Sols sans vie, manque de pluie, ruisseaux à sec, arbres dépérissants, attaques de ravageurs, canicules répétées : année après année, une sécheresse récurrente attaque nos forêts. Pourtant, en France comme en Europe, l’exploitation des forêts grandit et s’industrialise à grande vitesse, soumise à la logique productiviste qui a ravagé l’agriculture. D’après les revues Nature, Science of The Total Environment et Perrine Mouterde pour le Monde. Lire aussi Face aux méga-feux, la forêt, un commun à préserver, La Forêt passe à l'attaque ! et Les forêts françaises ne sont pas à vendre !
Un jeune hêtre mort qui a subi la sécheresse et le manque d’eau, en forêt de Compiègne (Oise), le 1er septembre. Photo CHRISTOPHE CAUDROY.
Les deux tiers de la forêt de Compiègne sont en situation de crise sanitaire
Ici, ce sont des trouées dans la canopée. Les arbres, pourtant dans la force de l’âge, ont perdu leurs feuilles les plus hautes, laissant passer la lumière. Là, c’est un morceau d’écorce qui se décolle tel un sparadrap usé. Un peu plus loin encore, c’est un hêtre au houppier dégarni et aux feuilles plus petites qu’à la normale. A ses pieds, des jeunes arbres dépérissent déjà.
Il y a une dizaine d’années, ce secteur de la forêt de Compiègne (Oise), l’une des plus vastes du pays, était encore en parfaite santé. Certains arbres avaient été coupés pour favoriser le développement des semis naturels. « Cette parcelle devait être régénérée mais, aujourd’hui, nous ne sommes pas sûrs que ça marche », constate Bertrand Wimmers, le directeur de l’agence de Picardie de l’Office national des forêts (ONF).
Avec son sol sableux qui ne retient pas l’eau, cette forêt, qui fut le terrain de chasse des rois de France, est particulièrement affectée par les sécheresses. Mais la plupart des territoires sont touchés, à des degrés divers. A Brive, en Corrèze, c’est un cèdre du Liban de plus de 100 ans qui a dû être abattu en juillet. A Pierrelaye-Bessancourt dans le Val-d’Oise, où une nouvelle forêt de 1 350 hectares doit voir le jour, les jeunes plants ont été tués en quelques jours. Des frênes ou des bouleaux qui perdent leurs feuilles, des pins sylvestres qui rougissent…
« Il est impossible de quantifier précisément l’impact de cette sécheresse, précise Fabien Caroulle, adjoint du chef du département de la santé des forêts (DSF) du ministère de l’agriculture. Certains arbres dépérissants sont disséminés dans un massif, des espèces comme le hêtre réagissent rapidement au manque d’eau, d’autres réagiront des années plus tard, d’autres encore peuvent dépérir puis repartir… Mais nous sommes dans une situation où les difficultés s’accumulent. »
Prélèvement par l’ONF d’échantillons afin de voir l’évolution de la composition du sol, dans la forêt de Compiègne (Oise), le 2 septembre. Photo CHRISTOPHE CAUDROY.
Embolie vasculaire
Si le mois de juillet a été le plus sec depuis 1959 et le plus chaud de l’histoire, il survient dans un contexte de sécheresses estivales répétées depuis 2015, avec des épisodes « particulièrement sévères depuis 2018 », selon le DSF.
« L’arbre est un peu comme un boxeur, estime Xavier Pesme, directeur général adjoint du Centre national de la propriété forestière. Il tient debout au premier coup, au deuxième, au troisième… Puis vient le coup de trop et il s’écroule. » « Les données sur les effets cumulatifs sont complexes mais on peut penser qu’un arbre affaibli par une sécheresse aura plus de mal à se remettre d’un nouvel épisode extrême », abonde Sylvain Delzon, biologiste écologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
En période de sécheresse, l’arbre ferme ses pores – appelés stomates – pour limiter ses pertes d’eau. Comme chez les hommes, la transpiration permet de réguler la température des organes. L’arrêt de celle-ci peut conduire, à un certain point, à un échauffement des feuilles, qui vont jaunir et tomber. Lorsque le manque d’eau se prolonge et que le phénomène de succion, qui permet d’aspirer l’eau du sol, devient trop intense, des bulles d’air peuvent apparaître dans la colonne d’eau. Comme dans une paille bouchée, plus rien ne circule : une embolie vasculaire conduit alors à la mort de l’organe (branche, feuille…), voire à celle de l’arbre si elle se généralise.
Dans un espace victime de la sécheresse, le feuillage des hêtres est clairsemé, dans la forêt de Compiègne (Oise), le 1er septembre. Photo CHRISTOPHE CAUDROY.
Les sécheresses n’agissent pas seulement sur les arbres, mais aussi sur tout un écosystème. « La mortalité d’une essence peut avoir des effets en cascade sur la faune et la flore qui lui sont inféodées, explique le ministère de l’agriculture et de l’alimentation. La fructification et la qualité des graines peuvent aussi être impactées, ce qui peut être un problème pour renouveler naturellement la forêt à partir des arbres en place. »
Attaque de parasites
Autre effet collatéral, les arbres affaiblis deviennent une proie de choix pour les ravageurs. Les conséquences peuvent être dramatiques : depuis 2018, les épicéas, plantés après la seconde guerre mondiale en plein effort de reconstruction, sont attaqués par les scolytes. En trois ans, ce parasite extrêmement coriace a détruit 9 millions de m3 de bois dans les régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté.
A Compiègne, ce sont les hannetons qui détruisent les racines des feuillus. « Le soleil les tue par en haut et les insectes par en bas », déplore Guillaume Declochez, adjoint au responsable de l’unité de Compiègne pour l’ONF. Aujourd’hui, les deux tiers de la forêt où il se promenait déjà enfant sont en état de crise sanitaire.
Des morceaux d’écorces se décollent d’un hêtre dans la forêt Compiègne (Oise), le 1er septembre. Photo CHRISTOPHE CAUDROY
Les sécheresses ont encore d’autres conséquences. Lorsqu’ils ferment leurs stomates, les arbres absorbent beaucoup moins de CO2 et jouent donc moins intensément leur rôle de puits de carbone. Surtout, ils grandissent beaucoup moins vite. « Cela fait trois ans que la croissance des arbres est fortement affectée, assure Nicolas Delpierre, maître de conférences en écophysiologie végétale à l’université Paris-Saclay. Elle s’arrête beaucoup plus tôt que d’habitude, à la mi-juin plutôt qu’à la fin de juillet. Cela se répercute notamment sur les quantités de bois produites. »
Une étude, publiée en juillet dans Science of The Total Environment, a permis d’évaluer grâce aux données de l’inventaire forestier national les effets du changement climatique sur huit espèces de conifères en France entre 2006 et 2016 : elle confirme l’importance de la contrainte hydrique sur la vitalité des forêts. En dix ans, la moitié des peuplements étudiés ont vu leurs précipitations estivales diminuer de plus de 25 %.
Le stress hydrique du hêtre se manifeste par des jeunes branches qui poussent sur son tronc, comme sur cet arbre, le 1er septembre. Photo CHRISTOPHE CAUDROY.
« Ces travaux montrent que les plantations avec une structure un peu plus hétérogène s’en sortent mieux que celles où tous les arbres ont le même diamètre, précise Clémentine Ols, l’une des auteurs de cette étude, chercheuse au laboratoire d’inventaire forestier de l’Institut national de l’information géographique et forestière. Les peuplements plus diversifiés en termes de structures et d’essences sont donc une piste intéressante pour mettre en place une sylviculture plus résiliente aux changements climatiques. Si l’on veut des systèmes qui durent, il faut changer de paradigme sylvicole et arrêter les plantations monospécifiques. »
Travail d’adaptation
Comment faire face à ces épisodes de sécheresses et de canicules, appelés à devenir toujours plus fréquents et intenses ? La priorité, dans les forêts domaniales comme dans une partie des forêts privées – elles représentent 75 % des 16,8 millions d’hectares de forêts françaises – est à la diversification, des espèces et des provenances.
Des chênes pubescents, plus méridionaux que les chênes pédonculés, des hêtres de la Sainte-Baume ou encore des sapins de Turquie sont, par exemple, introduits dans des forêts du nord ou de l’est de la France sur de petites parcelles, baptisées « îlots d’avenir » par l’ONF. « Il faut augmenter la diversité génétique et la capacité adaptative des forêts, explique Sylvain Delzon. Les génotypes les plus adaptés au climat local seront sélectionnés progressivement. »
Des espèces exotiques peuvent aussi être introduites, tout en veillant à ce qu’elles ne deviennent pas invasives. « Il faut faire des mélanges, mais lesquels ? De combien d’essences, 2, 3, 15 ? Et à quelle échelle, celle de la parcelle, de la microparcelle, de la forêt entière ? On expérimente », observe Bertrand Wimmers.
Les résultats de ces essais, eux, ne commenceront à se dessiner que dans une dizaine d’années, d’où l’importance de documenter ce travail de fourmi. « Pour les plantations, on peut aussi faire des croisements entre les individus les plus résistants mais il faudra du temps pour avoir une variété améliorée », ajoute Sylvain Delzon.
Pour les forestiers, il est inconcevable, en revanche, de laisser la forêt effectuer seule ce travail d’adaptation au dérèglement climatique, une course contre la montre perdue d’avance. « Les arbres ont une capacité naturelle à s’adapter et à se déplacer mais de façon très lente, explique Bertrand Wimmers. Les chênes ont mis six mille ans pour arriver du Caucase en Europe. Or, le réchauffement va très vite. On a le sentiment que ce qu’on imaginait comme scénario pour 2040 ou 2050 est en train de se produire aujourd’hui… »
« Une gestion plus fine »
Si les forêts ne vont pas disparaître, l’enjeu est aussi celui du rôle qu’elles sont amenées à jouer. Guillaume Delcochez désigne des cerisiers tardifs qui ont pris la place laissée vacante par des arbres dépérissants. « Ce type de plante envahissante est beaucoup moins bénéfique en termes de production de bois, de biodiversité et d’activités touristiques, juge-t-il. Si on la laisse se développer, on perdra sur tous les tableaux. »
En quelques années, son travail a changé. Il faut passer plus souvent sur chaque parcelle, faire des éclaircies plus fréquentes mais moins importantes pour ne pas déstabiliser les peuplements, préserver autant que possible les sols.
« Cela demande davantage de temps, une gestion plus fine et des efforts d’explication à destination du public », explique cet agent de l’ONF. Un aspect du métier est, en revanche, plus simple : là où il fallait auparavant choisir quel arbre couper en premier, pour favoriser la régénération, la décision s’impose souvent d’elle-même. Il faut, en priorité, s’occuper des arbres en train de mourir.
La placette Renecofor, site de surveillance de l’écosystème forestier de la forêt de Compiègne, le 1er septembre. Photo CHRISTOPHE CAUDROY.
L’exploitation des forêts s’accroît et réduit l’atténuation du changement climatique en Europe
Les forêts deviennent une industrie ! Parée du discours trompeur de l’énergie verte et des vertus de la biomasse, une entreprise massive et silencieuse de transformation de la sylve en matière se déploie. Les abatteuses, les voies forestières démesurées, les centrales à biomasse sont en train de l’avaler, de la quadriller, de la standardiser. La forêt subit maintenant la logique productiviste qui a ravagé l’agriculture, détruisant les emplois, dispersant les produits chimiques, gaspillant l’énergie, réduisant la biodiversité.
L’étude publiée mercredi 1er juillet 2020 dans la revue Nature fait frémir. Alors que les forêts constituent un important puits de carbone, indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique, les États membres de l’Union européenne (UE) auraient augmenté de manière « abrupte » leur récolte de bois depuis 2016 pour nourrir la hausse de la demande et les nouvelles centrales électriques.
Écrite par le centre de recherche de la Commission européenne, cette étude s’appuie sur des données satellitaires d’une résolution à échelle fine. Elle montre que les aires boisées exploitées se sont largement étendues : leur superficie a augmenté de 49 % par an en moyenne en 2016-2018 par rapport à 2011-2015, ce qui représente une perte annuelle de biomasse de bois de 69 % pour les forêts de l’UE.
Cette intensification des coupes n’est pas liée à l’arrivée d’arbres à maturité mais bien à un boom des marchés, précise l’étude. Ce phénomène est particulièrement visible dans les pays du nord comme la Suède et la Finlande. Les deux pays concentrent à eux deux la moitié de l’augmentation totale. Mais la France, l’Espagne, la Pologne, le Portugal sont aussi touchés. La taille moyenne des parcelles coupées a grandi de 44 % dans 21 des États membres. Les forêts de feuillus sont violemment touchées.
Les auteurs de l’étude rappellent que les forêts européennes ont absorbé ces 25 dernières années, environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne. Mais au rythme actuel, elles ne seront bientôt plus en mesure d’atténuer le changement climatique, alertent-ils.
commenter cet article …