Dans une tribune parue le 28 juin dans Le Monde, un collectif rassemblant plus de 300 chercheurs et universitaires français et internationaux demande la création d’un comité intergouvernemental sur la question des réfugiés, calqué sur celui qui existe déjà pour le climat. Lire aussi Les Etats Généraux des Migrations parrainent la Marche Solidaire et L’humanité de demain se construit par l’accueil des migrants aujourd’hui.
Une nouvelle unité de police de patrouille frontalière appelée Puma ainsi que des artistes « étrangers » participent à l’exercice « ProBorders » au poste frontière de Spielfeld en Autriche le 26 juin. Plusieurs centaines de policiers et de soldats autrichiens ont simulé une frontière, un exercice de contrôle au point de passage avec la Slovénie par lequel des milliers de migrants avaient transité en 2015, une initiative de Vienne qui défend un durcissement de la politique migratoire européenne. RENE GOMOLJ / AFP
Tribune. Comme le changement climatique, la migration est un phénomène mondial qui doit être appréhendé et géré à la fois à l’échelle nationale et internationale. Comme les politiques environnementales, les politiques migratoires et les politiques d’asile requièrent une approche dépassionnée, scientifique et humaniste.
La régulation des mouvements de populations est un des points d’achoppement de la coopération internationale. La crise de l’asile survenue en Europe en 2015 a révélé que même dans des régions profondément intégrées et dans des contextes de forte coopération comme celui de l’Union européenne, l’impréparation, la confusion et le manque d’information généraient des réponses politiques non seulement inadéquates mais aussi extrêmement coûteuses humainement et politiquement. A l’échelle mondiale, depuis la Convention de l’ONU sur les droits des travailleurs migrants (1990) jusqu’aux discussions actuelles sur les « global compacts » (Pacte mondial), les tentatives pour coordonner les politiques publiques et favoriser une gouvernance globale des migrations ont échoué.
L’arrivée de centaines de milliers de demandeurs d’asile syriens aux portes de l’Europe en 2015 a forcé les responsables politiques et les citoyens européens à prendre conscience de la crise globale de l’asile qui se déroule principalement dans les pays du Sud. L’arrivée de ces réfugiés est entrée en résonance avec des débats plus larges sur l’immigration, l’intégration et la diversité dans des sociétés européennes ébranlées par la crise économique de 2008.
La crise européenne de 2015 est donc faite d’une confusion entre des phénomènes de long et court terme, entre la régulation de l’immigration et de l’asile, de débats autour des droits, des enjeux politiques et économiques de la migration, qui ne peuvent pas être tenus exclusivement à l’échelle nationale.
Conséquences pour les sociétés d’origine et d’accueil
Au-delà de l’Europe, l’émergence ou la consolidation de crises politiques cristallisées autour des migrations et de l’asile invitent à réagir collectivement de manière urgente.
Nous, scientifiques et experts, associés aux organisations de la société civile, des citoyens et des responsables politiques concernés, décidons de rassembler nos voix et nos forces pour permettre une meilleure compréhension des migrations qu’elles soient forcées ou non, de leurs déterminants, de leurs conséquences à la fois pour les sociétés d’origine et d’accueil.
Nous souhaitons ce faisant proposer des bases nouvelles et plus solides pour développer des politiques publiques fondées sur des faits scientifiques, des pratiques plus saines, loin des discours partisans qui prévalent dans les débats médiatiques et politiques aujourd’hui.
Cet appel pour un changement d’approche des politiques migratoires est urgent.
Depuis peu, les politiques migratoires et les politiques d’asile en Europe et en Amérique du Nord comme dans d’autres pays du monde (Kenya, Arabie saoudite etc.) ont généré des attaques sans précédent contre les droits humains des populations migrantes et une mise en danger du droit d’asile à l’échelle globale.
Inefficacité
Depuis les années 1990, les tentatives globales ou régionales de réguler les migrations et l’asile ne résistent pas à l’épreuve des afflux de réfugiés (d’Irak, de Syrie, du Soudan, de Birmanie) et des crises politiques liées à l’intégration des migrants ou la gestion de sociétés de plus en plus diverses.
Les choix politiques des pays de l’OCDE en la matière – construire des murs, externaliser les politiques migratoires et les politiques d’asile à des pays tiers – ont non seulement un coût politique et financier exorbitant mais ils ont en outre démontré leur inefficacité. Ces politiques n’empêchent pas les migrations, et n’ont pas d’impact sur les déterminants ou les effets de la migration comme en attestent à la fois les recherches menées par les sciences sociales mais aussi les expériences politiques récentes.
Le manque de compréhension des effets de la mobilité dans les pays d’origine et d’accueil des migrants produit des politiques désastreuses qui s’inscrivent malheureusement dans la durée. Au lieu d’analyses fondées sur les faits et des connaissances scientifiques, discours alarmistes et fausses vérités imprègnent les agendas politiques. Les scientifiques et les experts de la migration et de l’asile ne sont pas entendus.
Bien entendu, les controverses existent dans le champ scientifique en matière de migration. Certaines vérités ont néanmoins été fermement établies dans différents champs des sciences sociales. Elles demeurent pourtant inaudibles et ne sont pas utilisées dans l’action publique.
Les migrations prennent place majoritairement entre pays d’une même région et non entre continents. Les migrants sont majoritairement localisés dans les pays du Sud, en particulier les réfugiés.
Les 246 millions de migrants présents dans le monde ne représentent que 3,4 % de la population mondiale, beaucoup moins qu’au XIXe siècle, par exemple.
Les restrictions en matière de visa augmentent l’installation des migrants dans les pays d’accueil : au lieu de circuler entre leurs pays d’origine et d’accueil, les travailleurs migrants restent. L’impossibilité d’obtenir des visas pour les demandeurs d’asile depuis leur pays d’origine ou leurs premier pays d’exil augmente l’immigration clandestine et le recours aux passeurs.
La fermeture des frontières met à mal le rôle des migrants dans les échanges, les transferts financiers, la circulation des savoirs et des idées dans le monde
L’accès rapide au logement, à l’éducation, ainsi qu’au marché du travail légal améliore la qualité de l’intégration des migrants et des demandeurs d’asile, et réduit d’autant les inégalités et l’exclusion.
L’impact de l’immigration sur les dynamiques démographiques est limité, notamment parce que les comportements de fertilité des migrants convergent rapidement vers ceux des populations des pays d’accueil
Financer le développement des pays d’origine des migrants peut augmenter l’émigration : la relation entre migration et développement est de fait beaucoup plus complexe que ne le laissent penser les discours et politiques publiques contemporains.
L’effet de l’immigration sur le marché du travail et la croissance économique dans les sociétés d’accueil est globalement neutre ou positif ; il dépend largement des contextes et conjonctures économiques dans lesquels la migration prend place, de la mobilité de tous les travailleurs, et des politiques de régulation à l’œuvre.
Une rupture franche avec les options politiques inadaptées
Pour comprendre l’impact des migrations, il faut à la fois connaître les contextes spécifiques dans lesquels elles prennent place et les dynamiques globales qui les encadrent. Le manque de données fiables sur les migrations et l’asile est mis en avant à la fois par les chercheurs et les décideurs publics. Pourtant, au-delà de la faible qualité, voire de l’absence de données sur les migrations, c’est un manque d’objectivité et de solidité scientifique qui mine l’action publique aujourd’hui. Des politiques génériques, inadaptées à leurs contextes et imprégnées de croyances fantaisistes, ne peuvent pas être efficaces.
Nous appelons à la formation d’un groupe d’experts et de scientifiques sur les migrations et l’asile, pour travailler avec les responsables politiques et les représentants de la société civile. Nous demandons de manière urgente une rupture franche avec les options politiques court-termistes et inadaptées, qui sont aujourd’hui privilégiées et qui ont généré en Europe et au-delà une crise politique et humanitaire sans précédent. Nous réclamons un changement radical d’approche des questions migratoires, fondé sur la rationalité, le réalisme, les résultats de la recherche scientifique, et l’humanisme.
Les premiers signataires de cette tribune sont : Pieter Bevelander, Malmö University, Suède ; Christina Boswell, politiste, université d’Edimbourg, Royaume Uni ; Andrew Geddes, politiste, European University Institute, Italie ; François Héran, démographe, collège de France ; Jean Jouzel, climatologue, membre fondateur du GIEC ; Michèle Lamont, sociologue, université Harvard, Etats-Unis ; Ferruccio Pastore, Directeur du FIERI (Forum Internazionale ed Europeo di Ricerche sulle Migrazioni), Italie ; Peter Scholten, politiste, Erasmus university Rotterdam, Pays Bas ; Steven Vertovec, anthropologue, directeur du Max Planck Institute for the Study of Religious and Ethnic Diversity, Allemagne ; et Dina Vaiou, géographe,Technical University of Athens (NTUA), Grèce. Retrouvez la liste complète des signataires sur Lemonde.fr