Une étude qui confirme la nécessité de changer notre mix énergétique, rapportée par Pierre Le Hir pour Le Monde du 08.01.2015 http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/08/des-reserves-fossiles-rationnees-pour-eviter-la-surchauffe_4551795_3244.html#41XkjW5TgEI0IWx1.99
Un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80 % de celles de charbon devront rester inexploitées, si l’on veut éviter la surchauffe de la planète. C’est la thérapie de choc que prescrivent deux chercheurs britanniques dans une étude publiée dans la revue Nature, jeudi 8 janvier. Un sevrage radical, pour une économie mondiale marquée par son addiction aux ressources fossiles. Toutefois, le traitement préconisé est différencié selon les grandes zones de production, ce qui fait l’intérêt de ce travail.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a prévenu : pour conserver au moins une chance sur deux de contenir la hausse des températures sous la barre de 2 °C par rapport à la période préindustrielle – seuil de danger retenu par la communauté internationale en 2009 –, les émissions mondiales de CO2 ne devront pas dépasser, de 2011 à 2050, une fourchette comprise entre 860 à 1 180 milliards de tonnes, ou gigatonnes (Gt).
Or les réserves fossiles du globe représentent un stock d’environ 2 900 Gt de CO2 – près de trois fois plus que les émissions tolérables donc –, selon les estimations des auteurs qui se fondent sur plusieurs évaluations convergentes. Encore ne s’agit-il que des réserves, c’est-à-dire des volumes récupérables aux conditions techniques et économiques actuelles, dans des gisements exploités ou en voie de l’être. Les ressources, c’est-à-dire l’ensemble des matières fossiles présentes dans le sous-sol, sont près de quatre fois plus importantes (environ 11 000 Gt).
Modèle technico-économique
La conclusion s’impose : il faut, jusqu’à 2050, s’abstenir d’extraire et de brûler la plus grande partie de ces gisements. L’originalité de l’étude de Christophe McGlade et Paul Ekins, de l’University College London, est de quantifier le « sacrifice » nécessaire, en fonction des pays ou groupes de pays, mais aussi du type d’énergie fossile.
Ils ont fait tourner un modèle technico-économique qui combine une série de paramètres – réserves existantes, usages, technologies, offre, demande… – pour « optimiser » le système énergétique mondial. Autrement dit, pour obtenir un coût de l’énergie minimal. A ce modèle, ils ont ajouté une contrainte supplémentaire : la limitation du réchauffement à 2 °C.
Résultats : 35 % des réserves de pétrole, 52 % de gaz et 88 % de charbon doivent rester sous terre. Mais l’effort est inégalement réparti. Les pays producteurs du Moyen-Orient, qui possèdent l’essentiel des réserves, doivent renoncer à 38 % de leur pétrole et 61 % de leur gaz, l’Afrique à respectivement 26 % et 34 %, la Chine et l’Inde réunies à 25 % et 53 %, l’Europe à 21 % et 6 %, les pays de l’ex-Union soviétique à 19 % et 59 %.
Le Canada, lui, doit se priver de 75 % de son pétrole et 24 % de son gaz. En revanche, les États-Unis échappent, ou presque, à ces restrictions, puisqu’ils ne doivent abandonner que 9 % de leurs gisements de pétrole et 6 % de ceux de gaz. Ce que les auteurs expliquent par la proximité des centres de production et de consommation, qui réduit les coûts. C’est pour le charbon que, partout, les restrictions sont les plus drastiques, le Moyen-Orient devant même en laisser dans le sol 99 %.
Pour ce qui est du cas particulier des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste, sables bitumineux), les auteurs concluent qu’une hausse de leur production est incompatible avec la volonté de juguler le réchauffement. Ce qui pénaliserait donc la production américaine de gaz et huile de schiste et celle canadienne de sables bitumineux. De même, « toutes les ressources de l’Arctique en hydrocarbures devraient être classées comme non brûlables ».
« Un grand absent dans cet article : le consommateur »
Roland Vially, géologue à l’IFP Energies nouvelles, prend des distances avec cette étude. Il met en cause la pertinence, sur ce sujet, d’un modèle d’optimisation économique : « Il aurait été plus intéressant de faire une optimisation en termes d’émissions de CO2 plutôt qu’en termes de coût. » « Il y a un grand absent dans cet article : le consommateur, observe-t-il par ailleurs. Les pays producteurs sont implicitement rendus responsables de la consommation mondiale, alors qu’il faut [pour rester sous la limite de 2 °C] que les pays consommateurs consomment moins et donc que la demande diminue. »
Chercheur au Potsdam Institute for Climate Impact Research(Allemagne), Jérôme Hilaire, cosignataire d’un commentaire dans le même numéro de Nature, juge en revanche ce travail « très intéressant » dans la mesure où il est « le premier à identifier de façon aussi détaillée les réserves et les ressources fossiles à ne pas exploiter ». Ces résultats, ajoute-t-il, mettent en lumière la nécessité de politiques climatiques prévoyant « un système de compensation entre gagnants et perdants ».
On voit mal en effet comment – l’étude n’apporte pas la réponse – convaincre un pays producteur, riche ou pauvre, ou une compagnie pétrolière ou gazière de renoncer à la rente des hydrocarbures, sans la mise en place de mécanismes tels qu’un marché mondial du carbone ou que le Fonds vert pour le climat, destiné à aider les pays en développement à prendre leur part dans la lutte contre le réchauffement. Des questions au cœur de la Conférence mondiale sur le climat de Paris, en décembre 2015.
Pierre Le Hir
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