Les négociations européennes pour la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) pour 2014-2020 entrent dans leur dernière phase, elles devraient prendre fin début 2013 (conjointement décidée par le Parlement Européen et le Conseil, soit les gouvernements nationaux) pour une mise en place à partir de 2014.
Avec un budget s’établissant à près de 50 milliards d’€, cette politique structurelle de l’UE a un impact décisif sur l’évolution de l’agriculture.
En l’état actuel des discussions, le développement de l’agriculture intensive et des exportations, ainsi que le sacro-saint couple productivité/compétitivité demeurent bien les objectifs principaux de l’U.E., malgré les propositions de la Commission de l’Agriculture européenne pour plus de verdissement et pour un retour à une aide de base à l’hectare plus juste et plus efficace.
L’emploi agricole et le maintien du nombre des exploitations, un marché européen régulé, l’autonomie de l’Europe en protéines(contre l’importation de soja OGM pour l’élevage et pour une amélioration des sols), la relocalisation de l’économie agricoleou encore la réduction drastique des intrants (engrais chimiques, pesticides...) ne sont pas significativement pris en compte à ce stade du projet de nouvelle PAC.
Obtenir un maximum d’avancées sur ce cadre européen permettrait de travailler en cohérence à la future loi cadre agricole nationale (prévue pour le 2ème semestre 2013), en rupture avec la politique agricole menée jusqu’ici.
Les eurodéputés EELV, José Bové en tête avec ses collègues de la Commission de l’Agriculture sont mobilisés sur ces négociations mais au Parlement Européen, conservateurs (PPE) et socialistes (PSE) ont des positions convergentes qui ne laissent augurer aucun changement de fond pour l’instant !
Depuis l’élection de François Hollande, les propositions françaises, comme les négociateurs du Ministère de l’agriculture, n’ont pas particulièrement changé…
Initiative des organisations citoyennes pour une autre PAC et actions EELV
Une journée d’actions citoyenne est prévue le 18 septembre ; son but : influer sur le budget européen pour une Politique agricole commune plus verte, intervenir fortement dans le débat pour des avancées significatives dans les négociations.
Des caravanes paysans-ONG-citoyennes convergent vers Bruxelles pour s’y retrouver le 19 septembre, c’est la Good Food March. De fin août au 19 septembre, elles portent le débat à chacune de leurs étapes en cheminant vers Bruxelles.
Le 18 septembre, la veille de l’arrivée de la marche citoyenne à Bruxelles, José Bové et les co-présidents du groupe Daniel Cohn-Bendit et Rebecca Harms organiseront une conférence de presse à Bruxelles. Ils demanderont un rééquilibrage significatif des aides vers les systèmes agricoles favorisant l’emploi, les pratiques de production durable et la relocalisation de l’économie agricole.
L’une des revendications phare est un plafonnement des aides à 100.000 euros maxi pour une exploitation (et non 300.000 euros comme proposé actuellement). Les gains opérés avec un tel plafonnement (entre 4,8 et 6,4 milliards d’euros dans l’UE à 27 et 850,4 millions en France selon les simulations) permettraient de rééquilibrer les subventions au profit des exploitations orientées vers un développement agricole durable déjà accompli ou en transition.
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Pour ceux qui désirent plus de détails, voilà le résumé d'une intervention de Samuel FERET, coordinateur du groupe PAC 2013, présentée à l’atelier « PAC et impacts » des Journées d'été d'Europe Écologie Les Verts 2012 à Poitiers :
http://agriculture.eelv.fr/wp-content/blogs.dir/241/files/2012/08/PAC2013.pdf
Quelle PAC pour 2014-2020 ? PAC et impacts, projets de réforme à l'horizon 2020
Contact : samuel.feret@pouruneautrepac.eu - www.pouruneautrepac.eu
Avant 1992, l'intervention publique en agriculture est justifiée par :
* l'amélioration de laproductivité de l'agriculture en développant le progrès technique et en optimisant les facteurs de production
* l'assurance d'un niveau de vie équitable pour la population agricole
* la stabilisation des marchés
* la garantie de sécurité des approvisionnements
* l'assurance de prix raisonnables pour les consommateurs
Evolution de la PAC 1992 à 2010
A partir de 1992, l'intervention publique en agriculture est justifiée par :
* l'amélioration de la compétitivité du secteur agricole
* la contribution à la sécurité alimentaire et plus récemment à la sécurité énergétique
* la stabilisation des revenus agricoles à un niveau acceptable en réduisant leur variabilité
* le développement rural, en contribuant à la vitalité des zones rurales
* la création de «biens publics» comme la protection de l'environnement, des habitats naturels et la conservation des paysages Source : Hervieu et al. 2001, Van Tongeren 2008
Evolution des dépenses de la PAC
Rappel sur l'instrumentation : 1er et 2nd pilier de la PAC (après le bilan de santé en 2008)
Impacts des réformes (1)
• Démantèlement des instruments de gestion et d'organisation des marchés (prix d'intervention, stockage...)
• Amélioration de la compétitivité de l'agriculture UE ?
De quelle compétitivité, quelles exploitations, quelles filières, quels maillons de la filière ?
• Aides directes : principal instrument d'intervention ; justification et légitimité d'un outil qui devait être transitoire ?
• Intégration progressive de l'environnement (conditionnalités)
• Développement rural (handicaps naturels, jeunes agriculteurs, modernisation, agroenvironnement...) marginalisé dans les négociations
• Aucune évaluation des dépenses du 1er pilier (sans doute impossible si l'objectif est indéterminé)
• Amélioration de la transparence de la PAC
Échecs des réformes (2)
• Emploi agricole non considéré : baisse de 25% entre 2000 et 2009
• Incapacité à répondre au défi du renouvellement des générations : 7% des agriculteurs de l'UE < 35 ans
• Manque de ciblage des aides directes : « titrisation » du soutien public et captation par des agriculteurs non actifs (selon Cour des Comptes)
• Manque d'efficience des aides directes :
– pas de plafond : 84% des bénéficiaires 2009 ont reçu <10K€ d'aides (25% du total) tandis que 0,41% ont reçu >100K€ (12,78% du total)
– pas de gestion inter-annuelle qui tienne compte des niveaux de prix et de revenu des agriculteurs ; le cumul de prix élevés et d'aides élevées entraîne des effets pervers : encouragement à abandonner l'élevage au profit des céréales ; sur-investissement en matériel agricole pour défiscaliser et échapper à l'impôt
Impact des réformes (3)
• Le soutien des revenus agricoles reste au cœur de la PAC, le soutien des prix ne l'est plus
➡ Légitimité des aides en question
• La sécurité alimentaire est de retour sur l'agenda politique mais la finalité alimentaire de la PAC est évacuée (ex: Organisations Communes de Marché, Programme Européen Aide aux plus Démunis)
• La négociation sur le budget de l'UE et sur celui de la PAC (quantitatif) prime sur le contenu de la réforme (qualitatif)
• Alimentation, Territoires, Emplois, Environnement, Climat : défis multiples qui appellent des réponses collectives et « collaboratives » mais on est face à un paiement unique qui individualise l'intervention publique
• Pilotage de la PAC contraint par les discussions budgétaires, l'inertie des réformes et un processus décisionnel complexe
Positions types des États Membres sur la PAC après 2013
sur cette carte, en vert...
États pour une PAC moins coûteuse : « Une PAC verte et mince »
Diminution du budget par baisse plus ou moins progressive des DPU (Gestion des droits à paiement unique, 1er pilier)
Développement des mesures du 2nd pilier pour « la croissance verte »
Mesures ciblées sur l'environnement, l'innovation, les biens public
en rouge...
États réclamant plus d’égalité : « Une PAC équitable »
Répartition des aides par «flat rate» (taux unique par hectare)
Flexibilités entre 1er et 2nd piliers
Besoin du 2nd pilier pour la
restructuration du secteur agricole
en bleu...
États « conservateurs » : « Sécurité alimentaire & compétitivité »
1er pilier fort et DPU essentiellement historiques (sf Allemagne)
Stabilisation des marchés (sf Allemagne) et/ou outils de gestion des risques
Subsidiarité (« flexibilités ») accrue
Le contexte de la réforme de la PAC
• Stratégie 2020 : cadre structurant pour toutes les politiques communautaires ; promouvoir une croissance « intelligente, verte et inclusive »
• Traité de Lisbonne (signé en 2007): confère des pouvoirs étendus au Parlement européen ; co-décision avec le Conseil des ministres
• Négociations parallèles sur les perspectives financières de l'UE 2014-2020 et sur toutes ses politiques
• Poids des déficits publics dans les États membres : pressions accrues pour ne pas augmenter le budget de l'UE et pour réduire les dépenses agricoles
➡ Pressions internes plus fortes que lors des négociations des années 90 où l'agenda international dominait (OMC)
1. Une PAC qui pourrait être un peu plus juste entre les agriculteurs
• Fin des aides individuelles historiques et passage à un paiement uniforme au niveau régional avant le 1er jan. 2019 ; au moins 40% du Droit à Paiement de Base distribué différemment de l'ancienne PAC en 2014
• Dégressivité des aides à partir de 150 K€ en prenant les coûts salariaux en compte ; plafonnement des aides au revenu (paiement « vert » non concerné) à 300 K€.
2. Une PAC plus « verte », plus « jeune », et pour les petits agriculteurs ?
Améliorer le ciblage via :
• un nouveau système de paiement qui remplace le système de paiement unique (DPU) en 2014, et se décomposant ainsi :
Droit à Paiement de Base (DPB)
Paiement aux pratiques bénéfiques au climat et à l'environnement (30% de l'enveloppe nationale de paiements directs)
Paiements Jeunes agriculteurs (2% max.)
Aides Zones à contraintes naturelles (5% max.) Facultatif
3. Verdissement : un vrai changement ou un green wash ?
Un paiement aux pratiques bénéfiques au climat et à l'environnement, en contre-partie sur chaque exploitation, respecter les mesures précédentes là où elles sont pertinentes :
Diversification de l'assolement: 3 cultures différentes sur les terres arables, la principale <70% et les deux autres > 5% chacune;
Maintien des prairies permanentes à 95% (2014 année de réf.);
7% en surfaces d'intérêt écologique (à l’exclusion des surfaces consacrées aux prairies permanentes, les terres mises en jachère, terrasses, particularités topographiques, bandes tampons et surfaces boisées)
Les exploitations certifiées en agriculture biologique recevraient ipso facto ce paiement « vert » sans avoir à respecter les mesures ci-dessus .
4. Une PAC plus orientée vers le marché ?
• Filets de sécurité actuels maintenus (prix d'intervention sur certains produits)
• Intervention sur le blé dur et le sorgho supprimée
• Droits de plantation viticoles appelés à disparaître fin 2015 ou au plus tard fin 2018 si un État Membre décide de maintenir un dispositif national similaire
• Suppression des quotas sucriers en 2016
• Subventions à l'export demeurent dans la panoplie des outils de la PAC
[Revenir sur la suppression des quotas n'est pas à l'ordre du jour !]
5. Une PAC qui améliorerait le fonctionnement de la chaîne alimentaire ?
• Dérogations au droit de la concurrence pour permettre aux agriculteurs d'organiser la mise en marché
• Extension du rôle des organisations de producteurs (OP) et des inter-professions (IP) à tous les secteurs : seuils de représentativité des OP et IP
• Promotion des Fruits & Légumes à l'école : l'enveloppe passe de 98M€ à 150M€ et le cofinancement de 50 à 75%
• Programme Européen d'Aide aux plus Démunis (PEAD) non prolongé après 2013
6. Une PAC qui gérerait les risques de marché ?
• Mesures de prévention et de réparation des perturbation des marchés, avec notamment une réserve d'urgence en dehors du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) :
– Prévention de perturbation des marchés
– Maladies animales
– Perte de confiance des consommateurs en raison de l'existence de risques pour la santé publique
– Problèmes spécifiques
• Dispositif d'assurance dans la politique de développement rural (2nd pilier de la PAC)
7. Une politique de développement rural encore floue et complexe
Nos demandes
• Instaurer des critères d'attribution des aides qui tiennent compte des emplois agricoles et de critères environnementaux tangibles, des niveaux de prix et non du seul nombre d'hectares ou d'un niveau de production « historique » des exploitations, qui font qu'une part importante des aides profite encore à des bénéficiaires qui n'en n'ont pas besoin, certaines grandes exploitations
• Réorienter les aides directes vers une véritable écologisation des systèmes agricoles, basée sur des
rotations culturales plus longues, la protection des pâturages permanents et au moins 10%
d'infrastructures agro-écologiques sur les exploitations.
• Un «verdissement» qui bénéficierait aux agriculteurs sans qu’ils aient à changer leurs pratiques sur ces trois points serait un green washing inacceptable.
• Renforcer les mesures agro-environnementales et climatiques contenues dans le pilier du développement rural de la PAC
• La France doit soutenir un renforcement de ce pilier qu’elle a trop longtemps négligé. Ces mesures constituent un levier incontournable pour engager la transition vers une agriculture plus durable et
participer au développement équilibré de nos territoires.
• Il est donc essentiel que le budget du fonds de développement rural soit revu à la hausse
• Maintenir les instruments de marché qui permettent une régulation effective à moindre coût (droits de plantation, quotas...)
• Tourner la page des subventions bénéficiant aux produits exportés
• Défendre la mise en place d'un mécanisme transparent et multi-acteurs d'évaluation et de correction des impacts de la PAC sur l'agriculture et la souveraineté alimentaire des pays du Sud