Depuis le début du confinement, la diminution du bruit est vertigineuse : plus de 90% en moins dans certaines rues de grandes agglomérations comme Paris. Le chant des oiseaux a pris le pas sur le rugissement des moteurs. D’après Bruitparif et Ronan Tésorière le 27 mars 2020 pour Le Parisien. Lire aussi Le bruit humain menace les espaces protégés, Jana Winderen, micro climax et Bernie Krause, harmonies vivantes : Le grand orchestre de la nature est peu à peu réduit au silence.
Depuis l'annonce du confinement généralisé, le 17 mars dernier, le bruit a changé quand on pointe le nez à sa fenêtre. Une situation inédite pour des générations de citoyens urbains et hyperconnectés.
Dans les grandes agglomérations, le silence a remplacé le ballet sonore des voitures, scooters et autres transports en commun. A Paris, les 150 stations de mesure de Bruitparif déployées en Île-de-France dans des contextes variés sont unanimes : les nuisances sonores ont quasiment disparu sur certains axes. « C'est inédit en Île-de-France, où il y a d'ordinaire un bruit permanent. On n'a jamais mesuré un tel niveau de calme », confirme Fanny Mietlicki, directrice de Bruitparif.
La raison en est simple : la très forte baisse des émissions sonores d’origine anthropique en lien avec la diminution drastique des trafics routier, aérien et même ferroviaire, l’arrêt des chantiers et la fermeture de nombreuses activités et lieux festifs (bars, restaurants et établissements diffusant des sons amplifiés). Ainsi, Bruitparif a constaté entre 5 et 10 décibels de moins le long des axes routiers où le bruit généré par la circulation routière a chuté progressivement, depuis le 17 Mars, en même temps que le trafic automobile se raréfiait. « Les appareils de mesure de Bruitparif situés le long des axes routiers ont ainsi enregistré des diminutions moyennes de bruit sur 24 heures autour de 3 dB(A) le 17 mars, puis autour de 5 dB(A) les18, 19 et 20 mars et enfin 7 dB(A) les 21 et 22 mars par rapport aux valeurs habituelles, ce qui correspond à des baisses respectives de 50%, 68% et 80% des émissions sonores générées par la circulation routière.
La nuit, les diminutions peuvent même atteindre 9 dB(A) aux abords de certaines voies dans Paris intra-muros, ce qui représente un niveau sonore réduit de près de 90% » indique t-il en précisant que «les diminutions sont plus marquées sur le réseau de voirie dans Paris intra-muros que sur les grands axes (bd périphérique, autoroutes, routes nationales ou départementales en banlieue). On constate ainsi une diminution moyenne de 7,6 dB(A) pour l’indicateur Lden (niveau moyen pondéré sur 24 heures) et de 8,8 dB(A) pour l’indicateur Ln (niveau moyen nocturne) sur la période allant du 18 au 24 mars par rapport à la situation habituelle dans Paris intra-muros, alors que ces baisses sont plutôt autour de 5,4 dB(A) et 6,4 dB(A), respectivement pour les indicateurs Lden et Ln, sur les grands axes».
Les personnes habitant près des aéroports ont également davantage de calme en raison du ralentissement de l’activité aéroportuaire. Les stations permanentes de mesure du bruit aérien de Bruitparif notent des baisses très significatives en lien avec la forte diminution du nombre de survols. «Les évolutions dépendent toutefois de la localisation par rapport aux aéroports. Ainsi, si le bruit lié au trafic aérien a quasiment disparu autour du doublet Sud de l’aéroport Paris-Charles-De-Gaulle qui ne compte désormais plus aucun mouvement, la situation est moins drastique au niveau du doublet Nord qui fonctionne encore.
Autour d’Orly, une baisse importante a également été enregistrée, celle-ci étant intervenue de manière progressive. Elle atteint de l’ordre de 10 dB(A) à présent. Il est de même, le long des voies ferrées : La tendance est également à la baisse pour le bruit en lien avec la circulation ferroviaire du fait de la réduction partielle de trafic. «Selon les résultats des stations permanentes de mesure de Bruitparif situées aux abords des voies de chemin de fer, les baisses vont de 2 à 7 décibels pour les indicateurs Lden et Ln. Bruitparif a constaté que des quartiers habituellement animés la nuit, sont désormais très calmes : Les nuisances sonores ont disparu des quartiers animés de la capitale, qui comptent de nombreux bars et restaurants ou établissements habituellement fortement fréquentés en soirée et en début de nuit. Ainsi, selon les résultats des stations de mesure déployées par Bruitparif dans certains de ces quartiers, les baisses de décibels atteignent en moyenne 8 à 16 décibels sur le créneau compris entre 22 h le soir et 2 h du matin.
Les soirs de week-end (vendredis et samedis soirs), la chute est encore plus marquée avec de 11 à 20 décibels de moins selon les quartiers. Les riverains des chantiers à l'arrêt, en particulier ceux du Grand Paris Express (GPE), peuvent également profiter du silence, jour comme nuit, avec l’arrêt des chantiers qui s’est généralisé depuis le 18 mars. Sur les stations de surveillance continue déployées par Bruitparif aux abords de certains chantiers de construction du GPE, des diminutions très importantes du bruit ambiant ont été observées sur les périodes diurnes et nocturnes, la chute des décibels pouvant atteindre 20 dB(A).
« Ce silence, c'est finalement la liberté pour d'autres bruits d'émerger »
« Avec la chute de la pollution sonore en ville, le paysage sonore a été complètement modifié : il n'y a que peu de sons anthropiques. Il devient désormais possible de percevoir les sons de la nature comme les chants des oiseaux ou les bruissements des feuilles dans les arbres. Autant de sonorités qui sont habituellement difficiles à entendre car masquées par le bruit incessant de la circulation et des activités humaines », lâche, presque lyrique, la directrice de l'établissement régional.
Après dix jours de confinement, ce silence tombé sur nos villes est d’or pour certains : « Je dors mieux, on se croirait presque à la campagne tellement c'est calme », livre Guillaume, 20 ans, habitant de l'hypercentre toulousain, d'ordinaire assailli par le vacarme des rues commerçantes autour de chez lui. « C'est calme et apaisant mais, paradoxalement, cela a un côté fin du monde », tempère toutefois l'étudiant. À Bordeaux, Laurence, la quarantaine, avoue son désarroi. « Cela fait bizarre de ne pas entendre la circulation. Les chantiers sont à l'arrêt, plus de bruit du jeudi au dimanche la nuit, pour les sorties de boîtes », évoque avec un soupçon de nostalgie la Bordelaise.
Pour d'autres, le silence est une chance. « C'est méditatif, ça fait du bien. Mais les premiers jours, ça m'angoissait », raconte Léa, 38 ans, de Montrouge. « Ce silence, c'est finalement la liberté laissée à d'autres bruits d'émerger. Celui de la fontaine à eau, en bas de la résidence, ceux des cris d'enfants qui ont une autre résonance », confie, un sourire dans la voix, cette femme qui travaille dans la sécurité.