119 député·e·s européen·ne·s français·e·s et sénateurs et sénatrices français·e·s ont rejoint jeudi 25 février la campagne « Secrets toxiques ». Ils dénoncent les « failles » du système d’évaluation des pesticides et demandent à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de revoir ses procédures pour prendre en compte les « effets cocktail » de toutes les substances toxiques présentes dans les pesticides. À défaut de changer ses méthodes d’évaluation, l’Efsa sera traduite devant la Cour de justice européenne. D’après Jean-Jacques Régibier pour l’Humanité et Stéphane Mandard pour Le Monde. Lire aussi Le gouvernement fait régresser le droit de l’environnement, 32 pesticides cancérogènes identifiés dans l'air, Lancement d'une pétition européenne pour interdire les pesticides de synthèse et Glyphosate : la justice française annule une autorisation de mise sur le marché alors que les autorités sanitaires européennes ont plagié Monsanto pour l’autoriser en 2017.
C’est une étude accablante, parue dans la revue Food and Chemical Toxicology, qui a donné l’alerte, en octobre 2020. Dans leurs résultats, les chercheurs Gilles-Éric Séralini et Gerald Jungers révèlent que 14 herbicides estampillés « sans glyphosate » contiennent des substances très dangereuses qui ne figurent nulle part sur l’étiquette. Parmi ces produits toxiques, des métaux lourds, de l’arsenic, du cuivre, du plomb, du nickel ou des hydrocarbures, certains étant des cancérigènes reconnus par le Centre international de recherche contre le cancer, c’est le cas du benzo(a)pyrène.
Fraude à l’étiquetage
Le 1 er décembre 2020, un collectif d’associations, parmi lesquelles Générations futures, Nature & Progrès ou Campagne Glyphosate France, lance la campagne « Secrets toxiques », qui reçoit le soutien de 14 000 pétitionnaires. Ils déposent plainte contre X au tribunal de Paris pour fraude à l’étiquetage sur les 14 herbicides mis en cause, mise en danger de la vie d’autrui et atteinte à l’environnement, ainsi que contre l’État français pour carences fautives.
« Les entreprises qui produisent ces pesticides sont tenues de déclarer tous leurs composants. Si ces poisons ne figurent pas sur les étiquettes, l’autorisation de commercialisation peut tomber en 24 heures », explique Gilles-Éric Séralini lors de la présentation, jeudi dernier, de la mise en demeure qui venait d’être adressée à l’Efsa, l’agence européenne chargée de l’évaluation des risques dans le domaine des denrées alimentaires. C’est en effet cette agence, l’une des principales de l’Union européenne, censée protéger la santé de 500 millions de personnes, qui doit garantir que les pesticides employés ne sont pas dangereux pour la santé humaine.
Un effet cocktail passé sous silence
Or, selon Guillaume Tumerelle, l’avocat de « Secrets toxiques », on trouve dans certains pesticides jusqu’à 70 % de produits qui ne sont pas connus. « L’Efsa n’étudie que la substance déclarée active par l’industriel, comme le glyphosate, mais sans regarder son effet cumulé avec d’autres substances présentes dans le produit final, ce que les scientifiques appellent “l’effet cocktail”, c’est-à-dire le mélange caché de nombreux produits toxiques », explique l’avocat, qui dénonce l’attitude de l’agence européenne, accusée d’être complice du silence des industriels du secteur. L’agence européenne affirme que ce sont les Etats membres qui évaluent ou réévaluent la sécurité de la formulation complète des pesticides vendus sur leur territoire. Ce n’est pas le cas aujourd’hui [en France] avec l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] qui ne vérifie pas les effets à long terme de toxicité ou cancérogénicité des produits commercialisés. »
Ainsi, le glyphosate (substance active) est évalué et autorisé au niveau européen par l’EFSA, mais sa formulation commerciale (l’herbicide Roundup de l’entreprise Monsanto) est évaluée en France par l’Anses. Aussi, les parlementaires et les associations envisagent également d’envoyer une « mise en demeure » à l’Anses pour exiger le retrait des quatorze pesticides incriminés ainsi qu’« une meilleure évaluation systématique des pesticides avant la mise sur le marché ». Pour les élus, la prise en compte de l’ensemble des substances entrant dans la composition d’un pesticide (« le premier et peut-être le plus important des “effets cocktails” ») doit avoir lieu « dès la procédure d’autorisation ou de renouvellement d’une substance active déclarée ».
Pour l’instant, un courrier a été adressé, jeudi 25 février, à l’EFSA, pour la sommer de produire les études complètes qui permettront de révéler la totalité des produits qui composent les pesticides incriminés. Une première étape qui pourrait aboutir à une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) si l’autorité n’apporte pas de réponse jugée satisfaisante dans un délai de deux mois. Parmi les signataires, on trouve des parlementaires écologistes et de gauche, français et européens comme Yannick Jadot, mais aussi José Bové, Vandana Shiva ou Delphine Serreau qui font partie du comité qui soutient la plainte.
« L’agence européenne met sur le marché des produits qui peuvent tuer les gens alors que le Centre international de recherche sur le cancer, qui est une émanation de l’OMS, exige que l’ensemble des substances qui entrent dans la composition des pesticides soient évaluées, et pas seulement le glyphosate », explique la députée européenne Michèle Rivasi (Verts-ALE).
« Des alternatives existent »
L’eurodéputé Verts Benoît Biteau, lui-même agriculteur, assure que « des alternatives existent », et qu’il est possible, comme lui-même le pratique sur son exploitation, de cultiver sainement sans aucun produit toxique. Claude Gruffat (Verts-ALE) insiste lui aussi pour que l’évaluation de l’Agence européenne porte sur la totalité des substances qui composent les pesticides. « Les fabricants ont menti sur leurs produits », dénonce-t-il, expliquant que les « effets cocktail n’ont jamais été pris en compte ».
Les associations engagées dans l’action en justice contre l’Efsa exigent un changement complet des méthodes d’évaluation de l’Agence européenne qui ne permettent pas actuellement de révéler les substances chimiques cachées, dangereuses pour la santé humaine. « Si l’Efsa n’a pas répondu sous deux mois, elle se trouvera dans une situation grave et sera accusée de compromission », prédit Gilles-Éric Séralini, le chercheur qui a révélé l’existence des produits cachés.
De puissants lobbies
« Il s’agit non seulement de défendre la santé et l’environnement, mais également d’une question de transparence et d’un enjeu démocratique majeur. Les industriels des phytosanitaires ne peuvent pas faire la loi », dénonce le député européen FI Manuel Bompard (GUE), qui relie le combat pour la transparence dans la composition des pesticides à une lutte globale pour l’agroécologie et une nouvelle politique agricole commune.
Pour le député européen Éric Andrieux (S et D), l’action engagée par le collectif « Secrets toxiques » est « le début d’un long processus où seront pointées les inconséquences de la Commission européenne ». Il met également en garde contre la puissance des lobbies industriels auxquels ONG, députés et citoyens vont devoir faire face.
La très lourde condamnation, cette semaine, par le tribunal de Libourne de l’association Alerte aux toxiques et de sa porte-parole Valérie Murat, qui avait publié des analyses révélant la présence de pesticides dans 22 vins de Bordeaux labellisés « Haute valeur environnementale » (HVE), semble confirmer ses craintes.
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