En effet, pour prévoir le temps, les météorologues s’appuient sur environ 800 satellites qui surveillent la vapeur d’eau, qui émet des fréquences 23,8 GHz. Or, la 5G va émettre sur des fréquences similaires : autour de 26 GHz. Les météorologues redoutent ainsi une perte de fiabilité de l’ordre de 30 % de leurs prédictions comme l’explique Éric Allaix, responsable des fréquences à l’organisation météorologique internationale. « Imaginez un voisin qui écoute sa musique beaucoup trop fort, il vous gêne pour entendre ce qu'il se dit chez vous », compare Eric Allaix. Or les émissions de la vapeur d'eau produisent « un bruit infime », décrit l'expert de la science des cieux. L'arrivée massive de la 5G avec son « gros son » aurait ainsi des conséquences terribles pour la science météo. Nous retournerions des années en arrière dans la détection des intempéries ; les prévisions de pluie seraient moins précises, sans parler de l'évolution des cyclones. « Le satellite ne saurait pas s'il détecte effectivement les signaux d'un ouragan ou s'il s'agit des émissions parasites dues à la 5G », alerte Eric Allaix.
En novembre 2019, à Charm el-Cheikh en Egypte, la guerre des bandes entre opérateurs et météorologues a atteint un point critique. C'est là que se réunissaient les 3500 participants de la Conférence mondiale des radiocommunications (CMR). Ce grand raout, qui a lieu tous les trois à quatre ans, doit définir les règles mondiales pour l'usage des radiofréquences à l'échelle de la planète. « Le bras de fer a duré deux semaines, il n'a été tranché qu'à la toute dernière minute », rappelle Gilles Brégant, le directeur général de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), qui gère l'ensemble des fréquences radioélectriques en France.
La fronde a visé la réglementation américaine, qui autorisait déjà les opérateurs à « squatter » des bandes proches de la bande météo, « une décision de cow-boy », selon les mots du très feutré directeur de l'ANFR. Les maîtres du temps sont montés au créneau, les Américains, premiers concernés en tête : ainsi Neil Jacobs, l'un des responsables de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), l'agence qui supervise la météo nationale outre-Atlantique, expliquant que la 5G pourrait réduire la fiabilité des prévisions météorologiques « de l'ordre de 30 % ».
« On s'attendait à ce que l'administration américaine prenne des dispositions. Mais elle a vraisemblablement été court-circuitée par une décision politique pour que les USA soient les premiers à lancer leur 5G », décrypte Gille Brégant. Résultat, les premières villes américaines se sont hérissées d'antennes, sans contraintes pour les isoler des fréquences voisines.
Les prévisionnistes américains n'ont pas été seuls à s'inquiéter. « En météorologie, nous partageons tout, rappelle Eric Allaix. Les données captées aux USA sont capitales pour d'autres régions. » Et particulièrement pour l'Europe, où dominent les vents d'ouest. Par conséquent, les situations observées au-dessus des plaines du Kansas de l'Iowa en disent long sur les tenues que l'on pourra porter les jours suivants à Rouen ou à Nice.
Les prévisions météorologiques ont pourtant une importance cruciale pour sauver des vies, comme le rappelait déjà en 2019 l’Organisation météorologique mondiale. « Au cours des dernières décennies, la diffusion opportune d’alertes météorologiques a permis de réduire considérablement les pertes en vies humaines. Or, cette évolution positive découle directement de l’utilisation des radiofréquences pour la télédétection, les données obtenues venant alimenter les systèmes de prévision numérique du temps. Les prévisions sont donc de plus en plus précises et portent sur des échéances plus longues. »
De son coté, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) s’est voulue rassurante. « En Europe, les conditions techniques qui s’imposeront aux opérateurs garantiront la protection des satellites d’observation de la Terre. En effet, la limite de rayonnement dans la bande passive où les satellites effectuent leur observation a fait l’objet d’études complexes, notamment de l’ANFR et de l’ESA, qui ont abouti en juillet 2018 à un compromis que la communauté de la météorologie reconnaît comme satisfaisant pour garantir la pérennité de leurs observations. Aux États-Unis, la situation est un peu différente car des décisions de mise aux enchères de la partie basse de la bande 26 GHz (proche de la bande passive) ont été prises sans que l’administration étasunienne n’étudie le brouillage des satellites d’observation de la Terre. »
Pour protéger la bande de fréquence dite « météo », les pays se sont engagés à équiper les émetteurs de filtres d’ici 2024 en Europe. Mais cela pourrait être insuffisant, comme le craint l’Union internationale des télécoms.
Au-delà des météorologues, les climatologues pourraient également s’inquiéter, beaucoup de leurs analyses étant fondées sur les observations météo et la collecte de données satellites.
Dans tous les cas en France, la bande de fréquence de 26 GHz n’a pas encore été attribuée aux opérateurs, qui déploient ce nouveau réseau sur des bandes entre 3,4 et 3,8 GHz.