A quelques jours du lancement de la COP 25 à Madrid, l’ONU appelle dans un rapport publié ce mardi à une action urgente : la courbe des rejets de GES en 2018 augmente en dépit des maigres efforts entrepris. Des solutions n’attendent pourtant que d’être appliquées. D’après Aude Massiot pour Libération et Victor Chaix pour Reporterre le 26 novembre 2019. Lire aussi La France continue à soutenir les énergies fossiles alors que le monde prévoit d’en produire 120 % en trop, Le méthane croit de manière alarmante dans l’atmosphère, Des Etats inCOPables de sauver l’humanité ? et La France rétrogradée en 21ème position des performances climatiques.
Même l’ONU ne retient plus ses mots pour qualifier le retard pris dans la lutte contre le dérèglement climatique : «une décennie perdue», annonçait dès le titre l’un de ses comptes rendus sur le climat diffusé en septembre. Une manière juste de résumer le dixième rapport annuel onusien publié ce mardi sur l’écart entre la réalité de «nos émissions de gaz à effet de serre» et les objectifs.
Rapport du PNUE sur la différence entre les actions nécessaires et l'augmentation constatée des gaz à effet de serre.
Malgré l’enjeu magistral, et quelques efforts politiques encore timides, cette courbe de nos émissions, que tout le monde scrute avec l’espoir qu’elle fléchira enfin, n’a pas encore entamé sa descente. Au rythme actuel, elle pourrait même continuer à croître jusqu’en 2030. Or, dans ses multiples rapports, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) s’est montré très clair : si l’humanité espère limiter la hausse mondiale des températures à 1,5° C ou 2° C par rapport à l’époque préindustrielle, elle doit faire baisser ses émissions dès 2020. Jusqu’à atteindre un équilibre entre ce qui est émis et ce qui est aspiré par les forêts, les océans et les sols, au tournant du siècle.
Transformations
Ces objectifs, inscrits dans l’accord de Paris, n’ont pas été choisis au hasard. Il s’agit de paliers clés au-delà desquels certaines populations humaines, animales et végétales, verront leur survie menacée. A + 2° C, la quasi-totalité des coraux seront morts. Cette disparition irréversible entraînerait des bouleversements en chaîne sur de nombreux écosystèmes et espèces qui survivent grâce à ces coraux. Et les littoraux perdront la barrière naturelle qui les protège des tempêtes.
Le temps presse : nous avons déjà atteint la barre du + 1° C à l’échelle mondiale. Les terres se réchauffent deux fois plus vite et des régions comme l’Arctique, quatre fois plus. Une réalité dont doivent tenir compte ceux qui estiment que beaucoup d’efforts ont été menés ces dernières années. D’après l’ONU, ces actions sont très en deçà des transformations structurelles nécessaires pour être à la hauteur de l’enjeu climatique. «Les pays dont les émissions baissent n’ont pas été en mesure, pour l’instant, de compenser la croissance des autres pays, et des secteurs qui ne sont pas pris en compte dans le décompte [de l’accord de Paris, ndlr], comme l’aviation et le transport maritime», souligne le rapport. Les émissions mondiales ont grimpé de 1,6 % tous les ans, depuis 2008, avec une accélération en 2018.
Lundi, l’Organisation mondiale de météorologie (OMM) a joint sa voix à celle du Giec : la concentration en dioxyde de carbone (CO2), le principal gaz à effet de serre émis par l’homme, a atteint un record l’an passé, poursuivant sa course folle à 407,8 parties par million. « La dernière fois que la Terre a connu une concentration de CO2 comparable, c’était il y a 3 à 5 millions d’années, souligne le secrétaire général de l’OMM, Petteri Taalas. Les températures étaient alors supérieures de 2 à 3° C, le niveau des océans de 10 à 20 mètres par rapport à aujourd’hui. »
Le problème est qu’une fois dégagé, le CO2 reste dans l’atmosphère pendant des siècles, et plus longtemps dans les océans. Il n’est pas le seul. Le méthane, produit surtout par les ruminants et les fuites lors de l’extraction de gaz, ainsi que l’oxyde nitreux, effet collatéral de l’agriculture intensive, sont de plus en plus présents dans notre atmosphère.
Tout cela a un effet évident : en trente ans, l’effet réchauffant de ces gaz s’est renforcé de 43 %, un phénomène aussi appelé le forçage radiatif. L’ONU Environnement le martèle : plus on prend du retard sur les efforts menés, plus ceux à venir seront difficiles pour redresser la barre. Il faut dire que le bilan est presque dramatique : « Le niveau actuel d’émissions de gaz à effet de serre est quasiment le même que ce que [nos rapports] prévoyaient pour 2020 si aucune politique n’était mise en place », poursuit le rapport.
Les économies du G20 portent une lourde responsabilité dans cet échec. A elles seules, elles cumulent 78 % des émissions mondiales. Fait encourageant, néanmoins, ces pays devraient respecter leurs engagements pour 2020. Mais comme souvent, la vision à moyen et long terme fait défaut. Dans le groupe du G20, six pays (le Canada, les Etats-Unis, l’Indonésie, le Mexique, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud) devraient rater leurs objectifs de 2030, sans actions supplémentaires.
Potentiel
Premier pollueur au monde, Pékin est bien sûr attendu au tournant. Mais il ne faut pas oublier que la hausse fulgurante de ses émissions depuis les années 80, et plus fortement de 2000 à 2012, a été largement portée par la délocalisation des industries lourdes d’Europe, ou des Etats-Unis, vers la Chine. Si on s’intéresse à ce que chaque habitant émet, en moyenne, directement ou indirectement par sa consommation, les Européens se placent juste au-dessus des Chinois, et bien en-dessous des Américains.
Émissions de CO2 en gigatonnes. En ligne continue, les émissions du pays ; en ligne discontinues, les émissions liées à sa consommation (à gauche, le pays dans son entier, à droite, par habitant)
Pour lancer le changement, pas besoin d’attendre des découvertes technologiques miraculeuses. Les solutions existent déjà et n’attendent qu’à être mises en place. Dès 2017, l’ONU concluait qu’en «ne prenant en compte que les technologies viables et en adoptant des postulats prudents, les émissions mondiales pourraient être réduites […] de manière à rester bien en dessous de 2° C et 1,5° C». Mieux encore, une grande partie de cet énorme potentiel d’amélioration est concentrée dans seulement six secteurs : l’énergie solaire, éolienne, les appareils économes, les véhicules pour passagers durables, le reboisement et l’arrêt de la déforestation. «L’hypothèse de base pour ces estimations est que tous les pays agissent rapidement et mettent en place ces mesures avec le meilleur rapport coût-efficacité, dans leur contexte national, nuance l’ONU. C’est évidemment très idéaliste.» Rien qu’une suppression des subventions au secteur fossile permettrait une baisse de 10 % des émissions de CO2 en dix ans.
Paquet législatif
Depuis 2010, les capacités de production d’énergies renouvelables augmentent de 8 à 9 % par an. La fabrication d’électricité par le charbon, l’énergie la plus polluante, a chuté cette année de 3 %, un record, d’après le site CarbonBrief. Encore faut-il que la consommation mondiale décline aussi. Pour l’instant, les renouvelables permettent seulement de compenser l’augmentation de ce qui est consommé.
Autre bonne nouvelle, de plus en plus de pays s’engagent à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Alors que la 25e Conférence onusienne sur le climat (COP 25) s’ouvre à Madrid le 2 décembre pour deux semaines, la Commission européenne devrait publier une première partie de son fameux «Green Deal européen» le 11 décembre. Annoncé cet été, ce paquet législatif a pour ambition d’engager réellement l’Union européenne dans la transition écologique. Belle avancée ou green washing ? Toutes les hypothèses sont sur la table. Beaucoup espèrent que l’UE sera le premier gros pollueur à présenter un plan d’action plus ambitieux que celui publié pour la COP 21, en 2015. Les négociations de la convention de l’ONU sur le climat prévoient qu’en 2020, les contributions nationales soient revues par les Etats. Avec, de préférence, des exigences plus fortes.
Contrairement à ce qui pourrait sembler logique, les engagements des Etats présentés en 2015 lors de la signature de l’accord de Paris ne permettent pas de respecter ce traité. Elles mèneraient la planète vers un réchauffement de plus de 3 °C, et ce si elles sont respectées, ce qui n’est pas encore le cas. Les gouvernements doivent donc quintupler leurs efforts. Et l’ONU est intransigeante : «La conséquence de ces chiffres est claire : pour que les objectifs de Paris restent en vie, le monde ne peut se permettre de perdre une nouvelle décennie.»
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