Le savoir scientifique était présent ; il n'a pas été mobilisé. En conséquence, les véhicules diesel représentent aujourd'hui la majeure part du parc automobile français avec, à la clé, un cul-de-sac industriel et un coût important assumé par le système de santé. La présence d'hydrocarbures aromatiques polycycliques dans les particules des gaz d'échappement des moteurs diesel est préoccupante, car elle soumet les travailleurs exposés à ces fumées à des risques de cancer." Cette mise en garde n'est pas extraite de l'avis publié en juin, avec fracas, par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et selon lequel les émanations des moteurs diesel sont désormais classées "cancérogènes pour l'homme". Cet avertissement est un peu plus ancien : il est énoncé dans une synthèse de la littérature scientifique, publiée dans la revue Journal of Occupational Medecine il y a... trente-deux ans.
Des mesures de protection des lanceurs d'alerte auraient-elles pu, à l'époque, infléchir le cours des choses ? Les avocats de la proposition de loi relative à la création d'une Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement (HAEA) en sont convaincus.
Depuis le scandale du Mediator, les agences comme l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) disposent d'un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts. "Il n'est pas satisfaisant de laisser les acteurs de l'expertise organiser eux-mêmes la critique de leur propre expertise", dit Glen Millot, un des responsables de la Fondation Sciences citoyennes, qui milite depuis près d'une décennie pour la protection des lanceurs d'alerte.
Déposée le 28 août dernier par Marie-Christine Blandin, vice-président du groupe écologiste du Sénat, et discutée en séance publique au Sénat depuis le 21 octobre dernier, cette proposition de loi visait à mieux protéger les lanceurs d'alerte sur des risques sanitaires ou environnementaux, scientifiques ou simples citoyens qui avertissent les autorités sanitaires ou le grand public d’un danger pour la santé d’un médicament ou d’un produit.
Elle a été finalement adoptée mercredi par le Sénat. "Il s'agit de donner la garantie extérieure de l'expertise en vérifiant les conflits d'intérêts éventuels et d'avoir une oreille bienveillante vis à vis des alertes", a expliqué à l'AFP Marie-Christine Blandin (EELV).
Opposition de l'Académie de médecine
L'Académie de médecine faisait partie des opposants au projet de loi. Dans un communiqué, elle mettait en garde « contre une légalisation d'un statut de lanceurs d'alerte ». L'Académie de médecine considère en effet que les lanceurs d'alerte disposent de suffisamment de possibilités de recours. La création d'un statut de lanceurs d'alerte favoriserait, selon l'Académie, la dévalorisation de la véritable expertise : « créer une haute autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement reviendrait à nier la valeur de l'expertise scientifique et la légitimité des agences et des académies à l'assurer, tout en rendant plus complexe un dispositif d'expertise officielle qui gagnerait au contraire à être simplifié et clarifié ».
Dès lors, analysait l'Académie de médecine, « légitimer l'alerte au détriment de l'expertise risquerait de faire passer la prise de décision politique avant l'évaluation scientifique » et d'exposer l'État « aux pressions, idéologiques, partisanes et lobbyistes ». L'Académie demandait donc « la reconnaissance de la primauté de l'expertise scientifique ». L'Académie demandait également la création d'un haut comité de la science et de la technologie, « chargé de rendre compte régulièrement de la manière dont les questions scientifiques sont traitées par les acteurs de la communication audiovisuelle ».
Patrick Pelloux encense la loi
A contrario, le Dr Patrick Pelloux, président du syndicat AMUF, avait défendu lors d'une récente conférence de presse la proposition de loi de Marie-Christine Blandin. « Cette loi permettra de protéger des lanceurs d'alerte comme Irène Frachon, qui a soulevé le problème du Mediator, ou encore Gilles-Éric Séralini, qui alerte sur les dangers des OGM, sans oublier le Dr Meneton, sur les dangers du sel ». Cette loi permettrait, selon Patrick Pelloux, de mettre la France au niveau des Etats-Unis : « Aux Etats-Unis, quand un individu, avec peu de moyens, réussit à découvrir un phénomène, on l'installe dans un laboratoire pour lui donner les moyens de fonctionner. Cette loi va permettre aux lanceurs d'alerte de poursuivre leurs travaux à l'abri des tracasseries. C'est un des fondements des démocraties modernes. »
Compromis
Pour que le texte puisse passer, les écologistes ont dû faire un certain nombre de compromis. Ainsi, la Haute autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte (HAEA), prévue initialement a été remplacée par une Commission nationale de la déontologie environnementale. Elle veillera aux règles déontologiques concernant l'expertise et aux procédures d'enregistrement des alertes. Celle-ci émettra également des recommandations générales sur les procédures d'expertise scientifique et identifiera par ailleurs les bonnes pratiques françaises ou étrangères. Selon l'AFP, la protection des lanceurs d'alerte a été renvoyée aux juridictions de droit commun et à un recours possible au défenseur des droits.
Comme cela avait été évoqué durant la conférence environnementale, les comités d'hygiène et de sécurité (CHESCT) pourraient voir élargir leurs compétences, pour protéger les salariés qui prennent le risque de signaler une alerte et qui se retrouvent souvent sanctionnés par leur hiérarchie, mis au placard ou privés de financements pour leurs recherches quand ils sont chercheurs. Ainsi, un volet du texte modifie le code du travail afin d'inclure les salariés lanceurs d'alerte dans les salariés protégés et élargit les compétences des comités d'hygiène et de sécurité (CHESCT) en matière de risques sanitaires et environnementaux. "Ce volet reste toutefois soumis aux décisions de la Conférence sociale entre partenaires sociaux", a rappelé à l'AFP, la ministre.
La loi pour protéger les lanceurs d’alerte est « une avancée » selon André Cicolella, porte-parole du Réseau Environnement Santé(RES) et lui-même licencié en 1994 de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour avoir alerté sur les dangers des éthers de glycol.
Que pensez-vous de la loi qui vient d’être votée ?
C’est une avancée car c’est la reconnaissance du problème. Il n’y avait rien pour protéger les lanceurs d’alerte, la création d’une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement permet donc de sortir du néant. Là où la loi est insuffisante, c’est qu’il s’agit d’une instance consultative qui donne seulement un avis. Elle n’a donc aucun pouvoir contrairement à ce que nous demandions.
Dans le cas de l’aspartame, par exemple, où la dose journalière admissible (Dja) est basée sur deux études qui n’ont jamais été publiées, la Commission va pouvoir donner son avis et dire que la Dja doit s’établir à partir d’études publiées, mais il aurait été préférable qu’elle puisse imposer à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui continue d’affirmer que cette Dja est très bien, de revoir sa copie.
Les lanceurs d’alerte seront-ils vraiment protégés ?
La pratique le dira. Mais le fait que les Chsct voient leurs missions élargies est une bonne nouvelle, ce n’était pas prévue dans le projet initial. Cela signifie, par exemple, que dans le cadre du scandale des prothèses mammaires PIP, les salariés - à qui l’employeur avait demandés de cacher les produits déficients quand il y avait des contrôles et qui ont obéi aux ordres parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement - pourraient, aujourd’hui, lancer une alerte sans avoir peur de représailles.
Jusqu’alors, on avait plutôt des cas où le salarié s’est fait licencier pour avoir signalé un dysfonctionnement dans l’entreprise. Le principe est de protéger les lanceurs d’alerte sur la base de la non-discrimination. Le texte dit que « aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir relaté ou témoigné de bonne foi soit à son employeur soit aux autorités judiciaires soit administratives de faits relatifs à la santé publique ou à l’environnement dont elle aurait eu connaissance au titre de ses fonctions ».
Quand j’ai été licencié de l’Institut national de recherche et de sécurité (Inrs) en 1994 pour avoir dénoncé la dangerosité des éthers de glycol, j’aurai pu saisir le Chsct et les choses se seraient sûrement passées autrement.
Qui va faire partie de la commission ?
C’est tout le problème car son rôle va dépendre de la qualité des personnes qui vont y siéger. Si on prend des gens de l’Académie de médecine, on risque de n’avoir aucune surprise, il ne se passera pas grande chose. C’est pourquoi il aurait été plus pertinent de créer une Haute autorité de l’expertise et de l’alerte, mais c’est l’argument financier qui l’a emporté : selon le rapport de la Cour des comptes, il y a assez d’agences sanitaires en France et cela coûte cher. Sauf que les scandales sanitaires aussi coûtent cher ! Néanmoins, le fait d’avoir un lieu que l’on puisse saisir et où l’on puisse s’exprimer est important. La loi ne résout pas tous les problèmes mais c’est globalement positif.
(d’après Actu-environnement, Medscape, Viva presse, Le Monde)
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