le paysage créé par la superposition des descriptions, que vous déboucherez sur une expression politique incarnée et concrète — mais pas avant - cf. https://www.facebook.com/pg/leslilasecologie/posts/ pour partager nos réponses et comparer votre description avec celles d’autres participants. La compilation puis la superposition des réponses devraient dessiner peu à peu un paysage composé de lignes de conflits, d’alliances, de controverses et d’oppositions. Attention : ceci n’est pas un questionnaire, il ne s’agit pas d’un sondage. C’est une aide à l’auto-description [3].

Il s’agit de faire la liste des activités dont vous vous sentez privés par la crise actuelle et qui vous donnent la sensation d’une atteinte à vos conditions essentielles de subsistance. Pour chaque activité, pouvez-vous indiquer si vous aimeriez que celles-ci reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout. Répondez aux questions suivantes :

Question 1 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?

Question 2 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît nuisible/ superflue/ dangereuse/ incohérente ; b) en quoi sa disparition/ mise en veilleuse/ substitution rendrait d’autres activités que vous favorisez plus facile/ plus cohérente ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 1.)

Question 3 : Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?

Question 4 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles se développent/ reprennent ou celles qui devraient être inventées en remplacement ?

Question 5 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît positive ; b) comment elle rend plus faciles/ harmonieuses/ cohérentes d’autres activités que vous favorisez ; et c) permettent de lutter contre celles que vous jugez défavorables ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 4.)

Question 6 : Quelles mesures préconisez-vous pour aider les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs à acquérir les capacités/ moyens/ revenus/ instruments permettant la reprise/ le développement/ la création de cette activité ?

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[1] Voir l’article sur les lobbyistes déchaînés aux Etats-Unis par Matt Stoller, « The coronavirus relief bill could turn into a corporate coup if we aren’t careful », The Guardian, 24.03.20.

[2] Danowski, Deborah, de Castro, Eduardo Viveiros, « L’arrêt de monde », in De l’univers clos au monde infini (textes réunis et présentés). Ed. Hache, Emilie. Paris, Editions Dehors, 2014. 221-339.

[3] L’auto-description reprend la procédure des nouveaux cahiers de doléance suggérés dans Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017, cf. Bruno Latour : « Faisons revivre les cahiers de doléances, et développés depuis par le consortium Où atterrir http://www.bruno-latour.fr/fr/node/841.html

 

 

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11 décembre 2019 3 11 /12 /décembre /2019 12:31

Depuis lundi 9 décembre, l’Assemblée nationale examine le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Les auteurs de cette tribune déplorent que les principales mesures de réglementation de la publicité en aient été évacuées au prétexte d’attendre un rapport publié… après le vote de la loi. Par Résistance à l’agression publicitaire (RAP) qui lutte, depuis plus de 25 ans, contre le système publicitaire et ses effets négatifs, directs et indirects, sur l’environnement et les citoyens. RAP a publié lundi 9 décembre un rapport qui expose les principaux dommages environnementaux de la publicité et formule des préconisations pour les combattre. Lire aussi De Google à Pokémon Go, un capitalisme de surveillance et La "niche" parlementaire des écologistes aujourd'hui.

En refusant de réglementer la publicité, le gouvernement sacrifie l’écologie

C’était officiel depuis 2018 : la « feuille de route » de l’économie circulaire engageait le gouvernement à « renforcer la lutte contre la publicité incitant à la mise au rebut prématurée des produits et au gaspillage des ressources » [1]. En septembre 2019, le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire était voté au Sénat. Prenant acte des promesses de la feuille de route, des député.e.s de la majorité et de l’opposition ont déposé de nombreux amendements visant à interdire la publicité pour des produits climaticides (SUV, fast-food, textile, smartphones…), à réguler légalement et précisément les contenus publicitaires incitant au gaspillage, ou à interdire les supports publicitaires polluants comme les écrans ou les prospectus. Autant de mesures urgentes pour limiter le gaspillage de biens et d’énergie : on sait aujourd’hui que 88 % des Français.e.s changent leur smartphone alors qu’il fonctionne encore [2], que 9 % des produits textiles sont invendus, ou que la mode des SUV est à elle seule responsable du retour à la hausse des émissions carbone [3]. Qui, sinon les agences publicitaires, lancent ces modes et encouragent ce renouvellement inutile de nos biens ? On sait également qu’un écran publicitaire numérique consomme autant d’électricité que trois familles françaises (hors chauffage électrique), et qu’un quart de la production française de papier est consacrée aux prospectus ! Des objets dont, bien souvent, personne ne veut : en plus d’être inutile, cette surconsommation d’énergie et de ressources nous est imposée. Elle est d’autant plus inacceptable que la précarité énergétique touche environ cinq millions de Français.e.s [4].

Hélas, dans le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire actuellement soumis au vote de l’Assemblée nationale, on ne trouve aucun de ces amendements. Ils ont été balayés en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire par la secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire, Brune Poirson, ainsi que par la rapporteuse. Celles-ci ont déclaré à maintes reprises vouloir attendre, pour légiférer sur la publicité, la publication d’un rapport commandé par le ministère à des personnalités indépendantes. À tel point que la présidente de la commission leur a réclamé publiquement l’accès à ce rapport. Problème : ce rapport (pour lequel RAP a été auditionnée) doit être rendu… en mars 2020. Soit, après le vote de la loi !

Emmanuel Macron : « Je ne prendrai pas de lois pour interdire les publicités » 

La secrétaire d’État et la rapporteuse ont également invoqué, pour éviter de réguler la publicité, la liberté du commerce et de l’industrie, soulignant la valeur constitutionnelle de ce principe. Elles omettent de préciser que l’on peut y déroger, notamment pour des raisons de santé publique — c’est ce qui s’est passé pour la loi Évin, qui interdit la publicité pour le tabac et réglemente la publicité pour l’alcool. Elles négligent aussi le fait que dissuader la consommation de produits nocifs est aujourd’hui un impératif de santé publique. Interdire la publicité pour les trajets aériens intranationaux ou pour les SUV, c’est participer à la réduction de la pollution de l’air, responsable de décès prématurés et de troubles respiratoires. Interdire la publicité pour les fast-foods et les bouteilles en plastique jetables, c’est limiter les déchets et protéger la population des dangers liés à une mauvaise alimentation et aux perturbateurs endocriniens véhiculés par les plastiques [5]. Interdire les écrans publicitaires numériques, c’est protéger la population des troubles liés à la pollution lumineuse… Les exemples abondent, mais le temps manque : comment accepter une telle mise en délai du gouvernement ? Comment comprendre de telles contradictions ?

Ce qui se passe aujourd’hui confirme ce qu’Emmanuel Macron avait affirmé le 28 février 2019 à Pessac (Gironde) en disant : « Je ne prendrai pas de lois pour interdire les publicités. » Pourtant, en ce moment crucial où a lieu la COP25 à Madrid, et face à l’urgence climatique, il est nécessaire de changer notre mode de vie pour en finir avec la surconsommation. Face à ce désengagement politique majeur, il est de notre responsabilité de nous engager pour faire entendre raison aux décideurs afin de faire interdire ces publicités nocives pour la société et l’environnement.

Consultez le rapport de Résistance à l’agression publicitaire (RAP)

Considérant que réglementer la publicité est une urgence sociale, environnementale et démocratique, RAP a publié lundi 9 décembre son propre rapport, qui expose les principaux effets environnementaux de la publicité et formule des préconisations pour les combattre :

  • interdire les contenus publicitaires incitant à la dégradation, à la mise au rebut, au non-entretien et au remplacement prématuré des biens, ainsi que les messages publicitaires incitant à racheter plutôt qu’à réparer et à recycler plutôt qu’à réemployer ;
  • interdire la publicité pour certains produits dont la consommation de masse est particulièrement nocive pour l’environnement : les SUV, les vols intranationaux, la restauration rapide, les bouteilles d’eau en plastique jetable, le textile d’habillement, les smartphones ;
  • interdire les supports énergivores et imposés : écrans numériques, prospectus. Plus généralement, l’association condamne l’autorégulation de la publicité, milite pour confier le contrôle des contenus publicitaires à une autorité légitime, efficace et indépendante, et pour réduire la pression publicitaire dans nos vies quotidiennes.

[1] Mesure 16 de la feuille de route de l’économie circulaire https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/feuille-route-economie-circulaire-frec

[2] Ce chiffre, issu d’une étude de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) de 2017, a également été diffusé par… le ministère de la Transition écologique et solidaire !

[3] Vous pouvez retrouver dans notre rapport https://antipub.org/publicite-et-loi-economie-circulaire-un-rapport-de-lassociation-r-a-p-pointe-les-contradictions-du-gouvernement/ toutes les références des chiffres cités dans cette tribune.

[4] Selon les chiffres de l’Ademe.

[5] Ce que vient de confirmer publiquement un rapport commandé par… le gouvernement ! Cf aussi Nous mangeons du plastique !

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8 novembre 2019 5 08 /11 /novembre /2019 15:12

Au grand dam des élus locaux et des associations inquiets pour l’emploi, Emmanuel Macron a annoncé jeudi l’abandon de la construction du site géant de loisirs et de commerces, mais pas de l’urbanisation de cette zone agricole du Val-d’Oise. D’après Le Monde et Libération le 8 novembre 2019. Lire aussi Il faut stopper EuropaCity - marche citoyenne de Gonesse à Matignon 4 et 5 octobre, Comment peut-on promouvoir l'urbanisme d'Europacity dans le contexte de crise climatique actuel ? et Les opposants à EuropaCity occupent le triangle de Gonesse et continuent à bloquer les travaux de la future gare.

Installation de la ZAD de Gonesse, le 7 septembre.  Photo Corentin Fohlen. Divergence

Installation de la ZAD de Gonesse, le 7 septembre.  Photo Corentin Fohlen. Divergence

Le gouvernement a annoncé, jeudi 7 novembre, à l’occasion du troisième Conseil de défense écologique, l’abandon pur et simple du projet de mégacomplexe de loisirs et de commerces censé ouvrir en 2027 à Gonesse, dans le Val-d’Oise, à 15 kilomètres au nord de Paris. Vivement contesté depuis des années par un front de plus en plus large d’opposants, ce projet était devenu malgré lui un symbole de l’artificialisation des terres agricoles au profit de grands projets inutiles.

Comme l’arrêt du projet minier Montagne d’or en Guyane au printemps, cette décision spectaculaire se veut le reflet de la priorité à l’environnement revendiquée par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron. « Nous avons eu du mal à arrimer la promesse écologique de l’acte II du quinquennat par des décisions concrètes ; cette fois, nous avons une masse critique qui nous permet d’afficher la couleur verte », reconnaît-on à l’Elysée.

Le site d’EuropaCity était envisagé dans le « triangle de Gonesse », au nord de Paris. INFOGRAPHIE « LE MONDE »

Le site d’EuropaCity était envisagé dans le « triangle de Gonesse », au nord de Paris. INFOGRAPHIE « LE MONDE »

Porté par la filiale d’immobilier commercial du groupe Auchan, Ceetrus, et le conglomérat chinois Wanda, EuropaCity promettait d’attirer 30 millions de visiteurs par an dans ses allées paysagées, en mixant un colossal cocktail de parcs de loisirs, d’équipements culturels, d’hôtels et de commerces, au prix d’un investissement de plus de 3 milliards d’euros et de l’artificialisation de 80 hectares de cultures céréalières.

« C’est un projet d’une autre époque, fondé sur une consommation de masse d’objets et de loisirs, explique-t-on à l’Elysée. Ce n’est vraiment pas vers ce modèle que s’oriente le gouvernement : nous souhaitons éviter autant que possible ce genre d’équipements, qui concentrent l’activité à l’écart des villes, dévitalisent les centres historiques et créent d’importants besoins de transports. » Pour l’exécutif, « il ne s’agit pas de dire qu’on ne peut plus jamais consommer de terres agricoles, mais il faut que ce soit pour un projet soutenable, d’un intérêt majeur. Or EuropaCity est un projet daté, même s’il a évolué positivement. »

« Abandon des banlieues » ou défaite des élus locaux ?

Les promoteurs, qui travaillent sur ce projet depuis dix ans et y ont déjà consacré « plusieurs dizaines de millions d’euros », l’avaient fortement amendé depuis deux ans pour répondre aux critiques. Le design initial du « starchitecte » danois Bjarke Ingels, qui réunissait l’ensemble du programme dans un bloc fermé semblable à une gigantesque soucoupe volante, a laissé la place à un plan plus ouvert, plus urbain, aux architectures variées. Surtout, le 4 octobre, la société Alliages & Territoires, créée par Ceetrus et Wanda pour porter le projet, avait annoncé une série de mesures « vertes » : compensation intégrale des terres artificialisées, neutralité carbone, abandon de la piste de ski "indoor", réduction draconienne de la place réservée aux commerces…

Dans un entretien aux Echos, le 24 octobre, le président de Ceetrus, Vianney Mulliez, appelait le gouvernement à « faire preuve de courage politique ». « S’il devait renoncer, cela poserait une nouvelle fois la question de la parole de l’Etat, notamment vis-à-vis des grands investisseurs internationaux », prévenait-il. « Ceetrus n’a pas trop à se plaindre : ils ont obtenu la gare du Nord », balaye un familier du dossier, en référence au vaste chantier de rénovation et d’agrandissement de la gare parisienne, remporté par la foncière d’Auchan et mené malgré l’opposition de la Ville de Paris.

Ces dernières semaines, l’exécutif hésitait entre deux pistes : un arrêt immédiat, privilégié par Elisabeth Borne, ou un sursis de quelques mois

La ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, avait été chargée par l’Elysée et Matignon, au mois de septembre, de consulter l’ensemble des acteurs du dossier EuropaCity – promoteurs, aménageurs, élus, opposants… – pour remettre un avis sur les suites à lui donner. Ces dernières semaines, l’exécutif hésitait entre deux pistes : un arrêt immédiat, privilégié par Mme Borne, ou un sursis de quelques mois, qui aurait permis d’avancer dans la recherche d’alternatives et de laisser passer les municipales de mars 2020 sans courroucer les élus locaux.

Car l’abandon d’EuropaCity promet de provoquer l’ire des collectivités du Val-d’Oise. Dans cette partie déshéritée du département, qui se vit comme le parent pauvre du Grand Paris, le complexe et sa promesse de 10 000 emplois directs étaient attendus comme des sauveurs. « L’arrêt du projet signifierait un abandon des banlieues, alors que la fracture territoriale s’élargit », estimait le maire (PS) de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, le 4 octobre, au cours d’une conférence de presse des élus locaux pour défendre le projet.

Rappelant que c’est l’Etat qui avait aiguillé EuropaCity vers ce territoire à la suite des émeutes de la ville voisine de Villiers-le-Bel en 2007, la présidente (LR) du département, Marie-Christine Cavecchi, avait averti que, sans perspective de développement économique, « ces populations seraient à nouveau face à un mur, sans espoir ». Appelant chacun « à ses responsabilités », l’élue prévenait que « s’il arrivait malheur à EuropaCity, “gilets jaunes” et “bonnets rouges” auront été de la gnognotte au regard de la révolte des Val-d’Oisiens ».

« Mensonge d’Etat »

Pour les rassurer, le gouvernement a décidé de confier une mission sur le développement économique de ce territoire à Francis Rol-Tanguy, un haut fonctionnaire familier des questions d’aménagement. « Il va travailler en concertation avec les élus pour définir des alternatives qui correspondent plus aux orientations du gouvernement, vers un projet plus mixte, mêlant bureaux, industries, voire agroalimentaire », indique l’Elysée.

A ce stade, pas question, donc, de renoncer à aménager ces terres agricoles du Triangle de Gonesse situées entre les aéroports de Roissy et du Bourget, dont l’urbanisation est programmée depuis près de trente ans par l’Etat et la région Ile-de-France. Une zone d’aménagement concerté (ZAC) de près de 300 hectares a été créée, dont EuropaCity était jusqu’à présent la locomotive. « Urbaniser le Triangle sans EuropaCity, c’est un mensonge d’Etat que je dénonce par avance », insistait le sénateur (LR) du Val-d’Oise, Arnaud Bazin, le 4 octobre.

L’ensemble de la ZAC replonge en tout cas dans une grande incertitude, alors même que doivent débuter cet automne, en pleins champs, les travaux d’une gare de la future ligne 17 du Grand Paris Express censée desservir ce pôle d’activité à venir. « L’objectif n’est pas de remettre en cause la ligne 17 », assure l’Elysée, même si les visiteurs d’EuropaCity pesaient pour près de moitié dans l’équilibre déjà fragile de cette liaison souterraine.

Par ce choix, le gouvernement prend le risque de fâcher à la fois les partisans d’EuropaCity et les adversaires écologistes du projet, qui rejettent en réalité toute urbanisation du Triangle de Gonesse et défendent un ambitieux programme alternatif de cultures maraîchères périurbaines. Des opposants qui étendent désormais leur combat au chantier de la future gare. Avec une première victoire : saisi par plusieurs associations écologistes, le rapporteur public du tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a demandé, mercredi 6 novembre, la suspension pour dix mois de l’autorisation environnementale de la ligne 17. Derrière l’abandon d’EuropaCity se dissimule le risque d’un effet domino.

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17 octobre 2019 4 17 /10 /octobre /2019 11:53

Agnès Sinaï, journaliste spécialisée en environnement, fait partie des tenants de la théorie de la collapsologie. Celle-ci prédit un effondrement brutal de la société industrielle et envisage les solutions que pourra déployer la population pour y faire face. Ainsi, Agnès Sinaï invite élus et collectivités à infléchir leurs politiques publiques afin de bâtir un modèle plus résilient. Entretien de Laura Fernandez Rodriguez et Romain Gaspar publié le 15 octobre 2019 par La Gazette des communes. Lire aussi Pour éviter la catastrophe, il faut la considérer comme certaine, selon Pablo Servigne, Effondrement et justice sociale, Il faut immédiatement mettre en œuvre une nouvelle organisation sociale et culturelle et Une Biorégion Ile-de-France résiliente en 2050.

Agnès Sinaï, par V. Vincenzo / La Gazette

Agnès Sinaï, par V. Vincenzo / La Gazette

Se définir collapsologue (néologisme issu du latin « collapsus », « s’écrouler », et du suffixe « logos », « discours ») et prédire un effondrement de la société industrielle n’est pas commun. C’est pourtant ce qu’a fait la journaliste spécialisée en environnement Agnès Sinaï, qui dit avoir eu « un déclic de conscience » en 2007 lorsqu’elle a réalisé « que l’humanité et les sociétés industrielles étaient un facteur de transformation accélérée de la terre ». Pour celle qui a initié dès 2010 un cours sur les politiques de décroissance à Sciences-po, il faut arrêter « de réfléchir en silo et essayer de penser l’interdépendance des phénomènes, afin d’avoir une vision d’ensemble ». En 2011, pour structurer le mouvement connu aujourd’hui sous le nom de collapsologie, elle fonde l’Institut Momentum, think tank qui s’intéresse aux issues de la société industrielle et aux transitions nécessaires pour amortir le choc social de la fin du pétrole.

Agnès Sinaï dérange certains scientifiques. Elle répond aux critiques : « Les membres sont bénévoles. Nous ne sommes pas un bureau d’études financé par les grandes entreprises et nous ne voulons pas l’être. » Elle a récemment réalisé, avec l’ex-député écologiste Yves Cochet et l’ingénieur Benoît Thévard, une étude sur le devenir de l'Île-de-France en 2050 parue sur ce blog, pour le think tank de la SNCF Forum vies mobiles. Ils ont imaginé à quoi ressemblerait la plus riche région de France à la suite d’un effondrement environnemental de grande ampleur. Il ne s’agissait pas de dérouler un scénario chaotique où la violence aurait pris le dessus, mais de dessiner une région rendue plus agréable à vivre, et qui aurait mis fin à un clivage délétère entre villes et campagnes. Agnès Sinaï plaide pour une cohérence réelle entre l’utilisation des fonds publics et des objectifs de résilience territoriale. En prévision de l’effondrement, elle invite élus et collectivités à infléchir leurs politiques publiques afin de bâtir un modèle plus résilient.

Comment les élus perçoivent-ils la collapsologie ?

Pour les élus, il est délicat de s’avouer collapsologues car ils doivent proposer aux citoyens une forme de sécurité qui est en contradiction avec notre constat d’un effondrement à venir. La collapsologie n’est pourtant ni pessimiste ni démobilisatrice. Elle prône une inflexion radicale des politiques publiques qui n’est pas facile à vivre pour un élu qui n’a pas toutes les clés. S’avouer collapsologue, c’est risquer de passer pour un fou, car la dominante du moment n’est pas celle-là. Mais, pour les élus, l’importance est à davantage de résilience des territoires face aux tensions climatiques, énergétiques, agricoles et économiques qui s’annoncent. Comment créer une sécurité face à ces risques ? Catastrophe climatique, crise financière, panne énergétique, électrique ou d’acheminement dans la mondialisation… L’élu local ne peut pas ne pas y penser.

Les citoyens sont souvent en avance sur leurs élus. Ils ouvrent la voie car les élus sont en retard sur ces questions. Les maires sont pourtant en première ligne, mais il faudrait les titiller davantage sur le sujet ! Les initiatives émergent encore trop souvent à la discrétion de la sensibilité des édiles, comme ce qu’a tenté Damien Carême (ex-maire EELV) à Grande-Synthe (Nord). L’approche du municipalisme portée par Murray Bookchin (militant et essayiste écologiste libertaire américain, ndlr) me semble une piste intéressante, pour repenser une démocratie locale plus forte. Il faut, en tout cas, réhabiliter la noblesse du commun, du communal, de la commune. On pourrait imaginer des assemblées plus variées, pourquoi pas par tirage au sort pour les citoyens, où les métiers, les associations, et les ressources naturelles seraient représentés, par le biais d’écologues venant nous parler de l’eau, de la terre, de l’air. Les conseils municipaux manquent encore de diversité et de parité.

A quels signaux faibles les collectivités doivent-elles se montrer attentives ?

Avec les prévisions du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dont l’un des scénarios prévoit une hausse de 7 °C de la température d’ici 2100, les élus ne peuvent que mettre ces thèmes à leur agenda. Il faut observer les signaux faibles tels que les alertes climatiques, les sécheresses, le risque de crise alimentaire… L’hyperdépendance des territoires vis-à-vis de flux mondialisés, y compris énergétiques ou alimentaires, est vraiment à prendre au sérieux. Sur l’énergie par exemple, on vit dans l’illusion que tout fonctionne mais il faut imaginer que cela puisse ne plus être le cas parce que le système est très centralisé autour de quelques centrales nucléaires. Imaginons qu’il n’y ait plus d’eau autour d’elles pour les refroidir, ou qu’elles arrivent à terme dans dix ans. On est beaucoup trop dépendant de cet évangile des macrosystèmes techniques. Les citoyens ont besoin de reconquérir une certaine forme de souveraineté sur leur vie quotidienne. Il faut lutter contre leur impuissance face à ces réseaux mondialisés qui arrivent jusqu’au cœur des territoires.

Comment la notion de résilience peut-elle se développer sur nos territoires ?

Il y a énormément d’initiatives de la part des collectivités qui prennent ces questions au sérieux. Je ne jetterai pas la pierre aux élus locaux. Santé, transport, habitat, gestion des ressources… Les collectivités locales ont les leviers. Les grandes villes du monde s’organisent déjà à travers le C40 (le Cities Climate Leadership Group, une organisation qui rassemble 81 des plus grandes villes de 49 pays), qui vise à lutter contre le dérèglement climatique. D’ailleurs, dans la gouvernance mondiale et les COP, les collectivités demeurent dans un principe de réalité par rapport aux délégués, négociateurs et professionnels, qui gardent un langage technocratique.

En France aussi, certains élus sont en pointe. La ville de Paris a nommé un haut responsable de la résilience, rémunéré par la Fondation Rockefeller. A Avignon s’organise une mobilité douce avec le tramway dans les quartiers populaires. A Grande-Synthe, un revenu écologique est en test. Mais les forces conservatrices dominent encore. Notre planche de salut ne peut passer que par des éléments concrets des collectivités sur les transports en commun, la densification ou l’étalement urbain

En Ile-de-France, quels sont les grands risques que vous identifiez, et comment les dépasser ?

Nous avons réalisé un scénario à l’horizon 2050 selon trois hypothèses : l’effondrement du système a eu lieu, les territoires ont dû trouver une nouvelle forme d’autonomie (énergie, alimentation, mobilité) et une décroissance démographique en a résulté. Nous avons identifié trois grands risques, ayant la même cause : des réseaux contrôlés par très peu d’acteurs. Ainsi, le réseau énergétique et pétrolier qui alimente l’Ile-de-France dépend d’un pipeline arrivant du Havre. S’il ne fonctionne plus, il n’y a plus de carburant, or 96 % de la mobilité francilienne dépend des produits pétroliers. Autre point de vulnérabilité : l’agriculture. Le point d’entrée, Rungis, est dépendant des camions, des autoroutes. Et quasiment toute l’agriculture est exportée. On peut aussi s’interroger sur l’eau potable, même si un réel effort est mené par Eau de Paris.

Nous proposons de mobiliser 1,5 million d’actifs dans les 40 prochaines années pour participer à des travaux agricoles, avec une dimension coopérative de polymétiers, et où les habitants vivraient à 8 kilomètres maximum de leur travail. Nous passerions de 2,5 tonnes équivalent – pétrole par habitant par an à 1 tonne, soit le niveau de vie du début des années 60, ce qui n’est pas un sacrifice énorme, mais correspondrait à l’arrêt de l’utilisation massive de l’auto, à une dédensification et à une détertiarisation du système. On se déplacerait moins, on redéploierait les activités et la démographie en vidant Paris d’une part de ses habitants, ce qui repeuplerait des régions périphériques en déshérence. La ruralité retrouverait une plus juste considération.

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Biorégion, l’Ile-de-France après l’effondrement en 2050

L’institut Momentum a réalisé pour le Forum Vies Mobiles, un think tank de la SNCF, une étude de plus de 240 pages disséquant à quoi pourrait ressembler cette région après un effondrement. Les trois hypothèses testées étaient les suivantes : la prise de conscience a trop tardé et l’effondrement du système actuel a eu lieu, les territoires ont dû trouver une nouvelle forme d’autonomie en termes d’approvisionnement énergétique, de production alimentaire et de modes de déplacement, et une décroissance démographique d’envergure en a résulté. Trop dépendante à un réseau mondialisé et pas assez résiliente pour faire face aux crises, la région doit alors changer radicalement de visage, pour se réorganiser en plusieurs biorégions, plus autosuffisantes et résilientes.

Rapport sur l'Île-de-France après l'effondrement

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11 octobre 2019 5 11 /10 /octobre /2019 09:29

On se croyait en start-up nation. On se retrouve à Tchernobyl. Qu’en un instant tout le glamour de pacotille de la Station F et des écrans tactiles s’écroule pour faire revenir d’un coup des images d’URSS n’aura pas été le moindre des paradoxes de l’explosion Lubrizol. Par Frédéric Lordon le 7 octobre 2019 sur son blog du « Diplo ».

Albert Goodwin. — « Apocalypse », 1903

Albert Goodwin. — « Apocalypse », 1903

On se croyait en start-up nation. On se retrouve à Tchernobyl. Qu’en un instant tout le glamour de pacotille de la Station F et des écrans tactiles s’écroule pour faire revenir d’un coup des images d’URSS n’aura pas été le moindre des paradoxes de l’explosion Lubrizol. Il faut pourtant s’y rendre : des pompiers envoyés en toute méconnaissance de ce qui les attendait, avec pour tout équipement « spécial » de pauvres masques de bricolage pareils à ceux des manifestants, à piétiner des heures dans la sauce qui troue les bottes et leur promet des pieds comme des choux-fleurs — et tout ceci, parfaite ironie, alors que la série Chernobyl venait de remporter un succès de visionnage bien fait pour consolider la commisération réservée aux régimes soviétiques et le sentiment de supériorité capitaliste (au prix tout de même de devoir oublier que Tchernobyl était en sandwich entre Three Miles Island et Fukushima).

Mais plus encore que les bottes et les masques, il y a le mensonge, le mensonge énorme, le mensonge partout, sans doute le propre des institutions en général, mais la marque de fabrique de ce gouvernement qui, en tous domaines, l’aura porté à des sommets inouïs. Jusqu’au stade de la rodomontade obscène : si elle avait été rouennaise, nous assure Sibeth Ndiaye, « elle serait restée ». On croirait entendre un secrétaire régional du PCUS d’Ukraine juste avant de fourrer d’urgence sa famille dans un autocar — mais les images de CRS en masque à gaz pendant que le préfet assurait de la parfaite normalité de la situation avaient déjà tout dit.

Sibeth Ndiaye n’a pas eu à « rester » puisqu’elle n’était pas là. Mais il n’est pas trop tard pour un acte de bravoure rationnelle, et il est encore temps d’y aller ! On peut même l’aider : un « Pot commun » devrait rassembler sans difficulté de quoi lui offrir une semaine dans un Formule 1 des environs, avec vue sur le sinistre et cadeau de bienvenue, une bouteille de Château Lapompe, directement tirée au robinet, un peu grise sans doute mais assûrement goûteuse, en tout cas certifiée potable par toutes les autorités.

Mais tous les mensonges n’y pourront rien : l’événement synthétise toute une politique et en dresse l’incrimination. Car voilà ce qu’il en coûte aussi — entendre : au-delà des destructions sociales et humaines — de faire le choix de tout accorder à « l’entreprise ». Un article d’Actu Environnement, accablant à proportion de sa froide sobriété, détaille les silencieux démantèlements réglementaires qui ont conduit à l’accident, et dont on voit comme en transparence la philosophie à la graisse de phoque qui les a animés : agilité, libération des énergies, attractivité du territoire, simplification administrative, accueil des investisseurs, accueil de Warren (1), accueil des bidons, rangez ça là comme vous voulez. Quand, sous le présupposé que tout ce que fait « l’entreprise » est bon pour tous, on laisse « l’entreprise » faire ce qu’elle veut, alors, en effet, « l’entreprise » … fait ce qu’elle veut. Mais avec un mot gentil tout de même, pour le Vivre Ensemble, puisque la directrice de Lubrizol s’est dite « réellement embarrassée » — on ne fait pas plus concerné.

Nous apprenons donc l’existence de décrets, publiés en juin 2018, avec pour effet d’assouplir les critères de soumission à l’évaluation environnementale, et d’une loi Essoc d’août 2018 qui retire ces évaluations à l’autorité environnementale indépendante pour la remettre au préfet. Nous apprenons aussi qu’« Essoc » veut dire « État au service d’une société de confiance ». Sans doute faut-il habiter suffisamment loin de Rouen pour regagner la possibilité d’en rire.

Comme à la balançoire, l’abaissement des normes d’un côté est fait pour remonter de l’autre dans les classements internationaux « d’attractivité » du type Doing business (Banque mondiale). Alors tout devient permis : on décide qu’une partie de ce qui était classé « Seveso » redevient « Belle des champs », et que l’autre ne mérite pas qu’on en fasse une marmite. Ces tolérances-là tombent rarement dans l’oreille d’un sourd. Lubrizol connaissait la musique. Le détail des augmentations de capacité obtenues en douce (avec la bénédiction du préfet) pour entasser de nouvelles saletés est vertigineux. Et comme rien ne doit être fait pour froisser « l’entreprise », qui s’y entend pour menacer tous les quatre matins de partir sous d’autres cieux si on la contrarie, on regarde d’un œil bienveillant les manquements répétés, et le cas échéant on donne une gentille tape sur les doigts — 4000 euros d’amende pour le dernier, on imagine le tonnerre de rire à Omaha, siège de Berkshire Hathaway.

La prise d’otages dans la société présente n’est pas celle qu’on croit — celle dont les médias jouissent si fort de se faire une obsession : la grève (des cheminots, des éboueurs, de qui on veut, tous des preneurs d’otages de toute façon). La vraie prise d’otages, c’est celle du capital, celle qui dit « ce sera l’emploi avec les bidons, ou rien du tout » — et qui, pour finir, empile les bidons mais détruit les emplois !

Quand le macronisme accorde tout à « l’entreprise » au motif qu’« elle crée l’emploi », il ajoute au contresens économique une licence sans frais : un droit élargi à « ce qu’on veut », piétiner les salariés (France Télécom, Free, Lidl, La Poste), piétiner l’environnement, piétiner la morale, piétiner la société. Et voilà peut-être le sens général du macronisme, tel qu’il se trouve fatalement incriminé par l’événement Lubrizol : l’autorisation générale — pour le capital. Doublé, très logiquement, par la répression générale — pour tous ceux qui ne l’entendent pas ainsi.

De la même manière que les grotesques incantations du « Vivre ensemble » sont le plus sûr indicateur d’une société où l’oligarchie fait sécession, le mâchonnage de la « responsabilité de l’entreprise » est celui d’un capital à qui tous les degrés de l’irresponsabilité ont été ouverts. Il n’y a que les amateurs de bondieuseries sécularisées pour croire que la vertu sauvera le monde, c’est-à-dire auto-régulera les salaires patronaux, auto-disciplinera la finance, et auto-nettoiera les petites salissures de l’industrie. Sauf imbécillité complète caparaçonnée d’idéologie, nul ne peut croire que ceux à qui on donne toutes les autorisations n’iront pas au bout de toutes les autorisations. D’ailleurs ils y vont.

Nous savons donc maintenant de connaissance certaine que le capitalisme, assisté de tous ses fondés de pouvoir gouvernementaux, détruira jusqu’au dernier mètre carré de forêt, assèchera jusqu’à la dernière goutte de pétrole, polluera jusqu’au dernier étang, et suicidera jusqu’au dernier salarié suicidable (il faudra bien en garder quelques-uns) pour extraire le profit jusqu’au dernier euro. Il s’agirait maintenant de faire quelque chose de ce savoir.

Günther Anders & Hannah Arendt

Günther Anders & Hannah Arendt

Oui ou non

Il y a plus de trente ans, un philosophe allemand, Günther Anders, avait pris ses résolutions. Premier mari d’Hannah Arendt, il s’était intéressé simultanément, comme elle au procès Eichmann, et pour son propre compte à l’événement Hiroshima, c’est-à-dire à l’entrée de l’humanité dans l’âge nucléaire. La conjonction n’avait rien de fortuit puisqu’il y allait à ses yeux dans l’un et l’autre cas de l’intégrité de l’humanité.

Du procès de Nuremberg à celui de Jérusalem, on sait assez qu’il a été question de crime contre l’humanité. Avec Hiroshima, c’est de la possibilité que l’humanité entière soit anéantie qu’il s’agit. Par un conflit nucléaire bien sûr, mais pas seulement. Sous le rapport de cet anéantissement, Anders ne fait aucune différence entre le nucléaire militaire et le nucléaire civil. C’est peu dire que Tchernobyl et Fukushima donnent raison à ses anticipations. Un accident nucléaire qui passerait « le cran d’après » chiffrerait ses conséquences en pans entiers d’humanité.

On dira que, sauf grossière exagération, Lubrizol ne joue pas dans la même catégorie. Lubrizol non, mais tous les Lubrizols mis ensemble oui. Et par « les Lubrizols », en fait, il ne faut pas entendre seulement les malfaiteurs qui entassent n’importe comment des bidons toxiques en sachant qu’ils n’auront qu’à payer de leur sentiment « d’embarras », mais l’ensemble des entreprises qui concourent hardiment, mais quotidiennement, et surtout légalement !, au massacre de la planète et des hommes — soit : le capitalisme.

Voilà ce que nous apprennent les temps présents, spécialement, mais pas seulement, leurs accidents les plus spectaculaires : que le capitalisme tout entier entre de droit dans l’angoisse rationnelle d’Anders, qu’en réalité « le nucléaire » n’en est que la métonymie, qu’une puissance a surgi, qui porte le potentiel, non : la certitude, de détruire l’humanité entière, et que cette puissance, c’est le capitalisme.

Pendant ce temps les bardes médiatiquement consacrés de « l’alerte climatique » continuent à freiner des quatre fers pour ne pas avoir à nommer le danger. Surtout ne pas dire « capitalisme » puisqu’un simple enchaînement logique nécessiterait alors de dire « anti-capitaliste ». Dire… n’importe quoi d’autre : « les hommes », ou tiens « l’homme », voilà c’est « l’homme », c’est la faute de « l’homme », l’« anthropocène », merveilleux l’anthropocène, on peut continuer à faire des tribunes dans Le Monde et des pétitions de célébrités — qu’on pourrait se brosser pour enrôler dans des horreurs « anti-capitalistes ».

L’inconséquence est partout. Deux fois de suite, Le Monde sort ce qu’il a de plus gros comme titraille (même le 11-Septembre est enfoncé) sur « le changement climatique bientôt il sera trop tard » pour replâtrer sa statue de grande conscience, pendant qu’il continue par ailleurs de soutenir de toutes ses fibres le monde même qui engendre ce qu’il dénonce en corps 80.

Anders, lui, vomit l’inconséquence. Alors ce philosophe reconnu, couvert de prix, jette son capital symbolique à la rivière, ou plutôt dans la bataille, et enchaîne logiquement ses idées. Il écrit un livre dont le titre est frappant : La violence, oui ou non. Ce qui retient l’attention dans ce titre, c’est l’absence de point d’interrogation. Il ne s’agit pas comme le ferait n’importe quel ventre mou installé de s’offrir un petit frisson mais bien dans les formes de la dissertation Sciences-Po : partie 1, la violence, parfois on peut comprendre ; partie 2, mais il y quand même du contre ; conclusion, vraiment beaucoup de contre, à éviter pour rester des démocrates.

Anders n’est pas un barde, il n’est pas faux-cul au Monde, il ne sort pas de Sciences-Po. Il est logique. Si des hommes ont monté une machine qui à coup sûr détruira l’humanité, il faut détruire la machine et, si nécessaire, ses hommes, avant qu’ils ne nous détruisent. C’est ce qu’il dit. Carrément. Oui ou non, en lieu et place de Oui ou non ?, signifie non qu’« il y a du pour et du contre » mais qu’il y a deux camps, et qu’il va falloir choisir. Il y a ceux qui laisseront faire la destruction de l’humanité par inconséquence, c’est-à-dire refus des moyens, et il y aura les autres. On a beau se croire pas feignant en matière d’anticapitalisme, on en reste un peu la chique coupée.

Anders n’est pas près d’être repris par les bardes. Quel sentiment d’effroi ne leur inspirerait pas la manière, pourtant implacable, dont Nuremberg et Hiroshima se sont accrochés dans son esprit — et dont serait venu s’accrocher en toute logique l’idée de l’écocide capitaliste. L’idée de l’écocide c’est-à-dire de l’anthropocide. Car dans tous les cas il s’agit de penser l’idée de crime contre l’humanité, ni plus ni moins, quoique en ajoutant une forme étendue, et inattendue, à la notion que l’après-guerre nous a fait acquérir.

Par crime contre l’humanité, nous avons d’abord désigné l’extermination d’un peuple à raison de ce qu’il est. D’un peuple, c’est-à-dire d’une fraction de l’humanité, mais en y voyant une réalisation de l’humanité générique. Mais, suggère Anders, comment la possibilité qu’une machine de création humaine détruise l’humanité elle-même, non pas générique et partielle, mais numérique et entière, comment cette possibilité ne tomberait-elle pas a fortiori sous la notion de crime contre l’humanité ? On ne voit pas trop ce qui pourrait venir se mettre en travers de l’argument, d’une évidence difficilement résistible. Cependant, allez faire dire à un barde que le capitalisme est criminel contre l’humanité. Alors que c’est bien ça, maintenant, qu’il faut dire. Et qu’il faut en tirer les conséquences. Oui ou non.

Post-scriptum. Tchernobyl, capitalisme ?

Le macronien, s’il s’en trouve un seul pour lire ce texte, n’a pas eu à aller au bout pour croire tenir son triomphe – dont il pense même avoir trouvé les armes dès la première ligne. Et Tchernobyl précisément ? C’est le capitalisme ?

La réponse à cette dernière question est moins simplement négative que ne l’imagine ce lecteur. Il y a longtemps, tout un courant du marxisme critique avait soutenu la thèse que l’URSS était moins l’antonyme du capitalisme qu’elle n’en était une variante spéciale, inattendue sans doute, mais une variante quand même. Son argument tenait que la planification centrale et un régime de propriété intégralement étatique des moyens de production n’avaient pas altéré les rapports sociaux fondamentaux par lesquels se définit le capitalisme : le rapport monétaire-marchand, le rapport salarial, la visée de l’accumulation, même si elle est ici séparée du mobile du profit.

Avec l’accumulation, en fait, on tient le point commun pertinent : « socialisme » et capitalisme sont l’un et l’autre des productivismes. Et c’est comme productivismes que ni l’un ni l’autre ne possèdent quelque point d’arrêt interne, quelque force de rappel. Les productivismes sont voués à l’accumulation, et l’accumulation est par construction un processus indéfini, sans terme assignable, qui ne sait que croître sans limite. L’objection d’un épuisement de la planète n’entre pas dans sa logique interne. C’est pourquoi en matière de désastre écologique, les « socialismes », également, se seront posés un peu là. Deux productivismes donc, mais chacun modulés par leurs tares respectives : pour le dire rapidement, l’incurie des organisations hiérarchiques quasi-militaires dans un cas, l’aveuglement de la quête sans frein du profit dans l’autre.

Et dans les deux cas, un accrochage avec les logiques d’État. Accrochage intime dans le cas soviétique, puisque l’État a absorbé toutes les entités productives, plus subtil dans le second, mais non moins réel, puisque l’État est comme le bras institutionnel des entités privées du capital à qui il aménage les conditions d’opération (réglementaires, légales) les plus décontractées. De là que le mensonge d’État, de l’État comme gardien général de l’ordre social, socialiste ou capitaliste, soit également présent à Tchernobyl comme à Lubrizol.

En réalité il y a deux manières simples de couper court à cette discussion. 1) L’histoire a tranché et, de ces deux productivismes saccageurs, il ne reste qu’un à combattre : le capitalisme. 2) Il n’y a que dans la tête de Laurent Joffrin ou de Nicolas Demorand, on veut dire de tous ceux qui tiennent éditos et micros, que sortir du capitalisme ne peut pas avoir d’autre sens que reconstruire une URSS.

 

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3 octobre 2019 4 03 /10 /octobre /2019 09:09

Depuis la crise de 1929, les industriels fabriquent toujours plus de marchandises à la longévité toujours plus limitée. L’impératif environnemental implique de ralentir la consommation frénétique des biens. Mais comment remettre en cause le pilier d’un système que soutiennent presque tous les gouvernements ? Une idée simple et d’allure inoffensive pourrait ouvrir la brèche. Par Razmig Keucheyan pour Le Monde Diplomatique de septembre 2019. Lire aussi Ce que la bataille culturelle n’est pas et Apple, Samsung et Microsoft, champions de l’obsolescence programmée.

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Comment sortir du consumérisme ? En étendant la durée de garantie des objets. Un simple constat justifie cette proposition : 80 % des marchandises tombées en panne pendant la garantie sont rapportées au vendeur ou au constructeur pour réparation (1). La proportion varie bien entendu selon les cas : on tient moins à une imprimante qu’à une montre, et on attend de la seconde une plus grande longévité, quand bien même toutes deux affichent le même prix. Même s’il représente une estimation globale, ce chiffre peu connu indique que l’écrasante majorité des consommateurs fait valoir son droit quand l’occasion se présente.

Or, sitôt la période de garantie terminée, le taux de réparation chute de plus de moitié — à moins de 40 % pour les appareils électriques et électroniques, par exemple. À tort ou à raison, le propriétaire juge alors plus pratique et/ou moins onéreux d’acheter un nouveau grille-pain ou un nouvel ordinateur. Il est donc possible de prolonger la vie des objets en changeant le droit : plus on étend la durée de la garantie, plus on répare les marchandises, et plus on accroît leur longévité. Le rythme de leur renouvellement, de l’exploitation des ressources naturelles et des flux d’énergie qu’implique leur fabrication s’en trouve par là même ralenti. La garantie, ça n’a l’air de rien. Elle constitue pourtant un puissant levier de transformation économique, et par là politique.

En France, plusieurs associations regroupées en collectif revendiquent l’allongement de la garantie. Les Amis de la Terre, soutenus notamment par France Nature Environnement, Halte à l’obsolescence programmée (HOP) et le Réseau Action Climat, ont lancé une pétition réclamant l’extension de la garantie à dix ans (2). Depuis la loi consommation de 2014, dite « loi Hamon », le droit français fixe à deux ans sa durée minimale, conformément à une directive européenne de 1999. Auparavant, rien n’empêchait les constructeurs de la fixer par exemple à un an ou même six mois. Le passage à dix ans — ou davantage — nous ferait basculer dans un autre monde. Il bouleverserait la production et la consommation des marchandises. Combinée à d’autres mesures, cette rupture du renouvellement incessant des biens ferait advenir une société plus soutenable sur le plan environnemental.

Réparer plutôt que racheter

On comprend sans peine pourquoi les industriels s’y opposent bec et ongles. Moins de marchandises déversées sur les marchés signifie, toutes choses égales par ailleurs, moins de profits. Certes, la réparation pourrait devenir un secteur profitable — elle l’est déjà dans certaines filières et fait vivre des milliers de garagistes. Mais cela impliquerait de repenser de fond en comble les modèles productifs en vigueur.

Soucieux de tuer dans l’œuf le désir même d’un tel bouleversement, les industriels répètent que le consommateur paierait in fine le coût d’une augmentation de la durée de la garantie. Des demandes de réparation beaucoup plus nombreuses susciteraient immanquablement des frais supplémentaires pour les fabricants et les vendeurs, lesquels se répercuteraient sur les prix. Ou alors, pleurnichent-ils, l’innovation actuellement dopée par la rotation perpétuelle des produits risquerait de s’essouffler. Ralentir le rythme reviendrait à faire perdre à la recherche et développement sa centralité dans le fonctionnement du capitalisme. Là encore, le consommateur paierait finalement l’addition, mais cette fois en matière de liberté, puisqu’il perdrait la possibilité de changer de smartphone aussi souvent qu’il le souhaite.

Les industriels ont raison sur un point : garantir les marchandises plus longtemps suppose de les produire autrement, avec des matériaux durables. C’est la fin de la civilisation du jetable, pilier, notamment depuis l’invention du rasoir Gillette à la fin du XIXe siècle, de la société de consommation (3). Allonger les garanties légales supposerait aussi de rendre les pièces détachées disponibles sur le long terme : dix ans, voire davantage, comme cela existe pour certains constructeurs d’électroménager. Les fabricants limitent volontairement leur disponibilité afin de provoquer l’obsolescence. Obtenir ces composants s’avère long et fastidieux. Même le vendeur ne sait pas s’ils existent encore. Et le consommateur n’a pas le temps d’attendre : il rachète un bien neuf.

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Créer un fichier central des pièces détachées par secteur, accessible à tous, serait un premier pas nécessaire. Des embryons de répertoires de ce type existent déjà, par exemple dans l’automobile. Il s’agirait d’en démocratiser l’accès. La législation sur le copyright et le secret industriel ne pourront demeurer en l’état. Car derrière l’exigence de disponibilité des pièces détachées se profile la question de la propriété privée. Si une entreprise peut mettre un bien sur le marché et tirer bénéfice de sa vente, c’est qu’elle possède sur lui des droits exclusifs. De ceux-ci découlent en dernière instance les profits des capitalistes. Les mettre en question, comme l’a fait le mouvement ouvrier depuis ses origines, ouvrirait la voie à une autre organisation de l’économie.

Si l’on veut augmenter la durée de la garantie, il faudra davantage de réparateurs. Or, en dix ans, la moitié des indépendants ont fermé boutique en France (4). La réparation automobile se porte bien, mais, en matière d’électroménager ou de cordonnerie, le pays se désertifie. Si on allonge la garantie, cette noble profession retrouve toute sa place. Dans certains centres-villes, le mouvement des Repair Cafés, où des bricoleurs invitent des consommateurs à venir réparer leurs objets, suscite l’engouement (5). Effet de mode rétro, sans doute, mais aussi conséquence de la crise, qui incite nombre de personnes à retaper plutôt qu’à renouveler.

La profession de réparateur indépendant présente une particularité : elle n’est pas délocalisable. Quand votre smartphone tombe en panne, il est parfois envoyé à l’autre bout du monde, puis réexpédié. C’est le cas notamment lorsque la réparation passe par l’enseigne (situation la plus fréquente en France) ou par le fabricant (en Allemagne, par exemple). À l’inverse, l’intervention d’un réparateur indépendant mobilise un humain présent sur place en chair et en os. Contrairement à ce que prétendent les industriels, à savoir que l’extension de la garantie menacerait l’emploi en augmentant les coûts de fabrication et de distribution, plus de garantie suppose plus de réparations, et donc davantage de travail. Mais, bien sûr, la structure du marché du travail devrait évoluer : il incomberait à l’État de mettre en œuvre des mesures de reconversion vers cette activité.

Rallonger la durée de disponibilité des pièces détachées et ressusciter le secteur de la réparation ne sert à rien si les marchandises ne sont pas réparables, c’est-à-dire conçues pour pouvoir l’être. Or c’est de moins en moins le cas. Coller les composants ou les visser : ce simple choix entrave ou facilite le remplacement d’une pièce. Pour les structures dites « monoblocs », d’un seul tenant, l’idée même de composant disparaît : il n’y en a plus qu’un seul, à prendre ou à jeter, comme le montre l’exemple des phares automobiles. Les fabricants n’ont nul besoin de pratiquer l’obsolescence programmée stricto sensu. Il leur suffit de concevoir des marchandises impossibles à réparer. C’est beaucoup plus simple et juridiquement moins risqué.

L’allongement de la garantie fournirait un levier pour la relocalisation de la production, sans laquelle la transition écologique n’a aucune chance d’aboutir. En effet, les produits à bas coût en provenance de l’autre bout du monde, à grand renfort d’émissions de gaz à effet de serre, pourront difficilement satisfaire aux exigences d’une garantie décennale. On l’oublie souvent : la mondialisation marchande a pour corollaire une dégradation de la qualité des biens, ainsi que l’absence de garantie pour beaucoup d’entre eux. S’ils devaient couvrir leurs produits durant dix ans, les industriels devraient contraindre leurs fournisseurs, nombreux et géographiquement dispersés, à leur procurer des composants de qualité (6).

Enfin, l’allongement de la garantie doit s’accompagner de l’affichage du prix d’usage, qui, selon la loi Hamon, désigne « la valeur marchande associée à l’usage du service rendu par un bien meuble, et non à la propriété de ce bien (7) ». Le gouvernement de l’époque a confié cette expérimentation au bon vouloir des industriels, sans la rendre obligatoire. Résultat : personne n’a entendu parler du prix d’usage. Il s’agit pourtant d’un outil étonnant. Le prix affiché d’un bien peut être modique, mais son prix d’usage élevé. Les deux varient même souvent en proportion inverse. Un prix bas masque vraisemblablement la piètre qualité des composants, et/ou — cela va généralement de pair — les conditions de travail désastreuses des producteurs. Le prix d’usage inclut les coûts cachés : ceux de la durée de vie limitée qui contraindra le consommateur à renouveler le produit à brève échéance. L’affichage d’un tel indicateur pourrait inciter les clients à payer plus cher à l’achat afin de s’épargner des frais élevés pendant le cycle de vie de l’objet.

Le calcul du prix d’usage dépend de la durée de vie « normale » du bien. Toute marchandise possède une longévité attendue, estimée à la conception et entrée dans nos représentations. Nous attendons qu’un réfrigérateur fonctionne plus longtemps qu’un smartphone — renouvelé en moyenne tous les vingt mois (8). Plus le produit est durable, plus son prix d’usage baisse, puisque le coût total de l’utilisation se divise par un plus grand nombre d’années. D’autres critères entrent en ligne de compte. Si une voiture vieillissante occasionne des frais de réparation de plus en plus élevés, le coût d’usage explosera.

Ouvrir la boîte noire des prix ne peut que favoriser des changements d’habitudes en matière de consommation. Lorsqu’on achète un aliment, une étiquette nous informe de manière plus ou moins exacte et complète de sa composition — nutriments et calories, notamment. Cependant, on ne sait rien de ses conditions de production, du salaire des producteurs ou des marges des fournisseurs (9). Cela vaut non seulement pour les aliments, mais, à des degrés divers, pour toutes les marchandises.

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

L’affichage du prix d’usage doit s’accompagner d’une information précise portant sur l’ensemble du processus de production. Un nouveau type d’étiquette serait rendu obligatoire, indiquant les conditions de travail qui ont présidé à la production : salaires, temps de travail, respect de l’égalité femmes-hommes, etc. On renouerait alors avec la tradition des labels syndicaux, qui attestaient jadis la présence de syndicats dans les usines ou les magasins (10). Lorsqu’il s’agit d’un bien durable, l’étiquette précisera également le coût estimé de son usage dans le temps, un indicateur qui renseigne sur la qualité des matériaux, et donc sur la soutenabilité environnementale.

À terme, la logique d’affichage du prix d’usage prépare les consciences à un basculement plus fondamental, que certains appellent l’« économie de la fonctionnalité » : on vend des usages, et non plus des objets. Je n’achète plus une voiture, mais du temps de conduite. En d’autres termes, il n’y a plus de transfert de propriété. C’est le principe de la location, généralisé à l’économie tout entière. La valeur d’usage devient alors hégémonique par rapport à la valeur d’échange.

Mais, afin que les bénéfices de ce mode d’échange ne soient pas capturés par des plates-formes privées, il importe que la propriété des biens soit collective. Quand nous louons une voiture, l’entreprise de location possède le véhicule, ce qui lui donne le droit d’imposer des conditions et un prix. Mais, si le parc automobile devenait propriété sociale (commune ou publique), les utilisateurs pourraient peser sur ces conditions et sur ce prix : la démocratie commence à s’exercer sur les usages, avec ses débats et ses contradictions.

Pour rendre concevable une transition de ce genre, il faudra encore affronter les forces sociales qui soutiennent la valeur d’échange. Elles sont puissantes. Dans cette perspective, l’économie de la fonctionnalité doit s’accompagner d’un projet politique à même de mobiliser de larges secteurs sociaux et, en premier lieu, les classes populaires. La défense de la valeur d’usage contre la propriété privée forme le socle commun du socialisme et de l’écologie politique ; elle en constituera sans nul doute le point de départ.

Razmig Keucheyan, Sociologue, auteur de l’ouvrage Les besoins artificiels. Comment sortir du consumérisme, La Découverte, Paris, à paraître le 19 septembre 2019.

(1) « Allonger la durée de vie de nos biens : la garantie à dix ans, maintenant ! Note de plaidoyer » (PDF), Les Amis de la Terre, septembre 2016.

(2) « Signez la pétition “Garantie dix ans maintenant” », Les Amis de la Terre, 24 octobre 2016.

(3) Serge Latouche, Bon pour la casse. Les déraisons de l’obsolescence programmée, Les Liens qui libèrent, Paris, 2012.

(4) Allonger la durée de vie de nos biens : la garantie à dix ans, maintenant ! Note de plaidoyer » (PDF) op. cit.

(5) Nicolas Six, « Dans un Repair Café, avec les bénévoles qui redonnent vie aux objets cassés », Le Monde, 1er octobre 2017.

(6) Philippe Moati, « Étendre la garantie sur les biens à dix ans », Le Monde, 3 mai 2010.

(7) Loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, chapitre ii, section 1, article 4.

(8) Clément Chauvin et Erwann Fangeat, « Allongement de la durée de vie des produits » (PDF), étude menée pour le compte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Angers, février 2016.

(9) Franck Cochoy, Marie Plessz, Diane Rodet et François Sarfati, « La consommation low cost », La Nouvelle Revue du travail, no 12, Paris, 2018.

(10) Jean-Pierre Le Crom, « Le label syndical », dans Jean-Pierre Le Crom (sous la dir. de), Les Acteurs de l’histoire du droit du travail, Presses universitaires de Rennes, 2005.

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1 octobre 2019 2 01 /10 /octobre /2019 12:32

Pour l’agronome et théoricien de la collapsologie, tout l’enjeu est de limiter l’impact sur les populations de ce bouleversement provoqué par le réchauffement climatique. Propos recueillis par Audrey Garric le 28 septembre 2019 pour Le Monde. Lire aussi Il faut immédiatement mettre en œuvre une nouvelle organisation sociale et culturelle et « Nous sommes l’espèce la plus coopérative du monde vivant ».

L’ingénieur agronome français et chercheur indépendant et transdisciplinaire Pablo Servigne, en janvier 2018 à Paris. Serge Picard / Agence VU

L’ingénieur agronome français et chercheur indépendant et transdisciplinaire Pablo Servigne, en janvier 2018 à Paris. Serge Picard / Agence VU

Amazonie en feu, Bahamas ravagées par le cyclone Dorian, terres épuisées, records de température au mois de juillet. Partout, les témoignages de la catastrophe climatique en cours s’accumulent, s’ajoutant aux conflits géopolitiques et à la fébrilité des marchés financiers. Les collapsologues y voient autant de signes avant-coureurs de l’effondrement à venir de notre civilisation. Une ou des catastrophes auxquelles il faut se préparer, estime l’agronome Pablo Servigne, coauteur de plusieurs livres, dont le best-seller Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015).

Dans les années 1980, on a annoncé l’hiver nucléaire, dans les années 2000, la fin du pétrole, et maintenant, l’apocalypse écologique et climatique. Pourquoi devrait-on vous croire lorsque vous annoncez un effondrement imminent ?

On s’est rapproché de l’échéance : désormais, ce ne sont pas les générations futures qui sont concernées, mais celles d’aujourd’hui. Dans nos livres, nous avons essayé d’être le plus rationnels possible sur les risques systémiques que court notre société. On montre que le système humain et la biosphère sont liés, et que des effondrements dans l’un peuvent entraîner des effondrements dans l’autre. Le paradoxe, c’est que plus notre société est puissante et complexe, plus elle est vulnérable.

Dans les travaux scientifiques que l’on cite, les experts parlent de possibilité que des chocs systémiques arrivent ; il reste toujours une incertitude. Personnellement, je vais plus loin et je ne suis pas le seul. J’ai l’intuition que cela va arriver, que c’est certain. C’est une conviction qui se nourrit de science, mais qui sort du cadre strictement scientifique. En considérant la catastrophe comme certaine, on augmente les chances de l’éviter, d’agir. Et notre horizon, notre vie, notre rapport au monde changent.

Comment les crises écologique, financière et politique se nourrissent-elles ?

Les crises écosystémiques peuvent déclencher des crises humaines qui peuvent en déclencher des écosystémiques en retour. Notre société a, par exemple, provoqué un réchauffement climatique qui fait fondre les glaciers de l’Himalaya, ce qui risque de déstabiliser la région, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, etc. Cela augmente donc le risque de conflits armés pour les ressources en eau, ce qui diminue encore la capacité à agir pour préserver l’environnement… L’hyperconnexion du fait de la mondialisation – flux économiques, d’informations, de matériaux, de ressources, etc. – vient accélérer et aggraver la dynamique de rupture.

Actuellement, c’est le calme avant la tempête. On voit de nombreux signes avant-coureurs d’effondrements partiels qui peuvent faire effet domino : le retour des autoritarismes, les canicules, les pénuries, la fébrilité des marchés financiers, les tensions géopolitiques comme la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine… C’est comme si l’on était dans une pièce où la concentration en gaz a augmenté et qu’on ne savait pas d’où allait venir l’étincelle.

Pourtant, certains experts comme le climatologue Jean Jouzel estiment que rien n’est inéluctable et que les collapsologues sous-estiment « la force de résilience de l’humain ». Que répondez-vous ?

Avec mes coauteurs, on a toujours mis en avant la résilience de l’humain et on n’a jamais dit que tout était foutu, au contraire. Notre démarche consiste à rouvrir des horizons malgré les catastrophes qui arrivent. A titre personnel, je pense que l’on ne peut plus éviter des grands chocs qui vont éroder, voire détruire notre société dans les années ou les décennies qui viennent. J’ai même renoncé à employer le mot « transition », que je voyais à l’origine comme le passage d’un monde A (mourant) vers un monde B (à créer). Ce terme a été édulcoré, il est aujourd’hui trop neutre et mou pour représenter notre époque. Je parle désormais d’état d’urgence et de gestion des catastrophes.

Il faut dissocier les effondrements – au pluriel –, une réalité scientifique qui est en train d’arriver, de l’effondrement – au singulier –, qui est devenu un récit. Cette histoire est très puissante car elle permet d’aller au-delà du mythe de la croissance et du progrès qui est devenu toxique ; et elle permet d’envisager une renaissance. Mais elle comporte deux risques : l’« aquoibonisme », c’est-à-dire penser que tout est foutu et donc se décourager, et puis l’autoritarisme, le fait d’en appeler à une figure d’autorité, réactionnaire, pour nous sauver.

La stratégie de communication catastrophiste empêche-t-elle véritablement d’agir ?

L’annonce des effondrements va en paralyser certains, mais aussi mettre d’autres en mouvement. Notre démarche consiste à ne pas balayer les faits sous le tapis sous prétexte qu’ils peuvent provoquer de la peur. Puisqu’on va côtoyer la peur et les catastrophes toute notre vie, nous avons préféré réfléchir à comment vivre avec, les apprivoiser, grâce à un chemin intérieur, émotionnel, spirituel, psychologique. On a utilisé la métaphore du deuil pour montrer qu’avec la peur viennent aussi la colère, le désespoir, puis l’acceptation, qui peut déboucher sur l’action. C’est pourquoi la collapsologie peut aussi mener à une sagesse, que l’on a appelée « collapsosophie », l’apprentissage de la vie en société avec l’idée de notre finitude.

Comment concilier les effondrements que vous jugez souhaitables et ceux que vous voulez éviter ?

Il y a en effet des effondrements que je ne souhaite pas, comme ceux des populations d’abeilles et d’oiseaux, des sols vivants, de l’Amazonie, des glaciers. Et d’autres que je souhaite, tels que le capitalisme ou le monde thermo-industriel, qui détruisent l’humain et la vie. C’est bien de le souhaiter d’un point de vue théorique, mais des millions de personnes risquent de se retrouver dans une situation très difficile si cela arrive vite. Il faut donc faire des compromis entre des objectifs contradictoires : mettre fin à une société qui détruit la biosphère, mais en limitant les conséquences pour les populations. Je ne sais pas comment faire, je suis un peu perdu, comme tout le monde.

Comment se préparer à des effondrements ?

Il y a trois manières, toutes nécessaires : lutter, créer des alternatives et revoir en profondeur notre rapport au monde. Ce dernier chemin, dit « intérieur », n’est pas individuel mais collectif. C’est très difficile à comprendre en France, où la spiritualité relève du domaine privé. Je pense au contraire que les questions relatives aux émotions, à ce qui fait sens, au rapport au monde et aux non-humains sont collectives.

La voie intérieure est même un préalable aux chantiers politiques qui nous attendent – mettre en place des communes autogérées, résilientes et fédérées, préparer à grande échelle les services publics aux catastrophes. Il faut retrouver des récits enthousiasmants qui font du commun. Seul l’imaginaire peut nous permettre de recréer de la vie dans les ruines de notre monde. Mais il est possible que l’on n’y parvienne pas.

Pablo Servigne interviendra au Monde Festival dans le cadre du débat sur « Comment vivre dans un monde effondré ? », animé par Audrey Garric, dimanche 6 octobre de 15 h 30 à 17 heures, à l’Opéra Bastille (amphithéâtre).

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27 septembre 2019 5 27 /09 /septembre /2019 09:07

De nombreuses personnalités, dont la comédienne Juliette Binoche, le climatologue Jean Jouzel et les députés européens Raphaël Glucksmann et Yannick Jadot unissent leur voix pour demander l'arrêt du projet d'EuropaCity. « Si le gouvernement persiste à vouloir nous imposer ce projet à la fois destructeur du climat et du tissu social, nous nous engageons à faire ce qui sera en notre pouvoir pour préserver ces terres, notre bien commun ». Tribune collective le 25 septembre sur Mediapart, collectif Non à Europacity et Oui au projet CARMA. Lire aussi Comment peut-on promouvoir l'urbanisme d'Europacity dans le contexte de crise climatique actuel ? et Les opposants à EuropaCity occupent le triangle de Gonesse et continuent à bloquer les travaux de la future gare.

Il faut stopper EuropaCity - marche citoyenne de Gonesse à Matignon 4 et 5 octobre
Il faut stopper EuropaCity - marche citoyenne de Gonesse à Matignon 4 et 5 octobre

Voici les détails de la marche  Vendredi 4 octobre

9h30 : départ du Triangle de Gonesse, chemin de la Justice

10h : mairie de Gonesse

13h-15h : pique-nique avec les moutons, parc Georges Valbon, La Courneuve - entrée Waldeck-Rochet

16 h : maladrerie à Aubervilliers, angle rue Charles Tillon- rue Danielle Casanova

18 h : arrivée à la Cité fertile, 14 rue Edouard Vaillant, Pantin. Banquet citoyen, prises de parole, concert. Nuitée possible à proximité pour les marcheurs. Inscription sur le site nonaeuropacity.com.

Samedi 5 octobre

10h : départ de la Cité fertile

11h : place Stalingrad, point de ralliement parisien de la marche

13h : arrivée à Bastille. Pique-nique

(NB : l'arrivée initialement prévue à Hôtel de Ville a été déplacée à Bastille en raison de la Nuit Blanche).

14h30 : départ de la manifestation vers Matignon.

Le bétonnage des sols ça suffit: il faut stopper Europacity                                           Tribune collective

Alors que la France vient de vivre l’été le plus chaud de son histoire, alors que les experts du climat ont lancé le 8 août dernier un cri d’alarme contre les conséquences catastrophiques de l’artificialisation des sols, le gouvernement et certains élus du Grand Paris s’entêtent à soutenir la construction sur des terres agricoles d’un gigantesque centre commercial et de loisirs : Europacity.

Le groupe Auchan, allié à un investisseur chinois, a jeté son dévolu sur les champs de Gonesse, à 15 kilomètres au nord de Paris. Situées entre les aéroports du Bourget et de Roissy, les terres de ce triangle agricole pourraient, si l’on ne fait rien, bientôt laisser la place à un complexe mêlant boutiques et hôtels de luxe, salles de spectacle et de congrès, centre aquatique climatisé, et même un « parc des neiges » - en fait une piste de ski artificielle sous hangar, comme à Dubaï.  

L’ensemble, chiffré à 3,1 milliards d’euros, serait financé par la famille Mulliez, propriétaire d’Auchan, et le conglomérat chinois Wanda. A ce budget il faut ajouter la construction d’une gare du Grand Paris Express, promise par l’Etat pour assurer la desserte de ce projet entièrement privé, et d’une vaste zone de bureaux - alors qu’il y a trois millions de mètres carrés vides en Ile-de-France. 

Cet été, malgré une contestation citoyenne qui s’amplifie, les travaux préparatoires au chantier de la gare ont démarré : une balafre géante a été tracée à travers champs, des canalisations ont été posées. Ces travaux sont d’autant plus absurdes que le PLU (le Plan local d’urbanisme) de Gonesse a été annulé par le tribunal administratif, qui l’a jugé contraire aux engagements pris par la France pendant la COP 21.

A l’ère du changement climatique, les sols de Gonesse, d’une fertilité naturelle exceptionnelle, représentent un atout stratégique : ce plateau limoneux, qui a nourri la capitale pendant des siècles, emmagasine d’importantes réserves en eau, réduisant ainsi les risques de ruissellement, d'érosion hydrique et d’inondations soudaines. 

L’Ile-de-France, saturée de centres commerciaux, n’a pas besoin d’un nouveau temple du consumérisme. En générant encore plus de trafic aérien et encore plus d’embouteillages, le mastodonte EuropaCity générerait encore plus de bruit et de pollution pour les habitant·e·s et encore plus de gaz à effet de serre pour nous tous. 

Localement, un certain nombre d’élus, aveuglés par les promesses mensongères de créations d’emplois du groupe Auchan, continuent de soutenir ce projet d’artificialisation des sols. Nous savons pourtant que la grande distribution ne crée plus d’emplois : elle se contente de les déplacer - et de les détruire ailleurs.

Nous, citoyennes et citoyens indigné·es par le soutien apporté par nos représentants à ce projet destructeur du climat et de la biodiversité, révolté·es par cette tentative de passage en force, demandons l’abandon d’EuropaCity et de sa gare, financée sur deniers publics.  

Nous appelons l’État à respecter les engagements pris lors de l’accord de Paris et demandons tout particulièrement au président de la République, qui se déclare partout champion de la lutte contre le changement climatique, de passer enfin des discours aux actes : il est plus que temps d’arrêter le bétonnage des sols, donc de stopper l’absurde projet EuropaCity et sa gare. 

Renoncer à ce méga-complexe commercial, ce n’est pas abandonner le territoire. Au contraire, les 680 hectares du Triangle de Gonesse offrent une opportunité unique pour l’Etat et pour la région Ile-de-France de s’engager concrètement dans un projet ambitieux de transition écologique. Des métropoles européennes comme Milan et Barcelone ont prouvé que l’agriculture péri-urbaine pouvait être une source de prospérité pour un territoire. Des pans entiers de la population française, et tout particulièrement sa jeunesse, l’appellent de leurs vœux. 

Il est temps d’organiser une véritable concertation sur l’avenir de la plaine de France. Il est urgent aussi d’examiner le projet CARMA, qui propose, pour un coût bien moindre qu’EuropaCity et sa gare, un centre de formation consacré à l’alimentation durable, des fermes de maraîchage et de céréaliculture, des vergers, de l’élevage, de l’horticulture, des jardins familiaux et associatifs, des conserveries et des brasseries. Un tel projet, qui embellirait le paysage d’un territoire malmené par les infrastructures de transport, permettrait aussi l’ouverture de sentiers accessibles aux promeneurs et aux sportifs et le développement d’un tourisme de proximité. 

Le président Macron a récemment dénoncé la complicité du président Bolsonaro dans la destruction de la forêt amazonienne. Mais pourquoi alors se rendre complice de la destruction des dernières terres fertiles aux portes de Paris ? L’Etat français a aujourd’hui la possibilité de prendre une décision historique : il peut choisir dès maintenant de s’engager dans un véritable projet de transition écologique, pour proposer à la jeunesse francilienne l’accès à des emplois utiles, dans les filières d’avenir de l’agriculture péri-urbaine, de l’éco-construction, de la rénovation thermique des bâtiments et de la mobilité durable. 

Or, pour le moment, ce sont les bulldozers du Grand Paris qui se profilent à l’horizon : les travaux de la gare, qui visent à rendre irréversible l’urbanisation des terres, pourraient reprendre dès le mois de novembre de cette année. 

Nous, citoyennes et citoyens, ne pouvons nous y résigner : si le gouvernement persiste à vouloir nous imposer ce projet à la fois destructeur du climat et du tissu social, nous nous engageons à faire ce qui sera en notre pouvoir pour préserver ces terres, notre bien commun, et qu’il est de notre devoir de transmettre aux générations futures.

Signataires :

Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis

Geneviève Azam, essayiste, membre du conseil scientifique d’ATTAC

Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, ancienne ministre de l’Ecologie     

David Belliard, conseiller de Paris

Juliette Binoche, comédienne

Christophe Bonneuil, historien des sciences, éditeur

Jacques Boutault, maire du 2ème arrondissement de Paris  

José Bové, paysan, ancien député européen 

Daniel Breuiller, vice-président de la métropole du Grand Paris  

Dorothée Browaeys, auteure, journaliste                                                                                  

Marie-George Buffet, députée de Seine-Saint-Denis, ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports

Simon Burkovic, adjoint au maire d’Arcueil

Xavier Capet, océanographe 

Gilles Clément, paysagiste et écrivain

Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis David Cormand, député européen

Pierre Dardot, philosophe

Karima Delli, députée européenne, présidente de la commission transports

Michel Dubromel, président de France Nature Environnement

Fabien Gay, sénateur de Seine-Saint-Denis

Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne

Raphaël Glucksmann, député européen

Rob Hopkins, fondateur du Mouvement des Villes en transition

Michel Isambert, ingénieur agronome

Yannick Jadot, député européen                                                                   

Jean Jouzel, climatologue

Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France

Karim Lapp, président d'Agir pour l’environnement

Christian Laval, sociologue

Gilles Lemaire, militant écologiste altermondialiste

Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l’Environnement

Albert Levy, architecte-urbaniste

Alain Lipietz, ancien député européen

Frédéric Lordon, philosophe

Céline Malaisé, conseillère régionale d’Ile-de-France

Christian Métairie, maire d’Arcueil  

Didier Mignot, conseiller régional de Seine-Saint-Denis

Fabrice Nicolino, journaliste, président de « Nous voulons des coquelicots » 

Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France 

Michel Pinçon-Charlot, sociologue

Monique Pinçon-Charlot, sociologue    

Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle

Franck Pupunat, fondateur du mouvement Utopia      

Marie-Monique Robin, documentariste

François Ruffin, député de la Somme                                                                

Ludovic Sanglier, maraîcher                                                                                                

Mounir Satouri, député européen                                                                                          

Pierre Serne, conseiller régional d'Ile-de-France                                      

Danielle Simonnet, conseillère de Paris                 

Nathalie Simonnet, secrétaire fédérale du Parti communiste français de Seine-Saint-Denis

Bernard Stiegler, philosophe        

Marie Toussaint, députée européenne, fondatrice de "Notre affaire à tous »  

Henri Trubert, éditeur               

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