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12 octobre 2017 4 12 /10 /octobre /2017 12:48

La loi Hulot sur les hydrocarbures votée par l'Assemblée Nationale le 10 octobre devait permettre de tenir les engagements pris lors de la COP21. Par Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France, auteur de "Sortons de l'âge des fossiles!", et Nicolas Haeringer, chargé de campagne pour 350.org, auteur de "Zéro Fossile" . Lire aussi « Aux députés français d’aller plus loin que la loi Hulot dans la lutte contre le réchauffement » et Hydrocarbures : le gouvernement a plié devant les intérêts miniers.

Vue aérienne du gisement de Lacq, dans les Pyrénées Atlantiques UIG via Getty Images

Vue aérienne du gisement de Lacq, dans les Pyrénées Atlantiques UIG via Getty Images

"J'ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas de Paris", affirmait Donald Trump au mois de juin pour justifier sa décision de sortir de l'Accord de Paris. En citant la ville qui fut la capitale mondiale du charbon et de l'acier, et est désormais un emblème de la "révolution" des gaz de schiste aux États-Unis, Trump envoyait un message clair : entre le climat et les intérêts de l'industrie fossile, il avait choisi.

Un choix qui a le mérite de montrer, par un effet de miroir, l'horizon d'une politique climatique ambitieuse: suivre le chemin inverse de celui choisi par Trump. Autrement dit: assumer de prendre des décisions qui vont directement à l'encontre de l'industrie fossile.

La loi Hulot sur les hydrocarbures, qui doit-être votée par l'Assemblée nationale ce mardi 10 octobre, devait jouer ce rôle. Celui d'un symbole, d'un signal envoyé au reste de la communauté internationale: tenir les engagements pris lors de la COP21 (maintenir le réchauffement au plus près des 1,5°C) implique de redonner aux États le pouvoir de dire 'Non'. Non aux projets de l'industrie fossile, non à notre dépendance aux hydrocarbures, non aux lobbies industriels désireux de prolonger leur rente aussi longtemps que possible, quel qu'en soit le coût climatique et social.

Nous avions rendu compte, en amont de la COP21, du refus de la communauté internationale d'envisager, si ce n'est une interdiction, a minima des restrictions à l'exploitation des énergies fossiles. Nous nous attendions donc à ce que l'industrie fossile réagisse et à ce que les forces conservatrices déploient toute leur énergie pour maintenir l'existant –c'est-à-dire la possibilité de forer toujours plus loin et plus profond. En ouverture du débat parlementaire, Nicolas Hulot exhortait les députés à se montrer courageux, en soulignant la dimension libératrice de l'interdiction d'explorer et d'exploiter des gisements d'hydrocarbures: son texte de loi devait nous permettre de "retrouver notre liberté -liberté de renoncer à notre addiction aux hydrocarbures".

Grâce à une mobilisation rapide (plusieurs milliers de messages envoyés aux député.e.s siégeant dans les commissions "Affaires économiques" et "Développement durable" de l'Assemblée nationale) et à un gros travail de plaidoyer de 350.org, des Amis de la Terre, d'Attac France et des collectifs en lutte contre l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures de schiste et de couche, le texte de loi était arrivé renforcé devant l'ensemble des député.e.s.

Las, au gré d'amendements d'un gouvernement et de députés plus enclins à écouter les tenants de l'immobilisme que ceux qui, depuis des années, se mobilisent pour "mettre fin aux énergies fossiles", le projet de loi a été affaibli. Ainsi, par exemple, la fin annoncée de l'exploitation des énergies fossiles en 2040 est désormais assortie de trop nombreuses exceptions: pour le gisement de Lacq qui, toute proportion gardée, est à la France pour le gaz ce que Pittsbugh est aux États-Unis pour le charbon, pollutions locales comprises. Exception, également, pour les concessions déjà délivrées dont le terme va au-delà de 2040. Exception, toujours, pour les concessions qui ne permettraient pas aux industriels de rentrer dans leurs frais à temps. Au nom d'une conception datée de la "liberté d'entreprendre" le gouvernement a préféré protéger les droits des industriels, plutôt que commencer à résoudre le défi de ce début de 21e siècle: faire en sorte que le droit des affaires, notamment le droit minier et la liberté d'entreprendre, soient enfin soumis à l'impératif climatique.

Les reculs sur le projet de loi Hulot prouvent que notre maison brûle et que nous votons ailleurs

Nicolas Hulot n'a en effet cessé d'expliquer que le gouvernement craignait une censure des mesures contenues dans les amendements allant dans le sens d'un renforcement du texte, pour mieux justifier leur rejet. Il met ainsi en évidence le fait que notre droit (notamment le code minier et son emblématique "droit de suite") n'est pas adapté à notre époque et au défi que représente la lutte contre le réchauffement climatique. Il prouve également que l'État avance plus lentement que les juges, qui ont déjà largement intégré le fait que le droit de l'environnement devait primer sur les intérêts des industriels. Il montre enfin que l'État a une vision étriquée du droit et de son évolution: le droit n'est pas qu'une force conservatrice. Il change, s'adapte, se transforme -par le travail législatif et, parfois, dans des rapports de force, par des conflits d'interprétation. Bref: le droit n'est pas une entité figée, mais un cadre mouvant, dont l'appropriation sociale n'est pas la moindre des dynamiques transformatrices.

Les reculs du gouvernement sur le projet de loi Hulot nous montre que l'État n'a toujours pas pris la mesure de l'état d'urgence climatique dans lequel nous sommes. Il ne s'agit pas du renoncement d'un homme (Nicolas Hulot) qu'il faudrait vouer aux gémonies, mais du symptôme d'un mal plus profond. Nous continuons à faire de la politique et à voter des lois comme si le réchauffement climatique était une menace abstraite, distante. Comme s'il suffisait d'un peu de communication et de quelques modifications à la marge de cette fabuleuse machine à réchauffer la planète qu'est notre système économique.

Comme Nicolas Hulot le faisait (presque) dire à Jacques Chirac, dans le discours que le premier avait écrit pour le second, "notre maison brûle et nous votons ailleurs".

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11 octobre 2017 3 11 /10 /octobre /2017 09:01

Le réchauffement climatique entraîne le dégel de ce permafrost, libérant des gaz à effet de serre qui accélèrent le phénomène. Par Simon Roger, envoyé spécial Ile de Samoïlov, Tiksi, Iakoutsk (Russie), le 10 octobre 2017 pour Le Monde.

Depuis 1998, des chercheurs allemands se relaient chaque année dans le delta de la Léna pour étudier les sols gelés. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Depuis 1998, des chercheurs allemands se relaient chaque année dans le delta de la Léna pour étudier les sols gelés. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Naviguer entre les 1 500 îles disséminées dans le delta de la Léna requiert une concentration sans faille, un œil fixé sur le radar du bateau pour éviter les bancs de sable, un autre à l’affût des amers côtiers qui ponctuent cette immensité de terre et d’eau. Avant de se jeter dans la mer de Laptev, au nord de la Sibérie, le fleuve est si large que ses rives dessinent un trait flou sur la ligne d’horizon.

L’île de Samoïlov est reconnaissable à la cabane en bois, construite près du rivage, où cohabitent quelques scientifiques et les gardes de la réserve naturelle qui couvre l’embouchure du fleuve et les contreforts des monts Karaoulakh. Or une lente et irréversible érosion menace de livrer le petit édifice aux flots de la Léna. À terme, c’est l’île elle-même qui pourrait disparaître. Les fortes crues qui suivent la fonte des glaces, au printemps, fragilisent les côtes de Samoïlov.

Mais l’îlot de 5 km2 pâtit surtout de la dégradation du permafrost sous l’effet du réchauffement climatique. Appelés aussi pergélisol, ces sols dont la couche supérieure dégèle en saison chaude conservent en profondeur une température en dessous de zéro degré pendant au moins deux ans consécutifs.

« L’écosystème de Samoïlov fait face à une potentielle extinction », conclut prudemment un article de la revue Biogeosciences consacré à l’étude du site. Pour l’Allemande Julia Boike, qui a coordonné l’étude, et ses collègues de l’Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine (AWI), pas question de se résoudre à cette perspective.

Chaque année, d’avril à septembre, les chercheurs de l’AWI et leurs partenaires russes de l’Institut de recherche sur l’Arctique et l’Antarctique de Saint-Pétersbourg et de l’Institut Melnikov du permafrost de Iakoutsk se relaient sur Samoïlov afin d’y étudier l’altération des sols sédimentaires, les transformations du paysage et les interactions entre réchauffement du climat et dégel du permafrost.

En mission en septembre sur Kouroungnakh, l’île voisine de Samoïlov, un groupe de scientifiques allemands examinent la dégradation d’un type de permafrost très riche en glace. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

En mission en septembre sur Kouroungnakh, l’île voisine de Samoïlov, un groupe de scientifiques allemands examinent la dégradation d’un type de permafrost très riche en glace. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Deux tiers de la superficie russe

L’île, équipée d’une station de recherche moderne financée par l’Institut Trofimouk du pétrole, de géologie et de géophysique de Novossibirsk, est un poste d’observation privilégié : le pergélisol occupe 95 % du territoire sibérien et les deux tiers de la superficie russe. A plus large échelle, les sols gelés couvrent le quart de l’hémisphère Nord, principalement en Alaska, au Canada, au Groenland, en Russie et en Chine.

L’Europe occidentale se distingue par un permafrost de type alpin, présent dans plusieurs massifs montagneux. D’une composition et d’une géodynamique différentes de celles de son cousin des hautes latitudes, il est sensible, comme lui, aux variations climatiques. Le 23 août, un glissement de terrain provoqué par le dégel du pergélisol a emporté huit randonneurs près du village suisse de Bondo.

« Le permafrost sibérien est à certains endroits très ancien, pouvant remonter au pléistocène [– 2,6 millions d’années à – 11 000 ans], avance Julia Boike. Il est très froid, à une température de – 9 °C environ, et il est très profond. On en a trouvé à près de 1 500 mètres de profondeur dans le nord de la Iakoutie. »

Depuis 1998, des chercheurs allemands se relaient chaque année dans le delta de la Léna pour étudier les sols gelés. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Depuis 1998, des chercheurs allemands se relaient chaque année dans le delta de la Léna pour étudier les sols gelés. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

« À Samoïlov, il a pour autre caractéristique d’être relativement stable et très riche en matières organiques avec la présence de tourbières », ajoute l’enseignante-chercheuse avant d’enfiler d’épaisses bottes en plastique, indispensables pour progresser dans la toundra spongieuse qui domine à la surface de Samoïlov. Les jeunes doctorants qui l’accompagnent, ce matin de septembre, embarquent avec elle pour Kouroungnakh. L’île voisine présente d’imposants complexes de glace et un relief modelé par les thermokarsts, ces affaissements de terrains anciennement gelés.

Les vallées arpentées six heures durant par les chercheurs de l’AWI ruissellent d’eau. « Nous voulons comprendre si l’eau qui irrigue le terrain provient des précipitations saisonnières ou si elle résulte des blocs de glace qui fondent avec la dégradation des sols », explique la géomorphologue Anne Morgenstern, sac à dos rempli d’échantillons d’eau prélevés tout au long du trajet et carnet de notes à portée de main.

Une sorte d’immense congélateur

Le réchauffement du permafrost, en Sibérie comme dans les autres régions où les scientifiques ont déployé leurs instruments de mesures, est avéré. Grâce aux capteurs disposés dans plusieurs puits, forés parfois jusqu’à 100 mètres de profondeur, l’équipe germano-russe de l’expédition Léna a enregistré une augmentation de température de 1,5 à 2 °C depuis 2006.

« On assiste à une réelle tendance au réchauffement dans le sol et à une hausse des températures atmosphériques hivernales, confirme Julia Boike. Si le gradient thermique change, c’est toute la balance des flux d’énergie, d’eau, de gaz à effet de serre qui s’en trouve modifiée. » Un constat préoccupant alors que l’Arctique contribue à la régulation de toute la machine climatique terrestre.

« Le permafrost est un immense congélateur, schématise Torsten Sachs, du Centre de recherche allemand pour les géosciences (GFZ), qui entame sa huitième mission sur l’île. Si vous laissez la porte du congélateur ouverte, votre pizza dégèle, votre crème glacée fond et les microbes se nourrissent de ces éléments organiques ! » À défaut de denrées consommables, le pergélisol libère des matières organiques qui, soumises à l’activité microbienne, produisent du CO2 en présence d’oxygène ou du méthane en milieu anaérobique, à l’instar des tourbières de Samoïloov.

Ces deux gaz à effet de serre (GES) participent à l’élévation de la température qui entretient la destruction du permafrost et le largage de GES. La communauté de la recherche périglaciaire, qui nomme le phénomène « rétroaction liée au carbone du pergélisol », estime que les sols gelés stockeraient 1 500 gigatonnes de carbone, le double de la quantité de carbone dans l’atmosphère.

Sur une des îles du delta de la Léna, ce forage, qui descend à 100 mètres de profondeur, permet d’étudier l’évolution des températures des sols gelés. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Sur une des îles du delta de la Léna, ce forage, qui descend à 100 mètres de profondeur, permet d’étudier l’évolution des températures des sols gelés. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Réchauffement supplémentaire

Dans quelle proportion de dioxyde de carbone et de méthane le carbone relâché par les sols en dégel se fait-il ? Sachant que le méthane crée 25 fois plus d’effet de serre sur un siècle que le CO2. « C’est l’un des grands débats à venir », confesse Gerhard Krinner, chercheur CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble.

L’inquiétude est d’autant plus forte que les modèles pris en compte dans les scénarios de réchauffement du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’intégraient pas, jusqu’à présent, ce mécanisme de rétroaction du pergélisol. « Le réchauffement supplémentaire attribuable au dégel du permafrost est de l’ordre de 10 % », avance Gerhard Krinner. Les émissions du permafrost pourraient ainsi faire grimper le thermomètre de 0,3 °C d’ici 2100.

Dans le laboratoire de la station de recherche, maintenue à une température constante grâce à la centrale thermique alimentée par trois gros générateurs au bruit assourdissant, les chercheurs scrutent les courbes de ces gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère. Les pics de méthane se répètent en été, mais l’analyse des données reste un exercice délicat dans ces hautes latitudes. La première période de mesure (2002-2012) s’est faite sans les équipements automatisés dont dispose la base moderne, opérationnelle depuis 2013.

Trois ans plus tôt, lors d’une visite à Samoïlov, le président russe Vladimir Poutine avait estimé que la coopération germano-russe sur le permafrost méritait des infrastructures plus performantes. Jusque-là, les chercheurs de l’AWI – dont la première mission sur l’île remonte à 1998 – devaient se contenter du strict minimum et se trouvaient contraints de dormir sous des tentes de toile, de se chauffer à partir du bois flotté charrié par la Léna et d’utiliser la cabane des gardes de la réserve comme quartier général.

Le bâtiment principal de la base de recherche russe, sur l’île de Samoïlov, en septembre. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Le bâtiment principal de la base de recherche russe, sur l’île de Samoïlov, en septembre. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

À quel rythme ?

L’hivernage était alors inenvisageable. « On ne pouvait tout simplement pas enregistrer de données en hiver, témoigne Torsten Sachs. Il aurait fallu alimenter le générateur extérieur de l’époque tous les trois jours, parfois par – 40 °C, en pleine nuit polaire. » Les autres limites à l’interprétation des données collectées sont plus classiques. Dix ans constituent une période d’étude trop courte pour dégager une tendance de l’évolution des flux gazeux sur le long terme. Il faudrait aussi multiplier les points d’observation, une gageure en Sibérie, dont la superficie équivaut à plus de vingt fois la France.

À bonne distance de la nouvelle station, peinte aux couleurs du drapeau russe, l’équipe de l’AWI achève l’installation d’un « igloo » qui accueillera en 2018 le matériel informatique et électrique de la nouvelle tour météorologique. Le cocon de fibre de verre devrait offrir des conditions d’enregistrement stables, à l’abri des rafales du vent ou des tempêtes de neige qui sévissent pendant l’hiver sibérien. Comme les autres édifices bâtis sur l’île, l’igloo a un socle sur pilotis afin d’absorber les mouvements du terrain. En un an seulement, le terrain s’est affaissé de 10 cm autour des piliers de la première tour météo.

À distance de la nouvelle station de recherche russe, opérationnelle depuis 2013, un igloo en fibre de verre est installé pour protéger les équipements des conditions extrêmes des hautes latitudes. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

À distance de la nouvelle station de recherche russe, opérationnelle depuis 2013, un igloo en fibre de verre est installé pour protéger les équipements des conditions extrêmes des hautes latitudes. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

« Qu’il existe une interaction entre réchauffement du climat et dégel du permafrost, cela ne fait plus aucun doute », affirme Peter Schreiber entre deux séances d’assemblage des panneaux de l’igloo. « La question, désormais, est d’évaluer à quel rythme le permafrost va continuer de se désagréger et comment la nature va réagir à ce processus », considère l’ingénieur chargé de la station météo.

La nature reste la grande ordonnatrice face aux bouleversements que subit la Sibérie arctique, estime Fédor Selvakhov. Le chef de la station de recherche veut bien admettre certains changements dans l’environnement qui l’entoure : « Il y a vingt ans, par exemple, il n’y avait pas un seul arbre dans la région, juste la végétation rase de la toundra. En me déplaçant dans le delta l’année dernière, j’ai vu des arbres de 2 mètres de haut. »

Mais ce Iakoute né au bord de la Viliouï, un affluent de la Léna, ne croit pas aux causes anthropiques du changement climatique. « C’est le cycle de la nature. Il faisait chaud ici il y a deux cents ans, puis il a fait plus froid, et on assiste aujourd’hui à une nouvelle période chaude », soutient-il, à son bureau décoré de fossiles découverts dans les environs.

Défenses de mammouth

Quant au pergélisol, « il se réchauffe peut-être, mais pas vite ». « Lorsque l’on extrait du sol une défense de mammouth, on se rend compte que l’autre extrémité, celle encore prise dans la terre, est toujours gelée. C’est bien le signe que le permafrost demeure très froid », argumente le responsable. Conséquence inattendue du dégel des sols du Grand Nord, la chasse aux ossements fossilisés prospère en Sibérie.

Günter Stoof, alias « Molo », comprend la mentalité de ses amis russes. « C’est la nature qui décide, pas l’homme », soutient le technicien de l’AWI qui a séjourné le plus de temps sur Samoïlov. À 65 ans, il jure que cette saison sera la dernière d’une carrière riche de 48 expéditions en Arctique et en Antarctique. Originaire d’Allemagne de l’Est, il a été le plus jeune membre de l’expédition soviétique de près de deux ans (1975-1977) chargée de construire une base en Antarctique. Il a ensuite multiplié les séjours, seul ou en équipe, dans les régions polaires.

Günter Stoof, spécialiste des régions polaires, est celui qui a séjourné le plus longtemps sur la station sibérienne. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Günter Stoof, spécialiste des régions polaires, est celui qui a séjourné le plus longtemps sur la station sibérienne. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Au gré du parcours de Molo, une autre histoire s’esquisse, celle de la coopération entre la RDA et l’URSS pendant la guerre froide. Après la chute du mur de Berlin, un comité scientifique avait été chargé de réfléchir au fonctionnement de la recherche de l’Allemagne réunifiée. Il avait recommandé de maintenir cette expertise polaire et de la structurer autour de l’unité de recherche de l’AWI basée à Postdam. « On y a retrouvé des spécialistes comme Molo ou Christine Siegert, qui avaient vingt ans d’expérience sur le permafrost par leur travail en commun avec les Russes », retrace Anne Morgenstern.

L’étude des sols gelés s’est propagée en Russie dès le début du XXsiècle, accompagnant les choix stratégiques de Moscou. La politique d’extension vers les territoires de l’Est et du Nord, riches en hydrocarbures et en ressources minières, ne pouvait se faire sans la construction du Transsibérien. Mais pour mener à bien ce projet titanesque, il fallait d’abord développer une science de l’ingénierie sur le permafrost, omniprésent dans ces régions.

Un Institut du permafrost est créé à Moscou à la fin des années 1930, il est déplacé à Iakoutsk en 1960. La grande ville de l’Est sibérien repose intégralement sur des sols gelés. Deux galeries souterraines (à 4 et 12 m de profondeur), creusées sous les fondations de l’institut, offrent un accès « direct » au pergélisol. Les strates sableuses des parois témoignent de l’histoire géologique de la ville, construite sur une terrasse alluviale de la Léna.

À 12 mètres de profondeur, une galerie a été creusée sous l’Institut Melnakov, à Iakoutsk, pour observer in situ le permafrost. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

À 12 mètres de profondeur, une galerie a été creusée sous l’Institut Melnakov, à Iakoutsk, pour observer in situ le permafrost. PAOLO VERZONE / AGENCE VU POUR LE MONDE

Anthrax et vastes cratères

De lourdes portes maintiennent la température des galeries sous zéro degré. « Le dégel du permafrost constitue un danger pour la planète, mais à l’échelle de la Iakoutie, pour le moment, il reste assez stable », relativise Mikhaïl Grigoriev, l’un des deux vice-présidents de l’institut, avant d’ajouter : « Dans d’autres régions, en revanche, les effets du dégel sont plus visibles, notamment à Iamal. »

Après un été 2016 anormalement chaud, la péninsule de l’ouest de la Sibérie a subi une épidémie d’anthrax – pour la première fois en Russie depuis 1941, selon l’Institut d’épidémiologie de Moscou – provoquée par le dégel du permafrost dans lequel la bactérie était conservée. Le territoire de la Iamalo-Nénétsie a fait également la « une » des médias russes après la découverte de vastes cratères. Ils résulteraient là encore du réchauffement du permafrost. « La région est riche en gaz. En dégelant, les sols libèrent des bulles gazeuses qui expliquent ces explosions », analyse M. Grigoriev.

Aucun phénomène de ce type n’a été, pour l’instant, observé à Samoïlov, ni même en Alaska ou dans le Nord canadien. Un réseau mondial, le Global Terrestrial Network for Permafrost (GTN-P), agrège aujourd’hui les informations de plus de 250 sites. Il a pour double objectif de « mutualiser les connaissances mais aussi valider les nouveaux modèles climatiques », résume Hugues Lantuit, chercheur à l’AWI, l’institution référente du réseau.

Un nouveau pan de recherche se développe par ailleurs sur le permafrost alpin. La prochaine Conférence européenne du permafrost, en juin 2018, à Chamonix, devrait permettre un état des lieux de ces travaux, bien avancés en Suisse mais encore embryonnaires en France.

L’érosion côtière et ses impacts économico-sociaux deviennent un autre sujet de préoccupation, le tiers des côtes du monde entier étant situé dans des zones de pergélisol. En mer de Laptev ou en mer de Beaufort (en Amérique du Nord), l’érosion du littoral atteint à certains endroits plus de huit mètres par an et conduit des communautés villageoises à planifier leur relocalisation. À Samoïlov, la cabane en bois construite près du rivage tient toujours debout. Mais pour combien de temps ?

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7 octobre 2017 6 07 /10 /octobre /2017 09:03

La France œuvre-t-elle contre les énergies renouvelables en Europe, tout en prétendant le contraire en public ? C'est ce que prouve un document informel transmis par Paris au Conseil européen dans le cadre de discussions sur les objectifs climatiques européens. Par Christophe Gueugneau et Jade Lindgaard le 5 octobre 2017 pour Mediapart.

Climat : à Bruxelles, la France lâche les renouvelables

La France œuvre-t-elle contre les énergies renouvelables en Europe, tout en prétendant le contraire en public ? Dans un papier informel transmis au Conseil européen dans le cadre de discussions sur les objectifs climatiques européens, Paris apparaît en retrait par rapport à ses positions officielles. Ces mêmes propositions ont été défendues lors du Conseil informel des ministres de l'énergie à Tallinn (Estonie) les 19 et 20 septembre.

En octobre 2014, les dirigeants européens ont adopté trois objectifs pour 2030 : réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % (par rapport à 1990), porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % de la consommation et améliorer l’efficacité énergétique d’au moins 27 %. Ces directives énergie-climat devraient, en toute logique, être revues à la hausse pour permettre la mise en œuvre de l’Accord de Paris demandant la neutralité carbone d’ici 2050.

Pourtant, dans un « non papier » — l'appellation officielle de ce type de documents —, daté du 12 septembre, que s’est procuré Mediapart, et dont RTL et le site Contexte ont révélé l’existence, le gouvernement français souhaite au contraire alléger les obligations favorables aux renouvelables.

Climat : à Bruxelles, la France lâche les renouvelables
Climat : à Bruxelles, la France lâche les renouvelables
Climat : à Bruxelles, la France lâche les renouvelables

Au cours de la décennie 2020-2030, la trajectoire d’augmentation du solaire, de l’éolien, de la géothermie et de la biomasse, les principales énergies renouvelables à renforcer puisque aucun projet de barrage n’est en cours, serait non linéaire et non contraignante. Concrètement, Paris propose que seulement 50 % de l’objectif 2030 doive être réalisé d’ici 2027. Compte tenu des temps longs des décisions dans l’énergie, il paraît fort improbable que l’autre moitié de l’objectif soit atteignable en trois ans. Au passage, cela signifie que si Emmanuel Macron parvenait à faire deux mandats, il laisserait le soin à son successeur de faire la moitié des efforts demandés en seulement trois ans.

De plus, Paris s’oppose à une intervention de la Commission européenne pour assurer « un rattrapage » au cas où la somme des objectifs nationaux ne permette pas d’atteindre la cible européenne de 27 %. Les autorités françaises refusent également la création d’une plateforme financière européenne d’investissements dans les renouvelables, estimant que chaque État membre est le plus compétent pour définir le meilleur moyen de respecter ses engagements. Pourtant ce type de système permettrait d’aider les pays qui peinent à emprunter, comme la Roumanie et la Pologne. Cette distance vis-à-vis de la logique communautaire s’entrechoque avec le volontarisme pro-Union affiché par Emmanuel Macron.

Pour Claude Turmes, eurodéputé écologiste luxembourgeois, et l’un des meilleurs spécialistes en énergies renouvelables au parlement : « L’approche française risque de porter un coup fatal à la mise en œuvre en Europe de l’accord de Paris issu de la COP21. Elle permettra aux États membres dont le bouquet électrique est encore fortement carboné (l’Espagne, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie…) d’utiliser le prétexte d’un ralentissement du déploiement des renouvelables pour prolonger la durée de vie de leurs vieilles centrales charbon avec comme conséquence l’impossibilité de se conformer aux engagements climatiques. »

L’élu pointe aussi une contradiction franco-française : « L’objectif affiché par la loi sur la transition énergétique est de réduire la part du nucléaire dans le mix de 75 % à 50 % à l’horizon 2025. Comment la position française relative à une augmentation des renouvelables décalée dans le temps permettra-t-elle de substituer ces énergies au nucléaire dans les délais prévus par la loi ? Il est hautement improbable qu’une trajectoire non-linéaire et non-obligatoire entre 2020 et 2030 permette de hisser les renouvelables à un niveau suffisant pour compenser la fermeture progressive d’une partie du parc nucléaire actuel. »

Sur le territoire national, la loi de transition énergétique fixe l’objectif de porter à 32 % la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale en 2030. Mais en réalité, elle est très en retard sur ses engagements. En 2020, 23 % de sa consommation d’énergie finale doit être assuré par des sources renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, géothermie…). Mais fin 2015, cette part n’atteignait que 14,9 %. L’eurodéputé Yannick Jadot a protesté sur son blog : « Le gouvernement poursuit une stratégie de démolition des ambitions européennes en matière d’énergies renouvelables, au nom de la défense acharnée d’une industrie nucléaire aujourd’hui en faillite. »

Selon nos informations, le cabinet de Nicolas Hulot n’a pas été informé de la teneur de la position française. Sollicité par Mediapart jeudi 5 octobre, il n’a pas répondu à nos demandes. Lors d’un colloque sur l’énergie à l’Assemblée nationale, Barbara Pompili, présidente de la commission développement durable à l’Assemblée nationale, se contente de déclarer : « La transition énergétique est la grande priorité du gouvernement que je soutiens. Nous avons besoin de l’Union européenne pour coordonner nos efforts. »

Lors de ce même colloque, Virginie Schwarz, directrice de l’énergie au sein du ministère, a expliqué que « l’objectif 2030 avait fait l’objet d’un accord qui n’avait pas été si facile que cela à obtenir. Cet accord a été trouvé. Aujourd’hui, pour nous, la priorité c’est de le respecter, pour que ce chiffre de 27 % soit atteint en Europe. Il faut une vraie volonté politique ».

À la lecture de la note française, la question de la volonté politique du gouvernement d’Édouard Philippe sur ce sujet est officiellement posée.

N.B. : Le "non-papier" mentionné, inséré dans le document Médiapart, est accessible sur : https://assets.documentcloud.org/documents/4067479/Wk-9387-2017-Init-En.pdf

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5 octobre 2017 4 05 /10 /octobre /2017 09:39

Le glyphosate grippe la machine institutionnelle européenne. Pour la troisième fois, le vote sur la réautorisation de ce désherbant pour dix ans, qui devait avoir lieu jeudi et vendredi, a été repoussé, au 23 octobre. Ce principe actif rentre dans la composition de 178 pesticides autorisés en France, dont le fameux Roundup de Monsanto, l’herbicide le plus utilisé au monde.

Sur la clôture de l’usine de Monsanto de Cordoba a été tracé me mot « assassin », en octobre 2012, ALVARO YBARRA ZAVALA.

Sur la clôture de l’usine de Monsanto de Cordoba a été tracé me mot « assassin », en octobre 2012, ALVARO YBARRA ZAVALA.

Pour la Commission européenne, ce report est un énième échec dans sa bataille pour faire réautoriser ce produit pourtant considéré, depuis 2015, comme «cancérigène probable» et génotoxique (qui modifie l’ADN) par l’OMS. Selon des documents internes auxquels Libération a eu accès - grâce à une requête de documents auprès de la Commission de l’ONG Corporate Europe Observatory -, Monsanto a menacé, le 24 mai 2016, d’attaquer en justice le Commissariat européen à la santé et à la sécurité alimentaire si l’autorisation de vente du glyphosate sur dix ans n’était pas votée dans les délais impartis. La firme se dit prête à exiger des compensations «pour les préjudices imminents sérieux et irrévocables».

Neuf jours après avoir reçu cette lettre, plusieurs représentants de cette instance, dont le commissaire lui-même, Vytenis Andriukaitis, organisaient, le 2 juin 2016, une réunion avec des dirigeants de la Copa-Cogeca, le principal lobby agricole européen, ainsi que des «représentants des syndicats agricoles français, britanniques, danois et finlandais». Les membres de la Commission reprochent alors «l’absence relative du point de vue des agriculteurs dans le débat public et le manque d’efforts de mobilisation». Ils leur demandent de «concentrer leur communication» sur les gouvernements les plus récalcitrants à voter la réautorisation.

Contactée par Libération, la Commission se défend en invoquant «le droit des Etats membres et des citoyens à être correctement informés […] sur les conclusions de l’Efsa [Autorité européenne de sécurité des aliments, ndlr] […] selon laquelle le glyphosate ne devrait pas être classé comme cancérigène.» Mais les résultats de cette agence ont été récemment mis en cause. L’Efsa a basé ses conclusions sur un rapport du BFR, l’institut fédéral allemand sur l’évaluation des risques, qui est «scientifiquement inexact», assure Helmut Burtscher, de l’ONG autrichienne Global 2 000. Mi-septembre, il est apparu qu’une grande partie du rapport du BFR était un copié-collé d’une étude du lobby des pesticides. «Ils ont copié les études, mais aussi les interprétations de ces résultats faites par l’industrie», assure le biochimiste, dont l’ONG s’apprête à porter plainte contre le BFR.

Jeudi dernier, pour la première fois, les leaders du Parlement européen ont décidé d’interdire l’entrée de leurs bâtiments aux représentants de Monsanto. La Belgique, de son côté, a montré qu’elle s’apprêtait à voter contre la réautorisation du glyphosate, avec la France, Malte et possiblement l’Autriche et l’Italie, après que la firme américaine l’a attaquée en justice, devant son propre Conseil d’Etat, fin août. L’étau se resserre sur la multinationale alors que les actions en justice, aux Etats-Unis, comme en Europe, se multiplient à son encontre. «Nos enfants nous jugeront si on ne fait rien», assure l’eurodéputé PS Eric Andrieu, qui demande l’ouverture d’une commission d’enquête au niveau européen.

Aude Massiot, 3 octobre 2017 pour Libération.

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 « Le Monde » montre comment la puissante firme américaine a fait paraître des articles coécrits par ses employés et signés par des scientifiques pour contrer les informations dénonçant la toxicité du glyphosate. Par Stéphane Foucart et Stéphane Horel le 4 octobre 2017 pour Le Monde.

Un entrepôt stockant des bidons de Roundup – glyphosate –, à Zarate, en Argentine, en mai 2014. ALVARO YBARRA ZAVALA / GETTY IMAGES

Un entrepôt stockant des bidons de Roundup – glyphosate –, à Zarate, en Argentine, en mai 2014. ALVARO YBARRA ZAVALA / GETTY IMAGES

Mémos stratégiques, courriels, contrats confidentiels… Les « Monsanto papers » continuent de livrer petits et grands secrets. Après un premier volet publié en juin dernier, Le Monde s’est à nouveau plongé dans ces dizaines de milliers de pages de documents internes que le géant de l’agrochimie a été contraint de rendre publics à la suite de procédures judiciaires engagées aux États-Unis.

Monsanto est poursuivi dans ce pays par un nombre croissant de plaignants – aujourd’hui 3 500 –, victimes ou proches de victimes décédées d’un lymphome non hodgkinien, un cancer du sang rare, et qu’ils attribuent à une exposition au glyphosate. Ce désherbant, mis sur le marché en 1974, notamment sous le nom de Roundup, s’est imposé comme un best-seller mondial en étant l’auxiliaire essentiel des semences génétiquement modifiées pour le tolérer. Monsanto lui doit sa fortune. Mais à quel prix ?

La dernière livraison de « Monsanto papers », déclassifiés au cours de l’été 2017, lève le voile sur une activité jusqu’alors méconnue de la multinationale : le ghostwriting – littéralement « écriture fantôme ».

Considérée comme une forme grave de fraude scientifique, cette pratique consiste, pour une entreprise, à agir en « auteur fantôme » : alors que ses propres employés rédigent textes et études, ce sont des scientifiques sans lien de subordination avec elle qui les endossent en les signant, apportant ainsi le prestige de leur réputation à la publication. Ces derniers sont bien entendu rémunérés pour ce précieux service de « blanchiment » des messages de l’industrie. Dans le plus grand secret, Monsanto a eu recours à ces stratégies.

Conflits d’intérêts tenus secrets

Prenons le cas du biologiste américain Henry Miller. Devenu polémiste à temps plein, il est associé à la Hoover Institution, le célèbre think tank sis à la prestigieuse université Stanford, et signe plusieurs fois par mois des tribunes au ton acerbe dans la presse américaine. Le Wall Street Journal ou le New York Times ouvrent régulièrement leurs colonnes à ses harangues contre l’agriculture biologique et ses apologies des organismes génétiquement modifiés (OGM) ou des pesticides.

La version en ligne du magazine économique Forbes accueille également ses textes. Mais en août 2017, du jour au lendemain, sans préavis, l’intégralité des dizaines de tribunes signées du nom d’Henry Miller ont disparu de son site Internet, Forbes.com. « Tous les contributeurs de Forbes.com signent un contrat leur demandant de divulguer tout conflit d’intérêts potentiel et de ne publier que leurs écrits originaux, explique au Monde une porte-parole de la publication. Quand il a été porté à notre attention que M. Miller avait violé les termes de ce contrat, nous avons retiré tous ses articles de notre site et mis fin à nos relations avec lui. »

Les documents déclassifiés le montrent sans ambiguïté : certains écrits de Henry Miller étaient en réalité concoctés par une équipe qui s’y consacrait au sein de… Monsanto. La collaboration entre le scientifique et la compagnie a, semble-t-il, débuté en février 2015. A l’époque, cette dernière prépare la gestion d’une crise qui s’annonce : le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) s’apprête à livrer son évaluation du glyphosate. Monsanto sait que le verdict de l’agence des Nations unies, attendu pour le mois suivant, sera calamiteux pour elle. Le 20 mars 2015, le glyphosate sera officiellement déclaré génotoxique, cancérogène pour l’animal et « cancérogène probable » pour l’homme.

Monsanto décide donc d’allumer des contre-feux. Un cadre de la compagnie sollicite Henry Miller, qui a déjà produit sur le sujet : « Souhaitez-vous en écrire davantage au sujet du CIRC, son processus et sa décision controversée ? lui demande-t-il par courriel. J’ai les informations de base et je peux les fournir si besoin. » M. Miller accepte, mais à condition de « partir d’un brouillon de haute qualité ». De fait, le texte qui lui est transmis semble être « de haute qualité » : il sera publié le 20 mars, presque sans modification, sur le site de Forbes.

Ni M. Miller ni la Hoover Institution n’ont répondu aux sollicitations du Monde. De son côté, Monsanto assume : « Des scientifiques de Monsanto ont simplement fourni la version de travail initiale, qu’Henry Miller a éditée et postée. Les points de vue et les opinions exprimées dans cette tribune sont les siens. »

Echange de courriels entre Monsanto et Henry Miller.
Echange de courriels entre Monsanto et Henry Miller.
Echange de courriels entre Monsanto et Henry Miller.

Echange de courriels entre Monsanto et Henry Miller.

Pratique du « ghostwriting »

Cet exemple de tromperie sur la marchandise n’est qu’un élément parmi d’autres. La stratégie mise en place par Monsanto ne se limite pas à convaincre l’opinion grâce aux médias grand public comme Forbes. À en croire les échanges des toxicologues du géant de l’agrochimie, elle concerne également de articles scientifiques en bonne et due forme, publiés dans les revues savantes. Au fil des « Monsanto papers » apparaît ainsi un faisceau d’indices suggérant que la firme pratique couramment le ghostwriting.

Comme ce cas où, en novembre 2010, Donna Farmer, une des toxicologues en chef de la firme, envoie par courriel les « 46 premières pages » d’un manuscrit. Son correspondant travaille pour Exponent, un cabinet de consultant spécialisé en affaires scientifiques, et il doit superviser la publication de l’article dans une revue scientifique. Donna Farmer a elle-même, tout simplement, biffé son propre nom de la liste des auteurs. L’étude paraîtra plus tard dans la revue Journal of Toxicology and Environmental Health, Part B, sous la seule signature des consultants extérieurs. Elle conclut à l’absence de risques du glyphosate pour le développement du fœtus et la reproduction.

Donna Farmer biffe son propre nom.
Donna Farmer biffe son propre nom.

Donna Farmer biffe son propre nom.

Si la pratique du ghostwriting est notoirement répandue dans le secteur pharmaceutique, la lecture des « Monsanto papers » pose désormais la question de son ampleur dans l’industrie chimique et agrochimique. Elle semble en effet si prégnante dans la culture de la société que ses employés eux-mêmes ont recours à ce terme sulfureux, à plusieurs reprises et sans retenue, dans leurs correspondances internes.

C’est surtout sur le front de la science que Monsanto veut allumer des contre-feux au verdict annoncé du CIRC. Une façon de procéder, écrit William Heydens, le responsable de la sécurité des produits réglementés, à ses collègues de Monsanto en février 2015, « serait d’y aller à plein régime en impliquant des experts de tous les domaines majeurs » – une option à 250 000 dollars (220 000 euros), précise-t-il. Et une autre façon, « moins chère/plus envisageable », serait de « n’impliquer les experts que sur les domaines où il y a débat (…), et d’être les auteurs-fantômes pour les parties sur l’exposition et la génotoxicité » – la capacité d’une substance à altérer l’ADN.

Echanges de Monsanto sur la constitution d'un panel Glyphosate.

Echanges de Monsanto sur la constitution d'un panel Glyphosate.

Textes lourdement amendés par la firme

Monsanto missionne Intertek, un cabinet de consultants, pour rassembler un panel d’une quinzaine d’experts extérieurs. Certains travaillent dans le monde académique, d’autres comme consultants privés. Moyennant finances, ils doivent rédiger cinq grandes synthèses de la littérature scientifique sur chaque domaine (toxicologie, épidémiologie, études animales, etc.) éclairant les liens entre cancer et glyphosate. Publiés en septembre 2016 dans un numéro spécial de la revue Critical Reviews in Toxicology, les cinq articles concluent – est-ce une surprise ? – que le glyphosate n’est pas cancérogène.

Si le financement par Monsanto est bien signalé au pied de chacun des articles, une petite notice complémentaire offre ce gage de rigueur et d’indépendance : « Ni les employés de la société Monsanto ni ses avocats n’ont passé en revue les manuscrits du panel d’experts avant leur soumission à la revue. » Or non seulement des employés de Monsanto ont « passé en revue » ces articles, mais ils les ont aussi lourdement amendés, peut-être même directement écrits. C’est en tout cas le scénario que semble dérouler la chronologie des échanges confidentiels.

Le 8 février 2015, le responsable de la sûreté des produits, William Heydens, adresse au cabinet Intertek une version de l’article principal corrigée par ses propres soins. Une cinquantaine de corrections et d’éditions diverses ont été apportées. « J’ai passé en revue l’ensemble du document et j’ai indiqué ce qui, selon moi, devrait rester, ce qui peut être supprimé et j’ai aussi fait un peu d’édition, écrit-il. J’ai aussi ajouté du texte. »

D’autres messages internes mettent en évidence les interventions éditoriales de Monsanto. La firme veut décider de tout, jusqu’à l’ordre de signature des experts, indiquant par là qui a réalisé la majeure partie du travail. Elle voudrait également taire la participation de certains des experts sélectionnés par Intertek.

William Heydens, de Monsanto, envoie ses corrections
William Heydens, de Monsanto, envoie ses corrections

William Heydens, de Monsanto, envoie ses corrections

Lustre de l’indépendance

Un échange particulièrement acide a lieu entre William Heydens – toujours lui – et l’un des scientifiques enrôlés par Intertek, John Acquavella. Monsanto connaît bien M. Acquavella : il a travaillé comme épidémiologiste pour la firme pendant quinze ans. Et c’est justement parce qu’il est un ancien employé que William Heydens n’a pas prévu qu’il apparaisse comme coauteur de l’article qu’il a pourtant contribué à écrire — pour des honoraires de 20 700 dollars (18 300 euros), comme l’indique sa facture.

La volonté de donner le lustre de l’indépendance aux cinq études est si implacable que les noms d’anciens collaborateurs de Monsanto ne doivent pas apparaître. L’explication est sèche. « Je ne vois pas mon nom dans la liste des auteurs », s’étonne John Acquavella par courriel. « Il a été décidé par notre hiérarchie que nous ne pourrions pas t’utiliser comme auteur, répond William Heydens, en raison de ton emploi passé chez Monsanto ». « Je ne pense pas que ce sera OK avec les experts de mon panel, rétorque John Acquavella. On appelle ça du ghostwriting et c’est contraire à l’éthique. » Il aura finalement gain de cause et sera mentionné comme coauteur.

Echanges entre William Heydens de Monsanto et John Acquavella.

Echanges entre William Heydens de Monsanto et John Acquavella.

Quand, en février 2015, ce même William Heydens évoquait la façon de procéder la « moins chère », il avançait l’« option d’ajouter les noms de [Helmut] Greim, [Larry] Kier et [David] Kirkland à la publication, mais on maintiendrait le coût au plus bas en écrivant nous-mêmes, et ils n’auraient plus qu’à éditer et écrire leur nom, pour ainsi dire ».

Professeur émérite de l’université technique de Munich (Allemagne), Helmut Greim, 82 ans, nie avoir servi de prête-nom à Monsanto. S’il a été rémunéré, assure-t-il au Monde, c’est pour un travail effectif et pour un montant raisonnable. « Je n’aurais pas pu m’acheter une Mercedes avec cet argent », dit-il avec espièglerie. Pour sa participation au panel Intertek, il affirme avoir été rémunéré « un peu plus » que les 3 000 euros qu’il a touchés de Monsanto pour un autre article de synthèse, publié tout début 2015 dans la revue Critical Reviews in Toxicology. Dans un mémo interne, un toxicologue de la firme consigne pourtant avoir été « l’auteur-fantôme de la synthèse de 2015 de Greim »

« Blague de machine à café »

Un autre des trois experts cités, David Kirkland, un Britannique de 68 ans, est consultant privé, spécialiste en génotoxicité. « Je n’ai jamais fait l’expérience du ghostwriting, indique-t-il au Monde. Je n’ai jamais mis et je ne mettrai jamais mon nom sur un article ou un manuscrit écrit par quelqu’un que je ne connais pas ou que je connais sans avoir eu l’opportunité de vérifier toutes les données. » Pour lui, la phrase de William Heydens suggérant qu’il n’aurait qu’à apposer son nom relève de la « blague de machine à café ».

Comme M. Greim, M. Kirkland est bien connu de la firme. En 2012, Monsanto l’avait déjà sollicité pour aider à la rédaction d’une importante revue de la littérature scientifique sur les propriétés génotoxiques du glyphosate. « Mon tarif journalier est fixé sur une base de huit heures, soit 1 400 livres [1 770 euros] par jour. J’estime un maximum de 10 jours (soit 14 000 livres [17 700 euros]) », écrit-il en juillet 2012, dans un courriel.

C’est un peu cher pour son interlocuteur, David Saltmiras. Ce toxicologue de Monsanto voit là « doubler » le montant de la facture ; il estime cependant que la réputation de David Kirkland, reconnu et « hautement crédible », « vaut le coût supplémentaire ». L’article sera publié en 2013 dans la revue Critical Reviews in Toxicology.

Echanges sur la mission et le tarif de David Kirkland.

Echanges sur la mission et le tarif de David Kirkland.

M. Kirkland est désormais lié à l’année à Monsanto par le biais d’un « master contract ». Ainsi qu’il l’a expliqué au Monde, ce type de contrats permet à la firme de recourir à son expertise sans être facturée à l’heure, comme le ferait un avocat. Ces forfaits à l’année prévoient cependant un plafond, « par exemple à 10 000 dollars par an », au-delà de quoi des avenants ou des contrats séparés sont signés, comme cela a été le cas pour sa participation au panel d’Intertek. M. Kirkland n’a pas souhaité révéler le montant de ce contrat.

Liés par des « master contracts »

Combien de scientifiques sont ainsi liés à Monsanto, que ce soit ponctuellement ou à l’année par des « master contracts » ? Si la firme n’a pas souhaité répondre, elle semble en tout cas capitaliser sur certains noms. Quelques-uns reviennent fréquemment dans les publications qu’elle sponsorise. Ainsi de Gary Williams, professeur de pathologie au New York Medical College (Etats-Unis), qui apparaît comme coauteur dans trois des cinq articles du panel Intertek. Il est même cité comme premier auteur de deux d’entre eux.

Comme MM. Greim et Kirkland, Gary Williams a déjà collaboré avec Monsanto. Dans ce fameux courriel de février 2015, où le responsable de la sécurité des produits lâchait que les scientifiques « n’auraient plus qu’à éditer et écrire leur nom, pour ainsi dire », il évoque un précédent. « Rappelez-vous que c’est comme ça qu’on avait géré le papier de [Gary] Williams, [Robert] Kroes et [Ian] Munro en 2000 ».

Interrogé par Le Monde, M. Williams assure pourtant avoir rédigé la partie de l’article qui lui incombait, mais dit ne pas pouvoir parler pour ses deux coauteurs – MM. Kroe et Munro étant décédés.

Monsanto nie également tout ghostwriting et évoque quelques mots extraits d’un unique courriel « sorti de son contexte ». La firme a cependant tiré un bénéfice considérable de l’article en question. Cette longue synthèse des études disponibles a été citée plus de 300 fois dans la littérature scientifique. Il est, en somme, devenu une référence. Il concluait… à l’absence de danger du glyphosate.

Les employés de Monsanto cités n’ont pas donné suite aux sollicitations du Monde ou ont redirigé vers le service communication de leur employeur.

Sebastian, 14 ans, dans les bras de sa tante à l’extérieur de sa maison dans la province du Chaco en novembre 2012. Il souffre d’hydrocéphalie et de myélomeningocèle. ALVARO YBARRA ZAVALA.

Sebastian, 14 ans, dans les bras de sa tante à l’extérieur de sa maison dans la province du Chaco en novembre 2012. Il souffre d’hydrocéphalie et de myélomeningocèle. ALVARO YBARRA ZAVALA.

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4 octobre 2017 3 04 /10 /octobre /2017 12:54

L'Assemblée nationale a voté dans la nuit de mardi à mercredi 4 octobre 2017 l'article phare du projet de loi Hulot sur la fin de la production d’hydrocarbures d’ici 2040, dans un climat parfois éloigné du « consensus » souhaité par le ministre dont c'était le baptême du feu. À l'issue de débats passionnés, les députés ont validé l'article 1er prévoyant qu'à compter de son adoption définitive par le Parlement, d'ici fin 2017, il ne pourra plus être délivré de nouveau permis d'exploration d'hydrocarbures, liquides ou gazeux. Et les concessions d'exploitation existantes ne seront pas renouvelées au-delà de 2040.

« Aux députés français d’aller plus loin que la loi Hulot dans la lutte contre le réchauffement »

Voici une tribune publiée le 2 octobre 2017 par Le Monde signée par un collectif rassemblant Naomi Klein, Nnimmo Bassey, Bill McKibben, Maxime Combes, Florent Compain, Nicolas Haeringer, Isabelle Lévy, Marieke Stein qui appelle les députés et le gouvernement français à combler les failles de la loi Hulot en restreignant strictement le droit de suite ; refusant de céder aux pressions des lobbys pétroliers et gaziers ; prenant des mesures pour réduire les importations d’hydrocarbures ; cessant de soutenir les entreprises françaises dans leurs activités extractives à l’étranger et de geler le développement des infrastructures.                             Lire surtout sur le même sujet Hydrocarbures : le gouvernement a plié devant les intérêts miniers, et aussi Les députés votent l’interdiction des gaz de schiste : insuffisant et trop tard !, La sale mine du futur code minier et Une nouvelle proposition de loi pour réformer le code minier. Par le même collectif rassemblant Les amis de la Terre, 350.org, Attac,… notez le décryptage de la Loi Hulot déposée à l'AN : « Mettre fin aux énergies fossiles » ? Note de décryptage de la loi Hulot et réaction suite à la discussion en commissions Affaires économiques et Développement durable : Loi Hulot : les améliorations doivent être confirmées et les dernières failles comblées.

Mardi 3 octobre, les députés français sont appelés à voter un texte aussi symbolique que pionnier, qui deviendra l’une des premières traductions des objectifs inscrits dans l’accord de Paris (maintenir le réchauffement climatique « bien en dessous des 2 °C ») dans la gestion des ressources en hydrocarbures. L’Assemblée nationale doit en effet adopter le projet de loi Hulot visant à mettre fin aux activités d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures sur l’ensemble du territoire français. Le titre est aussi prometteur qu’ambitieux, mais le texte actuel comporte des failles importantes

Il s’agit pourtant d’une opportunité inédite. La France deviendrait en effet le premier pays au monde à volontairement et définitivement tourner le dos à l’extraction d’hydrocarbures. Ces dernières semaines, les catastrophes climatiques se sont multipliées : enchaînement d’ouragans dans les Caraïbes, feux de forêt gigantesques aux États-Unis ou au Groenland, inondations gigantesques en Asie du Sud, effondrement de pans de montagne dans les Alpes sous l’effet de la fonte du permafrost, etc. Cette séquence nous rappelle que le changement climatique n’est pas une menace qui concerne notre avenir : il s’agit d’une réalité quotidienne, qui affecte dès aujourd’hui des millions de vies.

Pour y répondre, la « transition » d’une économie entièrement fondée sur la dépendance aux énergies fossiles vers des modes de production et de consommation plus sobres, renouvelables et durables doit se conjuguer à l’impératif présent. C’est là l’enjeu de la loi Hulot – présentée en conseil des ministres au moment même où l’ouragan Irma entamait son dévastateur parcours : prendre la mesure de ce qui nous arrive.

La transition n’est pas seulement affaire de créativité qu’il faudrait libérer et de barrières à lever, bref construire une start-up nation, vouée à « libérer » les énergies, les investissements, les bonnes volontés, les idées et les projets. Il faut au préalable redonner aux États la capacité de bloquer certains types de projets. Quitte à revenir sur des dispositions législatives telles que le « droit de suite » inscrit dans le code minier français – un texte vieux de plus de cent ans, forgé à une époque où nous pensions pouvoir forer toujours plus loin et plus profond sans conséquence.

Arsenal légal et parlementaire adéquat

Le « droit de suite » a été conçu comme une garantie donnée aux industriels que leurs investissements dans la recherche et l’exploration du sous-sol seraient systématiquement compensés par les profits que l’exploitation de ces mêmes gisements dégageraient – quel qu’en soit le coût environnemental et climatique.

Mais les gisements de charbon, de gaz et de pétrole actuellement exploités partout dans le monde sont tellement grands qu’ils suffisent à eux seuls à nous faire irrémédiablement sortir de la trajectoire d’un réchauffement de 2 °C, comme l’a montré Oil Change International dans son rapport « The Sky’s Limit ». Accorder de nouvelles concessions – permis d’exploitation – est donc totalement incompatible avec les objectifs inscrits dans l’accord de Paris.

Sa mise en œuvre implique par conséquent que les États se dotent de l’arsenal légal et réglementaire leur permettant de bloquer le développement d’infrastructures liées à l’extraction, au transport et à la combustion d’hydrocarbures. Il s’agirait là d’une première étape dans la « sénescence programmée » de l’industrie fossile, c’est-à-dire son déclin planifié et organisé, jusqu’à sa disparition.

La loi Hulot, aussi symbolique soit-elle – la production française de gaz et de pétrole ne représente que 1 % de ce que la France consomme en hydrocarbures –, est une première étape en ce sens. Mais pour qu’elle prenne tout son sens, et qu’elle serve d’exemple au reste de la communauté internationale, les députés doivent la renforcer. Pour qu’elle « sonne la fin d’un modèle », comme l’a annoncé le ministre, elle doit notamment inclure des dispositions qui permettent à la France de ne plus accorder aucune concession – le projet de loi se limite actuellement à interdire l’octroi de permis de recherche.

Opportunité unique

La trentaine de permis de recherche actuels pourront donc être prolongés et donner potentiellement lieu à autant de concessions : c’est le cas du permis d’exploration au large de la Guyane, qui a été prolongé la semaine dernière, alors que les risques environnementaux des forages en mer sont considérables.

Cette loi doit également être assortie de mesures visant à réduire les importations d’hydrocarbures, à commencer par les plus polluants, comme les sables bitumineux et les gaz et huiles de schiste, en adéquation avec l’objectif de maintenir le réchauffement climatique au plus près des 1,5 °C.

Une première étape en ce sens serait de cesser de soutenir les entreprises françaises dans leurs activités extractives à l’étranger et de geler le développement des infrastructures (gazoducs, terminaux méthaniers, etc.) vouées à importer des hydrocarbures en France. Les députés ont une opportunité unique d’écrire une page importante de la lutte contre le réchauffement climatique. Ils ne doivent pas la gâcher !

Nnimmo Bassey, écrivain et poète nigérien, directeur de Health of Mother Earth Foundation ; Maxime Combes, Attac France ; Florent Compain, président des Amis de la Terre France ; Nicolas Haeringer, porte-parole de 350.org France ; Bill McKibben, journaliste et militant écologiste américain ; Naomi Klein, essayiste et journaliste canadienne ; Isabelle Lévy, Collectif du pays fertois contre le pétrole de schiste ; Marieke Stein, APEL 57 (association pour la préservation de l’environnement local)

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3 octobre 2017 2 03 /10 /octobre /2017 09:49

Les "poumons de la planète" étouffent. Au lieu d’absorber les gaz qui réchauffent le climat, les forêts tropicales du monde commencent à les libérer. Par Sciences et Avenir avec AFP le 30 septembre 2017.

Les forêts étouffent - FANATIC STUDIO / SCIENCE PHOTO L / FST / Science Photo Library

Les forêts étouffent - FANATIC STUDIO / SCIENCE PHOTO L / FST / Science Photo Library

La vaste déforestation des régions tropicales a pour conséquence qu'elles émettent davantage de dioxyde de carbone qu'elles n'en capturent, perdant ainsi leur rôle historique de protection naturelle contre le changement climatique, selon une étude publiée jeudi 28 septembre 2017 dans la revue Science. Une grande partie de cette contribution carbone est due à la déforestation, à la conversion des forêts en espaces urbains tels que les fermes ou les routes. Cela dit, près de 70 % proviennent d'une source moins visible : une baisse du nombre de forêts et de la diversité des arbres dans celles qui restent.

Les forêts, une contribution essentielle... à la dégradation peu visible

Les forêts tropicales sont un rempart contre la hausse du dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Elles absorbent du carbone et l'entreposent sous forme de tiges, de feuilles et de racines. L'effet de la déforestation est clair : une diminution du nombre d'arbres qui absorbent le CO2.

Mais même des forêts apparemment intactes peuvent être dégradées ou perturbées par l'exploitation sélective, les changements environnementaux, les feux de forêt ou les maladies. « Contrairement à la déforestation, qui est facile à voir dans les images satellites, ces autres types de dégradation peuvent être difficiles à repérer », affirme l'auteur principal de l'étude, Alessandro Baccini, écologiste forestier et spécialiste de la télédétection au Woods Hole Research Centre à Falmouth, Massachusetts. "Même dégradée, la forêt ressemble encore à la forêt – même si elle est moins dense, et que son équilibre est rompu."

La lente érosion d’une fonction essentielle

Baccini et son équipe ont donc étalonné les images satellites des tropiques et créé un algorithme qui compare les parcelles de 500 mètres carrés de chaque image de chaque année de 2003 à 2014 pour calculer les gains et les pertes de densité du carbone.

L'étude  a établi que les régions tropicales dégageaient désormais environ 425 téragrammes nets par an dans l'atmosphère (un téragramme représentant un million de tonnes), soit davantage que les émissions de tous les camions et voitures des Etats-Unis en 2015. Environ 60 % de ces émissions de carbone proviennent de l'Amérique tropicale, y compris le bassin amazonien. Les forêts tropicales d'Afrique ont été responsables d'environ 24 % de la perte de carbone, et les forêts asiatiques pour 16 %. "Ces découvertes constituent un signal d'alarme pour le monde entier concernant les forêts", a commenté Alessandro Baccini. "Si nous voulons empêcher la température planétaire d'atteindre des niveaux dangereux, nous devons réduire drastiquement les émissions et augmenter la capacité des forêts à absorber et à emmagasiner le dioxyde de carbone".

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23 septembre 2017 6 23 /09 /septembre /2017 11:22

Au sens littéral du terme, le biomimétisme (du grec bios, la vie et mímêsis, imitation) indique notre capacité à nous tourner vers la nature pour trouver des solutions à nos problèmes techniques. Cependant, en 1997, une dimension fondamentale a été révélée par Janine Benyus lors de la parution de son livre Biomimicry. Pour cette auteure américaine, le biomimétisme n'est pas seulement une démarche inspirée du vivant pour produire des biens et des services innovants mais elle doit être aussi réalisée de manière durable et respectueuse de notre planète. Ce qui signifie : à l'échelle appropriée, sans gaspillage, en utilisant le moins d'énergie possible, sans produits toxiques, en préservant la diversité et le 'génie' de la vie. Aujourd'hui, le biomimétisme est devenu une science transdisciplinaire à part entière. Un article publié le 5 juin 2015 sur Parlons Sciences (site web Muséum de Toulouse).

Le biomimétisme, un concept, une philosophie pleine d'avenir

S'inspirer de la nature pour innover dans le domaine de la technologie est une activité que l'homme pratique depuis plusieurs siècles. Ainsi, par exemple, au XVe siècle, lorsque Léonard De Vinci conçut son célèbre ornithoptère, il observa minutieusement insectes, chauve-souris et oiseaux au vol battu pour construire une machine volante mue par propulsion humaine. En remontant encore plus loin dans le temps, des historiens suggèrent que l'invention de la roue, il y a plus de 5 500 ans, a été possible grâce à l'observation des bousiers, ces petits insectes qui roulent une sphère de bouse dans laquelle ils pondent leurs œufs afin que les larves s'en nourrissent.

Photo Scarabaeinae cc by-sa Frédéric Ripoll, collection Muséum de Toulouse.

Photo Scarabaeinae cc by-sa Frédéric Ripoll, collection Muséum de Toulouse.

Aujourd'hui, le biomimétisme consiste tout d'abord à observer et étudier les êtres vivants et leurs interactions pour comprendre leur fonctionnement, puis transposer les mécanismes du vivant vers des systèmes non biologiques. Le champ couvert par le biomimétisme englobe la plupart de nos activités : agriculture, énergie, science des matériaux, information, santé, etc. Son impact est considérable ; en témoigne la course dans laquelle se sont lancés scientifiques de tous horizons, ingénieurs, industriels, ONG et bureaux de consultants. Des biologistes détaillent le fonctionnement des organismes, résultat de près de 3,5 milliards d'années d'évolution, jalonnée d'essais et d'impasses ; les architectes scrutent la croissance des arbres pour construire des bâtiments plus solides et durables ; des urbanistes observent les fourmis pour résoudre les problèmes du trafic ; des ingénieurs s'inspirent des requins, hiboux, pélicans, etc. pour améliorer avions et voitures. Découvrons quelques exemples de biomimétisme dans ses trois principaux niveaux d'inspiration : la forme, les matériaux et procédés, les écosystèmes.

A la recherche de la forme la mieux adaptée

C'est probablement dans le domaine de l'aérodynamique que l'inspiration de la nature a été la plus féconde. L'ornithoptère de L. de Vinci n'a jamais volé, mais cet « homme-oiseau » constitue bien le premier prototype d'un objet volant autonome en énergie. Il aura fallu attendre 2 010 pour qu'un groupe international d'étudiants, mené par Todd Reichert de l'Université de Toronto, construise sur les plans de Vinci le « snowbird » et le fasse voler pendant quelques secondes.

Dessin : Machine volante à ailes battantes. Plume et encre sur papier. Extrait du Codex Atlanticus f.858r

Dessin : Machine volante à ailes battantes. Plume et encre sur papier. Extrait du Codex Atlanticus f.858r

Plus proche de nous, observons le TGV japonais : les ingénieurs se sont inspirés des plumes du hibou moyen duc et du bec du martin pêcheur pour réduire le bruit et la consommation électrique du Shinkansen 500 tout en augmentant sa vitesse.

Photo :  nez du train effilé comme l'est le bec du Martin pêcheur. cc by-sa MK Products via wikimedia

Photo :  nez du train effilé comme l'est le bec du Martin pêcheur. cc by-sa MK Products via wikimedia

L'analyse au microscope de la peau de requin a révélé des rainures qui, en provoquant des micros tourbillons autour de l'animal (effet « riblet »), réduisent la résistance de l'eau. Cette étude a d'abord débouché sur la fabrication de combinaisons de natation avant d'inspirer les ingénieurs d'Airbus pour réduire la résistance à l'air des avions de type A320.

Photo :  les denticules cutanées de la peau de requin (ici un requin citron) vues en microscopie électronique à balayage engendrent des micro tourbillons qui diminuent les frottements, permettant ainsi au requin de nager vite et sans bruit. cc by-sa Pascal Deynat/Odontobase via wikimedia

Photo :  les denticules cutanées de la peau de requin (ici un requin citron) vues en microscopie électronique à balayage engendrent des micro tourbillons qui diminuent les frottements, permettant ainsi au requin de nager vite et sans bruit. cc by-sa Pascal Deynat/Odontobase via wikimedia

A Toulouse, les chercheurs de l'IMFT et du laboratoire LAPLACE s'inspirent de la structure et du fonctionnement des ailes des grands prédateurs pour concevoir les ailes des avions de demain. Leur objectif est de développer des ailes et ailerons flexibles et « intelligents », capables de changer de forme et de se mouvoir en harmonie avec les sollicitations extérieures, comme des ailes d'oiseaux, mais adaptées aux très grandes vitesses des avions et à leur taille. Leurs travaux visent à accroître les performances aérodynamiques (augmentation de la portance et diminution de la résistance à l'air) et de manœuvrabilité des ailes d'avion, tout en réduisant le bruit généré par les bords de fuite (la partie arrière, la plus effilée). Pour ce faire, ils utilisent une association de 3 matériaux (alliages à mémoire de forme, actuateurs piézo, polymères à haute performance) pour obtenir en des endroits très précis de grandes ou de petites déformations des ailes de l'avion en réponse aux changements d'environnement.

La voiture n'est pas en reste dans cette course vers un aérodynamisme amélioré. Ainsi, en 2005 la marque Mercedes Benz a conçu Bionic, une voiture inspirée du poisson-coffre (Ostracion cubicus), un poisson tropical des récifs coralliens des  océans Indien et Pacifique. Photobioniccarpoisson C'est sa forme, qui lui confère un coefficient de traînée très faible, et la rigidité de son exosquelette qui ont séduit les ingénieurs de Mercédès pour dessiner la carrosserie d'un « concept-voiture ». D'après des travaux récents d'une équipe belge, le poisson coffre serait loin d'être le meilleur modèle. Peut-être ce modèle restera-t-il au… coffre ! (Van Wassenbergh S, van Manen K, Marcroft TA, Alfaro ME, & Stamhuis EJ (2015). Boxfish swimming paradox resolved: forces by the flow of water around the body promote manoeuvrability. Journal of the Royal Society, Interface / the Royal Society, 12 (103) PMID: 25505133).

A la recherche de matériaux, de structures et de procédés 

Aux Etats-Unis, 4 grandes industries de matériaux - papier, plastique, métaux et produits chimiques - représentent à elles seules 71% des émissions toxiques de l'industrie (ref. J.E. Young et A. Sachs, the next efficiency revolution, 1994). Le rêve d'un biomiméticien de la science des matériaux est de fabriquer à température et pression ambiantes et sans solvant des biomatériaux adaptés et évolutifs, à l'instar de ce que la nature fait : nanomatériaux, céramiques, verre, colle, …

Velcro, scratch et compagnie

L'exemple le plus célèbre de matériau biomimétique est celui de la bardane (Arctium) de la famille des Composées dont les bractées en forme de crochets minuscules et élastiques ont inspiré Georges de Mestral, l'inventeur du velcro (velours crochet), qui déposa son brevet en 1952.

Photo de la bardane. cc by-sa Dominique Morello

Photo de la bardane. cc by-sa Dominique Morello

Depuis, les ingénieurs se sont intéressés à d'autres systèmes « collants ». Par exemple, le gecko (tel Tarentola mauritanica) n'a pas de ventouse au bout de ses pattes et pourtant il adhère aux parois, même lisses, grâce au système d'adhérence constitué d'une multitude de soies micrométriques qui recouvrent ses doigts. Une structure analogue se retrouve chez des araignées sauteuses de la famille des Salticidae et chez un insecte xylophage (Clytus arietis).  Des biophysiciens s'en sont inspirés pour créer des adhésifs ultrarésistants et autonettoyants.

Lotus, surfaces hydrophobes et vitres propres

Les feuilles de plus de 200 plantes, les plumes de certains oiseaux ou encore les pattes de certains insectes sont super-hydrophobes, c'est à dire que l'eau n'adhère pas à leur surface. C'est en étudiant la feuille de lotus que les chercheurs ont découvert que sa surface n'était pas lisse mais très rugueuse comme le montre cette image de microscopie électronique.

Le biomimétisme, un concept, une philosophie pleine d'avenir

Les scientifiques ont reproduit ces microstructures, puis ils en ont créées à l'échelle du nanomètre (10-9 m). Les applications sont nombreuses : tissus imperméables, bétons hydrofugés, revêtements de baignoire, à l'image de cette peinture autonettoyante destinée à revêtir les bâtiments : non seulement l'eau n'adhère pas mais elle entraine dans sa chute toutes les particules de saleté. Aujourd'hui la NASA envisage d'utiliser de telles surfaces antiadhérentes dans la construction d'objets spatiaux dont l'entretien paraît effectivement bien difficile !

Morphos, cristaux photoniques et ordinateurs

La couleur des ailes du Morpho (Amérique centrale) fascine depuis des  siècles. Mais c'est l'avènement d'instruments d'optique sophistiqués (comme par exemple le microscope électronique à balayage) qui a permis de décortiquer la structure fine des écailles et de modéliser les propriétés optiques de l'aile. Sa couleur bleu vif n'est pas due à des pigments mais à la structure en « nanotrous » des écailles sur lesquelles la lumière se réfléchit. Des industriels s'en inspirent pour donner aux vêtements de la couleur sans colorants ni pigments ou lutter contre la contrefaçon en insérant dans les billets de banque ce type de nanostructure (Morpho complet).

Fil d'araignée et câbles plus forts que l'acier : 

A la fois solide, résistant et élastique, le fil d'araignée a des qualités uniques, fortement convoitées dans plusieurs domaines de recherche : fabrication de gilets pare-balles, de câbles pour ponts suspendus, de fil de suture biocompatible pour la chirurgie

Photo : l'araignée et sa toile. Copyright Philippe Annoyer, expédition Sangha, Centrafrique 

Photo : l'araignée et sa toile. Copyright Philippe Annoyer, expédition Sangha, Centrafrique 

La quête à l'appropriation du fil de l'araignée n'est pas nouvelle, mais malheureusement l'araignée ne s'élève pas comme les vers à soie. Et, malgré nos connaissances approfondies sur les gènes qui codent les protéines constituantes, nous n'avons pas encore très bien compris comment fait l'araignée pour les structurer et fabriquer une fibre insoluble et très résistante. Dans les années 90, des chercheurs ont réussi à faire exprimer des fragments de ces protéines dans des bactéries et mieux encore, des scientifiques canadiens en ont produit dans le lait de  chèvres génétiquement modifiées (transgéniques). Mais, il reste une étape critique d'assemblage et de production à grande échelle. Il paraît que la firme allemande AMSilk est en passe d'en fabriquer des ... tonnes.

Béton vert, corail et biominéralisation. 

Dans le domaine de la construction, la fabrication du béton de ciment est énergivore puisqu'elle nécessite de chauffer à 1450 °C un mélange de calcaire et d'aluminosilicates (argile). Approximativement 5% des émissions de gaz à effet de serre proviennent de cette industrie. Or le béton est un produit qu'on consomme sans modération : un peu plus de 3 milliards de tonnes par an ! Plusieurs pistes sont actuellement suivies pour produire du béton vert, comme celle développée par l'entreprise Calera aux Etats Unis : son fondateur Brent Constantz s'inspire de la façon dont les coraux construisent les récifs par biominéralisation. Dans son procédé, le CO2 n'est plus émis lors de la cuisson mais au contraire utilisé pour fabriquer du carbonate de calcium solide, un ingrédient essentiel du ciment. On ne connaît pas encore les performances de ce ciment dont les procédés de fabrication restent secrets ; mais si cette approche marche, elle sera révolutionnaire. Le « recyclage » du CO2 émis par d'autres industries (centrales nucléaires, serres,…) qui se trouvent à proximité des usines de béton et utilisé pour fabriquer un nouveau matériau est une illustration du principe de fonctionnement de l'écologie (ou symbiose) industrielle fondée sur l'utilisation des déchets comme ressources. Un exemple bien connu est celui de Kalundborg, une ville danoise dans laquelle 4 entreprises se sont regroupées en écoparc dans lequel les déchets de chacune servent de combustible ou de matière première à l'entreprise voisine, constituant ainsi une chaine d'utilisation de déchets industriels.

Bioluminescence,  LED et éclairage public

Nous observons depuis très longtemps la capacité qu'ont de nombreuses espèces vivantes à produire de la lumière de manière autonome et à l'utiliser pour se repérer dans l'obscurité, communiquer, attirer des partenaires sexuels ou des proies, se camoufler ou repousser les prédateurs. Plus de 700 genres de 16 phyla différents sont lumineux, tels les bactéries, les vers, les insectes, les champignons, les méduses, les poissons… mais les araignées, les amphibiens, les crabes et les mammifères ne le sont pas. Cette lumière résulte d'une réaction biochimique, appelée bioluminescence et les recherches sur les différents mécanismes responsables de la bioluminescence ont eu de nombreuses retombées tant dans les activités humaines quotidiennes que dans le monde scientifique. Par exemple, la mise en œuvre de cette réaction dans un tube à essai, appelée chimioluminescence, est utilisée dans des bâtons lumineux, les « glowsticks », employés à des fins d'éclairage ou de signalisation. L'étude de la cuticule de l'abdomen des lucioles a permis d'augmenter de 65% la puissance lumineuse des LED. Des plantes luminescentes ont également été créées selon ces principes et certains rêvent d'éclairer nos rues ou nos habitations sans électricité grâce aux techniques de bioluminescence. A l'inverse, des animaux marins, calmars, seiches ou pieuvres, experts en art du camouflage, nous apportent une application originale : la cape d'invisibilité. En effet, les pigments de la peau de ces animaux contiennent une protéine, la réflectine, qui en milieu acide devient opaque aux infrarouges. Elle est utilisée dans le domaine militaire pour dissimuler des hommes ou des équipements aux dispositifs de vision nocturne fondés sur l'émission des infrarouges.

Les recherches sur la bioluminescence d'autres animaux marins (méduse, corail…) ont conduit également à identifier deux protéines d'intérêt majeur au plan scientifique. La première, l'aequorine, émet de la lumière en présence de calcium et permet ainsi d'étudier les activités cellulaires liées au calcium (illustration bancs de méduses bioluminescentes Aequorea victoria, vivant sur la côte ouest de l'Amérique du nord. Les cellules situées en bordure de leur ombrelle contiennent l'aequorine et La GFP). La deuxième, la « green fluorescent protein » ou GFP, émet de la fluorescence lorsqu'elle reçoit une énergie lumineuse de longueur d'onde appropriée et permet de visualiser de nombreux phénomènes biologiques dans l'organisme de manière non invasive et en temps réel. Par exemple, il est possible de coupler une protéine donnée à la GFP et ainsi de suivre sa localisation dans la cellule (noyau, membrane, cytoplasme, etc.) ou encore d'étudier la migration de la cellule ainsi « marquée » dans un organisme au cours du développement (illustration poisson zèbre copyright, CNRS, CBD. La GFP de cet embryon transgénique de poisson zèbre "colorie" son système nerveux). Ces découvertes ont révolutionné la biologie et ont valu en 2008 l'attribution du prix Nobel de Chimie à ses découvreurs Martin Chalfie, Osamu Shimomura et Roger Tsien.

A la recherche de fonctionnements moins énergivores et plus rationnels

En observant des insectes sociaux, des architectes s'inspirent du système de climatisation passive des termitières pour construire des immeubles à faible consommation énergétique. Des informaticiens étudient les déplacements des fourmis pour optimiser les réseaux de communication et de transport.

Architecture et termites

Les termites de la famille des Macrotermitinés construisent leurs termitières de manière à créer un système de ventilation naturelle qui maintient une température intérieure constante de 30°C environ.  Cette température est nécessaire au développement d'un champignon de grande taille (Termitomyces) qu'ils cultivent et qui leur assure des capacités digestives indispensables. (illustrations termites). Des cheminées centrales surplombent le nid par lequel l'air chaud est évacué, créant un courant d'air dans les parties basses du nid. Ce courant circule sous terre où il est rafraîchi au contact de puits profonds creusés par les termites ouvriers. Cet air frais remonte par le centre de la termitière qu'il rafraichit et est évacué par les cheminées et ainsi de suite.

L'architecte Michael Pearce s'est inspiré de ce système de climatisation naturelle pour concevoir l'Eastgate Centre à Harare, au Zimbabwe. La température à l'intérieur des 31 000 m2 de bureaux et de commerces est constamment de 25°. 90 % d'économie d'énergie par rapport à un immeuble similaire équipé de climatiseurs électriques sont réalisés.

Fourmis, circulation et internet

Chaque fourmi a des capacités limitées, mais le groupe peut réaliser des tâches complexes. Ainsi, certains comportements collectifs des fourmis permettent de résoudre des problèmes difficiles comme par exemple sélectionner le plus court chemin pour aller du nid à une source de nourriture. Les informaticiens et les ingénieurs ont pu transformer ce comportement collectif en méthodes utiles pour l'optimisation et le contrôle des réseaux. Elles portent le nom d' « algorithmes d'optimisation par colonie de fourmis ». Ces algorithmes sont déjà testés dans les transports aériens, la sécurité des réseaux de communication ou le trajet des milliards d'informations transitant chaque seconde sur internet.

Conclusion

Nous n'avons ébauché ici qu'une fraction des succès ou promesses du biomimétisme. Ainsi, les végétaux n'ont été illustrés que par quelques exemples  alors que ce règne est source de nombreuses inspirations (vêtements intelligents, structure de nos futures villes). Notre objectif était de mettre en évidence la partie visible de l'iceberg de la bioinspiration et de montrer que, si de nombreuses percées ont été réalisées dans ce domaine, le temps nécessaire pour comprendre les processus biologiques sous-jacents et les copier ou du moins s'en inspirer, est considérable. En résumé, le biomimétisme c'est une philosophie partagée par des biologistes, des architectes, des urbanistes, des chimistes, des physiciens, des ingénieurs, des collectivités territoriales, des amoureux de la nature, pour innover en s'inspirant des êtres vivants tout en préservant la biosphère. Souhaitons que nous amorcions ainsi une véritable transition vers un autre mode de vie dont nous avons réellement besoin, comme le dit si bien Janine Benyus : « Contrairement à la révolution industrielle, la révolution biomimétique ouvre une ère qui ne repose pas sur ce que nous pouvons prendre de la nature mais sur ce que nous pouvons en apprendre… l'Homo industrialis ayant atteint les limites de ce que pouvait supporter la nature entrevoit sa propre disparition en même temps que celle d'autres espèces qu'il entraine avec lui…Plus nous nous rapprocherons de la nature, plus nous aurons de chance d'être acceptés sur cette Terre dont nous ne devons jamais oublier que nous ne sommes pas les seuls propriétaires».


Dominique Morello (Chercheuse CNRS, mise à disposition au Muséum), Mario Tovar Simoncic (historien des sciences), avec la contribution des scientifiques du CNRS suivants : Marianna Braza (Institut de Mécaniques des Fluides de Toulouse), Philippe Cochard et Marc Moreau (CBD), Jean François Guillet et Thomas Lorne (CIRIMAT) et Gérard Latil (CRCA).

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22 septembre 2017 5 22 /09 /septembre /2017 08:36

Le texte, porté par la France et soutenu par la Chine, vise à définir les principaux droits environnementaux. Il va faire l’objet de négociations tendues entre les pays de l’ONU. Par Marie Bourreau (New York, Nations unies, correspondante) et Simon Roger le 20 septembre 2017 pour Le Monde. Lire aussi Un « pacte mondial pour l’environnement » remis à Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron, le 19 septembre à New York. LUDOVIC MARIN / AFP

Emmanuel Macron, le 19 septembre à New York. LUDOVIC MARIN / AFP

La réunion de haut niveau sur le pacte mondial pour le droit de l’environnement, qui s’est déroulée mardi 19 septembre en marge de la 72e Assemblée générale de l’ONU, devait permettre au président français, Emmanuel Macron, de prendre la température sur le projet. Une salle comble, la présence du ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, les interventions des représentants de l’Inde, du Mexique, des îles Fidji – qui présideront la prochaine conférence sur le climat, la COP, en novembre – et de nombreux chefs d’États du continent africain l’ont convaincu de lancer officiellement ce chantier, en vue « d’une adoption au plus tard à l’horizon 2020 ».

Quatre-vingts experts internationaux, réunis par le Club des juristes et l’ex-président de la COP21 Laurent Fabius, aujourd’hui à la tête du Conseil constitutionnel, ont travaillé sur ce document d’une trentaine d’articles qui reprend les grands principes édictés dans les déclarations, les protocoles et les conventions relatives aux enjeux environnementaux. S’il est endossé par les Nations unies, ce pacte juridiquement contraignant constituera, selon Laurent Fabius, présent à New York, « une troisième génération de pactes fondamentaux » après les deux pactes internationaux adoptés par l’ONU en 1966. L’un est relatif aux droits civils et politiques, l’autre concerne les droits économiques, sociaux et culturels.

Depuis plus de trente ans, les juristes spécialistes du droit de l’environnement appellent à simplifier et synthétiser ces corpus de textes sans valeur juridique obligatoire. « Tous ces efforts conjoints méritent l’adoption d’un cadre unique universel », a insisté Emmanuel Macron, qui avait promis, fin juin, lors de la cérémonie de lancement du pacte à Paris, de la porter à la rentrée devant l’ONU.

« Bataille pacifique »

Dans un clin d’œil appuyé au discours belliqueux du président Donald Trump, quelques heures auparavant, à la tribune des Nations unies, le chef de l’État a invité ses pairs à « se mettre en ordre de bataille, mais une bataille pacifique ». Le sommet du 19 septembre « doit être le début d’une œuvre utile », a-t-il précisé. D’ici quelques semaines, l’Assemblée générale devrait voter une résolution courte et procédurale qui prévoit la mise en place d’un groupe de travail intergouvernemental. Ce groupe sera chargé de négocier avec les 193 États membres de l’ONU le contenu du texte final.

« Ce résultat est inespéré », commente une source élyséenne, qui rappelle que le « pacte n’a été formellement endossé par M. Macron que le 24 juin ». Près de trois mois plus tard, l’avenir « de cette magnifique base de travail » se joue désormais à New York. Mais la diplomatie française ne se fait pas d’illusions. Les négociations seront âpres et la date de 2020 sera difficile à tenir.

Pour autant, « c’est le bon moment d’enclencher le processus, assure Manuel Pulgar-Vidal, qui présida aux destinées de la COP20, en 2014, à Lima. Au moment où la planète est confrontée plus que jamais au défi du changement climatique, de la perte de biodiversité, de l’accès aux ressources en eau, nous avons besoin de clarté en matière de droit de l’environnement ». Pour l’expert péruvien, le pacte mondial pour l’environnement pourrait compléter l’architecture bâtie à partir de l’accord de Paris contre le réchauffement climatique, qui devrait également prendre ses pleins effets en 2020.

« Il y a un consensus mondial qui se développe », s’est félicité, mardi, le tout nouveau président de l’Assemblée générale, Miroslav Lajcak. Le diplomate slovaque a assuré à Emmanuel Macron qu’il ferait de ce pacte mondial « sa priorité absolue si les États membres [lui] donnent mandat ». Une vingtaine de chefs d’États ou de gouvernement ont souhaité participer au sommet du 19 septembre.

Le Gabonais Ali Bongo, qui préside le comité des chefs d’État et de gouvernements africains sur les changements climatiques, a offert le blanc-seing de son continent à cette initiative. « Nous ne pouvons que souscrire au principe d’universalité de ce pacte. Ensemble, nous sauverons ou détruirons notre bien commun, la terre », a-t-il expliqué. La Chine, plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète, avait dépêché pour l’occasion son ministre des affaires étrangères. Pékin « se félicite de cette initiative (…) et veut participer aux efforts de gouvernance mondiale », a indiqué M. Wang.

« C’est un signal très fort : il faut désormais compter avec la Chine, se réjouit un diplomate. Elle va occuper l’espace que les Américains laissent vacant. » Depuis l’annonce du retrait américain de l’accord de Paris, le 1er juin, Pékin n’a eu de cesse de confirmer sa volonté de respecter ses engagements de réduction de ses émissions. Elle s’affirme comme un leader de la diplomatie du climat. Trois jours avant la session de l’Assemblée générale, la Chine s’est par exemple associée au Canada et à l’Union européenne pour rappeler aux ministres de l’environnement, réunis à Montréal, l’importance de mettre en œuvre l’accord de Paris.

« Faire sans les Américains »

Washington, en revanche, s’est contenté d’envoyer un simple expert au sommet du pacte mondial. « Il faudra faire sans les Américains, qui n’ont jamais ratifié un traité sur l’environnement », note sans surprise un fonctionnaire. Le texte nourrit par ailleurs les critiques de certains juristes, comme l’Américaine Susan Biniaz, qui, dans une longue note publiée par la Columbia Law School, en août, s’interroge sur le bien-fondé de vouloir « unifier » le droit face à la diversité des questions environnementales. Unifier ne signifie pas uniformiser, rétorquent les artisans du projet, qui cherchent surtout à harmoniser les principes fondamentaux du droit international de l’environnement pour en permettre une lecture plus cohérente.

Le projet de pacte mondial va désormais devoir affronter le cadre multilatéral, avec le risque de voir les exigences réduites à peau de chagrin pour obtenir le consensus le plus large des États membres. « C’est un risque, abonde Yann Aguila, avocat au barreau de Paris, qui a coordonné le projet au côté de M. Fabius. Mais ces grands principes contenus dans le pacte ne fixent pas d’objectifs chiffrés. Il s’agit de renforcer les cadres juridiques nationaux pour avoir des lois plus protectrices de l’environnement. »

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21 septembre 2017 4 21 /09 /septembre /2017 09:06

Des études alarmantes sur la dégradation de la biodiversité ne suscitent aucune réaction adéquate. Peut-être parce que cette destruction pourrait doper la croissance, estime dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde » le 17 septembre 2017. Lire aussi La sixième extinction de masse des animaux s’accélère.

En Amérique du Nord, pour pallier l’absence des pollinisateurs sauvages, des apiculteurs développent des services de location de leurs ruches. GIANCARLO FOTO4U / CC BY 2.0

En Amérique du Nord, pour pallier l’absence des pollinisateurs sauvages, des apiculteurs développent des services de location de leurs ruches. GIANCARLO FOTO4U / CC BY 2.0

Chronique. Ce fut l’étude-choc de l’été. Mi-juillet, dans la revue de l’Académie des sciences américaine, Gerardo Ceballos (Université nationale autonome du Mexique) et ses coauteurs donnaient une idée de ce qu’il reste de vivant – sans compter les sept milliards d’humains et la cohorte immense de leurs animaux domestiques – à la surface de la Terre. Au total, concluaient les chercheurs, sur les quelque 180 espèces de mammifères étudiées, presque toutes ont perdu plus de 30 % de leur aire de répartition depuis le début du XXe siècle et 40 % en ont abandonné plus de 80 %… Depuis 1970, ce sont au moins 50 % des animaux qui ont disparu.

Ces chiffres suscitent bien sûr l’effroi, comme avant eux une litanie de travaux alarmants sur l’érosion de la vie à la surface de la Terre. Et pourtant, rien ne change. Comment mobiliser les responsables politiques, les capitaines d’industrie, les médias ? Comment convaincre de cette évidence qu’il ne faut pas laisser le vivant s’étioler ?

Rien de ce qui n’a pas un intérêt économique immédiatement chiffrable ne semble pouvoir être sauvé. Alors, depuis la fin des années 1970 et singulièrement depuis une quinzaine d’années, économistes et écologues ont développé la notion de « services écosystémiques » : il s’agit de chiffrer les services rendus gratuitement par la nature. La pollinisation (service rendu par les abeilles, certains insectes, oiseaux, etc.) « pèse » ainsi plusieurs centaines de milliards de dollars annuels ; les bénéfices d’un kilomètre de mangrove (absorption de carbone, protection des zones côtières, etc.) sont généralement évalués à plusieurs centaines de milliers de dollars par an ; ceux des récifs coralliens de Guadeloupe s’élèvent, chaque année, à une centaine de millions d’euros, etc.

Chaque écosystème pourrait, à l’extrême, avoir une valeur chiffrée et être ainsi intégré au fonctionnement des économies. Afin, bien sûr, de le protéger.

Un terrible malentendu

Mais il y a peut-être là, hélas, un terrible malentendu. Un malentendu qui pourrait rendre vaine toute volonté de protéger la nature en évaluant la valeur des services qu’elle nous rend gratuitement. Et si la destruction de l’environnement n’était pas seulement une conséquence fortuite de la croissance économique, mais aussi et surtout l’un de ses carburants ? Et si l’érosion des services écosystémiques était, quelle que soit leur valeur, l’une des conditions déterminantes de l’accroissement du produit intérieur brut ? Et si, en un mot, la destruction de la nature était nécessaire à la croissance ?

C’est l’idée, assez radicale mais aussi stimulante, soutenue en 2002 par deux économistes italiens dans un article publié par la revue Ecological Economics. Voici comment Stefano Bartolini (université de Sienne, Italie) et Luigi Bonatti (université de Trente, Italie) résument l’affaire dans leur jargon : « Nous présentons dans cet article une vision de la croissance différente du paradigme dominant, expliquent-ils, avec un sens aigu de la litote. Nous modélisons la croissance comme un processus dirigé par les réactions de défense des individus face aux externalités négatives générées par le processus de production. »

Schématiquement, les deux économistes proposent donc une vision dans laquelle l’activité économique dégrade le tissu social et environnemental. Conséquence de cette dégradation, les services que rendent gratuitement l’environnement social (garder vos enfants, aller vous chercher du pain à la boulangerie, réparer votre système d’exploitation Windows, etc.) ou naturel (polliniser vos cultures, maintenir la fertilité des terres agricoles, etc.) s’érodent. Pour pallier la disparition de ces services gratuits, les agents économiques ont recours à des services marchands. Mais pour y avoir recours, ils doivent disposer de moyens financiers plus importants et doivent donc accroître leur activité économique. Et, ainsi, contribuer à nouveau, un peu plus, à la dégradation du tissu social et environnemental, etc. La boucle est bouclée.

Une sorte de « grand remplacement »

Si cette vision de la croissance est juste, alors toute politique dont le but ultime est l’augmentation du produit intérieur brut est vouée à détruire l’environnement. Rien ne pourrait être sauvé, car l’objectif ultime à atteindre serait une sorte de « grand remplacement » des services gratuits (offerts par la nature ou les structures sociales) par des services commerciaux qui, eux, dopent le PIB. D’où ce paradoxe : plus un écosystème est précieux, plus il peut être rentable, pour maximiser la croissance, de le détruire.

Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française de développement (AFD), réserve son opinion sur les conclusions de MM. Bartolini et Bonatti, mais confirme l’existence de situations dans lesquelles produire une externalité négative (avoir un accident de voiture, polluer une rivière…) peut augmenter le PIB. « La disparition des abeilles n’est d’ailleurs pas une si mauvaise nouvelle pour certains économistes, puisqu’elle pourrait conduire au développement et à la commercialisation de solutions techniques de pollinisation », déplore-t-il. Au reste, ce mouvement est en marche : de plus en plus, pour pallier l’absence des pollinisateurs sauvages, qui disparaissent plus vite encore que les abeilles, des apiculteurs développent des services commerciaux de location de leurs ruches, afin de polliniser les plantations d’amandiers, de pommiers, etc. C’est déjà, en Amérique du Nord, une industrie…

Il faut donc espérer que nos deux économistes italiens se trompent. Car, s’ils ont raison, le fait de se diriger vers un monde devenant progressivement invivable pourrait ne jamais être signalé à nos responsables politiques par une chute de la croissance. Leur unique boussole les amènerait ainsi, et nous avec, droit sur l’orage.

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18 septembre 2017 1 18 /09 /septembre /2017 11:58

Pour classer le pesticide non cancérogène, les experts ont largement plagié des documents de la Glyphosate Task Force, le consortium industriel conduit par la firme américaine. Par Stéphane Foucart le 16 septembre 2017 pour Le Monde. Lire aussi L’Agence européenne des produits chimiques interpellée sur le dossier glyphosate, La toxicité du Roundup connue de Monsanto depuis au moins 18 ans, Glyphosate et cancer : des études-clés ont été sous-estimées par l’expertise européenne et Paris s'opposera à la réautorisation du glyphosate.            Et aussi Glyphosate, un herbicide dans nos assiettes.

Glyphosate : l’expertise européenne truffée de copiés-collés de documents de Monsanto

Rarement expertise publique aura été aussi fragilisée que celle conduite par les instances européennes sur le glyphosate – l’herbicide controversé dont la Commission a proposé la réautorisation pour dix ans en Europe. Aux nombreuses accusations de collusion ou de complaisance, formulées ces derniers mois par les organisations non gouvernementales ou par des scientifiques indépendants, s’en ajoute une nouvelle, qui surpasse toutes les autres en gravité.

Selon une analyse conduite par le biochimiste autrichien Helmut Burtscher, associé à l’ONG Global 2000, révélée vendredi 15 septembre par plusieurs médias européens et que Le Monde a pu consulter, des passages cruciaux du rapport de réévaluation de l’herbicide ont été tout simplement copiés-collés. Ils proviennent de documents rédigés par les firmes agrochimiques, réunies autour de Monsanto au sein de la Glyphosate Task Force, la plate-forme réunissant les sociétés commercialisant en Europe des pesticides à base de glyphosate. Ces copiés-collés recouvrent plusieurs dizaines de pages.

Découvert par hasard

Le rapport pris en faute est celui de l’institut fédéral allemand d’évaluation des risques, le BfR (Bundesinstitut für Risikobewertung). Dans le système européen d’évaluation des pesticides, l’examen d’une substance commence par la désignation d’un État membre (l’État rapporteur), chargé d’établir un rapport d’expertise préliminaire. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) s’appuie ensuite sur ce texte pour fonder son opinion sur une substance. Dans le cas du glyphosate, c’est l’Allemagne qui a été désignée État rapporteur, et ce sont donc les experts du BfR qui ont planché sur les risques sanitaires et environnementaux posés par l’herbicide.

M. Burtscher explique avoir découvert le plagiat presque par hasard. « J’ai réalisé que des phrases et formules du rapport officiel d’expertise étaient identiques à celles d’un article publié dans la littérature scientifique sous la signature de Larry Kier et David Kirkland », explique-t-il. L’article en question avait été commandité par Monsanto auprès des deux consultants et publié en 2013 dans la revue Critical Reviews in Toxicology. « Puis, en y regardant de plus près, je me suis rendu compte que c’était des passages entiers du dossier d’homologation soumis par les industriels qui étaient repris mot pour mot », ajoute M. Burtscher.

Les passages copiés portent principalement sur l’évaluation de dizaines d’études indépendantes sur le glyphosate, publiées dans la littérature scientifique. Le rapport du BfR leur consacre quelques centaines de pages, sur les 4 300 que compte le texte. Chaque étude y est résumée et évaluée. Si l’évaluation est positive, l’étude doit être prise en compte dans l’expertise. À contrario, si l’étude est de faible qualité, elle est déclarée « non fiable » et peut être écartée. Dans la presque totalité des cas, les études montrant des effets délétères du glyphosate sont jugées non fiables, y compris celles publiées par des revues de premier rang.

L’affaire est d’autant plus embarrassante pour le BfR que son rapport précise que ces études sont résumées et agrémentées « des commentaires de l’État rapporteur ». Il s’agit en réalité, pour la plupart, de ceux des industriels. Les chapitres épinglés (cancérogénicité, génotoxicité et reprotoxicité) sont plus ou moins affectés par les emprunts. Les quelque quarante pages de celui sur la génotoxicité du glyphosate sont presque entièrement plagiées.

Déclarations contradictoires

Outre-Rhin, l’embarras pourrait se faire sentir au-delà du BfR. Car, à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, le ministre de l’agriculture allemand avait réagi aux soupçons de trop grande proximité entre les experts allemands et les industriels, en assurant que le travail du BfR avait été conduit de manière indépendante.

Ces révélations éclairent d’un jour nouveau la controverse qui fait rage, depuis plus de deux ans, entre les agences européennes d’expertise et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Le CIRC – l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée d’inventorier les causes de cancer – a en effet classé le glyphosate « cancérogène probable » pour l’homme, en mars 2015. Mais, à l’automne 2015, l’EFSA, s’appuyant sur les conclusions rassurantes du BfR, avait pris le contre-pied du CIRC, affirmant que le caractère cancérogène du glyphosate était « improbable ». Quelques mois plus tard, l’Agence européenne des produits chimiques avait rejoint le camp de l’EFSA.

En mai, Christopher Portier, un toxicologue américain de renom, associé aux travaux du CIRC et ancien directeur de plusieurs institutions de recherche fédérales américaines, avait interpellé par lettre le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Il faisait valoir que les experts européens avaient « échoué à identifier tous les cas statistiquement significatifs d’augmentation d’incidence de tumeurs, dans les études menées sur les rongeurs ». M. Portier reprochait, notamment à l’EFSA, de trop se fier aux analyses fournies par les industriels. Ces reproches prennent aujourd’hui une nouvelle épaisseur.

Interrogée, l’EFSA évoque un « malentendu sur le contenu et le contexte de mise dans le domaine public de certains documents liés à l’expertise », destiné à « jeter le doute sur l’expertise européenne ». Par ailleurs, on y assure que les références copiées ne sont que des extraits d’études « disponibles » et « des références » à des études soumises par les industriels candidats au renouvellement de la licence du glyphosate. Déclarations en contradiction avec les documents consultés par Le Monde. De son côté, l’institut allemand ne conteste pas les emprunts, mais maintient que les études soumises par les industriels, de même que celles publiées dans la littérature savante, ont été évaluées de manière indépendante par ses services.

Cela ne suffit pas à rassurer l’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella, l’un des parlementaires suivant l’affaire de près, qui se dit « dégoûté, en colère, mais certainement pas surpris ». « Le soutien acharné de la Commission européenne pour défendre les produits de cette entreprise a brisé la confiance des consommateurs et la nôtre », poursuit-il. « Que ce soit intentionnel ou le fruit d’une négligence, il est complètement inacceptable que des organisations gouvernementales fassent passer les analyses de l’industrie pour les leurs », s’insurge, de son côté, Franziska Achterberg, responsable de l’alimentation à Greenpeace.

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