Dans une actualité parsemée de scandales alimentaires et de désastres écologiques dus à une agriculture massive, c’est le genre de nouvelle qui fait plaisir à entendre : nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains, soit l’équivalent de la population mondiale d’ici 30 ans, c’est possible. L’étude, publiée dans la revue Nature et Communications ce mardi 14 novembre, explique la marche à suivre. D’après http://www.epochtimes.fr et Le Monde le 15 novembre 2017. Lire aussi L’alimentation bio est bénéfique pour la santé, Les états généraux de l’alimentation déçoivent les paysans et les écologistes, Les véganes sont-ils écolos ?, Ces parents qui mijotent une cantine publique et Non, les menus végétariens à l'école ne sont pas carencés !.
L’un des arguments souvent opposé à l’agriculture biologique est qu’avec l’explosion de la démographie mondiale, l’agriculture nécessite des méthodes industrielles pour assurer un rendement suffisant. Faux, d’après les chercheurs. D’après leur étude, la réduction du gaspillage alimentaire et la limitation de la consommation de produits d’origine animale permettraient d’arriver à sustenter la population mondiale.
Plusieurs travaux de recherches sur le gaspillage alimentaire existent, et les statistiques tirées parlent d’elles même. En 2009, par exemple, on estimait que 40% de l’alimentation disponible aux États-Unis était jetée, soit les besoins annuels de 500 millions de personnes.
« Un des enjeux cruciaux est aujourd’hui de trouver des solutions pour basculer dans un système alimentaire durable, sans produits chimiques dangereux pour la santé et l’environnement, avance Christian Schader, l’un des coauteurs de l’étude, chercheur à l’Institut de recherche de l’agriculture biologique, situé en Suisse. « Or cette transformation inclut une réflexion sur nos habitudes alimentaires et pas seulement sur les modes de production ou sur les rendements. »
En se basant sur les données de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, les chercheurs ont modélisé les surfaces agricoles nécessaires pour nourrir l’humanité, à raison de 2700 calories par jour et par personne, en introduisant une dose d’agriculture biologique à hauteur de 0%, 20%, 40% etc…
D’après leur conclusion, une conversion totale au biologique nécessiterait une augmentation de 16 à 33% des surfaces cultivées en 2050 par rapport à 2009. Peu de surprise : les rendements du bio sont en général plus faibles.
Conséquence pour l’environnement : une déforestation plus importante, mais moins de pesticides, d’engrais de synthèse, et une baisse en demande d’énergies fossiles. Côté émissions de gaz à effet de serre, le gain serait « faible », selon les auteurs, de l’ordre de 3 à 7%.
Pour que ce scénario soit envisageable il faudrait selon eux opérer à un changement dans nos habitudes alimentaires. Un tiers des terres cultivées sur la planète le sont pour nourrir le bétail destiné à être consommé. Blé, maïs et soja pourraient cependant servir à nourrir les humains. En réduisant la consommation de viande, il serait possible d’équilibrer ces comptes.
Ensuite, la réduction du gaspillage est une mesure très importante, quand on sait qu’un tiers de la nourriture est en moyenne perdue.
L’étude est intéressante à plusieurs niveaux. Financée par l’institution onusienne, les auteurs se défendent d’être pro-bio et affirment avoir travaillé sur des hypothèses très conservatrices. « Nous ne promouvons pas le bio ou tel régime alimentaire, prévient Christian Schader. Nous montrons à travers 162 scénarios ce qui est possible et à quelles conditions. La direction à prendre est ensuite un choix politique et de société. » « Les auteurs ne peuvent pas être accusés d’être pro-bio, confirme Harold Levrel, professeur à AgroParisTech et chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, qui n’a pas participé à l’étude. Ils ont choisi des hypothèses très conservatrices, en considérant par exemple que la consommation d’eau est la même en bio et en conventionnel. »
Pour l’expert, cette approche « multifactorielle et systémique » est « très intéressante », car « c’est la première fois qu’on répond à la question de savoir si le bio peut nourrir le monde en intégrant à la fois la question des rendements, de l’occupation des sols, des effets environnementaux ou encore des émissions de CO2 ».
Un verger de nectarines bio à Saint-Genis des Fontaines (Pyrénées-Orientales), en juillet 2017. RAYMOND ROIG / AFP
Un exercice de prospective similaire avait déjà été mené à l’échelle française : le scénario Afterres 2050, publié en 2016 par l’association Solagro, tournée vers la transition énergétique, agricole et alimentaire. Il concluait qu’une agriculture 50 % biologique pourrait nourrir 72 millions de Français en 2050 sans augmenter la quantité de terres arables, tout en divisant par deux les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’énergie et celle d’eau l’été, et par trois les pesticides.
A deux conditions : une fois encore, la diminution des surconsommations et des pertes, ainsi qu’un changement de régime alimentaire. « Nous consommons deux tiers de protéines animales pour un tiers de protéines végétales. Il faudrait faire l’inverse et diviser par deux notre consommation de produits animaux », détaille Philippe Pointereau, l’un des coauteurs, qui dirige le pôle agroécologie de Solagro. Un changement déjà engagé chez les consommateurs de bio. Selon l’étude BioNutrinet, menée par l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Inserm/INRA/CNAM/université Paris 13), qui suit 29 000 personnes, les Français qui consomment au moins 70 % de bio ont diminué de 50 % leur consommation de viande.
« Une agriculture 100 % bio est également possible, mais on ne l’a pas présentée pour ne pas rebuter les gens », glisse Philippe Pointereau. Un optimisme que partage Harold Levrel : « La baisse des rendements entraînée par le bio, de 25 % en moyenne, n’est pas rédhibitoire. On peut récupérer des terres, notamment dans les 100 000 hectares transformés chaque année en friches. »
Une révolution, mais à quel prix ?
Ces modèles présentent toutefois une limite. A l’inverse du système actuel, dans lequel les excès de nitrates dus aux engrais polluent l’environnement, le scénario de 100 % bio engendre un déficit en azote, pourtant indispensable à la fertilisation des cultures. Des solutions existent, comme semer des légumineuses qui fixent l’azote de l’air ou maintenir des sols couverts, mais elles sont encore insuffisantes.
Seule absente de l’étude, la question de comment opérer le tournant de l’agriculture biologique dans l’économie actuelle. Quelles seraient les rémunérations des agriculteurs, les centrales d’achats conserveraient-elles leurs marges actuelles, les consommateurs seraient-ils prêts à mettre la main au portefeuille pour une alimentation plus onéreuse ?
« L’agriculture reçoit beaucoup de subventions publiques. Il paraîtrait logique que cet argent aille vers une production et une alimentation durables afin de minimiser les coûts externes comme la pollution de l’eau ou les impacts sur la santé publique, estime Philippe Pointereau. Pour les consommateurs, l’alimentation peut coûter un peu plus cher même en réduisant la part de viande et de produits laitiers. Mais, compte tenu des bénéfices, peut-être seront-ils prêts à investir un peu plus. »
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